Corrrespondance de Fénelon tomes X à XVIII
Avertissement (reprise résumée de l’Avertissement du tome I à IX précédent)
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Table des matières
TOME XVIII Suppléments et corrections (deuxième partie seule) 2623
Fénelon dans la retraite
juin 1699 — décembre 1702
Texte établi par
JEAN ORCIBAL
avec la collaboration de
JACQUES LE BRUN et IRÉNÉE NOYE
publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique
614. A M*** [LE DOYEN DE MAUBEUGE?]
A Cambray, 1" juin [1699].
Je vous prie, Monsieur ', de me mander exactement tout ce que vous connaissez des principaux sujets qu'on peut choisir dans le chapitre de Maubeuge, pour lui donner une dame'. Si la cour me députe pour assister à cette élection', avec M. le gouverneur du pays et M. l'intendant', je dois être instruit de tout ce qui regarde le succès de cette élection, et le plus grand bien du chapitre. Je compte donc que vous prendrez la peine de me mander au plus tôt les qualités de chacune des dames qui sont à portée d'être élues. Il y a longtemps que vous devez les connaître à fond, par vous ou par autrui. J'espère que vous m'ouvrirez là-dessus votre coeur sans réserve, et que, sans aucune complaisance humaine, vous ne regarderez que Dieu seul dans toutes les choses que vous me confierez. Pour moi, je ne découvrirai jamais à personne du monde, sans exception, que je vous aie consulté, ni que vous m'ayez répondu en cette matière. Ainsi ne craignez point de me parler ingénument, et ne songez qu'à décharger votre conscience. De votre part, ne dites, s'il vous plaît, à personne du monde sans exception, que je vous aie demandé vos pensées. Il est juste que vous me gardiez le même secret que je vous promets de vous garder. Je suis, Monsieur, cordialement tout à vous pour tou-
jours.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
Copyright 1989 by Librairie Droz S.A., 11, rue Massot, Genève.
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615. A MAIGNART DE BERNIÈRES
A Cambray 2 juin [1699].
J'ai reçu, Monsieur', avec tous les sentiments qui vous sont dus, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Les offres dont elle est remplie sont si obligeantes, que je ne saurais vous en faire d'assez grands remerciements. Je les accepterais avec joie, Monsieur, si je ne craignais d'être indiscret. Mon inclination serait tout entière de passer dans votre maison le temps que je dois être à Maubeuge. Mais vous aurez chez vous, Monsieur, M. le C. de Monbron 2, et je crains de vous incommoder, en usant trop librement de vos honnêtetés. Elles me touchent à un point qui est difficile à exprimer. En attendant le voyage de Maubeuge pour lequel vous me donnez beaucoup d'impatience, je vous supplie, Monsieur, d'avoir la bonté d'écouter mon intendant' qui vous rendra compte, s'il vous plaît, de quelques affaires où j'ai grand besoin de votre secours pour les intérêts de l'Eglise. Après tout ce que j'ai trouvé en vous jusqu'ici, je ne puis être en peine d'aucune affaire qui passe par vos mains. Vous ne pouvez avoir quelque égard pour personne
A Versailles le 3 juin 1699.
Monsieur,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27e du mois passé avec celle qui l'accompagnait pour le Roi et le procès verbal de votre assemblée provinciale qui y était joint. J'ai eu l'honneur de le remettre à Sa Majesté qui en a paru très contente', et il ne me reste qu'à. vous assurer que je suis...
616. A MA1GNART DE BERNIÈRES
[6 juin 1699].
Monsieur,
Nous trouvons M. le C. de Monbron et moi deux divers temps sur lesquels nous espérons que vous voudrez bien choisir le jour le plus convenable pour vous et pour le chapitre de Maubeuge'. Le premier temps est depuis la fête-Dieu qui est le 18 de ce mois, jusqu'au commencement du mois prochain. Il me serait très difficile, Monsieur, d'aller à Maubeuge avant ce temps-là, et je crois que M. le C. de Monbron serait dans l'impossibilité de le faire. Pour moi je dois être à Cambray à la fête du S. Sacrement, parce que c'est une principale solennité, où je dois officier, et faire la procession ; mais dès le lendemain de la fête je serai libre jusqu'au commencement de juillet. Le 4 de juillet je serai obligé d'être ici, Monsieur, pour y tenir le concours, où l'on remplit toutes les cures vacantes dans l'année'. C'est la plus grande affaire du diocèse, et à laquelle il m'est moins permis de manquer. Mais vers le 12e de juillet je serai encore libre et tout prêt à partir quand il vous plaira jusques à la fin du mois. Ainsi, Monsieur, voilà deux temps sur lesquels vous êtes prié de choisir un jour. Le premier depuis le 18 de ce mois jusqu'à la fin et le second le 12 de juillet jusqu'à la fin pareillement. Je crois seulement devoir remarquer que comme le Roi voudra apparemment nommer à l'Assomption', nous devons le respect aux ordres de Sa Majesté de les exécuter au moins trois semaines avant la fête, dans laquelle se fera la nomination. Après avoir traité cet article principal, il faut passer, Monsieur, à celui qui vous fait une peine si obligeante. J'ai craint de vous embarrasser pour un logement dans une maison qui n'est peut-être pas des plus grandes, et où vous logerez M. le C. de Monbron. Mais puisque vous pouvez sans embarras me donner une chambre, et que vous avez la bonté de le désirer si fortement,
6 juin 1699 TEXTE
je vous déclare, Monsieur, que je serai ravi d'accepter cette offre. Je ne saurais être trop près de vous, et rien ne me peut donner plus de joie que cette marque de l'honneur de votre amitié. Je ressens, comme je le dois, votre attention pour tous les intérêts de notre Eglise. Mais je réserve les très humbles remerciements que je vous dois là-dessus au voyage de Maubeuge, que j'attends avec une vraie impatience. Personne ne peut être jamais plus sincèrement ni plus parfaitement que moi, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
A Cambray, 6 juin 1699.
FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.
616 A. LE P. DE JASU A FÉNELON
[6 juin 1699].
Monseigneur,
Il y avait longtemps que j'étais pénétré d'estime et de respect pour vous; mais si vous eussiez toujours été environné de tout l'éclat de votre grandeur, je me serais bien donné de garde, n'étant qu'un pauvre et simple religieux', de m'approcher de vous, et je n'aurais jamais osé souhaiter d'en être connu. Mais depuis que l'adversité est venue fondre sur vous avec tant d'impétuosité, la simple estime que j'avais pour tout le bien que j'entendais dire de vous s'est changée en un si fort et si tendre attachement pour votre personne, qu'insensiblement et malgré moi, je me suis vu dans le trouble pour l'amour de vous. J'ai pris part à vos craintes et à vos inquiétudes, j'ai ressenti le coup qui vous a frappé; et cette communication de douleurs m'a tellement uni à vous, que je ne puis plus me contenir dans les bornes de l'humble silence que la connaissance de ma bassesse devrait éternellement me prescrire à l'égard d'une personne de votre élévation et de votre mérite.
Souffrez donc, Monseigneur, que, pour rendre le calme et la paix à mon coeur affligé, je vous fasse connaître son zèle, et qu'après avoir participé à l'amertume du vôtre, je vous félicite de la résolution généreuse et véritablement chrétienne que vous avez fait paraître dans le temps de l'affliction, et dans une des plus rudes épreuves qu'un coeur droit puisse essuyer.
Grâce au Père des miséricordes et au Dieu de toute consolation, il a pris soin de vous consoler lui-même dans votre affliction, et vous a donné la force de consoler ceux qui ont pris part à vos douleurs, par la conduite toute sainte que vous vous êtes prescrite, et que vous avez fidèlement observée jusqu'à la fin.
Votre charité, Monseigneur, que ce grand orage n'a pu éteindre, a dissipé tous les nuages qu'il avait excités, pour laisser paraître la solidité de votre vertu dans toute sa splendeur: car c'est dans les maux, dit s. Augustin, que l'on reconnaît les progrès qu'on a faits dans la vertu avant que d'y tomber 2; c'est dans ce champ de l'amertume et des souffrances que vous avez trouvé le trésor caché, je veux dire l'ancienne manière d'instruire efficacement les
8 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
3 juin 1699
qui soit plus fortement et plus parfaitement que moi, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY
615 A. BARBEZIEUX A FÉNELON
10 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 6 juin 1699
peuples, en vous rendant vous-même un parfait modèle d'humilité, de douceur, de patience, de soumission à l'Eglise, et d'amour de Dieu.
Il est constant que le livre de l'Explication des Maximes des Saints n'était à la portée que d'un petit nombre de personnes. On me le pardonnera peut-être, si je dis que les plus savants n'y étaient pas les plus intelligents. Mais les vertus que vous enseignez aujourd'hui par vous-même sont conçues et connues de tous les chrétiens. Cette doctrine, Monseigneur, est proportionnée à la capacité de tous les hommes; les plus grossiers et les plus ignorants l'admirent et en sont édifiés; les plus savants et les plus zélés sont contraints de la louer et approuver.
Votre mandement, quoique très court, contient toute la doctrine de s. Paul. Vous y enseignez efficacement un Jésus-Christ crucifié, en portant vous-même sa croix; vous nous apprenez, par votre exemple, comment nous devons recevoir les afflictions et les humiliations que Dieu nous envoie. Aucun chrétien n'osera plus témoigner la moindre résistance à la voix de son pasteur, après avoir vu de ses yeux un grand et savant, ou pour dire ce qui est plus rare, un humble et savant archevêque, écouter celle du souverain pasteur avec la même docilité et la même soumission que les anges ont pour celle de Dieu.
Consolez-vous donc, illustre et généreux prélat; vos humiliations vous sont plus glorieuses et plus utiles à l'Eglise qu'un millier de livres; vos actions sont une explication vivante des maximes des saints; et ce que l'on croyait devoir être le motif de votre abaissement, est devenu le fondement de votre gloire et de la joie des gens de bien. C'est ainsi, Monseigneur, que le vaincu a seul tout le fruit de la victoire, et que les plus grandes adversités tournent toujours au bien et à l'avantage de ceux qui aiment véritablement Dieu.
L'on doit vous dire à vous-même, Monseigneur, ce que la piété vous a fait écrire à une personne affligée': Dieu vous voulait tout à lui, et ce n'est que sur la croix qu'il prend sa pleine possession. Il voulait cette dernière preuve de votre amour, pour faire reposer sur vous son Esprit saint, et apprendre aux fidèles, par votre exemple, comment ils doivent l'attirer sur eux; car sur qui se reposera l'Esprit du Seigneur, si ce n'est sur celui qui est doux et humble?
Votre conduite, Monseigneur, vous ayant été inspirée de Dieu, a toujours été accompagnée et enfin couronnée de cette douceur et humilité de coeur que notre divin Maître a voulu que nous apprissions de lui; et ces deux vertus sont si parfaitement dépeintes dans votre mandement, et dans celles de vos lettres que la Providence divine a rendues publiques, que je ne fais aucune difficulté d'avouer que j'expérimente, en les lisant, ce que saint Chrysostome sentait en lisant les Epîtres de saint Paul. Elles renferment une certaine onction qui attendrit jusqu'aux larmes. J'ai eu la joie de remarquer qu'elles produisent le même effet en ceux qui me les ont communiquées, et en ceux à qui je les communique; et des personnes distinguées par leur esprit et par leur naissance, qui ne pouvaient recevoir aucune consolation dans leur affliction, m'ont avoué avoir ressenti du soulagement dans la lecture de vos lettres et de votre mandement. Plus je les lis, plus j'en suis touché, et plus elles 10 juin 1699 TEXTE 11
m'inspirent d'estime, de zèle, d'attachement et de respect pour votre personne et votre vertu.
De Dreux, ce 6e juin 1699.
F. DE JASU, Prieur indigne de l'abbaye du Breuil.
617. Au CARDINAL SPADA
[10 juin 1699].
Eminentissime Domine,
Acta conventus quem in hac civitate cum episcopis comprovincialibus ' Tornacensi, Attrebatensi et Audomarensi, jubente Rege, nuperrime institui, ad Sedem apostolicam filiali cum reverentia transmittenda esse mihi videntur. Quapropter, Eminentissime Domine, vestram Eminentiam impensissime oro, ut duo exemplaria benigne excipere dignetur, quorum alterum, pro sua solita et ingenita humanitate, ad Sanctissimi Patris pedes officiose deferre velit, alterum ut observantiœ meœ specimen2 apud se habeat. Quo animo ad singula mihi objecta responderim, hinc facile perspectum habebit. Verissimo et constanti cuti-1 animi cultu subscribor, Eminentissime Domine, Eminentiœ vestrœ humillimus et obedientissimus servus.
Cameraci 10 junii.
FR. ARCH. DUX CAMERACENSIS.
618. A MAIGNART DE BERNIÈRES
[12 juin 1699].
Monsieur,
Puisque vous ne pouvez être libre qu'environ la Saint Jean, nous comptons M. le C. de Monbron et moi de nous rendre à Maubeuge immédiatement après cette fête. Je partirai d'ici le lendemain qui est le 25. J'arriverai à Maubeuge le 26. Nous aurons le 27 et le 28 pour travailler à l'élection' et il me restera le 29 et le 30 pour revenir à Cambray' où je dois tenir le concours du diocèse les premiers jours de juillet. On ne peut être plus touché que je le suis, Monsieur, de toutes les circonstances de ce que vous faites à mon égard, et de la manière dont vous savez assaisonner les choses. En vérité personne n'est plus sincèrement, ni plus parfaitement que moi, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 12 juin.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
12 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 2 juillet [1699]
A L'ABBÉ DE CHEVREMONT
Au Casteau, 2 juillet [1699].
On ne peut, Monsieur ', être plus vivement touché que je le suis de toutes les marques d'amitié et de zèle que vous me donnez. Rien ne me ferait plus de plaisir, que de pouvoir répondre par des services effectifs à tant de choses très obligeantes, par lesquelles vous avez bien voulu me prévenir. Mais trouvez bon, je vous conjure, que je vous parle ici à coeur ouvert et sans réserve.
1° J'ai condamné de très bonne foi mon livre par soumission et par docilité pour le Pape. Ainsi toutes les personnes qui ont quelque amitié pour moi ne peuvent m'obliger plus sensiblement qu'en ne disant jamais une seule parole en faveur de cet ouvrage. Je ne puis consentir qu'on l'excuse même indirectement.
2° Je vous conjure de ne dire et de n'écrire rien contre mes confrères qui m'ont attaqué à Rome, ni contre M. l'arch[evêque] de Rheims. Vous savez, Monsieur, combien la religion demande l'esprit de paix, de charité, de respect pour l'épiscopat. Tout ce que vous feriez par zèle pour mes intérêts retomberait sur moi: car on ne manquerait pas de me l'imputer. Peut-être même en découvrirait-on la source, et on vous ferait beaucoup de peine en ce cas-là.
3° Vous êtes dans la retraite loin du monde, et vous ne pouvez pas savoir l'état des choses. Si vous vous retiriez dans ce diocèse, loin de vous mettre à l'abri, je vous attirerais de grands embarras, et je ne pourrais vous soutenir. Ne croyez pas, s'il vous plaît, que je vous parle ainsi pour m'excuser. Il est certain, Monsieur, que, pour l'amour de vous, je dois résister à votre désir. Plus vous me témoignez d'attachement, moins je dois souffrir que vous veniez vous exposer à de très fâcheux inconvénients. Vous cherchez la paix, et vous ne trouveriez que du trouble.
Ce que je vous souhaite, c'est une solitude où votre silence et votre renon-cernent à tous les commerces extérieurs ôtent tout prétexte de critique, et où vous puissiez vous donner tout entier paisiblement à l'oraison et aux saintes lettres. Je serais ravi de pouvoir vous offrir cette solitude; mais, encore une fois, je dois vous dire que je vous attirerais de grands orages. Au nom de Dieu, ne parlez de moi qu'à Dieu seul, et laissez les hommes en juger comme ils le voudront. Pour moi, je ne cherche que le silence et la paix, après m'être soumis sans réserve. En quelque lieu que vous soyez, souvenez-vous de moi dans vos prières, comme je me souviendrai de vous dans les miennes; et soyez persuadé, s'il vous plaît, que j'ai le coeur bien affligé sur les choses que je me vois dans l'impuissance de faire pour vous témoigner à quel point je suis pour toujours, etc.
Je vois, Monsieur, qu'il y a plusieurs faits sur lesquels vous n'avez pas été exactement informé.
Reverendissime Pater,
Ex adventu Dni Abbatis de Chanterac ' certior factus sum de eo acri studio quo Reverentia Vestra, tum in tuenda Sanctorum Ascetarum doctrina, tum in deffendenda mea innocentia, aperte, generose, et constanter2 operam dedit. Que quidem amplissima vestra in me merita alta mente reposita manent3, nec tamen predico, ne societati, quam semper maximi faciam, crimini vertantur. Verum Reverendissime Pater, in vita mihi nihil antiquius erit quam amantissima horum omnium recordatio. Que vero in conventu nostro provinciali Episcoporum mihi objecta fuere quasi ex insidiis, et que retulerim, ex processu verbali ad Reverentiam Vestram a me misso, ipsa jam apprime novit. Precibus vestris piissimis me penitus commendem, sinat velim. Ego vicissim enixe Deum rogo ut societas tum in capite, tum in membris apud Deum et homines, in dies gratia crescat. Ero perpetuum intimo cum affectu et animi cultu, Reverendissime Pater, Reverentie Vestre humillimus et obsequentissimus servus.
Cameraci 3' Julii 1699.
FR. ARCH. DUX CAMERACENSIS.
A Rome, le 4 juillet 1699.
Monsieur,
Avant que de vous écrire, j'ai voulu recueillir tout ce qu'on disait. Les propositions censurées dans le bref ne font nul tort à M. de Cambray. Ceux qui étaient les plus déchaînés contre lui ont été édifiés de sa prompte et humble soumission, et quoiqu'ils aient un peu murmuré sur le mot de innocentiam et de probra2, ils ne laissent pas de louer sa conduite. Un jour, je me trouvai avec le R. P. Massoulié dans un cercle savant, et comme quelques-uns se jetèrent aigrement sur cette affaire, ce bon père reprit la parole, et répondit que M. de Cambray avait écrit de bonne foi, et qu'il n'était tombé dans cette illusion que pour n'être pas assez théologien, et pour n'avoir pas su unir tous ces motifs'. Je dis qu'il était bien difficile d'unir les mystiques avec l'École, et qu'un meilleur théologien que lui n'en aurait pas trouvé le secret dans les circonstances du temps où nous sommes. On a fait valoir ici la condamnation qu'on a faite, dans les assemblées des évêques, des réponses de M. de Cambray; mais les gens de bon sens ne se laissent pas étourdir à ces condamnations particulières, on connaît le fond de la doctrine, et on sait ce que l'Eglise a condamné. Tout le monde doit s'y soumettre à l'exemple de l'auteur, et laisser ensuite dire ou écrire tout ce qu'on voudra. On m'écrit de Naples que la généreuse soumission de M. de Cambray le rend plus glorieux
TEXTE 13
3 juillet 1699
620. Au P. TYRSO GONZALEZ
[3 juillet 1699].
620 bis. LE P. BELLISSEN' A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC
14 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 6 juillet 1699
que s'il n'eût point été condamné, et que son esprit sublime a paru avec tout son éclat dans cette célèbre dispute. Vous savez sans doute que M. l'abbé Benet' n'est plus chez son Altesse M. le cardinal de Bouillon, on ne sait pas s'il le reprendra à son retour, ou s'il l'a congédié pour toujours; mais je sais bien qu'il a crié inconsidérément quand il devait se taire. Je vous serais sensiblement obligé, si vous aviez la bonté de me faire recommander à son Altesse M. le cardinal de Bouillon 5, je lui dois tout, et je voudrais qu'il conservât son ouvrage, vous savez qu'il y a bien des gens qui me sont contraires', et on n'a pas manqué de faire valoir toutes ces affaires contre moi. Permettez-moi d'offrir mes respects à M. l'abbé de La Templerie, et de vous assurer que je serai éternellement avec un respect infini, Monsieur, votre très humble, très obligé et très affectionné serviteur.
BELLISSEN
Procureur général de la doctrine chrétienne.
621. AU CARDINAL ALBANI
[6 juillet 1699].
Eminentissime Domine,
Que et quanta Eminentiœ vestrœ zelo, œquitati, et beneficentiœ debeam ex verbis Dni Abbatis de Chanterac huc nuper advenientis penitus intellexi. Optima sane illa vestra et amplissima in me merita, summa cum animi gratitudine recolere juvat '; neque tamen ea prœdico, imo tacenda arbitror, Eminentissime Domine, ne quœ gratiœ appono, alii œgre ferant. Hujus modi silentio melius quam verbis gratum animum, ni fallor, significo. Cœterum ex mea immensa erga sedem apostolicam obedientia et sincera docilitate Eminentia vestra jam compertum habet, quo candore, et intimo sane doctrinœ studio in hoc negotio me gerere, Deo dante, voluerim. Unde illam, ut spero, mihi opem tulisse non pigebit. Singulari cum observantia, et devoto animi cultu ero perpetuum, Eminentissime Domine, Eminentiœ vestrœ, humillimus, et obedientissimus servus.
Cameraci 6a Julii 1699.
FR. ARCH. DUX CAMERACENSIS.
622. A MAIGNART DE BERNIÉRES
A Cambray, 10 juillet [1699].
Je serais ravi, Monsieur, de suivre le plan que vous avez reçu pour l'envoyer aux évêques, par rapport aux armoiries mais agréez, je vous supplie, que je vous représente mes difficultés.
Premièrement, on m'assure, Monsieur, que les bénéficiers de ce diocèse, qui doivent payer selon la règle que le Roi a faite, ont déjà payé. Il ne s'agit
10 juillet [1699] TEXTE 15
plus, dit-on, que des curés. Vous savez, Monsieur, qu'ils n'ont tous en ce pays que des portions congrues, et que dans ces années de grande cherté ils ont beaucoup de peine à pouvoir vivre. Toutes les dîmes des paroisses sont aux abbayes ou aux chapitres. Il n'y a en ce pays ni prieurés ni autres bénéfices simples. Ainsi suivant les termes de la Déclaration du Roi ceux qui n'ont point payé ne doivent aucun paiement, et ceux qui doivent payer, c'est-à-dire les chapitres et les abbayes, l'ont déjà fait. Du moins on m'assure, Monsieur, que ce fait est constant. Que s'il se trouve par hasard quelqu'un qui n'ait pas encore payé, il me paraîtrait plus naturel de le faire payer en son particulier, que de demander un abonnement général pour recommencer une affaire qui dans le fond est déjà presque finie.
Secondement, supposé même qu'on voulût absolument faire un abonnement pour une chose, qui est, dit-on, déjà payée, et sur laquelle on ne pourrait tout au plus trouver que quelques particuliers en très petit nombre qui seraient en demeure', je trouverais d'extrêmes difficultés dans les esprits, pour leur persuader de se rengager par l'abonnement dans une affaire, où chacun d'eux prétend ne devoir plus rentrer, après avoir payé la taxe particulière. Je puis même vous assurer, Monsieur, que notre clergé n'aurait à cet égard aucune docilité pour mes exhortations. J'en ai une expérience décisive dans les affaires de la capitation'. L'abonnement leur ferait beaucoup plus de peine. Ils ne m'écouteraient pas là dessus. En les pressant je perdrais leur confiance sans aucun fruit pour le service du Roi. Pour les voies rigoureuses, supposé même que Sa Majesté jugeât à propos de les employer, je crois qu'elle ne voudrait pas que j'en fusse l'instrument. Quelque intérêt que les évêques aient de faire, autant qu'on le leur permet, les levées des sommes que le Roi demande au clergé, pour ne livrer point les ecclésiastiques aux traitants, j'aimerais pourtant mieux laisser notre clergé souffrir cet inconvénient, que de me rendre odieux au pays en me chargeant des contraintes rigoureuses. Cette fonction ne convient, ce me semble, Monsieur, ni à notre caractère, ni même au service du Roi, qui souhaite que les évêques français tâchent de gagner les coeurs de leurs diocésains dans cette frontière nouvellement conquise'. Je conclus donc, Monsieur, que je ne puis qu'exhorter à un prompt paiement ceux qui se trouveraient n'avoir pas encore payé les armoiries: c'est ce que je ferai avec soin, mais je ne puis passer cette borne.
Je ne saurais vous exprimer, Monsieur, à quel point je suis pénétré des honnêtetés dont vous et madame de Bernières m'avez comblé à Maubeuge'. Il m'en reste un extrême désir de mériter l'honneur de votre amitié, et de vous persuader du zèle avec lequel je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Je vous demande pardon, Monsieur, si je me suis servi d'une main étrangère pour avoir l'honneur de vous écrire. L'occupation où je me trouve, fait que j'ai eu besoin de ce petit soulagement. Personne ne sera jamais plus éloigné que moi, de manquer à ce qui vous est dû.
16 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 18 juillet 1699
622 A. LE P. DE LA CHAISE A FÉNELON
[18 juillet 1699].
J'ai lu, Monseigneur, avec bien du plaisir, dans la belle et très chère lettre dont vous m'avez honoré, les belles qualités, le mérite, et la vertu de Madie de Noyelles '. Vous en exprimez le caractère presque aux mêmes termes que je l'avais décrit à S[a] M[ajesté] lorsque je reçus le verbal de l'élection à laquelle vous avez présidé; et comme la longue vacance de l'abbaye des chanoinesses de Maubeuge' ne permettait pas à S. M. de différer à leur donner une abbesse, elle se détermina d'abord en faveur de celle qui non seulement n'avait nulle brigue ni sollicitations, mais qui au contraire fuyait cette dignité de tout son pouvoir, et nomma Made de Noyelle sans autre recommandation que celle de sa piété et de son mérite'. Il y avait déjà trois jours qu'elle était nommée lorsque j'ai reçu votre obligeante lettre, S. M. n'ayant nul égard aux fortes et pressantes brigues qu'on faisait pour les deux autres proposées. Je suis ravi que S. M. ait concouru avec vous dans le même sentiment pour le bien d'une abbaye de cette conséquence'. Je suis avec un respect très sincère, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur. 2 août 1699 TEXTE 17
623 A. LE P. DE LA CHAISE A FÉNELON
A Paris, le 2 d'août 1699.
Monseigneur,
Quoique ce soit à M. de Barbesieux de vous faire savoir les intentions du Roi touchant les visites que vous désirez faire dans la partie de votre diocèse qui est du côté de Brusselles, j'ai cru néanmoins devoir rendre compte à Sa M[ajest]é de ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sur ce point. Elle s'est souvenue de vous avoir déjà donné son agrément pour cela, et elle juge même que vous ferez bien de voir Monsieur l'Electeur de Bavière, et de poursuivre les affaires que vous pourriez avoir à sa cour et à son conseil, de la même manière que vous le feriez en France'. Sa M[ajest]é a fort goûté les raisons que vous avez de faire vos visites à Mons, à Ath, et dans toute l'étendue de votre diocèse en ces quartiers-là'. Je suis ravi, Monseigneur, d'avoir cette occasion de vous assurer de la continuation du respect plein d'estime et de zèle avec lequel j'ai toujours été et serai toute ma vie, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
A Paris, 18 juil. 99.
DE LA CHAIZE S. J.
623. A LA COMTESSE DE FÉNELON
Au Casteau, 30 juillet [1699].
DE LA CHAIZE S.J.
623 B. LE P. PHILIPPE DE SAINT-NICOLAS' A FÉNELON
Je ne vous écris que deux mots, ma chère soeur, pour vous donner de mes nouvelles et pour vous demander des vôtres. Je viens de passer quinze jours en visites dans un canton de ce diocèse, et je pars aujourd'hui pour aller visiter les environs d'Avesnes jusque sur la frontière du diocèse de Liège '. Quoique je fasse tous les jours un grand travail par rapport à mes forces, ma santé est Dieu merci assez bonne, et meilleure que quand j'étais autrefois dans une vie si tranquille et dans un régime si précautionné. Je compte toujours que, quand j'aurai achevé mes petites courses, vous aurez la bonté de venir avec mon frère me donner quelques jours de consolation 2. Je serai ravi de me voir en repos et en liberté en si bonne compagnie. On ne peut vous aimer et vous honorer tous deux plus cordialement, ma très chère soeur, que je le ferai toute ma vie.
[8 août 1699].
t Jesus Maria.
Illustrissime ac Reverendissime Domine, Domine Patrone Colendissime,
Summœ generositati ac benignitati illustrissimœ Dominationis vestrœ ascribendum est, quod humanissimis suis litteris me honorare voluerit, cum nihil hucusque in sui servitium prœstiterim, quod vel minimam grati animi mereatur expressionem. Id etenim quod feci, ex officii mei debito facere debebam, illud judicium de suo libro ferendo, quod tunc temporis mihi videbatur magis consentaneum veritati. Ceterum ad meam notitiam pervenerat sua erga sanctam Sedem apostolicam promptissima et absolutissima submissio, et intima docilitas, cujus nova et sincera testimonia in suis litteris non sine ingenti gaudio perlegi; exinde magis confirmatus in opinione, quam semper habui de eximia pietate, in summum Ecclesiœ pastorem observantia, et heroica virtute illustrissimœ Dominationis vestrœ. Quam Deus juxta mea vota ad multos annos incolumem conservare, et gratiarum suarum charismatibus cumulare dignetur, meque totum, meamque religionem suce protec-
18 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 9 août [1699]
tioni enixe commendans, maneo cum omni submissione, Illustrissime ac Reverendissime Vestrœ humillimus, devotissimus et obsequentissimus servus.
Rome, 8 Aug. 1669 (sic).
FR. PH1LIPPUS A S. NICOLAO,
Carm. discalc.
11 août 1699 TEXTE 19
dumque me ipsius precibus enixe commendatum cupio, sciat velim Ill.ma D. V. nihil mihi accidere gratius posse quam ut reipsa comprobare me valeam qualis revera sum in charitate Dei, Ill.mœ ac Rev.oe D. V.œ, humillimus et obsequentissimus servus.
Rome, 10 [111 aug. 1699.
CAROLUS AUGUSTINUS FABRONUS.
624. A MAIGNART DE BERNIÈRES 624 B. LE CARDINAL ALBANI A FÉNELON
A Aymeries, 9 août [1699].
Je ne puis, Monsieur, me résoudre à partir d'une maison qui est un peu la vôtre ', sans vous dire combien elle me paraît belle, et combien j'aurais souhaité de vous y rencontrer. J'irais chercher à Maubeuge ce que je ne trouve point ici, si j'étais libre de suivre mon inclination, et de changer l'ordre des visites de paroisses, auquel je me suis engagé. J'espère, Monsieur, que dans la suite je pourrai avoir l'honneur de vous aller voir, et de cultiver l'amitié que vous avez eu la bonté de me promettre. J'en ai déjà trop de marques solides pour en douter. De ma part, je ressens ici combien tout ce qui a quelque rapport à vous m'intéresse, car les beaux fossés, les prairies, le voisinage de la forêt, le canal de la rivière, et la vue d'un joli paysage me font un vrai plaisir, quand je pense que tous ces agréments joints à une maison commode sont à votre usage. Je souhaite que vous vous en serviez longtemps et que ce pays ne vous perde point de quelques années. Ce souhait est fort intéressé, je l'avoue. Je ne saurais finir cette lettre sans vous supplier de me conserver dans le souvenir de Madame de Bernières, qui m'a paru, dans mon petit séjour de Maubeuge, d'une politesse et d'une solidité très rare. Personne ne vous honorera jamais, Monsieur, plus parfaitement que votre très humble, et très obéissant serviteur.
624 A. MGR FABRON1 A FÉNELON
[10 ou 11 août 1699].
Illustrissime et Reverendissime Domine,
Que de peculiari mea erga Illustrissimam Dominationem Vestram observantia retulit D. Abbas de Chanterac vere omnino affirmavit, magni enim feci semper Ill.am D. V. ex quo ejus virtutes fama vulganti cognovi ' ; sed maximam profecto de ea existimationem concepi, cum luculenter christiane demissionis ac plane heroicœ testimonium nuper edidit decretis Apostolice Sedis adeo reverenter acquiescens et ecclesiastica prorsus obedientia obsequens, ut si quis ex adverso est vereatur nihil habens malum dicere de nobis2. Gratulor itaque 111. D. V. novam hanc laudem, nec dubito quin bone mentis sue apud Deum, qui corda inspicit3, ingens sibi meritum comparaverit; [11 août 1699].
Illustrissime et Reverendissime Domine,
Multum quidem me debere profiteor Illustrissime Dominationi tue pro cumulant humanitatis officiis in epistola tua erga me prestitis, quibus tamen non alia me ratione dignum existimo, quam quod Illustrissimam Dominationem tuam, ob tuas egregias dotes, peculiari œstimatione prosequar, eidemque inserviendi desiderio tenear. Porro quod contigit in causa libri ab Illustrissima Dominatione tua editi, quem, quemadmodum hujus Sanctœ Sedis censure, ut vere catholicum decebat antistitem, humiliter subjeceras, ita prolato ab eadem Sede judicio adhœrens, alacri obsequentique animo condemnasti, non nisi maximam universe Ecclesiœ edificationem peperit, tuoque etiam nomini plurimam apud sapientes laudem comparavit, cum solidum christianœ virtutis honorem, que in nostri victoria sita est, inani apud vulgus gloriole fuco prœtulisti 1. Hoc ego certe nomine Illustrissimam Dominationem tuam suspicio magis, et colo, dumque meam in tui servitium paratissimam voluntatem, ut data occasione experiaris, rogo omnem a Deo optimo maximo Illustrissime Dominationi tue felicitatem precor ex animo.
Datum Rome, tertio idus augusti 1699. Dominationis Tue Illustrissime servitor
J.F. CARD. ALBANUS.
624 C. TYRSO GONZALEZ A FÉNELON
Illustrissime ac Reverendissime Domine,
Cum summa veneratione accepi a Vestra Illustrissima ad me datas 5. Julii. Vera sunt que ipsi narravit D.nus Abbas de Chausterac [sic] et vere possum dicere cum Apostolo: Nihil possumus adversus veritatem; sed pro veritate'. Certam autem veritatem existimui [sic], actum perfectœ Charitatis tendere in Deum propter seipsum, et ut in ipso sistat, non autem ut ab illo aliquid accipiat, et totus semper fui in defendenda puritate amoris Dei, qui hoc ipso quod perfectus et purus sit se solo movere potest ac debet ad exe-
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
[11 août 1699].
Il août 1699
624 bis. LE P. GABRIELLI A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC
20 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 11 août 1699
quendam Dei voluntatem, et implendum ejus beneplacitum quin opus habeat intueri in prœmium et mercedem ut vincat difficultates virtutis. Semperque clamavi, in hoc negotio valde distinguendum esse inter actum spei, et motionem actus spei ad opere complenda precepta et consilia, et vincendas difficultates virtutis. Perfectus namque amor nullo pacto impedit, nec remoratur actum spei; imo ilium facilitat : quo enim quis ardentius et perfectius amat Deum, eo facilius sperat, se ab illo obtenturum auxilia, quibus ad ejus aeternam possessionem et fruitionem perveniet, et dicere secure et vere possit, tenui eum, et non dimittam 2 Sicut enim habitus ipsi fidei, spei, et charitatis in justo conjunguntur; ita perfectissimi eorum actus inter se cohœrent, et se invicem fovent. At amor hoc ipso quod perfectus sit, non indiget motione tactus spei ad exequenda opera interna, et externa virtutis. Non enim amat perfecte Deum ilie, cui non sufficit cognoscere voluntatem Dei, ut statim accurrat ad illam adimplendam, sed opus habet, inspicere ad remunerationem ut divinum beneplacitum exequatur : et propterea S. Bernard. Ser. 83. in Cant. merito dicebat: suspectus est mihi amor, cui aliud quid adipiscendi spes suffragari videtur: infirmus est, qui forte spe subtracta, aut extinguitur aut minuitur. Purus amor mercenarius non est: Purus amor de spe vires non sumit nec tamen diffidentiae damna sentit'.
De statu habituali amoris nunquam locutus sum sicut nec de ulia illarum 23. propositionum, quœ confixœ sunt. Nec unquam dubitavi nihil a Sede Petri definiendum contra actum amoris puri; quia illa est columna et firmamentum veritatis; et nequit proponere toti Ecclesiœ credendum, dogma falsum, nec toti prohibere tanquam malum id quod reipsa est bonum ; aut prœcipere id quod reipsa est malum: habet enim infallibilem Spiritus Sancti assistentiam ad non errandum in Decretis fidei et morum4.
Deus permisit vestram Illustrissimam tam sœva tempestate jactari, ut toti Ecclesiœ prœberet illustrissimum exemplum quod dedit submissionis et reverentiœ erga Decreta Romani Pontificis. Tantum exemplum non relinquet Deus sine ingenti remuneratione; quam adhuc in hac vita vestrae Illustrissimœ a munificentissimo Patre donandam spero. Servos enim suos Deus mortificat ut vivificet. Hanc de Te ipso victoriam, Tibi ex animo gratulor, Illustrissime Prœsul; quia coram Deo, et hominibus illustrior factus es, quam si totam causam vicisses. Beatus vir, qui suffert tentationem, quoniam cum probatus fuerit, accipiet coronam vitae'. In Te, et de Te verificandum iliud, cum ipso sum in tribulatione, eri piam eum, et glorificabo eune , firmiter spero.
Non accepi hucusque processum ilium verbalem de quo vestra Illustrissima mentionem facit in suis litteris. Quomodo ego desideraverim, ut homines Societatis se gererent in hoc negotio, constabit Tibi ex Litteris responsoriis quas anno 1697. Octobris 18. dedi ad quemdam e nostris Parisiis commorantem, quarum copiam hic annecto'. Gratias quam possum maximas ago vestrœ Illustrissimœ Dominationi pro eo amore quo nostram Societatem prosequitur, et pro honore quem hunc [sic] Devotissimo servo suo exhibet, et precor Deum ut personam vestram diu incolumem servet, et suis donis cœlestibus magis ac magis in dies cumulet ad Sanctœ Ecclesiœ splendorem.
Romœ Augusti 11. 1699.
TEXTE 21
[11 août 1699J.
Illustrissime et Reverendissime Domine,
Sollicito et anxio diu fui animo de illus[trissi]ma et rev[erendissi]ma Dominatione vestra, a qua nullum accipiebam meis litteris responsum. Et quoniam ex tristissimo proloquio, Qui amat, timet' , multa tristia et infausta menti meœ obversabantur, et non semel ab illus[trissi]mis D. archiepiscopo Theatino, et episcopo Porphyriensi2 D. Papœ sacrista exquisivi, an atiquid compertum haberent de Amplitudine vestra: idcirco dies et horas numerabam, quibus ipsa Cameracum pervenire, et exinde litterœ vestrœ Romam deferri poterant, atque pluries socium meum ad tabellarium misi, pro explorando an quœ essent epistolœ nomine seorsim indicato inscriptœ. Demum mihi tanta agitato perturbatione perlatœ sunt illustrissimi et reverendissimi D. mei archiepiscopi Cameracensis, et Dominationis vestrœ illustrissimœ gratissimœ litterœ 3, quae nubilum omne e mente mea absterserunt, meque summa consolatione cumularunt, dum felicissimum vestrum et sociorum adventum in istam metropolim, justissimas causas dilationis vestrarum litterarum, et plurimam vestram in me benevolentiam ex iis lœtissimo animo percepi. Assiduus namque sciscitor ab amicis nuntium aliquod de statu nostri illustrissimi D. archiepiscopi, et haec nuper accepi. D. archiepiscopum incredibili, et ab omnibus commendata prudentia, in hoc arduissimo negotio se gessisse, tabescentibus ira ejus adversariis, oratores Regis Christianissimi4, et Reipublicœ Venetœ5 ambos ex Gallia profectos, eorumque aulicos cum summa existimatione de eo loqui; ipsumque Regem Christianissimum ex aliqua commissione eidem injuncta, quoad electionem cujusdam abbatissœ6 non mediocre benevoli animi documentum prœbuisse; D. archiepiscopum publici juris fecisse doctissimum librum omnigena eruditione conspicuum de instructione puerorum Regiorum '; serenissimum Burgundiœ Ducem rigido vultu respexisse primarium illustrissimi archiepiscopi adversarium 8, et nonnulla alia intellexi, quae effecerunt ut prorsus exsilirem gaudio. Pro comperto enim habeat Dominatio vestra illustrissima, me post ejus ab Urbe discessum nullam penitus passum diminutionem studii et obsequii erga illustrissimum archiepiscopum et Amplitudinem vestram, imo hocce quam maxime adauctum (si tamen illud erat incrementi capax), et cumulatum fuisse. Unicum etiam atque etiam rogo et efflagito a Dominatione vestra illustrissima ut quam frequenter mihi vestris jussibus favere dignemini, quod mihi gratissimum et acceptissimum foret, et dum etiam D. canonicum de Latemplerie peramanter salutatum meo nomine exopto, constanter profiteor, quod usque dum hac Luce fruetur, sternum memor erit, Amplitudinis Vestrœ Illustrissimœ et Reverendissimœ, devotissimus, obsequentissimus et addictissimus servus.
Ex ccenobio S. Bernardi de Urbe ad Thermas, die 11 augusti 1699.
JOANNES MARIA GABRIELLIUS,
Abbas generalis Monachorum Reform. S. Bernardi9.
Qua Dominatio vestra illustrissima me dignata est epistola, tantam humanitatem et urbanitatem prœ se fert, ut in memoriam jucundissime revocet florentem illam œtatem tuam qua te acutum, elegantem, ad omnia laude digna promptum et alacrem olim pulchre novi. Nunc vero ingenii sagacitatem, solertiam, facundiam, et gravitatem ex litteris perspectas habeo. Prœteritorum quidem, Illustrissime Domine, te non esse oblitum audire, meque vicissim meminisse juvat. Verum laudes quibus me cumulas, eo quod apostolicœ Sedi obtemperarim, sinas velim, me omnino immeritum recusare. Quid enim mirum, si tenuitatis meœ conscius tantœ auctoritati animo docili obsequar? His igitur laudibus prœtermissis hoc unum a te expecto, scilicet, ut me tibi penitus devinctum putes, et diligas. Constanti et intimo affectu ero perpetuum, Illustrissime Domine, Dominationis vestrœ Illustrissimœ humillimus et obsequentissimus servus.
Cameraci 16 augusti 1699.
FR. ARCH. DUX CAMERACENSIS.
625 A. LE CARDINAL COLLOREDO A FÉNELON
[18 août 1699].
Illustrissime ac Reverendissime Domine,
Dominus Abbas de Chanterac, qui multam hic mihi explicuit humanitatem, absens etiam voluit illam exhibere, talia de me prœdicans, quœ oneri magis sunt, quam honori; dum non qualis sim, sed qualis esse debeam reprœsentavit 1. Quod vero Dominatio tua Ill[ustrissi]ma amaritudinibus se sentiat repletam, dicam cum apostolo : Nunc gaudeo, non quia contristati estis, sed quia contristati estis ad poenitentiarn2; cum bonum sit homini, quod eum veritas vincat volentem; quem malum esset, si vinceret invitum. Olim cum priores tune litterœ ad me delatœ fuissent, nosti quod optabam, ut tu ipse esses, qui apostolicam prœveniens censuram3, quod magis ac magis cupiebam, cum errores similes a Jo[anne] XXII damnatos perspexi4: sed dilata inter contentiones retractatio id effecit, ut per sedem apostolicam propositiones illœ configerentur ; cujus judicio cum te ipsum tuaque omnia submittere profitearis, teque usque ad extremum spiritum Romanœ Ecclesiœ, externarum magistrœ 5, addictissimum tuis enutrires scriptis; restat ut te, non veritatis tantum amicum, sed et doctorem ostendas. «Hoc enim confiteri Deo, dicam cum Ambrosio6, impunitatis remedium est. Erravi, inquit; sed qui erravit, in viam potest redire, in viam revocari potest. Et pulchre addidit, sicut oves quae perierat; non enim perit, qui agnoscit errorem. » Ignosce mihi, qui de licentia charitatis tue abutor patientia tua; 31 août 1699 TEXTE 23
tuisque orationibus adjuvare non cesses, dum peculiari devotionis affectu me subscribo, Dominationis The Illustrissimœ,
Rome, 18 Aug. 1699,
Servus ex corde. L. CARD. COLLOREDO.
626. Au DUC DE CHEVREUSE
31 août 1699.
On ne peut, mon bon [duc] ', ressentir plus que je le fais la perte de votre procès'. Je suis affligé même de ce que vous voilà engagé à aller plaider dans un autre tribunal avec un grand danger de mauvais succès. L'embarras et le mécompte où cette affaire vous jette me touchent le coeur. Je suis bien aise d'apprendre que cet arrêt ne me prive point de votre voisinage à [Chaulnes], peut-être qu'il y aura des temps calmes où je pourrai vous aller voir'.
Vous avez l'esprit trop occupé de choses extérieures, et plus encore de raisonnements, pour pouvoir agir avec une fréquente présence de Dieu. Je crains toujours beaucoup votre pente excessive à raisonner. Elle est un grand obstacle à ce recueillement et à ce silence où Dieu se communique. Soyons simples, humbles, et sincèrement détachés avec les hommes. Soyons recueillis, calmes, et point raisonneurs avec Dieu. Les gens que vous avez le plus écoutés autrefois' sont infiniment secs, raisonneurs, critiques, et opposés à la vraie vie intérieure. Si peu que vous les écoutassiez, vous écouteriez aussi un raisonnement sans fin, et une curiosité dangereuse, qui vous mettrait insensiblement hors de votre grâce, pour vous rejeter dans le fond de votre naturel. Les longues habitudes se réveillent bientôt, et les changements qui se font pour rentrer dans son naturel, étant conformes au fond de l'homme, se font beaucoup moins sentir que les autres. Défiez-vous-en, mon bon [duc], et prenez garde aux commencements qui entraînent tout.
Je vous parle avec une liberté sans mesure, parce que votre lettre m'y engage et que je connais votre bon coeur, et que rien ne peut retenir mon zèle pour vous. Je donnerais ma vie pour votre véritable avancement selon Dieu. Si nous avions pu nous voir, je vous aurais dit bien des choses. Je suis dans une paix sèche et amère, où ma santé augmente avec le travail S. Prions les uns pour les autres : demeurons infiniment unis en celui qui est notre centre commun. Je salue avec zèle et respect la bonne [duchesse]6: je serai dévoué et à vous, mon bon [duc], et à elle jusqu'au dernier soupir.
626 A. LE CARDINAL NIGRONII A FÉNELON
[6 septembre 1699] .
Illustrissime et Reverendissime Domine,
Quanta sim prosecutus, constantique prosequar existimatione Illustrissimœ Dominationis vestre preclaras dotes, fidum testem habeo Dominum
22 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
625. A UN PRÉLAT ROMAIN
16 août 1699
[16 août 1699].
Illustrissime Domine',
24 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 6 septembre 1699
abbatem de Chanterac. Quapropter mihimetipsi liceat citra vanescentem gloriam eblandiri, quod citra meritum non sit illud, quod vestrœ litterae humanitate plenœ deferunt, erga me grati animi monumentum. Id, fateor, vestra virtus effecit ; at, ut faceret, quasi dixerim, coegerunt sincera animi mei sensa, sincerœ mentis vestre oculis proposita per prœfatum Dominum abbatem; proindeque utrique devinctum me agnoscere non pretermitto. Sane gratulor ex intimo cordis de vestra post antehabita rerum discrimina hilari tolerantia, que quo magis muta, eo majus erit pondus habitura vocis retundentis, si qui occurrerent obstrepentes clamores, et mire prœ se ferentis infractam vestri animi perseverantiam in bono. Nobis non est a Deo facta potestas, nisi ad ineunda certamina, strenue sustinenda, ac pro viribus prosequenda, si que fiant obvia, ad Dei gloriam, ejusque Ecclesiœ tutamen; cœteroquin victoria non est in manu nostra, sed illius qui dat nobis victoriam, quando dare noscit expedire: et si non dat, nostra est nos ipsos exhibere stabiles, et immobiles, abundantes in opere Domini, scientes quod labor noster non est inanis in Domino. Pergat igitur Dominatio vestra Illustrissima feliciter, ut incoepit, sub jugi, etsi cœca, nunquam tamen defecturi luminis obedientia oraculis Apostolicœ Sedis. Vir enim sic obediens, sacra pagina testante, quaqua vertatur, loquetur victoriam2. Quantum ad me attinet, suasam velim Illustrissimam Dominationem vestram, non fore passurum ab aliquo vinci in vestris laudibus efferendis: in iis semper ero firmo pede, ut aliqua ex parte promeretur efficax apud Deum, quod perhumaniter spondet vestra benevolentia, vestrarum precum auxilium, quo roboratus confido, que sunt Dei, sanctœque catholicœ Sedis me, juxta munus meœ imbecillitati ex alto commissum, fore completurum pari fidelitate ac constantia, qua quoque ex corde subscribor, Illustrissime Dominationis Vestrœ ac Reverendissimœ servus addictissimus.
Rome, 6 7bris 1699.
J.F. CARD. NIGRONUS.
J'ai' M. l'abbé de Chantérac pour fidèle témoin de la grande et constante estime que j'ai toujours eue pour les belles qualités de votre Seigneurie illustrissime. C'est pourquoi permettez-moi de dire sans vanité, que si vos lettres pleines d'honnêteté me témoignent de la reconnaissance, ce n'est pas sans que je l'aie mérité. Votre vertu a fait tout cela, je l'avoue, mais j'oserais dire que vous y avez été contraint par les sentiments sincères de mon coeur, que le même M. l'abbé de Chantérac a mis devant vos yeux. C'est pourquoi je ne cesserai point de dire que je suis obligé à l'un et à l'autre. Je me réjouis avec vous du fond de mon coeur de la constance avec laquelle vous avez supporté gaiement les embarras et les événements des affaires passées. Plus votre patience sera accompagnée de silence, plus elle vous donnera de force pour faire taire les clameurs de vos adversaires, s'il s'en élevait encore; et plus elle marquera votre constance dans le bien, et la fermeté invincible de votre courage. Dieu ne nous a donné que le pouvoir d'entreprendre les combats, et de les soutenir courageusement, et de les continuer jusqu'au bout suivant nos forces, lorsqu'il s'en présente quelques-uns pour la gloire de Dieu et pour la défense de son Eglise: du reste la victoire n'est pas dans nos mains, mais dans les mains de celui qui nous la donne, lorsqu'il connaît qu'il convient de nous la donner; et s'il ne nous la donne pas, notre devoir est de nous montrer fermes et inébranlables, abondants dans l'oeuvre du Seigneur, sachant que notre travail n'est pas inutile en Dieu. Que votre Seigneurie illustrissime continue
[Après le 14 septembre 1699] TEXTE 25
donc heureusement comme elle a commencé, avec une perpétuelle obéissance aux oracles du Saint Siège Apostolique, qui, bien qu'elle soit aveugle, sera toujours soutenue d'une lumière qui ne manquera jamais, car, comme dit l'Ecriture, un homme qui obéit ainsi chantera toujours la victoire, quelque chose qu'il lui arrive. Pour ce qui me regarde, je souhaite que votre Seigneurie illustrissime soit bien persuadée que je ne souffrirai pas que personne me surpasse à exalter vos louanges; c'est en quoi je persévérerai toujours d'un pied ferme, comme le mérite en quelque façon auprès de Dieu le secours efficace de vos prières, que vous me promettez avec tant d'honnêteté et de bienveillance. C'est sur cette confiance que j'espère accomplir ce qui est du service de Dieu et du Saint Siège catholique, suivant la charge qui en a été imposée d'en haut à ma faiblesse, et remplir mon ministère avec la même fidélité et la même constance qui me fait être, de votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, le très affectionné serviteur.
De Rome le 6 septembre 1699.
627. AU DUC DE CHEVREUSE
[Après le 14 septembre 16991'.
M. l'Electeur2 m'a paru doux, poli, modeste, et glorieux dans sa modestie. Il était embarrassé avec moi, comme un homme qui en craint un autre sur sa réputation d'esprit. Il voulait néanmoins faire bien pour me contenter; d'ailleurs il me paraissait n'oser en faire trop, et il regardait toujours pardessus mon épaule M. le marquis de Bedmar3, qui est, dit-on, dans une cabale opposée à la sienne. Comme ce marquis est un Espagnol naturel, qui a la confiance de la cour de Madrid, l'Electeur consultait toujours ses yeux avant que de me faire les avances qu'il croyait convenables: M. de Bedmar le pressait toujours d'augmenter les honnêtetés; tout cela marchait par ressort comme des marionnettes'. L'Electeur me paraît mou et d'un génie médiocre, quoiqu'il ne manque pas d'esprit et qu'il ait beaucoup de qualités aimables. Il est bien prince, c'est-à-dire faible dans la conduite, et corrompu dans ses moeurs. Il paraît même que son esprit agit peu sur les violents besoins de l'Etat qu'il est chargé de soutenir; tout y manque; la misère espagnole surpasse toute imagination. Les places frontières n'ont ni canons ni affûts; les brèches d'Ath ne sont pas encore réparées; tous les remparts sous lesquels on avait essayé mal à propos de creuser des souterrains, en soutenant la terre par des étaies, sont enfoncés, et on ne songe pas même qu'il soit question de les relever. Les soldats sont tout nus, et mendient sans cesse; ils n'ont qu'une poignée de ces gueux; la cavalerie entière n'a pas un seul cheval'. M. l'Electeur voit toutes ces choses; il s'en console avec ses maîtresses, il passe les jours à la chasse, il joue de la flûte, il achète des tableaux, il s'endette, il ruine son pays, et ne fait aucun bien à celui où il est transplanté'; il ne paraît pas même songer aux ennemis qui peuvent le surprendre'.
J'oubliais de vous dire qu'il me demanda d'abord et dans la suite encore plus de nouvelles de M. le Duc de Berri que des autres princes. Je lui dis beaucoup de bien de celui-là; mais je réservai les plus grandes louanges pour M. le Duc de Bourgogne, en ajoutant qu'il avait beaucoup de ressemblance
26 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 30 septembre 1699
avec madame la Dauphine'. Dieu veuille que la France ne soit point tentée de se prévaloir de la honteuse et incroyable misère de l'Espagne!
5 octobre [1699] TEXTE 27
nable au lieu. Je serai, Monsieur, avec tendresse et vénération jusqu'au dernier soupir de ma vie, votre très humble, et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
627 A. BARBEZIEUX A FÉNELON
A Fontainebleau le 30 septembre 1699.
629. Au DUC DE BEAUVILLIER
Monsieur,
Le feu Roi a ordonné dans tous les pays de son obéissance une procession générale le jour de l'assomption à cause d'un voeu qu'il avait fait en mettant le Royaume sous la protection de la Vierge. Cependant Sa Majesté est informée que cela ne s'exécute pas ponctuellement partout. Je vous supplie de vouloir bien me mettre en état de lui rendre compte de ce qui se pratique à cet égard dans votre diocèse et en cas que l'on n'y fît pas cette procession de donner les ordres nécessaires pour qu'à l'avenir l'on n'y manque pas. Je suis...
628. A M. TRONSON
Au Chasteau Cambresis, 4 octobre [1699].
Il y a longtemps, Monsieur, que je me suis privé de la consolation de tout commerce avec vous, afin de ne vous commettre en rien et de ménager les intérêts de S. Sulpice, qui me sont très chers. Mais je ne crois pas manquer à cette règle de discrétion, en vous écrivant par une voie très secrète, et ne le faisant que pour vous supplier de confier à l'ami qui vous rendra cette lettre, les papiers que j'ai laissés entre vos mains'. Ils passeront de celles de cet ami avec une entière sûreté dans les miennes. Vous n'avez aucun usage à faire de ces paperasses, et Dieu sait avec quelle joie je vous les laisserais plus longtemps, si vous le désiriez. Mais comme je suis persuadé qu'elles vous sont très inutiles, je vous supplie, Monsieur, d'avoir la bonté de me les renvoyer.
Je reviens d'un voyage que j'ai fait à Bruxelles, où j'ai su bien des choses très importantes, dont le détail pourra passer jusqu'à vous par un canal sûr'. Il faut que je vive en ce pays, comme un homme qui n'a ni yeux ni oreilles sur certaines choses'. Ma santé ne fait que croître dans le travail, et j'ai soutenu depuis trois mois en visite des fatigues, dont je me croyais très incapable. Dieu donne la robe selon le froid'. Je souhaite de tout mon coeur, Monsieur, que votre santé qui est plus utile que la mienne se conserve de même. Ce qui me fait une véritable peine dans mon éloignement, c'est que je ne puis vous embrasser, et vous entretenir cordialement. Du reste, j'ai, Dieu merci, le coeur dans une paix profonde', et je ne pense qu'à mes fonctions. Priez pour moi, je vous en conjure, et faites prier les bonnes âmes. Je demande à M. Bourbon', que je salue de tout mon coeur, neuf messes à Lorette' que je lui paierai par un petit présent à la chapelle de ce qu'il jugera le plus conve-
5 octobre [1699].
Vous avez de grandes raisons pour demeurer ami avec M. de Torcy pour les affaires du Conseil'. Mais ne poussez pas trop loin votre confiance. La sienne est engagée ailleurs. Il l'a livrée à l'Abbé Renaudot', et il veut servir le parti janséniste. Son frère M. de Montpellier n'a d'autre conduite que la leur'. Prenez donc garde à tout ce qui peut avoir quelque rapport à une Cabale qui a un grand pouvoir chez M. de Torcy, et qui sera toujours passionnée contre vous.
Ne vous fiez point à M. de Paris. Il a ses petits artifices. Tout son esprit se tourne en finesse. De plus sa conduite n'est pas la sienne. On fera par lui avec vous des démarches qui seront des pièges. Peut-être ne verra-t-il pas lui-même ce qu'il fera. Enfin contentez-vous de remplir les bienséances, et de lui rendre ce qu'on doit à son pasteur, duquel on ne peut attendre ni lumière intérieure, ni affection solide. Trop d'empressement et de liaison de ce côté-là seraient contraires aux vraies bienséances. Après tout ce qui s'est passé les honnêtes gens du monde, qui examinent de près les dévots, en seraient très mal édifiés : ils regarderaient en vous cette conduite comme une faiblesse ou comme une duplicité. C'est pour vous, mon bon duc, et non pour moi que je vous parle librement. Si je ne regardais que moi, je saurais, Dieu merci, me taire.
Il est bon que vous viviez en amitié et en bonne correspondance avec M. Chamillart. Mais son poste vous doit faire craindre de nouveaux intérêts contraires aux vôtres, une secrète jalousie, une envie de faire sa cour à vos dépens, et peut-être de faux ménagements vers vous, jusqu'à ce que vous lui ayez aidé à entrer dans le ministère. Servez-vous des hommes pour Dieu, ne comptez guères sur eux. Dieu seul sera votre appui contre les hommes. Je ne connais point le fond de M. Chamillart. Il a toujours paru honnête homme. Mais on ne connaît les gens que dans les places. Vous avez l'expérience de M. de Pontchartrain'. Ne comptez ni sur les bonnes choses qui vous ont paru jusqu'ici dans M. de Chamillart, ni sur les obligations qu'il vous peut avoir. Ne vous en engouez point. Vivez bien avec lui. Ne manquez en rien à l'amitié. Mais donnez-vous le temps de l'éprouver dans cette élévation avant que de vous y fier. Je crains qu'il ne soit dans de mauvais principes sur les affaires ecclésiastiques.
Le bruit public de ces pays est que le Conseil sur les affaires des Huguenots, où vous entrez, ne prend que des partis de rigueur. Ce n'est point là le vrai esprit de l'Evangile. L'oeuvre de Dieu sur les coeurs ne se fait point par violence. Je suppose que s'il y a de la rigueur, elle ne vient pas de vous, et que vous ne pouvez pas la modérer'.
28 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
7 octobre [16997]
9 octobre [1699] TEXTE 29
N'agissez point, je vous en conjure, avec M. le d. de Bourgogne par des vues de politique, ni par des prévoyances inquiètes, ni par des arrangements humains, ni par des recherches secrètes de votre sûreté, ni par confiance en sa discrétion naturelle. Tout vous manquerait au besoin, si vous agissiez par ces industries. Agissez avec lui tranquillement, sans inquiétude, et dans une simple présence de Dieu. Ne le recherchez point trop. Laissez-le venir à vous. Ne le ménagez point par faiblesse. D'un autre côté, ne gardez aucune autorité à contre-temps. Ne le gênez point; ne lui faites point de morales importunes. Dites-lui simplement, courtement, et de la manière la plus douce les vérités qu'il voudra savoir. Ne lui en dites jamais beaucoup à la fois. Ne les dites que selon le besoin et l'ouverture de son coeur. Tenez-vous à portée de pouvoir dans la suite devenir un lien de concorde entre lui et Madame la d. de B[ourgogne] si la providence y dispose les choses. Soyez de même à l'égard du Roi.
Ce que je vous demande instamment au nom de Dieu, c'est de veiller pour tout ce qui a rapport au jansénisme, et d'être l'homme de Dieu pour écarter tout ce qui peut augmenter le danger de l'Eglise. Mais ouvrez-vous à très peu de personnes là-dessus, et agissez en silence, pour tâcher de saper les fondements d'une cabale si accréditée.
Au chasteau Cambresis 5 octobre.
630. A MAIGNART DE BERNIÈRES
Au Chasteau Cambresis 7 octobre [1699?]'.
J'apprends, Monsieur, qu'un receveur du domaine du Roi nommé Duchesne à Solre le Chasteau2 entretient chez lui en qualité de servante une fille de mauvaise réputation, et même de mauvaises moeurs, en sorte qu'il scandalise tout le voisinage. Il avait renvoyé cette fille, et on espérait que la crainte de vous déplaire le soutiendrait dans ce changement. Cependant, Monsieur, la fille est retournée chez lui, et je ne vois point de remède plus efficace, que celui d'avoir recours à votre autorité, pour l'obliger à finir un si grand scandale. Un mot, que vous aurez la bonté de dire, mettra ordre à tout. Il me tarde bien, Monsieur, de pouvoir prendre le chemin de Maubeuge, et c'est avec un vrai regret que j'en ai passé assez près du côté de Mons, sans être libre de vous aller dire avec quels sentiments je suis, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
631. A [EUGÈNE-HENRY FRICX]
Au Chasteau-Cambresis, 9 octobre [1699].
J'ai reçu, Monsieur, par la poste, l'Apologie des Dominicains missionnaires etc.2, et j'ai cru qu'elle me venait de vous. Puisque j'en ai un exemplaire, je n'en veux pas davantage. Si néanmoins celui qui est entre vos mains y demeure inutile, je vous supplie de me l'envoyer à loisir par quelque voie commode, comme celle de M. Bodequin', notre chanoine, qui doit revenir bientôt de Bruxelles: j'en ferai présent à quelque ami. Pour l'Histoire de la congrégation de auxiliis4, que vous me promettez, je vous serai fort obligé, si vous voulez bien me l'envoyer par la même voie de M. Bodequin.
Pour M. l'Abbé de Chevremont, dont vous m'avez envoyé une lettre', je ne le connais que pour avoir ouï parler, à des personnes fort estimables, de son esprit et de son savoir. J'espère qu'il ne trouvera pas mauvais que je demeure à son égard dans le silence que je garde depuis quelque temps à l'égard de toutes les personnes avec lesquelles je ne suis point lié par une amitié étroite ou par des devoirs très pressants. Encore même ai-je divers anciens et bons amis, à qui j'ai fait agréer que je ne leur écrivisse point depuis quelque temps. Je vous conjure, Monsieur, dans cet esprit, de me renvoyer la présente lettre, après que vous en aurez expliqué le contenu à cet Abbé. Voici les choses que je vous prie de lui dire.
1° Je ne souhaite rien tant que de ne voir nul écrit se répandre dans le monde pour mon affaire. Elle est finie; je ne veux jamais la renouveler. J'ai abandonné et condamné simplement et sans restriction mon livre, pour soumettre mes lumières à celles de mon supérieur, qui est le Pape. Il ne s'agit plus d'occuper le public de cette affaire; il n'y a que le silence qui me convienne. Ni directement ni indirectement je ne puis approuver en autrui ce que je n'ai garde de faire. Ainsi je ne puis savoir qu'on imprime un ouvrage sur cette matière, et que l'auteur est affectionné pour moi, sans le conjurer aussitôt, avec les dernières instances, de supprimer son ouvrage. S'il m'y condamne, pourquoi le fait-il sans aucune nécessité, puisqu'il me témoigne d'ailleurs tant d'estime et d'inclination? Si, au contraire, il me défend, à quoi s'expose-t-il mal à propos, et à quoi m'expose-t-il moi-même, puisqu'on pourra croire que j'ai part à ce qu'il fait, pendant que je parais me taire?
2° Les conférences qu'il dit avoir eues autrefois chez la reine Christine à Rome avec le fanatique Molinos', n'ont aucun rapport réel, Dieu merci, avec mon affaire. Je dois supposer que j'ai mal expliqué ma pensée dans mon livre, puisque le Pape, dont les lumières sont supérieures aux miennes, l'a décidé: mais, sans vouloir jamais défendre les expressions de mon livre, je dois à la vérité et à l'honneur de mon ministère de dire que je n'ai jamais cru aucune des erreurs qu'on m'a imputées. Ces erreurs sont clairement et rigoureusement condamnées dans toutes les pages du livre même, sans parler de toutes mes défenses, où elles le sont encore partout avec évidence. Il n'est donc pas question de Molinos ni de ses impiétés.
3° Le terme de rétractation, dont M. l'Abbé se sert', ne s'emploie d'ordinaire que quand un homme avoue qu'il a cru une doctrine qu'il reconnaît fausse. En ce sens, je ne me suis jamais rétracté: au contraire, j'ai toujours soutenu que je n'avais jamais cru aucune des erreurs en question. Le Pape n'a condamné aucun des points de ma vraie doctrine, amplement éclaircie dans mes défenses. Il a seulement condamné les expressions de mon livre avec le sens qu'elles représentent naturellement, et que je n'ai jamais eu en vue. Dire que je me suis rétracté, ce serait faire entendre que j'ai avoué avoir eu des erreurs, et ce serait me faire une injustice dont je crois cet Abbé très incapable.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
30 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
21 octobre [1699]
Il paraît encore, par sa lettre, qu'il croit que j'ai eu des préventions outrées. Sur quoi le croit-il? Quelque pénétration et quelque justesse d'esprit qu'il puisse avoir, avec le coeur le plus droit et le plus affectionné, il aura une extrême peine à pouvoir parler juste du fond de cette matière. D'ailleurs, encore une fois, à quoi ne s'expose-t-il point ? Je serais ravi de recevoir, selon son mérite, les offres qu'il me fait; mais il ne convient ni à lui ni à moi, dans le temps présent, que l'auteur d'un tel ouvrage et moi soyons en commerce. Du reste, on ne peut ressentir plus que je le fais tout ce que je vois en lui d'estimable et d'obligeant. Renvoyez-moi, s'il vous plaît, ma lettre, sans qu'il en reste aucune copie.
Tout à vous, Monsieur, avec une estime cordiale et une pleine confiance.
632. AU MÊME
A Cambray, 21 octobre [1699].
On ne peut être plus touché que je le suis, Monsieur, de votre prudence, de votre exactitude et de votre amitié pour moi. M. l'Abbé de Chevremont '
ne doit pas être surpris de me voir prendre des précautions. Cette politique ne tend qu'à conserver la paix, et qu'à demeurer dans le silence. Il ne me con-
vient point de donner occasion de parler encore de moi, et de critiquer 2 mes
lettres. J'estime et je plains cet Abbé; mais je n'ai jamais eu d'occasion de le voir, ni de connaître par moi-même le bien que j'en ai ouï dire'. Sur ce fon-
dement, je continue comme j'ai commencé, et je vous prie de me renvoyer cette lettre dès que vous lui en aurez dit le contenu, sans la mettre entre ses mains, et sans en laisser faire aucune copie'.
1° Je n'ai présentement aucun emploi à donner dans ce diocèse, ni sous la domination de France, ni sous celle d'Espagne. Je ne sais pas même à quelles fonctions cet Abbé pourrait s'appliquer.
2° Je ne pourrais le mettre en aucune place, ni sur les terres de France, ni sur celles d'Espagne, sans savoir les raisons précises qui lui ont fait quitter
le royaume de France'. Me convient-il de me déclarer l'asile de ceux qui en sortent? Si c'est une politique, elle est de devoir et de religion. Elle est encore plus dans mon coeur que dans ma conduite.
3° S'il écrivait pour moi, la place que je lui donnerais lui ôterait toute croyance dans ce qu'il dirait en ma faveur, et on m'imputerait tout ce qu'il
dirait pour ma cause, comme si je me servais d'une plume étrangère pour renouveler la guerre d'écrits'. Si, au contraire, il écrit contre moi, comme son plan me paraît le marquer', dois-je approuver tout ce qu'il dira contre mes véritables sentiments? et ne croirait-on pas, dans toute l'Eglise, que je conviendrais de tout ce qu'il aurait écrit?
4° Nul vrai catholique ne doit jamais oser dire que les saints mystiques aient erré ni mal parlé dans le langage qui est uniforme entre eux. Rome ne
le dit point, et ne souffrira pas qu'on le dises. En condamnant mon livre, elle
n'a point prétendu décréditer ni la spiritualité ni le langage de tant de saints dont elle dit que la doctrine est toute céleste'. M. de Meaux a dit que ces
pieux auteurs, même ceux qui ne sont point canonisés, sont hors d'atteinte' °. Le ministre Jurieu, en leur imputant les principes des Quiétistes, a montré
21 octobre [1699] TEXTE 31
qu'il ne les entendait nullement, et qu'il en parlait sans les avoir lus, par pure passion contre l'Eglise Romaine qui les autorise. Enfin je les ai expliqués
dans mes défenses, dans un sens clair et naturel, qui est très opposé au quiétisme, et que Rome ne condamne point". Pour mon livre, c'est avec une sincère docilité que je préfère l'autorité du S. Siège à mes faibles lumières. Il faut que les expressions n'en soient pas telles que je les avais crues, puisque le Pape les condamne' 2.
5° Jamais on ne peut tirer aucune conséquence, en faveur du quiétisme, des principes que j'ai posés dans mes défenses, et qui sont les seuls sentiments que j'ai toujours voulu établir. Rome en est persuadée, et le public aussi ". L'Eglise ne regardera jamais la doctrine de la charité indépendante du motif de la béatitude dans ses actes propres, comme une doctrine qui favorise l'illusion. M'imputer une doctrine qui me reconduit au quiétisme, quand je veux m'en éloigner, c'est me faire une injustice manifeste, et attaquer la foule des théologiens catholiques, faute d'être au fait.
6° En supposant que ma doctrine véritable est dans le fond celle qui fait le quiétisme, c'est m'accuser de mauvaise foi; car j'ai déclaré, dans notre assemblée provinciale, dont le procès-verbal est imprimé, que je n'ai jamais cru aucune des erreurs qu'on m'a imputées '4. Dire que quelqu'une des erreurs en question a fait partie de mes véritables sentiments, c'est dire tout ensemble que j'ai erré, et que j'ai la mauvaise foi de nier mon erreur; c'est faire de moi' un homme trompé et trompeur.
7° Dire que j'ai eu des préventions outrées, que je n'aurais pas eues, si M. l'Abbé m'avait raconté ses conversations avec Molinos, c'est vouloir me noircir de gaîté de coeur '6, pendant qu'il me demande un asile dans son besoin. C'est même décider de ce qu'il ne sait point, et le faire '7 malgré l'évidence des faits qui ont paru aux yeux de toute l'Eglise dans notre dispute.
8° Dire que je me suis retracté, quoique j'aie déclaré que je n'avais jamais cru aucune des erreurs qu'on m'avait imputées, c'est faire entendre que j'ai parlé de mauvaise foi. Il est inutile de dire que M. l'Abbé n'entend, par le terme de rétractation, qu'une condamnation de mes expressions, sans rétracter le fond de mes sentiments. Le dictionnaire de M. l'Abbé n'est point celui de l'Eglise, ni même du monde entier. Le terme de rétractation, quand on ne l'explique pas, emporte, dans notre langue, la condamnation d'une opinion fausse qu'on avoue avoir' crue. Convient-il à un auteur qui m'estime, dit-il, qui veut me faire plaisir, et qui demande chez moi un asile, de se servir, en parlant de moi, d'un terme si odieux dans l'usage public, et qui sera naturellement si mal pris dans une affaire si délicate et si importante? Ne devrait-il pas, au contraire, choisir avec précaution les termes les plus clairs et les plus doux, pour écarter toute idée de rétractation sur aucune erreur effective?
9° M. l'Abbé est fort à plaindre dans ses malheurs: mais en dois-je souffrir? Est-il juste qu'il se mette à écrire contre moi, parce qu'il manque de subsistance? Pourquoi faut-il qu'il m'attaque sans aucune justice, pendant qu'il me demande des grâces? Un homme, qui a autant de talent que lui pour servir l'Eglise, ne peut-il pas trouver d'autres ressources plus légitimes? Ne vaudrait-il pas mieux se réduire aux plus vils' emplois, en attendant que la Providence lui en offrît de plus convenables? Croit-il se faire honneur dans le monde par un ouvrage où il parlera comme le ministre Jurieu, contre les livres de spiritualité des saints canonisés, et où il attaquera tous ceux qui lui
32 CORRESPONDANCE DE FÉNELON [novembre 1699]
auront refusé une subsistance? Cet ouvrage, fait par désespoir contre l'honneur de l'Eglise", peut-il lui réussir? Ne vaudrait-il pas mieux prendre des partis d'humilité et de patience, dans lesquels il ne manquerait pas du nécessaire, que de menacer de terribles suites' l'Eglise de France qui ne lui donne point d'établissement? Ne trouvera-t-il point de mécomptes ailleurs"? Je le conjure de prier, de se défier de lui-même dans un état de si violente tentation, et de se mettre devant Dieu, comme s'il y était au moment de sa mort.
Je vous prie, Monsieur, de lui représenter exactement tout ceci en détail, sans lui confier un seul moment ma lettre, et de me la renvoyer au plus tôt. Encore une fois, je le plains, et plus que je ne le puis dire. Vous savez avec quelle estime et quelle confiance cordiale je suis pour toujours tout à vous.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
M. TRONSON A FÉNELON
[début novembre 1699].
Les bonnes nouvelles que vous me donnez de votre santé m'ont causé une véritable joie. Elle a été beaucoup augmentée par la manière obligeante dont vous me faites l'honneur de m'écrire, qui me fait assez connaître la continuation de votre amitié, et que la cessation de tout commerce n'a été qu'un effet de votre bonté, qui a voulu éviter de me commettre en rien, et a cru devoir ménager les intérêts de Saint-Sulpice qui lui sont chers '. C'est une grâce dont je ne puis assez vous remercier, et que je souhaiterais bien être en état de pouvoir dignement reconnaître. Plût à Dieu que cette lettre, que je remets avec les papiers que vous désirez entre les mains de votre ami qui m'a apporté la vôtre, vous pût faire connaître tous les sentiments de mon coeur ! vous verriez combien sincèrement il est à vous.
Si les nouvelles de la parfaite santé dont Dieu vous fait jouir au milieu des fatigues de votre visite et des travaux de votre diocèse me donnent bien de la joie, celles que vous avez apprises dans le voyage que vous avez fait à Bruxelles m'ont extrêmement affligé; car je comprends combien on en doit craindre les suites, et combien, si Dieu n'y met la main, elles seront funestes à l'Eglise2. J'en ai déjà su tout le détail, et peut-être trouverai-je occasion de m'en servir utilement 3. Je ne doute pas que vous n'ayez extrêmement à souffrir; mais il faut espérer que celui pour lequel vous travaillez, vous donnera abondamment ce qui vous sera nécessaire pour l'accomplissement de tous ses adorables desseins. Je joindrai volontiers mes prières à celles que vous souhaitez qu'on fasse à Lorete, et dont il ne tiendra pas à M. Bourbon que vous ressentiez les effets. Soyez bien persuadé, je vous supplie, de l'attachement sincère et du profond respect avec lequel je suis, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
L. TRONSON.
[4 novembre 1699] TEXTE 33
633. Au DUC DE CHEVREUSE
[vers le 4 novembre 1699].
Il y a quatre mois que je n'ai eu aucun loisir d'étudier; mais je suis bien aise de me passer d'étude, et de ne tenir à rien, dès que la Providence me secoue. Peut-être que, cet hiver, je pourrai me remettre dans mon cabinet'; et alors je n'y entrerai que pour y demeurer un pied en l'air, prêt à en sortir au moindre signal. Il faut faire jeûner l'esprit comme le corps. Je n'ai aucune envie ni d'écrire, ni de parler, ni de faire parler de moi, ni de raisonner, ni de persuader personne. Je vis au jour la journée, assez sèchement et avec diverses sujétions extérieures qui m'importunent, mais je m'amuse dès que je le puis et que j'ai besoin de me délasser'. Ceux qui font des almanachs' sur moi, et qui me craignent, sont de grandes dupes. Dieu les bénisse! Je suis si loin d'eux, qu'il faudrait que je fusse fou pour vouloir m'incommoder en les incommodant. Je leur dirais volontiers comme Abraham à Lot : Toute la terre est devant nous. Si vous allez à l'orient, je m'en irai à l'occident'.
Heureux qui est véritablement délivré! Il n'y a que le Fils de Dieu qui délivre: mais il ne délivre qu'en rompant tout lien: et comment les rompt-il? C'est par ce glaive qui sépare l'époux et l'épouse, le père et le fils, le frère et la soeurs. Alors le monde n'est plus rien; mais tandis qu'il est encore quelque chose, la liberté n'est qu'en parole, et on est pris comme un oiseau qu'un filet tient par le pied. Il paraît libre, le fil ne se voit point; il s'envole, mais il ne peut voler au-delà de la longueur de son filet, et il est captif. Vous entendez la parabole'. Ce que je vous souhaite est meilleur que tout ce que vous pourriez craindre de perdre. Soyez fidèle dans ce que vous connaissez, pour mériter de connaître encore davantage. Défiez-vous de votreesprit, qui vous a souvent trompé'. Le mien m'a tant trompé, que je ne dois plus compter sur lui. Soyez simple, et ferme dans votre simplicité. La figure du monde passe': nous passerons avec elle, si nous nous rendons semblables à sa vanité; mais la vérité de Dieu demeure éternellement9, et nous serons permanents comme elle, si elle seule nous occupe.
Encore une fois, défiez-vous des savants et des grands raisonneurs. Ils seront toujours un piège pour vous, et vous feront plus de mal que vous ne sauriez leur faire de bien '°. Ils languissent autour des questions, et ne parviennent jamais à la science de la vérité. Leur curiosité est une avarice spirituelle qui est insatiable ". Ils sont comme les conquérants qui ravagent le monde sans le posséder. Salomon parle avec une profonde expérience de la vanité de leurs recherches '2.
Quand on étudie, il ne faut étudier que par un vrai besoin de providence, et le faire comme on va au marché, pour la provision nécessaire de chaque jour' . Alors même, il faut étudier en esprit d'oraison. Dieu est tout ensemble la vérité et l'amour. On ne connaît bien la vérité qu'autant qu'on l'aime. Quand on l'aime, on la connaît bien. N'aimer point l'amour, ce n'est pas le connaître. Qui aime beaucoup, et demeure humble et petit dans son ignorance, est le bien-aimé de la vérité: il sait ce que les savants ignorent, et qu'ils ne veulent pas même savoir. Je vous souhaite cette science, réservée aux simples et aux petits, pendant qu'elle est cachée aux sages et aux prudents".
34 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 11 novembre 1699
634. A H. G. DE PRECIPIANO
[11 novembre 1699].
Monseigneur,
J'apprends avec joie qu'une affaire pour la cure de Braine le Comte qui n'a déjà fait que trop de bruit', est entre les mains de votre official2, pour être jugée par une troisième sentence'. La première a été donnée ici. La seconde à Gand a été conforme à la nôtre. Il ne reste plus que celle de votre tribunal pour confirmer notre jugement, et pour rendre la paix à cette petite ville de Braine. Le Pape a uni la cure de ce lieu à la maison de l'Oratoire de saint Philippes de Nery. Le décret d'union porte que la communauté de l'oratoire fera faire les fonctions pastorales par un ou par plusieurs de ses prêtres, comme elle le jugera à propos, ce qui marque évidemment que le titre du pastorat est attaché à tout le corps en commun, et non à aucun particulier qui puisse se dire titulaire fixe et irrévocable du bénéfice. Suivant cette règle du décret d'union, feu M. l'Arch. de Cambray avait donné au Père Renon tiré de l'Oratoire de Berulle, et incorporé à celle de saint Philippes', des pouvoirs limités, pour faire les fonctions pastorales à Braine. Mais la dernière qu'il lui donna était jusques à une révocation faite par lui-même. La conduite du Père Renon a été si irrégulière, et si factieuse, que j'ai été contraint, Monseigneur, de révoquer moi-même tous ses pouvoirs, après avoir tâché en vain de le ramener à son devoir par la douceur. Il a méprisé cette révocation signifiée.I1 a continué contre sa conscience, et au grand scandale de tous les gens de bien de prêcher sans mission. Il a fait des mariages, il a donné des absolutions, sans se mettre en peine de la nullité manifeste de tout ce qu'il faisait. Il a flatté les peuples pour les attacher à son parti, et pour les soulever contre l'autorité épiscopale. Il a eu recours à la cour de Mons pour se faire maintenir dans la possession quoiqu'il n'eût aucun titre même coloré'. Ainsi il a continué les fonctions les plus spirituelles, sans aucune mission de l'Eglise, puisque des pouvoirs donnés avec la clause qu'ils pourront être révoqués, ne sont plus des pouvoirs, dès que la révocation est faite. Ainsi il a prêché, confessé, marié, etc. sans autre mission que celle du juge laïque de Mons. Il n'a point eu d'horreur de tromper les peuples par tant de sacrements nuls, et par une usurpation si scandaleuse du ministère. Pour fortifier son parti il a tâché de faire entendre que je voulais ôter la cure de Braine à l'oratoire de saint Philippes et la donner aux pères de l'oratoire de Berulle qui sont à Mons. Mais en vérité, Monseigneur, ce prétexte n'a rien de solide. Il est vrai que dans la division où était l'oratoire de Braine par la conduite du Père Renon, et dans le défaut de sujets de la communauté capables du gouvernement, je priai les pères de l'oratoire de Mons de nous prêter pour Braine le Père Grawez, comme feu mon prédécesseur avait autrefois pris le père Renon de la maison de Douay, pour le faire passer dans celle de Braine. Mais je n'ai songé à me servir du père Grawez à Braine, que par une espèce d'emprunt, et pour un besoin passager. Du reste je ne puis ni ne veux altérer en rien le décret du Saint Siège qui a uni la cure à l'oratoire de saint Philippes et non à celle de Berulle. Je le déclare donc, Monseigneur, mon intention n'est point de frustrer de son droit l'oratoire de S. Philippes, ni de le transférer à un autre corps,
18 novembre 1699 TEXTE 35
auquel il ne peut appartenir. Quand même je serais assez injuste pour le vouloir, je ne le pourrais pas, et l'autorité du S. Siège dans le décret d'union rendrait mon entreprise impossible. Il n'y a donc rien à craindre de ce côté-là, et c'est un artifice du père Renon que de donner un tel ombrage, pour se procurer quelque protection dans une usurpation si odieuse. Le père Grawez est maintenant nécessaire à Braine pour achever de soutenir une affaire qu'il a commencée, et qui est sur ses fins6. Mais quand le dernier jugement sera donné, Monseigneur, dans votre tribunal, s'il fallait pour la paix et pour rassurer les esprits alarmés, faire voir qu'on n'a aucune intention d'introduire l'oratoire de Berulle à Braine, je prendrais tous les partis convenables, pour ne laisser aucun ombrage à cet égard-là. J'espère, Monseigneur, que vous aurez la bonté pour moi de recommander fortement à M. votre official l'exactitude et la diligence dans cette affaire. C'est l'intérêt de tout l'épiscopat, et autant le vôtre que le mien. A quoi serions-nous exposés tous les jours, si ceux qui n'ont de nous que de simples commissions passagères ou pouvoirs révocables ad nutum, s'érigeaient en titulaires fixes et indépendants, malgré nos révocations expresses? que serait-ce, s'ils s'ingéraient d'administrer les sacrements, sans se mettre en peine de leur nullité, et en soulevant les peuples contre l'autorité des supérieurs ecclésiastiques? enfin que serait-ce, si les juges laïques pouvaient donner la mission spirituelle pour le régime des âmes à un simple desserviteur révoqué, sous ce prétexte qu'il a eu des pouvoirs? Vous comprendrez, Monseigneur, mieux que je ne saurais l'expliquer, combien il importe qu'une affaire qui dure depuis si longtemps finisse au plus tôt. Il s'agit de finir une horrible profanation des sacrements, la nullité des mariages et des confessions, la révolte d'un prêtre, l'usurpation du ministère, le soulèvement d'une cabale et le scandale de tout le pays. Je sais ce qu'on peut espérer de votre zèle, de votre prudence, de votre fermeté pour les règles. Oserai-je dire que j'attends aussi quelque chose de votre bonté pour moi, et de l'honneur de votre amitié que vous m'avez promise si obligeamment'. Deux mots que vous voudrez bien dire à M. votre official l'animeront pour rendre une justice prompte à la bonne cause. Je serai toute ma vie avec respect et vénération, Monseigneur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray, 11 novembre.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
634 A. CHARLES-MAURICE LE TELLIER A FÉNELON
A Versailles, ce 18 novembre 1699.
Je viens de faire imprimer un recueil qui regarde autant votre archevêché que le mien'. Vous en trouverez dans ce paquet quelques exemplaires, que vous serez peut-être bien aise de faire conserver dans vos archives et dans celles de votre chapitre. Je suis d'ailleurs obligé à vous faire connaître que j'ai satisfait à la clause apposée dans la bulle et dans le décret d'union de l'abbaye de Saint-Thierry à mon archevêché, en renonçant comme je l'ai fait, et mon chapitre après moi, à tous droits de juridiction métropolitaine sur
36 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 20 novembre [1699]
votre église et sur celles de Tournay, d'Arras, de Saint-Omer et d'Ypres'. J'ai cru que cette voie vous serait plus agréable que celle d'une signification, que j'aurais pu vous faire de l'accomplissement de cette clause; c'est pour cela que je l'ai choisie'. Elle me fournit une occasion favorable de vous assurer que je suis toujours très véritablement, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
L'AR. DUC DE REIMS.
635. A CHARLES-MAURICE LE TELLIER
A Cambray, 20 novembre [1699].
Monseigneur,
Je viens de recevoir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, avec les exemplaires de votre nouvel imprimé. L'exactitude ne saurait être plus grande qu'elle l'est dans ce recueil de pièces. Je vous dois et je vous fais avec plaisir un remerciement sur la manière dont il vous a plu de m'en faire part. C'est avec une parfaite sincérité que je suis, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur'.
635 A. X *** A FÉNELON
[20 novembre 1699].
Monseigneur,
Je donne avis à Votre Grandeur en présence et pour l'amour de Dieu que l'on commence à connaître et à dire en public que votre soumission au bref du Pape n'est pas sincère, intime, délibérée et de la cime de votre âme. On pousse encore la chose plus loin et on prétend que votre soumission apparente est une suite nécessaire de vos principes ou pour mieux dire un acte de la partie inférieure qui est d'un trouble entièrement aveugle et involontaire'. Je vous donne cet avis, Monseigneur, afin que vous preniez toutes vos mesures pour détromper le public éclairé et prévenir les plaintes juridiques que l'on pourrait faire contre ces déguisements'. Je ne fais pas connaître quel je suis par cette lettre, Dieu seul sait qui en est l'auteur, il ne s'agit pas de disputer ni d'écrire en public, le secret doit ensevelir ces soupçons. Une lettre au Pape suffira de sa part pour décharger sa conscience. Si Votre Grandeur veut prévenir Sa Sainteté en lui donnant non pas des paroles humbles, mais des sentiments de douleur et de repentir sur le vrai sens que vous avez eu en composant votre livre, et un aveu que vous avez cru l'erreur et que vous avez erré', celui qui vous écrit la présente gardera le silence', convaincu que la voix du public lui apprendra bientôt ce trait de force et d'humilité chrétienne. Si l'on voulait éclater et desservir Votre Grandeur, on ne prendrait pas ces précautions. Je prie Dieu qu'elles soient efficaces et que votre charité reçoive ce
30 novembre 1699 TEXTE 37
qu'on lui écrit dans un esprit de paix et de charité. Si Votre Grandeur prend cette voie, on vous promet d'ensevelir le tout dans un secret impénétrable, on n'a point même voulu tirer copie de cette lettre'. In charitate Christi. Amen.
Ce 20 novembre.
636. Au DUC DE BEAUVILLIER'
30 novembre 1699.
Puisque vous voulez, mon bon Duc, que je vous dise mes pensées sur les affaires de la religion, il faudrait que vous eussiez la bonté de m'apprendre, si vous le pouvez, la véritable situation de ceux qui ont l'autorité. Comment le Roi est-il sur le Jansénisme? Le craint-il encore? ou bien croit-il que c'est un fantôme, dont on l'a amusé autrefois? Se défie-t-il de Mrs de Reims et de Meaux? Sa défiance va-t-elle jusqu'à M. de Paris? Sait-il que Rome est encore plus que sa cour pleine de gens dans les premières places qui remuent tout en faveur de ce parti? D'un autre côté, Mad. de M[aintenon] est-elle alarmée par M. de Chartres? ou bien est-elle rassurée par M. de Paris? Comment a-t-elle pu laisser nommer M. de Reims pour présider à l'assemblée'? M. de Chartres lui-même comment pense-t-il là-dessus? On dit qu'il est intimement uni avec le P. de Valois. Ne lui ouvre-t-on' point les yeux sur le péril? Comment est-il avec M. de Paris? Ne le joue-t-on point? Ne le paie-t-on point de vaines apparences? Il faudrait que je sache toutes ces choses pour pouvoir vous parler juste. Car il faut proportionner les démarches qu'on doit faire aux ressources qu'on a. Si on était bien assuré du Roi et de Mad. de M., on pourrait agir plus hardiment et avec plus de vigueur contre le mal. Mais dans le doute je ne sais que dire. Peut-être ne savez-vous pas ce que je vous demande, et qu'on prend soin de vous le cacher. Mais je vois d'ailleurs que vous avez entretenu le Roi sur le Jansénisme, et qu'il vous a écouté favorablement. D'ailleurs vous pouvez savoir par le P. de Valois ce que font, et ce qu'espèrent auprès du Roi et auprès de Mad. de M., le P. de la Ch[aise] et M. de Chartres. Si je savais ces choses, je serais au fait et à portée de vous dire mon sentiment que vous me demandez. Sans cela je n'y puis être, et je courrais risque de vous donner de fausses vues. Ce n'est point par curiosité que je demande à être instruit.
Si M. de Chartres et le P. de la Ch. étaient bien assurés du Roi et de Mad. de M., une chose très pressée à faire, serait que Mad. de M. parlât fortement au Card. de Janson avant son départ pour Rome°, déclarant que le Roi est alarmé sur le Jansénisme, et qu'il souhaite avec ardeur non seulement l'exclusion absolue de tout sujet favorable à ce parti, mais encore l'élection d'un Pape solidement instruit et zélé pour l'abattre. En cas que les cardinaux fussent déjà partis, je voudrais que le Roi écrivît en termes pressants là dessus au Card. de Janson et à son Ambassadeur. Il faudrait en même temps faire avertir M. le Card. de Bouillon d'y veiller de son côté'. On ne doit point se fier au Card. d'Estrées, et le Père Verjus' sera sa dupe. Son inclination ancienne est pour le parti, et il le favorisera pour plaire à M. de Paris, qui a tout l'éclat de la faveur, à moins qu'il ne sache bien certainement que Mad.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
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de M. lui en saurait mauvais gré. En cette matière on ne craint point le Roi. C'est Mad. de M. avec qui on croit qu'il faut compter, et qu'on craint.
Il serait capital aussi que le Roi parlât au Nonce' avant qu'il parte pour le conclave. Car cet homme tout pétri de politique profane s'en ira plein du grand crédit de M" de Reims, de Paris et de Meaux qui l'ont flatté et obsédé. Il communiquera aux autres cette haute opinion de la faveur du parti; et il n'en faut pas davantage à Rome pour faire réussir une intrigue.
Je voudrais même qu'on marquât en détail les cardinaux qu'on veut exclure, et ceux qu'on voudrait élire, l'un au défaut de l'autre, chacun en leur rang de mérite. Si le P. Gabrieli, Général des Feuillants, est nommé cardinal, comme on l'assure', on peut compter que c'est un bon théologien, très pieux, et très zélé contre le jansénisme. Il est trop jeune pour être Pape, et il ne peut être sur les rangs. Mais il faudrait que M. le Card. de Janson eût ordre de se joindre à lui. Il faudrait aussi prendre des liaisons avec le Card. Negroni 9 et avec le Card. Panphile 1°, qui sont antijansénistes. M. le Card. de Janson paraît depuis quinze ans grand ami des Jésuites. Mais autrefois il était dévoué au parti qu'on craint.
Pour l'assemblée du Clergé, je suis persuadé, comme l'homme qui vous a parlé, qu'on espère d'y pouvoir remuer les questions de la Grâce contre les Jésuites". On vient de publier un gros ouvrage sur la Congrégation de Auxiluis '2, pour prouver que les dominicains y furent victorieux, et que les jésuites y furent condamnés par une bulle toute dressée, qui est encore en suspens, et que le Pape peut maintenant rendre publique' 3. D'un autre côté M. de Meaux écrit sur cette matière. Je sais qu'il y a six ou sept ans qu'il a ce dessein bien avant dans la tête. Apparemment il prendra quelque prétexte comme celui de réfuter le Père Simon, ou le Card. Sfondrate '4. Mais il est certain qu'il écrit, et qu'il le fait non seulement de concert avec M" de Reims et de Paris, mais encore avec les Card. Casanata, Noris, Cantelmi '5, Ferrari etc. Si on peut engager quelque querelle dans le temps de l'assemblée, on tâchera de la faire parler, et même de la faire écrire au Pape, s'il y en a alors un, dont on puisse espérer quelque faveur pour le parti. L'affaire des Bénédictins sur l'édition de saint Augustin pourrait faire entrer en matière' 6. Mais quoi qu'il en soit, on donnera une scène, à moins qu'on ne sente que le Roi est ferme, et on ne le croira ferme qu'autant qu'on sera assuré que Mad. de M. le sera elle-même contre la Cabale.
Pour bien entendre leurs projets, il faut se représenter que les Jansénistes ayant reconnu le faible par où on les avait pris autrefois, ont changé leurs batteries. Ils se disent tous simples Thomistes par le conseil du Card. Casanata, et ont composé un langage captieux pour paraître se borner au Thomisme, dont ils se moquent dans le fond. Ils ont eu l'art de gagner les dominicains, qui étaient autrefois contre eux, et je vois que ces Pères pour se ménager une protection, se sont tout dévoués au parti, quoique leurs opinions fussent autrefois essentiellement contraires ''. Par là les Jansénistes se mettent à l'abri d'une ancienne école fort autorisée dans l'Eglise, et s'unissent à un ordre qui est fort puissant à Rome. Le Père Massoulier à Rome et le Père Alexandre à Paris sont plus ardents pour la Cabale, que ceux même qui en sont les chefs ".
Pendant que les Jansénistes ont l'adresse d'accoutumer le monde à les croire Thomistes, quoiqu'ils ne le soient pas, ils ont un autre artifice qui est d'affaiblir chaque jour les Jésuites par de nouvelles attaques tantôt sur leur
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morale corrompue tantôt sur leurs idolâtries de la Chine etc. Pour ce dernier article ils ont fait un ouvrage, qu'ils ont eu le crédit de faire adopter par les dominicains". Tout l'ordre est dévoué à la Cabale.
Un troisième artifice, c'est que nos Evêques' parlent hautement contre le livre de Jansénius, et contre les cinq propositions. Mais il n'est pas éton-
nant qu'ils fassent si bon marché de Jansénius, eux qui sont engagés d'honneur par leur signature du formulaire à le condamner. Par cette condamnation spécieuse, ils espèrent éblouir le Roi et le public pour être plus en état d'être crus sur les matières de la Grâce. Ainsi selon toutes les apparences vous verrez M. de Meaux ne parler dans son livre que du pur Thomisme contre les Molinistes. Il se bornera à dire que le dogme de la Grâce efficace par elle-même est celui de saint Augustin et de toute l'Eglise. En même temps il condamnera Jansénius et les cinq propositions. Mais veut-on le démasquer? Il n'y a qu'à voir avec qui il est lié, et quel est son but. Il est intimement lié avec M. de Reims qui a donné par une lettre imprimée dans son diocèse les plus grands éloges aux docteurs de Louvain". Or il est constant que ces docteurs ne sont point Thomistes, qu'ils croient le livre de Jansénius très pur, et qu'ils n'ont recours qu'à des équivoques pour paraître condamner les cinq propositions, en les soutenant. M. de Meaux est encore lié avec les Bénédictins" qui sont Jansénistes 24 et non pas Thomistes. D'ailleurs que prétendra M. de Meaux? Etablir comme un dogme de foi la Grâce efficace par elle-même, et faire les Jésuites hérétiques. Voilà le but auquel on veut parvenir par des voies détournées. Cependant il n'y a presque que les Jésuites et leurs amis qui s'opposent au Jansénisme triomphant partout. Abattre et noircir les Jésuites dans cette conjoncture, c'est ôter au Jansénisme le seul embarras qui lui reste, et renverser la dernière barrière, par laquelle il est arrêté. Quand les Jésuites seront abattus et déshonorés, qui est-ce qui osera résister à Mrs de Reims, de Paris, de Meaux etc. en France? Qui est-ce qui résistera à Rome aux Cardinaux Casanata", Noris etc.? Les Dominicains qui resteront seuls alors en droit de réclamer, sont déjà servilement attachés au parti. On les traitera de mauvais Philosophes Péripatéticiens. On leur passera quelques termes équivoques, pour sauver un peu les apparences. Le fond qui régnera partout sera le prétendu Augustinianisme. Alors le monde sera apprivoisé à cette doctrine, et la Cour même aura vu que les seuls gens qui la combattaient seront écrasés. Alors on lèvera le masque".
Le parti cherche une occasion (et c'est à quoi on ne saurait jamais prendre trop garde) où il puisse convaincre le Roi que le Jansénisme n'est qu'un fantôme, et que les Jésuites sont calomniateurs, pélagiens et idolâtres. Dans cette vue on les accuse à Rome d'idolâtrie", espérant que le Roi ne voudrait plus les écouter, si cette accusation les accablait. D'un autre côté on veut faire condamner de pélagianisme le livre du Card. Sfondrate, dont ils sont défenseurs". En même temps on les traite de calomniateurs à l'égard des Bénédictins". On compte que le champ de bataille demeurerait tout entier au parti Janséniste, si les Jésuites demeuraient flétris. Après leur défaite le Roi aurait honte de se confesser encore à un Jésuite. Il n'écouterait plus que son Archevêque, et les gens qu'il introduirait. Tout serait fini à la cour, et par conséquent dans toute l'Eglise de France. Car on est très persuadé que si la Cour était favorable au parti, tous les évêques applaudiraient à M" de
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Reims, de Paris et de Meaux. Ainsi la Cour entraînerait toute la France, et la France ferait la loi à Rome même, qui est si timide et si politique.
On compte que s'il arrive une affaire où il faille une décision qui puisse convaincre le Roi de l'iniquité des Jésuites et de l'innocence du parti, le Roi ne pourra résister aux autorités qui le presseront. D'un côté les trois prélats que je viens de nommer sont les maîtres absolus de la faculté de Théologie de Paris". D'un autre côté M. de Reims aidé de M. de Paris fera signer aux évêques en foule dans une assemblée tout ce qu'il voudra". Enfin on espère que si le Pape est favorable au parti", les cardinaux Casanata, Noris etc. lui feront dire ce qu'il faudra pour décréditer33 les Jésuites et pour justifier le parti. On n'a qu'à voir tout ce que le Pape a écrit en faveur des Lovanistes au préjudice des bulles d'Innocent X et d'Alexandre VII". Que pourra dire M. de Chartres, et que feront les Jésuites, s'ils ont à la fois contre eux les principaux archevêques de France suivis de toute la foule des évêques et des docteurs, et si le Pape écrit au Roi du style dont il a écrit à M. l'archevêque de Malines en faveur des Jansénistes? Alors les Jésuites seront abandonnés comme des brouillons, et M. de Chartres sera méprisé comme un séminariste ignorant et indiscret". Voilà l'occasion qu'on cherche, et à laquelle on se prépare. Pour éviter un coup si dangereux, il faudrait faire trois choses; 1° éviter autant qu'on le pourra les questions, dans un temps où elles courent risque d'être traitées avec tant de désavantage. 2° songer sans relâche à avoir un Pape éclairé, ferme et zélé contre l'erreur. 3° prévenir fortement le Roi, afin qu'il borne l'assemblée au don gratuit, après lequel immédiatement elle se séparera". Cette assemblée ne regarde par son institution que les subventions et les comptes. Le Roi ne lui fera aucun tort en la bornant à sa vraie fonction. Elle n'a aucune procuration pour agir au delà de cette borne. Pourvu que le Roi soit ferme, l'assemblée sera très courte, et n'entreprendra rien". Mais si le Roi se rend facile pour laisser agir l'assemblée sous de beaux prétextes, comme il l'a été pour le choix du chef, tout est en péril.
Il faut compter que toute l'autorité extérieure sera pour le Jansénisme, tant que MrS de Reims, de Paris et de Meaux joindront à leurs places l'apparence de la faveur. Or cette autorité extérieure de l'Eglise est un argument contre lequel le Roi ne pourra pas longtemps se défendre. Il ne peut faire aucune discussion de doctrine. Cette autorité extérieure le décidera inévitablement un peu plus tôt, ou un peu plus tard. Ces trois prélats soutenus de la foule des évêques et des docteurs , et peut-être de quelque acte de Rome l'entraîneront. Ce mal n'a point de remède, à moins que M. de Chartres ne pût se mettre à la tête d'un certain nombre d'évêques, qui partageassent l'autorité. Mais où sont-ils? On dit qu'ils se cachent déjà, et se contentent de renoncer à l'assemblée". D'ailleurs quel chef auront-ils? M. de Chartres est-il propre à relever et à rallier les gens abattus? Il faudrait que le Roi et Mad. de M. se déclarassent hautement pour lui. Il aurait encore assez de peine à se soutenir.
Le Roi qui ne peut regarder en matière de doctrine qu'il n'entend pas, que l'autorité extérieure, s'est fait à lui-même un joug qu'il subira, si on n'y prend garde. Il met dans les places d'autorité tous les prélats les plus partiaux. Ces prélats se servant de l'autorité qu'il leur a donnée, entraîneront la faculté, et l'assemblée du Clergé; après quoi le Roi dira pour s'excuser, qu'il ne peut résister à son Archevêque, à l'assemblée du Clergé, et à la Sorbonne. Ainsi on lui laisse former de ses propres mains les pièges, où il va tomber inévitablement.
Voici une petite histoire, qui servira à entendre de quoi il s'agit. Il y a quelques jours que je raisonnais avec un Rigoriste, homme de bien et de bonne foi, qui est très ardent contre les Jésuites, mais qui est très modéré sur la doctrine de la Grâce". Il m'avoua que son parti excédait d'une manière terrible, et qu'il avait souvent disputé là dessus avec ses principaux amis de Louvain. Il convint même qu'ils soutenaient encore tout le fond des cinq propositions, et qu'ils ne les condamnaient que par des équivoques semblables à celles dont ils accusent les Jésuites. Sur ces aveux si sincères et si importants je lui demandai qu'est-ce qui les rendait si fiers et si entreprenants. Il me répondit. C'est qu'ils sont appuyés à Rome par tous les cardinaux qui ont seuls de la science, et qui pensent précisément comme eux. D'ailleurs ils comptent sur les prélats de France, dont les chefs sont leurs protecteurs. Ce discours très naturel qui vient d'un homme parfaitement instruit, montre les forces du parti, et ce qu'il prépare. On ne saurait trop prendre de mesures du côté du Roi pour les prévenir. Mais il faut craindre d'irriter Mad. de M. et de la jeter entièrement dans le parti, si on attaque M. de Paris son allié sans agir de concert avec elle. Pour éviter cet inconvénient je voudrais qu'on fit faire par M. de Chartres les mêmes pas vers elle, que le P. de la Ch. fera vers le Roi, et que vous ne rompissiez point les glaces, mais que vous appuyassiez fortement tout ce qui serait capital, laissant tout le reste qui ne ferait que fatiguer, et montrer trop de prévention. On peut remuer M. de Chartres par M. Tronson, par Mrs de Précelles et Boucher" et par le P. de Valois. L'un peut lui dire une chose et l'autre une autre. Il faudrait savoir s'il n'a à Paris ou à Chartres aucune liaison d'ami suspect. Je crains fort M. de Blois'', car quelque mine qu'il fasse au P. de Valois, je sais à fond qu'il est très opposé aux Jésuites, très uni à M. Boileau, et fort dans le goût de M. et de Mad. de la Reynie qui ne respirent que pour le parti janséniste". Voilà l'état où j'ai vu les choses. Je ne sais pas si elles sont changées.
Il faudrait prendre garde aussi à M' Brisacier et Tiberge. Ils ont été nourris dans une grande aversion du Jansénisme. Mais depuis quelques années ils se sont déclarés contre les Jésuites avec une grande chaleur pour leurs missions d'Orient, et ils ont pris des liaisons avec tous leurs ennemis". Ils peuvent retenir M. de Chartres. Ce prélat a à Chartres M. Le Merre44 ami de M. Boileau, que je craindrais beaucoup. Mais il a pour grand vicaire M. Mareschaux45 docteur bien intentionné, qui n'a pu s'empêcher de m'écrire que la doctrine de mes défenses contre M. de Meaux était la bonne.
Pour M. l'évêque de Toul", il a le coeur très bon. Mais il est capable de grande souplesse pour se ménager des appuis à la Cour. D'un côté il ménage les Jésuites et montre au P. de Valois un grand zèle et une pleine confiance. De l'autre je sais par lui-même ses vrais sentiments. Ils sont très confus; car il ne sait rien nettement. Mais il est très attaché aux dogmes les plus durs du parti sur les actions qui sont toutes ou péchés ou vertus surnaturelles, et il se confie entièrement à certains docteurs entêtés des opinions nouvelles. M. l'Ab. de Chanterac, et même M. l'Abbé de Langeron l'ont entendu parler, et savent ce qu'il pense.
Pour M. Guinot il a très bien répondu, et il n'a rien à craindre en demeurant ferme et tranquille sur ses réponses. Mais que veut dire M. de Paris?
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Croit-il sérieusement que M. Guinot" soit Janséniste, et que ce domestique lui puisse fournir quelque prise sur vous? Tout cela est absurde. Je craindrais
bien plus qu'il ne voulût le faire Moliniste outré et Quiétiste. Pour Moliniste
outré, M. Guinot en se déclarant ferait évanouir la calomnie. Pour Quiétiste, il ne peut passer pour tel ni par ses sentiments ni par ses liaisons. Pour ses
sentiments, il n'a qu'à les bien expliquer si on les lui demande, et qu'à protes-
ter de sa soumission au S. Siège sur mon livre etc. Pour ses liaisons, il n'en a aucune suspecte en retranchant la mienne. Il est vrai qu'il m'a connu et que
je l'ai mis chez vous. Mais je l'y ai mis sans le connaître, et sur le témoignage des docteurs de M. l'abbé de Louvois". Depuis ce temps-là il m'a vu médiocrement, et ne s'est mêlé de rien. On ne peut l'entamer par aucun côté. Si par malheur on vous l'ôtait (chose qui n'est pas même à imaginer), Dieu vous en donnerait quelque autre. Des pierres mêmes il forme des enfants d'Abraham. Ne craignez rien que d'être homme de peu de foi.
Je voudrais que le P. de la Ch. avertît le Roi et que M. de Chartres avertît Mad. de M. sur l'ouvrage que M. de M[eaux] prépare touchant les questions de la Grâce". On pourrait faire remarquer sa démangeaison d'écrire et de décider de tout. Il ne peut durer dans sa peau, et se renfermer dans les besoins de son diocèse, qui est devenu sa moindre affaire.
Je crois qu'il est très important qu'en tout ceci mon nom ne soit jamais nommé ni à Mad. de M. ni même à M. de Chartres ni par le P. de Valois, ni par M. Tronson etc. Il ne faut point qu'on puisse croire qu'on veut aller sur le jansénisme pour me rendre nécessaire à M. de Chartres. Ce soupçon gâterait tout, et en effet il ne faut point avoir cette vue. Je" suis ici en paix et à portée, s'il plaît à Dieu, d'y faire du bien. Je n'y ai de peine que de la part de mes suffragants; si on avait réglé ce qui regarde notre Officialité à l'égard de M. l'évêque de S. Orner'', et si je pouvais avoir un bon séminaire, je me trouverais trop heureux. Je suis fâché, mon bon Duc, de ne vous voir point, vous, la bonne duchesse, et quelques autres amis en très petit nombre. Pour tout le reste je suis ravi d'être bien loin, j'en chante le cantique de délivrance, et rien ne me coûterait tant que de m'en rapprocher.
J'aime toujours M. le d. de Bourg. nonobstant ses défauts les plus choquants". Je vous conjure de ne vous relâcher jamais dans votre amitié pour lui". Que ce soit une amitié crucifiante et de pure foi. C'est à vous à l'enfanter avec douleur jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en lui". Supportez-le sans le flatter. Avertissez-le sans le fatiguer, et bornez-vous aux occasions, et aux ouvertures de providence, auxquelles il faut être fidèle. Dites-lui les vérités qu'on voudra que vous lui disiez. Mais dites-les lui courtement, doucement, avec respect et avec tendresse". C'est une providence que son coeur ne se tourne point vers ceux qui auraient tâché d'y trouver de quoi vous perdre". Qu'il ne vous échappe pas au nom de Dieu. S'il faisait quelque grande faute, qu'il sente d'abord en vous un coeur ouvert, comme un port dans le naufrage.
Je n'écris à Paris que par des voies très sûres, et à très peu de personnes. Pour mieux dire, je n'écris qu'à vous, mon bon Duc, à la petite D. " et au P. Ab. ", tout au plus de loin à loin au duc de Charost. Presque personne ne m'écrit. La petite D. et le petit Ab. ne m'écrivent point par la poste. Le Duc de Charost l'a fait de Beaurepaire deux fois", sur des matières qui ne demandent point un grand secret. Je crois qu'il serait à propos que vous lussiez à
M. Tronson les principaux articles de cette lettre, et que vous parlassiez au P. de Valois dans cet esprit sans lui lire ceci.
Je prie Dieu qu'il vous donne sa sagesse et sa force. Esto vir fortis, et proeliare bella Domini60. Je vous dirai encore ces paroles de l'Ecriture. Quis es tu ut timeas ab homine mortali'? Dieu sera avec vous, si vous êtes toujours avec lui.
Cambray 30 novembre 1699.
637. AU MÊME
30 novembre 1699 (?) [2e lettre].
Je voudrais qu'on évitât soigneusement divers écueils, en réprimant la cabale des Jansénistes.
1° Il ne faut les attaquer jamais dans des choses légères ou obscures. Ce qui a le plus prévenu beaucoup d'honnêtes gens en leur faveur, c'est qu'on a cru qu'on attaquait un vain fantôme, qu'on soupçonnait témérairement des personnes les plus innocentes, et qu'on voulait trouver en eux des erreurs que personne n'avait jamais ouïes'. Ce serait fortifier ce préjugé, que d'entamer l'affaire par quelque endroit douteux ou peu important.
2° Il faut les attaquer, ou, pour mieux dire, les réprimer avec modération dans les choses mêmes où ils sont évidemment répréhensibles. Une conduite ardente, ou dure et rigoureuse, même pour la vérité, est un préjugé qui déshonore la meilleure cause. Par exemple, ce qu'on a fait contre madame la comtesse de Gramont ne me paraît pas assez mesuré. Dire qu'on a Port-Royal en abomination, c'est dire trop, ce me semble'. Il n'y avait qu'à avertir madame la comtesse de Gramont qu'elle n'allât plus à Port-Royal, maison suspecte, et laisser savoir au public qu'on lui avait fait cette défense. Ce n'était pas elle qu'il fallait humilier; elle a obligation à ce monastère; elle n'y croit rien voir que d'édifiant3; elle a devant les yeux l'exemple de Racine', qui y allait très souvent, qui le disait tout haut chez madame de M[aintenon]s, et qu'on n'en a jamais repris: mais la sévérité du Roi devait tomber sur M. l'archevêque de Paris, qui l'a sollicité, il n'y a que deux ans environ, de laisser à cette maison la liberté de rétablir son noviciat'.
3° Je me garderais bien de presser M. l'archevêque de Paris de s'expliquer contre le jansénisme. Il a l'esprit court et confus. Nulle opinion précise n'est arrêtée dans son esprit. Son coeur est faible et mou'. Si on le presse, on lui fera dire, en l'intimidant, tout ce qu'on voudra contre l'erreur; mais on n'en sera pas plus avancé. Au contraire, la faiblesse se tournera en justification. Alors son autorité croîtra, on ne se défiera plus de lui, et il se trouvera à portée de faire plus de mal que jamais. Alors, si on veut parler contre lui, personne ne sera écouté; car on ne manquera pas de dire que ce sont de vieilles calomnies dont il s'est justifié. On doit se souvenir que, dans la même ordonnance', il a soufflé le froid et le chaud. Il dit blanc pour les uns, et noir pour les autres, n'entendant pas plus le noir que le blanc. Il est inutile de chercher les opinions d'un homme qui n'en a point, et qui n'en peut former aucune de précise.
44 CORRESPONDANCE DE FÉNELON [décembre 1699]
Je ne dois pas omettre une chose importante: c'est que les Jansénistes, pour mieux persuader que le jansénisme n'est qu'un fantôme, ne cessent de se confondre avec les Thomistes. Ils se moquent de ceux dont ils prennent le manteau pour se couvrir; et ces gens, si implacables contre les équivoques, en font continuellement pour tromper l'Eglise, et pour condamner en apparence des propositions qu'ils soutiennent en effet'. Ils en viennent, sur la grâce suffisante qui ne suffit pas, sur la possibilité des commandements de Dieu, à des subtilités et à des tours de passe-passe, que nul casuiste ne tolérerait. Ils se disent tous Thomistes depuis quelque temps, et les Thomistes font bien pis que de les avouer, car ils deviennent tous Jansénistes '°. J'en ai fait des expériences très remarquables ". Rien n'est si capital que de leur ôter le manteau de la doctrine des Thomistes. Il ne faut point attaquer le thomisme, comme le père Daniel l'a fait: c'est réunir deux grands corps; c'est fortifier le jansénisme; c'est autoriser le prétexte dont ils se couvrent; c'est user ses forces mal à propos contre une doctrine saine et autorisée; c'est faire croire au monde que le jansénisme n'est attaqué que comme le thomisme, par les Molinistes, qui sont tyranniques sur leurs opinions, qu'on soupçonne de demi-pélagianisme. Il faut donc toujours mettre à part le thomisme, le reconnaître hors de toute atteinte, et se borner à bien prouver les différences essentielles qui rendent le jansénisme pernicieux, quoique le thomisme soit pur: autrement on prend le change 32.
Il y a, en ce pays, toutes les semaines quelque nouvel imprimé pour le jansénisme ". Il serait fort à souhaiter que ceux d'entre les Jésuites qui sont les plus fermes théologiens, M. Tronson, M. de Précelles, et les autres bien intentionnés, vissent tous ces écrits. Il a paru ces jours derniers un recueil où il paraît beaucoup de lettres de Rome sur les affaires de Louvain'''. La hardiesse croît tous les jours.
Il serait à souhaiter qu'on les laissât se battre de plus en plus, selon leur zèle imprudent et âcre, et qu'on prît des mesures bien secrètes pour les réprimer efficacement. Je crains qu'on ne fasse tout le contraire, qu'on n'éclate contre eux par saillies, qu'on ne les empêche de se découvrir, et qu'après certains coups de sévérité sans mesure et sans suite, on ne leur laisse trop prendre racine. Si peu qu'on les laisse dans leur naturel, on verra bientôt réaliser aux yeux de tout le monde ce qu'ils appellent un fantôme "; mais il faudrait les laisser enferrer, et ne se commettre en rien.
638. AU MÊME
[décembre 1699?]
Il y a dans les imprimés que les Jansénistes ' répandent, beaucoup d'endroits importants à faire remarquer. Je suppose qu'il y a à Paris des gens zélés et instruits, qui les lisent et qui les examinent de près. Il me serait facile de les envoyer tous. Mais il est aussi facile de les avoir à Paris par d'autres voies que par la mienne, et je crois qu'il vaut mieux que je ne me mêle de rien. Mais il est capital qu'on lise avec grande attention tous ces écrits. En voici un exemple. Il y a dans la grande Histoire de auxdits' un titre en ces termes : Laudatur Meldensis, etc. Il loue M. de Meaux d'avoir dit que la grâce
[décembre 1699?] TEXTE 45
par sa nature porte nécessairement son effet, que c'est celle des Protestants,
et qu'ils n'ont eu de tort qu'en soutenant qu'elle ôtait la liberté. On trouvera sans cesse dans ces écrits des choses qui marquent une cabale qui conspire
à établir la même doctrine. On peut encore voir que le défenseur des Bénédic-
tins qui parle au nom de l'ordre' suppose qu'un homme de sa congrégation a fait l'Apologie des Provinciales', et a foudroyé les Jésuites, sans qu'ils puis-
sent s'en relever. Cependant on sait que les premières Lettres Provinciales
soutiennent le jansénisme le plus dangereux. Ces bons pères qui se déclarent défenseurs d'un livre si mauvais, et si rigoureusement condamné à Rome,
sont les bons amis de M. de Meaux. On peut voir par les triomphes de ces écrivains qu'ils profitent du silence qu'on impose à leurs parties, pour se vanter qu'ils les écrasent, et que les autres n'osent leur répondre'.
On doit aussi remarquer dans un ouvrage en deux volumes in-12, sous le titre de Recueil, etc., que les cardinaux Casanata, Daguire, Noris, etc.,
n'ont guère pris sérieusement une censure du S. Siège, puisqu'ils ont loué hautement la doctrine des livres du père Alexandre depuis leur condamnation à Rome'.
Je sais que M. de Paris a dit au curé de Versailles qu'il faisait ses efforts pour me faire rappeler à la cour, et qu'il y aurait réussi sans Télémaque qui
a irrité Mad. de M[aintenon] et qui l'a obligée à rendre le Roi ferme pour
la négative'. Vous voyez que ce discours, qui vient de vanterie sur sa générosité pour moi, n'a aucun rapport avec les interrogations qu'il fait à M. Gui-
not sur le jansénisme'. Il ne peut que me craindre et vouloir me tenir éloigné
pendant qu'il croit que je vous anime contre M. Boileau. Mais il voudrait rassembler les deux avantages. L'un, de faire l'homme généreux pour se justi-
fier vers le public sur mon affaire, et me rendre odieux en se justifiant; l'autre, d'être généreux à bon marché, et de ne rien oublier pour me tenir en disgrâce.
Pour toutes les choses contenues dans cette grande lettre', vous n'avez point, mon bon Duc, d'autre usage à en faire que de la montrer à M. Tronson
et au P. de Valois, afin qu'ils en puissent dire à M. de Chartres ce qu'ils croi-
ront utile. Ce qui est certain, c'est que M. de Chartres est un vrai homme à se laisser amuser par le parti, jusqu'à ce qu'ils l'auront mis hors de portée
de leur résister. Ils le tiennent par Mad. de M. qui ne veut pas pour son hon-
neur que le triumvirat " qu'elle a protégé contre moi, se rompe et s'entredéchire. D'ailleurs je m'imagine qu'il y a quelque ami secret qui lui brouille la
tête, et qui défait ce que ses autres amis font contre le jansénisme ". On ne
saurait trop éviter de montrer ni moi ni mon ombre dans toutes ces affaires. Pour les médailles frappées en Hollande contre moi pour Jansénius'', montrez-les à M. Tronson, et il les montrera à M. de Chartres, s'il le juge
à propos' . Il est assez sage, et connaît le prélat. Si on trouvait moyen de
déterminer le Roi et Mad. de M. pour donner bien à propos des marques de leur opposition au parti, cela arrêterait Rome et le public. Si on voyait ensuite
l'assemblée du clergé arrêtée sur tout ce qui n'est pas le don gratuit et les comptes '4, le parti serait rabaissé. Sinon ils abattront les Jésuites, et puis rien ne pourra leur résister. D[ieu] sur tout. Je suis affligé de l'état de votre santé, et du voyage qu'elle vous fera peut-être faire à Bourbon.
46 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 30 décembre 1699
AU DUC DE CHEVREUSE
30 décembre 1699.
Je suis sensiblement touché, mon bon cher [duc], de votre grande lettre, qui m'a été rendue un mois après sa date, parce que de M... est revenu plus tard qu'il ne pensait. Je vois bien plus ce que Dieu fait pour vous, que ce que vous faites pour lui. Votre coeur veut en général tenir à lui seul; mais la pratique n'est pas tout à fait conforme en vous à la spéculation et au goût Souffrez que je vous représente que vous suivez, sans l'apercevoir, très souvent votre pente naturelle pour le raisonnement et pour la curiosité. C'est une habitude de toute la vie, qui agit insensiblement et sans réflexion, presque à tout moment. Votre état2 augmente encore cette tentation subtile : la multitude des affaires vous entraîne toujours avec rapidité. J'ai souvent remarqué que vous êtes toujours pressé de passer d'une occupation à une autre, et que cependant chacune en particulier vous mène trop loin. C'est que vous suivez trop votre esprit d'anatomie' et d'exactitude en chaque chose. Vous n'êtes point lent, mais vous êtes long4. Vous employez beaucoup de temps à chaque chose, non par la lenteur de vos opérations (car au contraire elles sont précipitées), mais par la multitude excessive de choses que vous y faites entrer. Vous voulez dire sur chaque chose tout ce qui y a quelque rapport. Voilà ce qui rend chaque occupation trop longue, et qui vous contraint de passer sans cesse à la hâte, et même avec retardement, d'une affaire à une autre. Si vous coupiez court, chaque affaire serait placée au large, et trouverait sans peine son rang, sans être reculée; mais il faut, pour couper court, s'étudier à retrancher tout ce qui n'est pas essentiel, et éviter une exactitude éblouissante qui nuit au nécessaire par le superflu.
Pour être sobre en paroles, il faut l'être en pensées. Il ne faut point suivre son empressement naturel pour vouloir persuader autrui. Vous n'irez à la source du mal, qu'en faisant taire souvent votre esprit par le silence intérieur. Ce silence d'oraison simple calmerait ce raisonnement si actif. Bientôt l'Esprit de Dieu vous viderait de vos spéculations et de vos arrangements'. Vous verriez dans l'occasion chaque affaire d'une vue nette et simple; vous parleriez comme vous auriez pensé; vous diriez en deux mots ce que vous auriez à dire, sans prendre tant de mesures pour persuader. Vous seriez moins chargé, moins agité, moins dissipé, plus libre, plus commode, plus régulier sans chercher à l'être, plus décidé pour vous et pour le prochain. D'ailleurs, ce silence, qui rendrait la manière d'expédier les occupations extérieures plus courte, vous accoutumerait à faire les affaires mêmes en esprit d'oraison. Tout vous serait facilité: sans cela, vous serez de plus en plus pressé, fatigué, épuisé; et les affaires qui surmontent l'âme dans ses besoins intérieurs, surmonteront aussi la santé du corps.
Au nom de Dieu, coupez court en tout depuis le matin jusqu'au soir. Mais faites-le avec vous-même comme avec les autres. Faites-vous taire intérieurement ; remettez-vous en vraie et fréquente oraison, mais sans effort, plutôt par laisser tomber toute pensée, que par combattre' celles qui viennent et par chercher celles qui ne viennent pas. Ce calme et ce loisir feront toutes vos affaires, que le travail forcé et l'entraînement ne font jamais bien.
30 décembre 1699 TEXTE 47
Ecoutez un peu moins vos pensées, pour vous mettre en état d'écouter Dieu plus souvent.
J'ose vous promettre, mon bon cher [duc], que, si vous êtes fidèle là-dessus à la lumière intérieure dans chaque occasion, vous serez bientôt soulagé pour tous vos devoirs, plus propre à contenter le prochain, et en même temps beaucoup plus dans la voie de votre vocation. Ce n'est pas le tout que d'aimer les bons livres, il faut être un bon livre vivant. Il faut que votre intérieur soit la réalité de ce que les livres enseignent. Les saints ont eu plus d'embarras et de croix que vous : c'est au milieu de tous ces embarras qu'ils ont conservé et augmenté leur paix, leur simplicité, leur vie de pure foi et d'oraison presque continuelle. N'ayez point, je vous en conjure, de scrupule déplacé. Craignez votre propre esprit qui altère votre voie; mais ne craignez point votre voie qui est simple et droite par elle-même. Je crois sans peine que la multitude des affaires vous dessèche et vous dissipe. Le vrai remède à ce mal est d'accourcir' chaque affaire, et de ne vous laisser point entraîner par un détail d'occupations où votre esprit agit trop selon sa pente d'exactitude, parce qu'insensiblement, faute de nourriture, votre grâce pour l'intérieur pourrait tarir: Renovamini spiritu mentis vestrae. Faites comme les gens sages qui aperçoivent que leur dépense va trop loin; ils retranchent courageusement sur tous les articles de peur de se ruiner. Réservez-vous des temps de nourriture intérieure qui soient des sources de grâces pour les autres temps, et dans les temps mêmes d'affaires extérieures, agissez en paix avec cet esprit de brièveté qui vous fera mourir à vous-même. De plus, il faudrait, mon bon [duc], nourrir l'esprit de simplicité qui vous fait encore aimer et goûter les bons livres. Il faudrait donc en lire, à moins que l'oraison ne prît la place: et même vous pourriez sans peine accorder ces deux choses; car vous commenceriez la lecture toutes les fois que vous ne seriez point attiré à l'oraison; et vous feriez céder la lecture à l'oraison, toutes les fois que l'oraison vous donnerait quelque attrait pour elle. Enfin il faudrait un peu d'entretien avec quelqu'un qui eût un vrai fonds de grâce pour l'intérieur. Il ne serait pas nécessaire que ce fût une personne consommée, ni qui eût une supériorité de conduite sur vous. Il suffirait de vous entretenir dans la dernière simplicité avec quelque personne bien éloignée de tout raisonnement et de toute curiosité. Vous lui ouvririez votre coeur pour vous exercer à la simplicité, et pour vous élargir'. Cette personne vous consolerait, vous nourrirait, vous développerait à vos propres yeux, et vous dirait vos vérités. Par de tels entretiens, on devient moins haut, moins sec, moins rétréci, plus maniable dans la main de Dieu, plus accoutumé à être repris. Une vérité qu'on nous dit nous fait plus de peine que cent que nous nous dirions à nous-mêmes. On est moins humilié du fond des vérités, que flatté de savoir se les dire. Ce qui vient d'autrui blesse toujours un peu, et porte un coup de mort. J'avoue qu'il faut bien prendre garde au choix de la personne avec qui on aura cette communication. La plupart vous gêneraient, vous dessécheraient, et boucheraient votre coeur à la véritable grâce de votre état. Je prie Notre Seigneur qu'il vous éclaire là-dessus. Défiez-vous de votre ancienne prévention en faveur des gens qui sont raisonneurs et rigides '°. C'est, ce me semble, sans passion que je vous parle ainsi. Je vis bien avec eux, et eux bien avec moi en ce pays : mais le vrai intérieur est bien loin de là.
639.
48 CORR1 ,,pO\i)\\(1 DE FÉNELON
8 janvier [1700]
9 janvier 1700 TEXTE 49
Pardonnez-moi, mon bon [duc], tout ce que je viens de vous dire. Si vous ne le trouvez pas bon, j'aurais tort de l'avoir dit : mais je ne saurais croire qu'après m'avoir écrit avec tant d'ouverture de coeur, vous n'approuvassiez pas mon zèle sans mesure. Quand même je me tromperais, mon indiscrétion, en vous mortifiant, vous ferait du bien, pourvu que vous la reçussiez avec petitesse. Mille respects du fond de mon coeur à madame la [duchesse]. Jamais, mon bon et cher [duc], je ne fus à vous, etc.
640. A MAIGNART DE BERNIÈRES
A Cambray 8 janvier [1700].
Plura alia gravissima, que hyperbolicum aliquid sonare videntur, hic mihi attexenda forent, que Dominatio vestra illustrissima ex domino Abbate de Chanterac intelliget4. Nunc mihi superest, quam maxime anhelare jussiones vestras, et ex intimo cordis protestari, nihil in hac vita jucundius, nihil gratius mihi accidere posse, quam frequentes nuntios audire de vestra amplissima Dominatione, quam in studio et observantia mea perpetuo primam habeo, omnesque res, si que ad me delatœ erunt, quas pertinere intelligam ad dignitatem, atque amplitudinem vestrœ spectatissimae persone, omni mea cura, diligentia, opera, studio denique omni meo, ita complectar, ut vos ex ipsis operibus meis evidenter comprobetis, quod eternum maneo Dominationis vestrœ illustrissime et reverendissimœ5
Roma2 9 januarii 1700 Servus verus,
Je ne saurais, Monsieur, être plus sensible que je le suis aux marques de l'honneur de votre amitié'. Je l'ai désirée dès le premier jour de mon voyage de Maubeuge', et tout ce que vous avez fait pour me prévenir si obligeamment a redoublé mon inclination. Jugez par là, Monsieur, des sentiments avec lesquels je reçois tout ce qu'il me semble voir de cordial dans votre lettre. Pour moi, je compte sur un véritable engagement, et je serai toute ma vie avec le zèle le plus sincère, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur. JOANNES MARIA CARD. GABRIELLIUS.
640 bis. LE MÊME A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC
[9 janvier 1700].
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
Souffrez, Monsieur, que j'ajoute ici un très humble et très sincère compliment pour Madame de Bernières. Dès que la belle saison reviendra, je prendrai le chemin d'Emeries3 et de Maubeuge.
640 A. LE CARDINAL GABRIELLI A FÉNELON
[9 janvier 1700].
Illustrissime et reverendissime Domine,
Lœtitia longe majori efferri soleo de amicorum consolationibus, quam de meis honoribus; in his enim partem habet etiam fortuna, in illis duntaxat affectus'. Quidquid enim exultationis in hac mea ad cardinalatum promotione (que prœter omnem meam expectationem et desiderium, ac prorsus ex inopinato contigit)2 expertus sum, id ex hoc uno potissimum capite profluxit, nempe ex certa prœvisione lœtitiœ, quam exinde perceptura erat Dominatio vestra illustrissima, cujus totus ego ex asse sum. Hœc namque est jugis consolatio mea (Deus scit, quod non mentior3) intentis mentis meae oculis assidue admirari, et mecum animo indesinenter revolvere praeclarissimas vestri heroici pectoris dotes, eximiam religionem ac pietatem extremis probationibus tentatam et ubique summis prœconiis celebratam, pastoralem vigilantiam apostolicis temporibus dignam, omnigenam doctrinam ac eruditionem locupletissime comprobatam, invictum animi robur, ac ut verbo rem absolvam, virtutum universarum complexionem omni invidia majorem.
Illustrissime Domine,
Geminis litteris Dominatio tua illustrissima, vergente ad finem anno proxime superiori, me honorare dignata est, altera die 25 novembris conscripta, altera vero die 4 decembris '. Ex acceptissima prima tua epistola incredibilem hausi voluptatem de optimis nuntiis jam aliunde publica fama mihi notis, domini mei Sebastiani, cujus eximiorum meritorum memoria meo e pectore non prius elabetur quam hec anima: eadem quippe mihi erit et vivendi, et de eo assidue cogitandi ac loquendi meta. Non parum quoque delectamenti mihi conciliavit illa prœlibatœ tuœ prime epistolœ particula de libro F. D. Julii nuper istis in regionibus edito2, cujus si unicum exemplar absque gravi tuo incommodo obtinere possem, id mihi pergratissimum foret.
Alterius tuœ epistolœ argumentum potius consolatorium quam gratulatorium esse debebat3. Sperabam namque, me exacto generalatus munere, in solitudine, quam maxime amabam, liberum ab omni cura deinceps mihi et Deo vacaturum, cum ex improviso nihil mihi tale cogitanti affertur nuntius de mea in amplissimum cardinalium collegium cooptatione. Dum enim consistorium die 14 novembris habebatur, et cardinalium creatio peragebatur, ego omnium harum rerum penitus inscius, disputationi thesium de theologia polemica in collegio Urbano de Propaganda Fide, pro meo munere actu presidebam. Vix adduci potui, ut quinto hac de re misso nuntio fidem prœstarem, adeo alienus ab hoc negotio degebam. Elegeram siquidem, ut cum meo s[ancto] P[atre] Bernardo loquar, abjectus esse in domo Dei mei', et in convivio ejus recumbere in novissimo loco; sed placuit dicere ei qui me invitavit : Amice, ascende superius5. Timeo tamen, ne forte contingat, sero miserabilem illam emittere vocem : A facie irae et indignationis tuœ elevans allisisti me'. Verum, ut plures amici mihi ex eodem sancto abbate repo-
50 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
11 janvier 1700 TEXTE 51
11 janvier 1700
suerunt : Digitus Dei fuit iste suscitans de pulvere egenum, et de stercore erigens pauperem, ut sedeat cum principibus'. Ceterum candide pro more meo sensum hunc meum aperire debeo. Pro certo habeat Dominatio tua, quod D. Julius non in aliud (prœter Deum) refundere potest sue exaltationis causam, quam in commodatam a se advocationem domino Sebastiano. Scio quod loquor. Non possum plura fidere charte. Hoc unum scias, et obstupescas. A tribus mensibus D. Basilius [Innocentius XII] quibusdam aperte et rotundis verbis declaravit, se velle facere monachum [cardinalem] D. Sebastianum [arch. Cameracensem] S; sed hœc publica declaratio forte negotii exitum interturbavit. Jam noverit Dominatio tua, quomodo, die 22 novembris, qua in ecclesia (nempe in illa ubi altero anno pro die festo sancti Bernardi scena illa adornata ex suggestu fuit), qua in functione, quibus presentibus delatum fuerit Morimundum9 istud nuntium de mea promotione, cui post decem dies supervenit promotio domini cardinalis Radolovik, archiepiscopi Theatini Dominus Erasmus [abbas Bossuet], ut mihi certa et fideli relatione constat, ante suum ab Urbe discessum, palam jactitavit, se tot ac tanta maledicta contra Julium [cardinal. Gabriellium] D. Basilio [Innocentio XII] evomuisse, ut illius res omnino desperatœ et deploratœ essent ". Sed alia Dei, alia malignantium consilia sunt. Hœc omnia penitus secreta serves, et tantummodo credas illa domino meo Sebastiano [arch. Cameracensi], cujus unius gratiam pluris facio, quam omnium hominum totius mundi. Proinde te recipio in vadem conservationis gratiœ ejusdem mei domini, cujus jussa, queso, mihi impetres; et interim me tuis precibus apud Deum commendo, Dominationis vestrœ illustrissimœ addictissimus.
Votre réponse', mon bon Archevêque, m'a fait un plaisir que je ne puis vous exprimer. Elle m'a découvert à mes propres yeux, elle a porté la lumière dans les endroits que la nature ne voulait point voir. Il me paraît clairement que tout ce que vous me dites est vrai. Il me semble même que depuis que vous me l'avez dit par votre lettre, la même chose m'est presque continuellement redite au dedans. Je suis averti, et chaque avertissement tout prompt et léger qu'il est, porte sa conviction avec soi'. Pour l'exécution, ce n'est pas la même chose. Il y a quelque changement en moi, mais très petit. Je cesse souvent d'écouter ces avertissements intérieurs dont l'impression s'efface dans le moment qu'on y est sourd, et je demeure enveloppé dans la foule de paroles et d'actions ou circonstances superflues. Cependant il me semble que j'ai bon courage, et votre lettre est pour mon coeur une loi inviolable dont il est bien résolu de ne se départir jamais.
Vous ne me marquez point, bon Archevêque, le temps que je dois donner ordinairement à l'oraison par jour. Ce n'est pas pour m'y attacher scrupu leusement que je le demande, je vois bien que cette attache serait opposée à la voie', mais c'est pour prendre ce temps quand des occupations très nécessaires ou le mouvement de la grâce même ne l'empêchera pas.
Ce que vous me dites de la lecture posée et en esprit d'oraison convient tout à fait [à] mon état. Mais vous ne me marquez point les livres que vous me conseillez, et je serais bien aise en tout cela d'obéir plutôt que d'agir de moi-même quand je ne sens point d'attrait particulier pour une certaine lecture. Car dans le défaut d'attrait marqué la curiosité qui m'est si naturelle peut être la cause de mon choix.
Vous ne me répondez point non plus sur le temps de mes confessions et communions. Ordinairement je désire fort de communier deux ou même quelquefois trois fois par semaine et je le fais communément deux fois. Pour les confessions je me sens de l'éloignement de les faire fréquemment. Souvent au bout d'un mois, j'ai envie de différer. Cela va quelquefois jusqu'à deux avant que j'en sente le désir. Quelquefois, mais plus rarement, j'ai impatience de me confesser plus tôt. Je me sens comme surchargé jusqu'à ce que je l'ai fait, quoique je n'aie alors rien à dire de différent de l'ordinaire.
Mais, mon cher Archevêque, ce que vous me proposez d'excellent et dont le choix est bien difficile, c'est le commerce d'une personne avec qui l'on s'ouvre pleinement et sans réserve en toute simplicité. Je n'en vois qu'une qui ait pour cela tout ce qu'il faut, c'est-à-dire qui soit dans la voie, qui ait de la grâce, que je puisse voir assez souvent sans qu'on le remarque ou s'en étonne, qui soit franche et simple. C'est la Bon[ne] Pet[ite] Duch[esseP. Mais je vois en elle bien des choses que je n'approuve pas et quoiqu'elles ne soient point essentielles, je ne pourrais lui parler franchement sans les lui dire. Apparemment cela ne lui conviendrait pas. Ces choses sont un peu trop de liberté en beaucoup de choses où une personne aussi avancée n'en devrait pas prendre. Cependant je n'en juge pas, et je n'aurai nulle peine à lier avec elle ce commerce de simplicité si vous le voulez. Je ne vois nulle autre personne qui me convienne pour cela, comme je viens de le dire. Car je doute que Marv.5 y fût propre, ni même peut-être le B[on] D[uc] 6 que je ne vois pas même assez de suite pour ce commerce, et je n'en sais' nul autre. Mandez-moi donc votre avis sur cet article, ou plutôt votre volonté que je veux suivre en tout. Voilà, mon très cher Archevêque, ce que j'avais bien envie de répondre à votre dernière lettre. Vous pouvez juger si vous aviez raison de douter que votre franchise et votre ouverture me fît plaisir. Je sais que Dieu me parle par vous. Je sens que ce qu'il vous fait dire porte sa grâce avec soi. Je me sens ouvert et petit avec joie sous votre main, quoique nature en ait d'abord un peu de tristesse et de serrement', mais passager et sans suite. Je me sens enfin une liaison intime du coeur avec vous qui me porte et m'unit à Dieu. Je vous mande tout de suite et sans réflexion ce qui me vient dans le temps que j'écris, et je ne le relis point. Adieu, mon très bon, aimons-nous. Demeurez unis en notre Dieu sans entre-deux et pour toujours.
Rome, 9 januarii 1700.
J. M. CARDINALIS GABRIELLIUS.
640 B. LE DUC DE CHEVREUSE A FÉNELON
A Paris le 11e janvier 1700.
52 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 15 janvier 1700
Cum mirificam Eminentiae vestrœ erga me humanitatem jamdudum perspectam habuerim, minime vereor, ne in scribendis quœ Cameracensem archiepiscopum spectant ipsi molestus sim. Hac igitur fretus ad rem aggrediendam propero.
Innumeri scatent in hisce regni finibus mercatores, qui, ut rem faciant, quoscumque pessimœ note libros ex Hollandia in Franciam per Belgium subdole transvehunt. Hoc negociationis genus, quod usu pristino per bella diutina convaluit, ut animarum perniciem œgerrime tulit antistes noster. Frustra sœpe questus, quos deprehendit libros, vel impios, vel obscenos, sua manu combussit. Inter tot bibliopolas, qui aliis in civitatibus finitimis huic male arti operam navant, unus erat Cameraci tenuissimus qui hujusmodi libros Bruxellis coemptos furtive huc trajicere, ac postea aut popularibus suis venditare, aut Parisios usque a bibliopolis disseminandos transmittere consueverat. His mercimoniis per viginti circiter annos vitam toleravit. Nudiustertius, jubente per litteras Rege, togatus prœfectus ex improviso advolat. Unus ille misellus tot inter alios longe famosiores ex industria deligitur, quippe qui prœ archiepiscopi vicinitate, ad prœtexendam calumniam aptior visus est. In vincula conjicitur, interrogatur ; pauca queque extant volumina, et chartulœ capsa incluse ad Regem mittuntur. Grandis rumor longe lateque dimanat.
Jam ni fallor sagacissimus Ecclesiœ princeps me narrantem antevertit, et dolum exploratum habet. Hac omnia instigantibus archiepiscopi adversariis facta esse nemo non videt. Etenim illis persuasum est multa libri a summo Pontifice damnati exemplaria, in bibliopole taberna se deprehensuros ; et continuo tum Versaliis, tum Rome neminem dubitaturum, quin antistes Sedi apostolicœ ficte et fraudulenter obtemperans, gregi sibi credito quietisticum venenum pertinacissime propinaret.
Neque tamen, etiamsi res, ita ut sperabant, cessisset, antistes jure merito fuisset culpandus. Quid enim ab aequo alienius, quam id imputare antistiti, scilicet quod librum suum damnatum, cum sexcentis aliis impiis et obscenis, ipso aperte invito, mercator ille cum sociis innumeris, sola lucri cupidine, impune venditasset ? Verum, ita volente Deo, quœ tanto apparatu structœ erant insidiœ, ad evidentiorem innocentis purgationem verse sunt. Namque jam constat mercatorem interceptum ne quidem unum libri damnati volumen domi habuisse. Tantummodo inventa sunt in illius promptuario cum variis libellis satirici generis ex Hollandia passim affluentibus, paucissima aliquot residua exemplaria hinc inde Cameracensi et Meldensi conflictantibus Epistolarum, quas ab anno proxime elapso palam vendendas emerat. Hœc itaque scripta sic promiscue reperta, quantum innocue sint asservata, aperte demonstrant. Quod vero maxime observandum mihi videtur, ipsemet mercator, hebeti propemodum ingenio, doli expers, et omnino imparatus, et hac de re a prœfecto subtilissime interrogatus, repente declaravit antistitem ejusque familiares, ex quo damnatio libri innotuit, expressissime vetuisse, 26 janvier 1700
ne scripta etiam apologetica, nedum liber damnatus, apud eum in posterum clam venirent.
Quœ cum ita sint, eminentissime Domine, jam omnino compertum est, quo animi candore, et qua intima docilitate ingenii, antistes noster judicio apostolico per omnia constanter obsequatur. Quibus autem machinationibus adversarii inexpleto odio prœtextus aucupentur, ut bellum instaurent, hinc facile colligit etiam ipsum vulgus imperitum. Porro quœ nunc ad Eminentiam vestram scripsi, non divulganda, imo alto silentio premenda existimo, ut selectis tantum auribus, loco, et tempore, cautissime instillentur, nisi forte adversarii hœc ipsa objiciant. Neque enim in ea occasione quidquam negro animo fertur, aut emittitur ulla querimonia. Tacere autem nequeo Eminentiœ vestre,me certiorem factum fuisse, antistitis nostri adversarios nihil intentatum etiamnum relinquere, ut in curia Romana animos singulos sinistre prœoccupent. Cardinalis ipse Coloredus2 (hoc certissime exploratum habui) nunc ita jam affectus videtur, ut Cameracensem archiepiscopum in errorem vere impegisse putet, nec satis esse quod ipse errorem condemnaverit, nisi se errasse fateatur. Atqui si revera error (quod humanum est) olim subrepsisset, id palam in confesso haberi vellem. Ea enim magnanimi confessione erroris nota elueretur. Cum autem archiepiscopum, quem fere a puero familiarissime et penitus novi, nusquam errasse aut variasse mihi absolutissime constet, ipsi coram Deo gratulor, quod imperterritus, sedandœ tempestatis causa, in seipsum Spiritui sancto mentiri nolit. Quocirca piissimum cardinalem Coloredum de integerrima antistitis doctrina rectius sentire summopere vellem. Animus tamen, jam illa opinione occupa-tus, summa dexteritate, ut melius nosti, et sensim adeundus est. Quœ quidem omnia si minus cordato aut minus benefico Ecclesie principi crederentur, valde sollicitus forem. Verum ubi memini, cui, et de quo scribam, neque arcani commissi, neque epistolœ fusius scriptœ me poenitet.
Perenni cum animi cultu et affectu devotissimo subscribor.
641 A. LE CARDINAL RADOLOVIC' A FÉNELON
[26 janvier 1700].
Illustrissime ac Reverendissime Domine,
Quod collata mihi per summum Pontificem dignitas, eas a D. V. illustrissima lœtitiœ voces expresserit, quas luculentissimis ad me litteris consignatas accepi, perjucundum id mihi quidem et multo gratissimum fuit, cum intelligam non nisi ex eo quod unice me diligas, factum, ut propositum tibi jampridem tacendi studium tue de meis honoribus gratulationi posthaberes. Illud scilicet tacendi studium, quod merito appellaverim silentium triomphale; quale fuisse sanctus Ambrosius ait, quod Christus Dominus tenuit et Patris amore et nomine provocatus tantum interrupit. Ex quo facile tibi persuasum fuerit quo sim loco habiturus perspectam adeo voluntatis erga me tue
AU CARDINAL GABRIELLI
641.
[Vers le 15 janvier 1700].
Eminentissime Domine,
TEXTE 53
54 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 27 janvier 1700
testificationem, et quam grato animo sim daturus operam, ut amplissimis muftis tuis, et expectationi de me tuœ respondeam. Dominationis Vestrœ Illustrissimœ servus.
Romœ 26 januarii 1700.
N. CARD. RADULOVICUS.
642. AU DUC DE CHEVREUSE
27 janvier 1700
Votre lettre', mon bon Duc, m'a fait un plaisir que nul terme ne peut exprimer, et ce plaisir m'a fait voir à quel point je vous aime. Il me semble que vous entrez, du moins par conviction, précisément dans ce que Dieu demande de vous, et faute de quoi votre travail serait inutile. Comme vous y entrez, je n'ai rien à répéter du contenu de ma première lettre. Je prie Dieu que vous y entriez moins par réflexion et par raison propre, que par simplicité, petitesse, docilité, et désappropriation2 de votre lumière. Si vous y entrez, non en vous rendant ces choses propres et en les possédant, mais en vous laissant posséder tout entier par elles, vous verrez le changement qu'elles feront sur le fond de votre naturel et sur toutes les habitudes. Croyez, et vous recevrez selon la mesure de votre foi.
Pour l'oraison, je crois que vous la devez faire sur un livre, que vous laisserez à chaque moment que Dieu vous occupera seul. Pour le choix du livre, j'ai compté que vous prendriez un de ceux que vous m'avez nommés, comme étant pleins d'onction et de nourriture pour votre coeur. Parmi ceux de ce genre, prenez, sans vous gêner, ceux qui vous porteront le plus à une simple présence de Dieu', qui fasse cesser l'activité de votre esprit. Vous pouvez même prendre dans chaque livre les endroits qui seront nourrissants pour vous, et laisser librement les autres.
Pour le temps de votre oraison, je voudrais le partager, s'il se pouvait en diverses heures de la journée, une partie le matin et une autre vers le soir; le matin, on n'est levé que quand on veut bien l'être: on peut par là sauver' du temps. Le soir, on peut, sous prétexte des affaires, sauver une demi-heure dans son cabinet, donner à l'oraison ce que vous donneriez à la curiosité des sciences: ce sera un double profit pour mourir à vos goûts d'esprit, et pour vivre de Dieu. Les voyages que vous faites fréquemment sont encore très commodes; faites oraison en carrosse. Les séjours de Marli sont aussi des temps de retraite et de liberté. Je ne vous propose point une durée précise de vos oraisons, parce que je voudrais les mesurer ou sur l'attrait, ou sur le besoin. Si l'attrait vous y attache longtemps, je voudrais faire durer cette occupation autant que votre santé et vos devoirs extérieurs le pourraient permettre. Si l'attrait se fait moins sentir, mais que l'expérience vous fasse trouver que ce n'est que par une certaine persévérance dans l'oraison que vous laissez tomber' ce qui vous dissipe et que vous faites taire votre esprit ; je voudrais encore, en ce cas, donner patiemment à l'oraison le temps d'opérer chaque fois en vous ce silence profond des pensées qui vous est si nécessaire. Ainsi je ne saurais vous donner une règle fixe; mais Dieu vous la fera trouver.
27 janvier 1700 TEXTE 55
Faites là-dessus ce qu'on fait en prenant des eaux; commencez par quelque chose de médiocre, et accoutumez-vous peu à peu à augmenter la mesure. Ensuite vous me ferez savoir quelles seront là-dessus vos expériences 6.
Pour vos communions, j'approuve fort que vous les fassiez deux ou trois fois la semaine; mais je voudrais que vous suivissiez plus à cet égard la règle intérieure du besoin ou de l'attrait, que l'extérieur de certains jours. Je voudrais que vous variassiez un peu les lieux de vos communions, pour ne faire de peine à personne'; mais sans gêne politique, chose qui serait pernicieuse pour vous.
Pour vos confessions, vous avez raison de ne les faire point souvent, ni à certains jours réglés. Il suffit de les faire quand le besoin en est un peu marqué: cela n'ira point trop loin. Vous aviez un confesseur qui n'était pas gênant là-dessus : si vous avez le même, vous pouvez agir librement.
Le chapitre le plus difficile à traiter est le choix d'une personne à qui vous puissiez ouvrir votre coeur. Mar. ne vous convient pas: le bon Duc n'est pas en état de vous élargir, étant lui-même trop étroit. Je ne vois que la bonne petite D. 8; elle a ses défauts, mais vous pouvez les lui dire, sans vouloir décider. Les avis qu'on donne ne blessent d'ordinaire qu'à cause qu'on les donne comme certainement vrais. Il ne faut ni juger, ni vouloir être cru. Il faut dire ce qu'on pense, non avec autorité, et comptant qu'une personne aura tort si elle ne se laisse corriger, mais simplement pour décharger son coeur, pour n'user point d'une réserve contraire à la simplicité, pour ne manquer pas à une personne qu'on aime, mais sans préférer nos lumières aux siennes, comptant qu'on peut facilement se tromper et se scandaliser mal à propos; enfin étant aussi content de n'être pas cru, si on dit mal, que d'être cru si on dit bien. Quand on donne des avis avec ces dispositions, on les donne doucement, et on les fait aimer. S'ils sont vrais, ils entrent dans le coeur de la personne qui en a besoin, et y portent la grâce avec eux; s'ils ne sont pas vrais, on se désabuse avec plaisir soi-même, et on reconnaît qu'on avait pris, en tout ou en partie, certaines choses extérieures autrement qu'elles ne doivent être prises. La bonne... est vive, brusque et libre; mais elle est bonne, droite, simple, et ferme contre elle-même, dans l'étendue de ce qu'elle connaît. Je vois même qu'elle s'est beaucoup modérée depuis deux ans 9; elle n'est point parfaite, mais personne ne l'est. Attendez-vous que Dieu vous envoie un ange? A tout prendre, elle est, si je ne me trompe, sans comparaison, ce que vous pouvez trouver de meilleur. Elle a de la lumière; elle vous aime; vous l'aimez; vous vous connaissez; vous pouvez vous voir '°; vous lui ferez du bien, et j'espère qu'elle vous le rendra même avec usure. Ne vous rebutez point de ses défauts : les apôtres en avaient. Saint Paul ne voulait pas qu'on méprisât son extérieur, praesentia corporis infirma", quoique cet extérieur n'eût point de proportion avec la gravité de ses lettres. Il faut toujours quelque contre-poids pour rabaisser la personne, et quelque voile pour exercer la foi des spectateurs. Si la bonne... vous parle trop librement, et si ses avis ne vous conviennent pas, vous pouvez le lui dire simplement : elle s'arrêtera d'abord. Si les avis que vous lui donnerez la blessent, elle vous en avertira de même. Vous ne déciderez rien de part ni d'autre, et chacun pourra, d'un moment à l'autre, borner les ouvertures de coeur. Je me charge de régler tout entre vous deux, et de modérer tout ce qui irait trop loin. Dieu ne permettra pas que cette liaison de grâce se tourne mal, pourvu que vous y entriez avec
56 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 29 janvier 1700
un coeur petit et un esprit désapproprié. Vous verrez même que les obstacles, qui paraissent grands de loin, seront beaucoup moindres de près. Quand même vous y trouveriez quelques peines, n'en faut-il pas trouver, et peut-on être aidé à mourir sans peine et sans douleur? Je vous réponds que la bonne... fera ce que vous souhaiterez autant qu'elle le pourra, et que, pour le reste, elle s'accommodera de ce que je réglerai. Voilà mes pensées, mon bon Duc; corrigez-les si elles ne sont pas bonnes. Dieu voit mon coeur, dont la tendresse redouble pour vous. Je le prie de mettre dans le vôtre tout ce qu'il faut pour remplir ses desseins sur vous.
643. A LA COMTESSE DE MONTBERON'
4 février [1700]
qui sent jusqu'aux moindres imperfections. En vous perfectionnant avec cette simplicité humble, vous serez compatissante pour les infirmités d'autrui, et vous aurez la véritable délicatesse sans mépris ni dégoût pour les choses qui paraissent faibles, petites et grossières. O que la délicatesse dont le monde se glorifie est grossière et basse, en comparaison de celle que je vous souhaite de tout mon coeur !
A C[ambray], 4 février [1700].
644. A DOM FR. LAMY
TEXTE 57
[29 janvier 1700].
Le jour de S. Fr[ançois] de Sales est une grande fête pour moi', Madame. Je prie aujourd'hui de tout mon coeur le saint d'obtenir de Dieu pour vous l'esprit dont il a été lui-même rempli. Il ne comptait pour rien le monde. Vous verrez par ses Lettres et par sa Vie, qu'il recevait avec la même paix, et dans le même esprit d'anéantissement, les plus grands honneurs et les plus dures contradictions. Son style naïf montre une simplicité aimable, qui est au-dessus de toutes les grâces de l'esprit profane. Vous voyez un homme qui, avec une grande pénétration, et une parfaite délicatesse pour juger du fond des choses, et pour connaître le coeur humain, ne songeait qu'à parler en bon homme, pour consoler, pour soulager, pour éclairer, pour perfectionner son prochain. Personne ne connaissait mieux que lui la plus haute perfection. Mais il se rapetissait pour les petits, et ne dédaignait jamais rien. Il se faisait tout à tous, non pour plaire à tous, mais pour les gagner tous, et pour les gagner à J[ésus-]C[hrist] et non à soi. Voilà, Madame, l'esprit du saint3 que je souhaite de voir répandu en vous. Compter pour rien le monde, sans hauteur, ni dépit, c'est vivre de la foi. N'être point enivré de ce qui nous flatte, ni découragé par ce qui nous contredit, mais porter d'un esprit égal ces deux extrémités, et aller toujours devant soi avec une fidélité paisible et sans relâche, ne regardant jamais dans les divers procédés des hommes, que Dieu seul, tantôt soulageant notre faiblesse par les consolations, et tantôt nous exerçant miséricordieusement par les croix. Voilà, Madame, la véritable vie des enfants de Dieu. Vous serez heureuse si vous dites du fond du coeur avec J[ésus-]C[hrist] mais d'une parole intime et permanente: Malheur au monde à cause de ses scandales`! Ses discours et ses jugements ont encore trop de pouvoir sur vous. Il ne mérite point qu'on soit tant occupé de lui. Moins vous voudrez lui plaire, plus vous serez au-dessus de lui. Notre bon saint était autant désabusé de l'esprit que du monde. Et en effet ce qu'on appelle esprit n'est qu'une vaine délicatesse que le monde inspire. Il n'y a point d'autre vrai esprit que la simple et droite raison. La raison n'est jamais droite dans les enfants d'Adam, si Dieu ne la redresse, enS corrigeant nos jugements par les siens, et en nous donnant son esprit, pour nous enseigner toute vérité. Si vous voulez que l'esprit de Dieu vous possède, n'écoutez plus le monde, ne vous écoutez plus vous-même dans vos goûts mondains. N'ayez plus d'autre esprit que celui de l'Evangile, plus d'autre délicatesse, que celle de l'esprit de foi
Il y a un temps infini, mon Révérend Père, que je n'écris plus à personne hors de ce diocèse sans une absolue nécessité. Mais comme je crains que vous ne pensiez que j'aie cessé d'être pour vous tel que je dois être, je crois devoir interrompre mon silence, pour vous assurer que je vous honorerai et chérirai toute ma vie. Rien ne me ferait plus de plaisir que de pouvoir vous en donner des marques solides. Je crois que le silence que je garde sera de votre goût, et que vous trouverez qu'il convient à mon état. Je me borne à mes fonctions. Priez pour moi, je vous en conjure, et procurez-moi les prières des bonnes âmes auxquelles vous pouvez inspirer cette charité. Comme vous n'avez pas les mêmes raisons que moi de vous abstenir d'écrire, je ne crains pas de vous demander des nouvelles de votre santé sur lesquelles je ne modère pas autant ma curiosité, que sur beaucoup d'autres choses.
Je serai toute ma vie, mon cher Père, tout à vous avec une cordiale vénération.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
644 bis. LE CARDINAL GABRIELLI A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC
6 février 1700.
Illustrissime Domine,
Gratissimœ mihi semper accident litterœ Dominationis Vestrœ illustrissime, tametsi eas alio in argumento jucundiori et lœtiori versari mallem. Hoc unum siquidem mihi in deliciis erit, assidue prœ mentis oculis habere, suspicere, venerari ac colere dominum meum ' Sebastianum [arch. Cameracl eique in omnibus obsequi. Hujus etenim incomparabilem zelum in arcendo e sui gregis pabulo pestiferorum librorum virus, heroicam constantiam in perferendis serena fronte adversis, eludendisque mira prudentia insidiosis machinationibus, ac confundendis pertinacissimis œmulis plenis contentione et malignitate, dolosque tota die meditantibus, numquam saris demiror. Multœ porro, ut monet Sapiens2, sunt insidiœ dolosi, et bona in mala convertens insidiatur, et in electis imponit maculam. Grates modo cum patiente referendœ sunt Altissimo, qui dissipavit cogitationes malignorum, ne possint implere manus eorum, quod coeperant, et consilium pravorum dissipavit;. Hœc omnia, et que deinceps Dominatio vestra mihi significare
58 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 12 février 1700
dignabitur, quam sancte arcana servabo, nec nisi alicui D. Sebastiani exploratissimo ac prudentissimo amico quam cautissime aperiam, quemadmodum Neri prœstiti cum eminentissimo domino meo cardinali Radoloviko, nostro communi amico. Quid in hac curia sparserint in D. Sebastianum ejusdem adversarii, non satis mihi perspectum est, utpote qui a die meœ promotionis, 14 novembris, meo ccenobio egredi non potuerim usque ad 3 labentis mensis diem, qua purpureo galero, una cum eminentissimis meis Radoloviko et Sperello°, a summo Pontifice in consistorio secreto donatus fui, et tunc incidenter hœc pauca duntaxat verba excepi a quodam Monacho [cardinalil adverse partis, nimirum, se nolle amplius immisceri quibusdam rebus sibi a D. Erasmo [abb. Bossuet] in D. Sebastianum descriptis 5. Quœ autem Dominationi vestrœ de piissimo illo Monacho perinde ac si iste de sana D. Sebastiani mente in rebus fidei subdubitet, indicata fuere, solerter investigabo, et mea vel alterius communis amici opera, quidquid dubietatis fortasse in eo supererit, ab illius mente eliminare studebo6. Inter hœc D. Julianus ' velis remisque contendit D. Basilii [Innocentii XII] locum occupare, singulosque prehensare affectat; sed id, uti spero, ei ex sententia non succedet, nec ipse aliquot abhinc diebus commoda utitur valetudine. Vale interim, Illustrissime Domine, et plurimam meo nomine salutem dilectissimo meo D. Sebastiano impertias.
Rome, 6 februarii 1700.
Dominationi Vestrœ Illustrissime addictissimus.
J. M. CARD. GABRIELLIUS.
BARBEZIEUX A FÉNELON
A Versailles 12 février 1700.
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sur la mort de l'abbesse de Premy '. Le Roi trouve bon que vous assistiez ou fassiez assister votre grand vicaire à l'élection d'une nouvelle abbesse, et qu'après l'élection vous mettiez ou fassiez mettre en possession la religieuse qui aura été élue. Je leur écris en cette conformité afin qu'elles ne fassent rien que suivant les intentions de Sa Majesté'. Je suis...
645. A H. G. DE PRECIPIANO
[14 février 1700?]
Monseigneur,
Le Père Renon' m'a écrit pour se soumettre en assurant qu'il n'a aucun tort, et pour faire des conditions de paix. En même temps un homme de
TEXTE 59
Braine le Comte est venu me faire des propositions suivant le même dessein. J'ai répondu à ce député pour le faire savoir à la ville de Braine et au Père Renon que je ne pouvais entrer en aucune négociation avec eux, que j'attendais le jugement de M. votre official, et qu'ensuite j'aurais toute sorte de déférence pour vous, Monseigneur, si vous vouliez prendre la peine de finir amiablement cette affaire. Je vous supplie donc très humblement d'avoir la bonté de recommander à M. votre official de nous donner une prompte décision, à moins que le Père Renon ne donne dans les formes un désistement simple et absolu. Dès que le jugement sera prononcé, je serai ravi de suivre vos lumières pour tout ce qui pourra servir à finir le trouble. On ne peut rien ajouter au respect sincère avec lequel je suis, Monseigneur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray, 14 février.
646.
Monseigneur,
J'ai reçu le Père Renon avec toute la douceur qui m'a été possible. Il m'a donné un acte de désistement pur et simple qu'il doit faire autoriser par M. votre official. Il reste deux choses à faire à son égard. La première est de lever l'interdit, et même l'irrégularité occulte, s'il l'a encourue'. C'est ce que je ferai, Monseigneur, quand vous le jugerez à propos, et vous en êtes le maître absolu. Mais je croirais qu'il serait bon de régler auparavant la seconde chose qui est le lieu, où il doit demeurer. Il me paraît qu'une absence du diocèse de Cambray lui serait fort utile pour laisser oublier ce qui s'est passé. De plus nous n'avons pour le présent aucun emploi à lui donner pour sa subsistance. Ainsi il est fort à souhaiter, Monseigneur, qu'il puisse aller pour quelque temps travailler dans quelque maison où il rendra facilement des services, parce qu'il a du talent et de l'expérience. S'il obtient de votre bonté, comme il l'espère, quelque place pour travailler', je vous enverrai d'abord un écrit pour lever l'interdit, et en cas de besoin l'irrégularité, afin que vous lui accordiez cette grâce, et qu'il la doive à vous seul. Ensuite je le rappellerai dans ce diocèse et lui donnerai même de l'emploi quand il se présentera des occasions et que vous jugerez qu'il aura été assez longtemps absent. Pour les habitants de Braine, ils doivent, Monseigneur, de concert avec le Père Renon, présenter ce désistement à M. votre official Je les traiterai avec tous les ménagements possibles et ils ne doivent pas craindre que je songe à changer l'union qui a été faite de leur cure par le Pape avec l'oratoire de saint Philippes qui est entièrement séparée de celle de Berulle. Je ne désire que la paix, la règle, et l'éloignement de tout ce qui peut alarmer les esprits. En toute
18 février 1700
644 A.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
AU MÊME
[18 février 17001.
60 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
20 février [17001
22 février [1700?] TEXTE 61
occasion je tâcherai de montrer le respect et la vénération très particulière avec laquelle je suis, Monseigneur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray, 18 février.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
647. Au MÊME
[20 février 1700?].
Monseigneur,
Je n'ai pas cru qu'il fût à propos de mettre dans les mains du Père Renon l'écrit d'absolution pour lui que je veux faire passer dans les vôtres, sur la censure qu'il semble avoir encourue, et même sur l'irrégularité, où il peut être tombé par le moyen de la censure même. Mais je me hâte de vous l'envoyer, Monseigneur, afin que vous soyez le maître absolu d'en faire l'usage qu'il vous plaira, et que vous croirez le plus convenable. Il est certain que le public de ce diocèse, après un si long et si violent scandale, a besoin de voir cet ecclésiastique un peu humilié, et même absent, au moins pour quelque temps. Pour moi, je ne lui ai témoigné que de la douceur, et de la bonne volonté, en lui représentant devant Dieu sa faute. S'il peut être reçu dans la communauté de Montaigu ', comme il paraît le souhaiter, et l'espérer de votre protection, il n'y sera pas inutile, car il a du talent. Un intervalle d'absence fera oublier dans ce diocèse ce qui s'est passé. Il sera trop heureux, s'il travaille fidèlement sous vos ordres. Je vous répète encore, Monseigneur, que mon intention n'est pas de changer l'union de la maison de Braine, et que l'alarme qu'on avait prise là-dessus n'a aucun solide fondement'. Je suis avec un respect et une vénération très forte, Monseigneur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray, 20 février. FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
648. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Lundi 22 février [1700].
Ne croyez point, s'il vous plaît, Madame, que je manque de zèle pour vous aider dans vos besoins. On ne peut être plus touché que je le suis de tout ce qui vous regarde. Je vois vos bonnes intentions, et la soif que Dieu vous donne pour toutes les vérités qui peuvent vous mettre en état de lui plaire. Si je suis réservé, ce n'est que par pure discrétion pour vous ', et comme je ne le suis que pour vous, c'est à vous à régler la manière dont il convient que je le sois. Du reste j'aimerais mieux mourir que de manquer aux besoins des âmes qui me sont confiées, et surtout de la vôtre qui m'est très chère en Notre] S[eigneur].
Votre piété est un peu trop vive et trop inquiète, Ne vous défiez point de Dieu. Pourvu que vous ne lui manquiez point, il ne vous manquera pas, et il vous donnera les secours nécessaires pour aller à lui. Ou sa providence vous procurera des conseils au dehors, ou son esprit suppléera au dedans ce qu'il vous ôtera extérieurement. Croyez en Dieu fidèle dans ses promesses, et il vous donnera selon la mesure de votre foi. Fussiez-vous abandonnée de tous les hommes dans un désert inaccessible, la manne y tomberait du ciel pour vous seule, et les eaux abondantes couleraient des rochers. Ne craignez donc que de manquer à Dieu, et encore ne faut-il pas le craindre jusqu'à se troubler. Supportez-vous vous-même, comme on supporte le prochain, sans le flatter dans ses imperfections. Laissez là toutes vos délicatesses d'esprit et de sentiments. Vous voudriez les avoir avec Dieu comme avec les hommes. Il se glisse dans ces merveilles un raffinement de goût, et un retour subtil sur soi-même. Soyez simple avec celui qui aime à se communiquer aux âmes simples. Devenez grossière, non par vraie grossièreté, mais par renoncement à toutes les délicatesses que le goût de l'esprit donne. Bienheureux les pauvres d'esprit' qui ont fait voeu de pauvreté spirituelle, et qui n'ont jamais pour l'esprit que le nécessaire dans une continuelle mendicité, et dans un abandon sans réserve à la Providence. O que je serais ravi, Madame, si je vous voyais négligée pour l'esprit, comme une personne pénitente l'est pour les parures du corps. Je ne parle point à Madame la comtesse...', mais j'en suis très édifié.
649. Au DOYEN DE CHRÉTIENTÉ DE MAUBEUGE'
A Cambray, 22 février [1700?].
J'ai appris, Monsieur, que plusieurs pasteurs de votre district se donnent une liberté mal édifiante. Ils appellent chez eux des violons pour y faire danser leurs servantes, leurs parents et quelques amis. Vous savez le péril des danses dans les villages entre personnes de différent sexe, et le zèle de tous les bons pasteurs pour retrancher cette occasion de péché. En effet, il serait à souhaiter qu'on pût épargner ce piège à la fragilité des jeunes garçons et des jeunes filles. Mais les peuples pourront-ils être dociles aux salutaires avertissements des pasteurs alarmés, tandis qu'ils verront d'autres pasteurs se moquer de toutes ces craintes, et pratiquer chez eux ce que leurs confrères condamnent? N'est-ce pas autoriser le désordre? n'est-ce pas montrer une division dans le clergé? n'est-ce pas faire un grand scandale? Pour moi, quoique je veuille toujours ménager MM. les pasteurs avec de grands égards, je ne puis m'empêcher d'être vivement affligé de cette conduite si relâchée de quelques-uns d'entre eux, supposé que le fait soit tel qu'on me l'a assuré. Mais je souhaite de tout mon coeur que l'avis qu'on m'a donné ne soit pas véritable. Les pasteurs qu'on m'a nommés sont ceux de Coursobrel, d'Estrux3, de Berelle, de Sobrème, de Requins' et de Bersilly-l'Abbaye 7. Parlez-leur, s'il vous plaît, Monsieur, de ma part, fortement et avec amitié. Montrez-leur même cette lettre. Je suis en vérité de tout mon coeur, tout à vous.
62 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 27 février 1700
649 A. BARBEZIEUX A FÉNELON
A Versailles 27 février 1700.
Monsieur,
J'ai reçu la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire le 18e de ce mois. Je vous adresse la réponse que Mons. l'évêque de Saint-Omer a faite à votre mémoire. Je vous prie de me la renvoyer après que vous l'aurez lue, avec ce que vous jugerez à propos d'y répondre, pour en rendre compte au Roi '. Je suis... 3 mars [1700] TEXTE 63
peuple. C'est avec douleur, Monsieur, que je me vois réduit à faire beaucoup de peine à tant d'honnêtes gens qui souffrent effectivement quelque incommodité. Mais nous sommes dans un ministère qui nous oblige, souvent malgré nous, à contrister les gens que nous estimons, et à qui nous voudrions plaire. Qui est-ce qui maintiendra la loi si nous l'abandonnons? A la fin, on nous mènerait pied à pied, surtout dans les frontières, à un oubli entier du jeûne et de l'abstinence? Pardon, Monsieur, d'un si ennuyeux détail. Personne au monde ne peut vous honorer plus cordialement que moi, ni être avec plus de zèle que je le serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 2 mars.
FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.
650. A MAIGNART DE BERNIÈRES
[2 mars 1700].
Monsieur,
On ne peut être plus édifié que je le suis du zèle avec lequel vous travaillez à faire observer les lois de l'Eglise pour le carême. Jugez, s'il vous plaît, par là, avec quelle joie je vais vous exposer toutes mes pensées. M. l'évêque d'Arras, et ensuite M. le grand-vicaire de Tournay ', m'ont pressé, sur de fortes raisons, de rétablir de concert avec eux cette année la loi du carême, qui commençait à s'abolir par le non-usage. Leurs raisons m'ont touché, et je m'y suis rendu. C'est sur cette vue commune, Monsieur, que j'ai pris mes résolutions particulières. Il m'a paru que la règle ne se rétablirait jamais, si on ne se hâtait de la renouveler après dix ans de dispense continuelle. La paix est confirmée depuis plus de deux ans. L'hiver est doux, la saison assez avancée, et on doit avoir plus de légumes que les autres années. La cherté diminue tous les jours. Si nous laissions encore les peuples manger des oeufs, il en arriverait une espèce de prescription contre la loi, comme il est arrivé pour le lait, pour le beurre et pour le fromage. Les raisons considérables qui vous touchent, Monsieur, sont pour toutes les autres années autant que pour celle-ci. Maubeuge ni son voisinage n'auront jamais ni plus de rivières, ni plus d'étangs poissonneux, ni plus de commerce qu'ils en ont cette année. Ainsi on ne pourrait avoir égard à ces raisons, qu'en comptant d'y avoir égard à perpétuité, et d'achever d'abolir la loi ecclésiastique. A l'égard des militaires, je crains tellement de manquer à ce qui regarde le service du Roi, que je leur ai même accordé des permissions dont on m'assure qu'ils ne se serviront guère. Je permets aux soldats et aux cavaliers, en y comprenant les sergents et les maréchaux des logis, la viande pour quatre jours de la semaine, quoique tout le monde convienne que ces gens-là ne sont point en état d'acheter de la viande. Il est vrai que je n'accorde aucune dispense aux officiers ; mais cette règle fut faite dès l'année passée, et je n'y ajoute rien celle-ci. Je l'ai faite après avoir consulté les personnes les plus expérimentées de ce pays, et de concert avec les autres évêques, qui m'ont paru vouloir tenir ferme à cet égard. Enfin, il n'y a pas d'apparence, Monsieur, que j'accorde aux officiers payés par le Roi, une dispense que je refuse aux plus pauvres d'entre le
651. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Mercredi 3 mars [1700].
Si je n'ai point eu l'honneur, Madame, de vous répondre plus tôt, c'est que je n'ai pas eu un moment de libre. Je prends la liberté de vous répéter que je ne suis réservé, que par discrétion pour vous. Quoique vous n'ayez point de ménagements politiques pour votre personne, celle de [M. le comte de Montberon] et sa place en demandent '.
Vous ne vous trompez pas, Madame, en croyant qu'il ne suffit point d'avoir changé d'objet pour l'ardeur, et qu'il y a une ardeur inquiète, qu'il faut modérer, même dans le service de Dieu, et dans la correction de nos défauts. Cette vue pourra beaucoup servir à vous calmer, sans relâchement, dans votre travail. L'ardeur que vous mettez dans les meilleures choses les altère, et vous donne une agitation d'autant plus contraire à la paix de l'esprit de Dieu, que vous prenez davantage sur vous par pure bienséance, pour la renfermer avec effort toute entière au dedans. Un peu de simplicité vous ferait pratiquer la vertu plus utilement avec moins de peine.
J'approuve fort, Madame, qu'on vous fasse communier tous les quinze jours 3. Ce n'est point trop pour une personne retirée, qui tâche de se renfermer dans ses devoirs, et qui s'occupe à la lecture et à la prière. Vous avez besoin de chercher dans le sacrement de vie et d'amour, la nourriture, la consolation, et la force pour porter vos croix, et pour vaincre vos imperfections. Laissez-vous donc conduire, sans vous juger vous-même, et n'écoutez aucun scrupule pour vos communions.
A l'égard des confessions, je ne saurais vous en rien dire. Il n'y a que votre confesseur qui puisse vous parler juste là-dessus. Dieu ne permettra pas qu'il manque à votre besoin, si vous cherchez en simplicité ce que l'esprit de grâce demande de vous. Marchez avec une foi pleine et entière. Tâchez de faire ce que le confesseur vous dira. Si vous êtes gênée, faites-le-moi savoir; je vous' répondrai le mieux que je pourrai sur les doutes que vous me proposerez.
64 CORRESPONDAN(.L DL FENLLON 9 mars 1700
Je ne saurais vous dire des choses assez précises et assez proportionnées sur vos lectures, et sur votre oraison. Je ne connais pas assez votre goût, votre attrait, votre besoin. Une demie heure de conversation me mettrait au fait; après quoi je pourrais vous écrire, et même vous entendre sur un billet d'une demie page. Voyez là-dessus ce qui convient, sans vous engager à rien faire de trop par rapport aux conjonctures présentes'.
A l'égard de vos habits, il me semble que vous devez avoir égard au goût et à la pente de Monsieur [le comte de Montberon], c'est à lui à décider sur les bienséances. S'il penche à l'épargne là-dessus, vous devez retrancher, autant qu'il le croira à propos, pour payer ses dettes. S'il veut que vous souteniez un certain extérieur, faites par pure complaisance ce que vous croirez apercevoir qu'il veut, et rien au-delà par votre propre goût ou jugement. S'il ne veut rien à cet égard, et qu'il vous laisse absolument à vous-même, je crois que le parti de la médiocrité est le meilleur pour mourir à vous-même. Les extrémités sont de votre goût. Une entière magnificence peut seule contenter votre délicatesse, et votre hauteur raffinée. Une simplicité austère est un autre raffinement d'amour-propre: alors on ne renonce à la grandeur, que par une manière éclatante d'y renoncer. Le milieu est insupportable à l'orgueil. On paraît manquer de goût et se croire paré avec un extérieur bourgeois. J'ai ouï dire qu'on vous a vue autrefois vêtue comme les soeurs de communauté. C'est trop en apparence, et c'est trop peu dans le fond. Un extérieur modéré vous coûtera bien davantage au fond de votre coeur. Mais votre règle absolue est de parler à coeur ouvert à M. le [comte de Montberon], et de suivre sans hésiter ce que vous verrez qui lui plaira le plus. 15 mars [1700] TEXTE 65
653. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Lundi 15 mars [1700].
Nous aurons, Madame, quand il vous plaira, une conversation particulière sur vos exercices de piété. Je la crois à propos, puisque vous ne voyez rien qui doive l'empêcher, et ce sera dans le lieu que vous choisirez. Je n'ai eu jusqu'ici de ménagements que pour vous, et pour votre maison. Quand on a la peste, on craint de la donner aux gens qu'on aime. Moins ils la craignent, plus on la craint pour eux. Une demie heure de conversation simple fera plus que cent lettres', et nous mettra à portée de rendre toutes les lettres utiles, en les rendant proportionnées aux vrais besoins. En attendant je me réjouis de ce que le conseil de pratiquer la médiocrité vous entre dans le coeur. Vous ne deviendrez simple que par là. Toutes les extrémités même en bien ont leur affectation raffinée. La médiocrité, qui ne se fait point remarquer, ne laisse aucun ragoût à l'amour-propre'. Il n'y a que l'amour de Dieu qui ne souffre point ces bornes étroites.
653 bis. FRANÇOIS-SÉRAPHIN DE PARIS' AU P. ***
[15 mars 1700].
Mon Révérend Père,
Malgré les nombreuses occupations que me donne tous les jours mon ministère, je ne saurais, mon bon Père, en passer un seul sans penser à vous, et soyez bien assuré que si je mets quelquefois un peu de retard dans mes réponses, c'est que je ne puis faire autrement. Vous avez reçu des nouvelles de notre bon duc, m'a-t-on dit, et j'ai entendu dire qu'il avait dessein de vous appeler près de lui incessamment. C'est une chose que j'approuve fort, non parce que je la lui ai conseillée, mais parce qu'elle deviendra utile, du moins je l'espère, à tous les deux.
Rome a parlé, mon révérend Père; c'est à moi à me soumettre et à m'humilier. Que M. de Meaux jouisse de sa victoire; il le peut 3: je ne l'en estimerai pas moins pour cela. Celui qui lit au fond des coeurs nous jugera un jour, et c'est à son tribunal que je l'attends.
Recevez mes sincères amitiés, mon bon Père, et me croyez pour la vie, votre, etc.
Si vous êtes surpris du bruit qui court de mon interdit, vous le serez peut-être davantage d'apprendre de moi-même que ce bruit n'est point faux. Je reçus le 15 d'août à midi une lettre datée du 13 qui m'était écrite de la part de Mgr l'archevêque par son secrétaire, qui me signifiait en termes fort honnêtes mon interdit, sans m'en dire la raison, m'assurant qu'il ne la savait pas. Mais un évêque de mes amis ayant appris ma disgrâce par notre R. R gardien', à qui seul j'en avais fait confidence, voulut de son propre mouvement et par un pur effet de la bonté qu'il a pour moi parler en ma faveur à mon dit seigneur l'archevêque; ce qu'il fit dès le lendemain d'une manière fort obligeante. Il n'en put rien obtenir néanmoins à mon avantage, sinon d'apprendre et de me faire savoir que le sujet de mon interdit ne regardait en rien mes moeurs ni ma conduite, mais la doctrine de Mgr de Cambray, nouvellement condamnée que je soutenais, lui dit-il, plus fortement que personne. Je me donnai l'honneur d'écrire une lettre à Mgr l'archevêque, et je me présentai quelques jours après devant sa Grandeur à l'audience publique, dans la pensée qu'il voudrait bien m'entendre comme je l'en avais supplié, sur les plaintes qu'on lui avait faites de moi, en me les expliquant plus en détail; mais il ne voulut point m'écouter et me dit seulement la même chose en ces termes : «Vous avez soutenu, me dit-il, plus fortement que personne les nouvelles doctrines; elles sont condamnées par le Saint Siège et par toute l'Eglise: je ne souffrirai point ces cabales dans mon diocèse. Je suis le maître de mes pouvoirs ; je vous les retire, et je vous remercie des services que vous avez rendus: je n'en ai pas besoin, je ne vous fais en cela aucun tort.» Et comme je lui représentai, le plus honnêtement et le plus humblement qu'il
652. Au P. ***'
A C[ambrai] ce 9 mars 1700.
In solis tu mihi turba locis'.
me fut possible, qu'il n'était que trop vrai qu'il m'allait faire un tort notable par rapport à ma réputation tant au dedans qu'au dehors de mon ordre, chacun croyant être en droit de tout penser et de tout dire d'un religieux interdit par son archevêque et par un archevêque comme lui plein de bonté et d'équité; il me répondit qu'il déclarerait à qui je voudrais, qu'il ne m'avait point interdit pour aucune plainte qui lui eût été faite contre mes moeurs ni contre ma conduite, et ensuite il ajouta: «Ne vous en prenez point au P. Jean-Chrysostome; ce n'est point lui qui m'a fait ces plaintes'. » Je répondis que je n'accusais personne et que, quand les auteurs viendraient à être connus, ce qui pouvait bien arriver, je leur pardonnais par avance de très bon coeur; et sur cela il me quitta.
Depuis ce temps-là je n'ai pu obtenir de sa Grandeur une audience particulière, quoique je l'en aie suppliée très instamment par deux lettres que je me suis donné l'honneur de lui écrire. Ainsi je n'ai point eu de lui à moi aucun éclaircissement; mais un autre évêque, qui a la même bonté pour moi que le précédent, a bien voulu parler en ma faveur à Mgr l'archevêque, et cela par plusieurs fois. Notre R.P. provincial' l'a fait aussi deux ou trois fois et assez fortement, sans rien obtenir à la vérité pour mon rétablissement ; mais cela du moins m'a servi à savoir plus précisément ce qu'on lui a dit contre moi et dont il croit avoir sujet de se plaindre. J'en ai encore appris plusieurs choses par des gens à qui les auteurs de ces plaintes en ont fait confidence. Le tout se réduit à peu près aux chefs suivants.
1° J'ai soutenu très fortement les doctrines nouvelles et condamnées du livre de M. de Cambray. 2° J'ai donné à ce prélat dans tous mes discours des éloges excessifs et au mépris des autres. 3° J'ai fait voir un attachement et un entêtement surprenant à le défendre avant et depuis la condamnation de son livre. 4° J'ai eu avec M. de Cambray un commerce de lettres. Il y en a eu nombre écrites de part et d'autre, et j'en ai reçu de fort gracieuses de ce prélat. 5° Je suis dans mon ordre un chef de parti. 6° J'ai une opposition et un entêtement ridicule contre la doctrine de saint Augustin. 7° J'ai une ambition démesurée et une avidité très grande des charges et du gouvernement.
A tout cela voici ce que j'ai répondu, tant par mes lettres que par ceux qui ont parlé pour moi: 1° que, depuis la condamnation du livre des Maximes, je n'ai pas dit un seul mot sur cette matière dans les conversations où je me suis trouvé, ni pour soutenir ni pour défendre les propositions condamnées, mais au contraire qu'on s'en devait tenir là-dessus à la décision du Saint Siège. 2° Que j'ai toujours parlé à la vérité de cet illustre prélat avec beaucoup de respect et d'estime, et qu'ayant entendu de tous côtés parler de son rare mérite et de ses grandes qualités d'esprit, d'érudition, de vertu, de piété, de bonté, de douceur, de modération, j'ai reçu avec joie ces éloges qu'on lui donnait et je les ai récités' avec plaisir, mais sans intention par là de manquer au respect dû aux autres prélats et sans les mettre jamais en compromis dans tout ce que j'ai dit, et moins Mgr de Paris que tout autre, en ayant toujours parlé, quand l'occasion s'en est présentée, très respectueusement. 3° Avant la condamnation du livre des Maximes j'ai cru qu'il était licite d'y chercher un sens orthodoxe, surtout étant d'un auteur non suspect, d'une très haute réputation en tout genre, célèbre par ses emplois et d'un très grand rang dans l'Eglise, d'en dire son sentiment en attendant avec soumission la décision de
15 mars 1700 TEXTE 67
Rome, et nous n'avions d'aucun endroit des défenses d'en parler favorablement, la dispute pouvait au moins paraître problématique, et nul n'avait pour lors aucun sujet légitime de craindre que dans la suite on lui fît un crime d'un sentiment plutôt [que] d'un autre, bien moins à ceux qui comme moi n'ont ni écrit ni dogmatisé ni prêché sur cette matière, n'en ayant jamais parlé en effet que dans quelques entretiens passagers avec très peu de personnes de ma profession, et toujours si généralement et avec tant de mesures que ceux mêmes du parti contraire, s'ils l'avaient entendu, n'en auraient point été ni scandalisés ni blessés. Et depuis la condamnation, je n'ai jamais parlé sur cet article que pour louer M. de Cambray de sa soumission parfaite et sans restriction aux décisions de l'Eglise, en témoignant qu'il serait à souhaiter que bien d'autres profitassent d'un si rare exemple 6. 4° Pour ce qui est de mon prétendu commerce de lettres avec M. de Cambray, s'il était vrai il pourrait être fort innocent et de sa part et de la mienne, et je ne m'en défendrais pas s'il m'avait fait cet honneur, mais M. de Cambray sait mieux que personne la fausseté de cet article; du moins je puis assurer qu'il ne m'a jamais écrit ni fait écrire aucunes lettres ni gracieuses ni autres, et que personne ne m'a jamais écrit ni parlé de sa part'. 5° On n'a point lieu ni même aucun prétexte vrai ou faux de me qualifier de chef de parti, car par où le serais-je? Je n'enseigne point il y a plus de vingt ans, je n'ai donné au public aucuns écrits ni pour ni contre aucune doctrine. Je ne prêche point il y a sept ou huit années', à raison d'une faiblesse de voix qui m'est survenue et qui ne me permet pas de faire de longs discours en public. Je ne fais ni n'ai fait en ma vie aucune assemblée ni au dedans ni au dehors de l'ordre ni n'ai assisté à aucune où il se soit traité des matières de doctrine telle qu'elle puisse être. Je n'en parle même ni n'en ai jamais parlé que dans des entretiens passagers et à la rencontre, où les hommes de ma profession ont, ce me semble, et ont toujours eu la liberté de s'entretenir avec des gens de lettres scolastiques' et autres, d'auteurs de livres de sentiments et de sujets convenables, disant tantôt pour et tantôt contre une opinion, selon que l'occasion s'en présente, sans que de là on puisse tirer une conséquence juste et précise du sentiment de doctrine que l'on voudrait attribuer à quelqu'un, et c'est pourquoi 6° je proteste que pour ce qui est de la doctrine de saint Augustin à laquelle on m'accuse d'être opposé, je la respecte et la révère et que mon opposition n'est qu'à l'égard de ceux qui en font un mauvais usage contre les règles de l'Eglise prescrites par ses canons et par ses décisions, comme font plusieurs hérétiques '°. 7° Pour ce qui est de l'ambition démesurée qu'on m'attribue, si elle est dans mon coeur Dieu seul en est le juge, mais ce ne sera pas par l'avidité des charges et par l'empressement d'entrer dans le gouvernement qu'on le pourrait prouver. J'aurais facilement là-dessus, et sans le mendier, le témoignage de toute la province en ma faveur. On sait assez que j'ai été toute ma vie fort éloigné de les rechercher; que si j'ai accepté le gardiennat du Marais ", tout le monde a vu et pu concevoir que c'était principalement dans le dessein de faire dans cette maison des réparations et des accommodements nécessaires, après lesquels on attendait depuis quarante ou cinquante ans tant pour le logement des religieux que pour la construction d'un choeur et d'une sacristie à quoi j'ai donné tous mes soins '2, sans me soustraire à ceux que demandait de moi l'acquit de mon ministère; ce qu'aucun supérieur avant moi n'avait voulu entreprendre: que dès aussitôt que ces ouvrages ont
20 mars [1700]
été finis je n'ai plus voulu accepter de gardiennat. Celui du premier couvent de Paris qui est Saint-Honoré me regardait comme premier définiteur et on sait bien que j'y serais actuellement supérieur si je n'y avais pas renoncé' . On sait aussi que, dans le dernier chapitre, j'ai renoncé publiquement au provincialat, nonobstant les instances et les sollicitations de tous les pères du chapitre qui me pressaient de l'accepter '4. Si l'avidité des charges et l'empressement du gouvernement s'accordent avec ce que j'ai fait pour m'en éloigner, j'en laisse juges ceux qui le savent et qui me connaissent.
Tout cela, mon Révérend Père, a été dit ou écrit à Mgr l'archevêque et avec beaucoup d'autres particularités. Par exemple la patience avec laquelle grâce à Dieu j'ai souffert mon interdit sans en murmurer, sans m'en plaindre ni au dedans ni au dehors de l'ordre, ayant même si bien pris soin de le tenir secret, qu'excepté ceux qui m'ont porté le coup aucun de ce couvent même, pendant quatre ou cinq mois, n'en a eu le moindre soupçon. La principale raison pour laquelle j'en ai usé de la sorte est le respect que j'ai pour. Mgr l'archevêque, et pour éviter qu'on ne me fît un nouveau crime à son égard des plaintes que bien des gens en auraient pu faire en prenant part à ma disgrâce, et j'ai su depuis que mes délateurs n'attendaient que cela pour prouver à Mgr l'archevêque la cabale et le parti dont ils me font chef. Mais à la fin impatients de mon silence et de ma patience, ils se sont avisés de publier sourdement mon interdit entre leurs amis et leurs confidents, mais voyant que cette voie n'était pas sûre et ne produisait pas tout l'effet qu'ils souhaitaient contre ma réputation, ils se sont avisés de le faire par des libelles diffamatoires envoyés dans plusieurs couvents de la province, et dont on nous a renvoyé avec indignation un assez bon nombre. On les a montrés à Mgr l'archevêque pour lui faire comprendre quelle a été la fin de ceux qui m'ont décrié dans son esprit '5; mais quoi qu'on lui ait pu dire, les impressions désavantageuses qu'on lui a données de moi demeurent pour constantes dans son esprit '6. J'y suis tel que l'on m'a dépeint. Dieu soit béni de tout. Sa providence l'a permis : je m'y soumets du meilleur de mon coeur et suis avec respect, mon Révérend Père, votre très humble et très obéissant serviteur et ami.
Ce 15e mars 1700.
E FRANÇOIS SÉRAPHIN DE PARIS cap. incl.
Je vous prie, mon Révérend Père, d'aller voir au plus tôt de ma part le gardien des pères Capucins de Maubeuge et le prédicateur de l'église des dames chanoinesses', et de leur dire que le zèle du prédicateur est allé trop loin; que je ne saurais l'excuser, nonobstant l'amitié cordiale que j'ai pour leur ordre', et la persuasion où je suis des intentions pieuses de ce bon père; qu'enfin il est juste d'apaiser M. l'intendant, qui a l'autorité du Roi, et qui est respectable en toute manière; qu'ainsi ce religieux doit s'abstenir de prêcher à Maubeuge, et doit s'en retirer. Je ne laisserai pas de lui donner partout ailleurs, dans ce diocèse, des marques d'estime, pour adoucir ce qui lui est
TEXTE 69
arrivé. S'il hésitait à suivre ce que vous lui direz de ma part, il s'attirerait des ordres fâcheux de la Cour', qui retomberaient sur le corps des Capucins. De plus, je ne pourrais m'empêcher de révoquer ses pouvoirs. Si au contraire il montre en cette occasion la douceur et l'humilité convenable à sa profession, pour réparer cet excès de zèle, il édifiera tout le monde, il apaisera M. l'intendant, peut-être qu'il l'engagera même à le laisser dans ses fonctions, et il me montrera combien il est digne enfant de saint François. Je vous prie de lui lire, et au père gardien, toute cette lettre'. Je vous prie aussi d'aller voir de ma part madame de Maubeuge6, pour la supplier de terminer doucement cette affaire, si elle le peut, et de n'être pas surprise que, par considération pour M. l'intendant, je souhaite qu'il y ait un autre prédicateur dans l'église des dames. Voilà, mon Révérend Père, tout ce que je crois que vous voudrez bien prendre la peine de faire au plus tôt. Voyez aussi, s'il vous plaît, M. l'intendant, pour travailler à bien finir, et à faire rentrer les Capucins dans ses bonnes grâces. Vous savez de quel coeur je suis tout à vous pour toujours.
655. A MAIGNART DE BERNIÈRES.
[20 mars 1700].
Je suis sincèrement affligé de la grande et inexcusable faute du prédicateur capucin. Je suppose qu'il ne l'a faite que par un excès de zèle. Mais ce zèle est très indiscret. Il est juste, Monsieur, que cette faute soit pleinement réparée à votre égard, et qu'on apprenne par cet exemple, combien l'Eglise dans tout ce diocèse respecte en vous, non seulement l'autorité du Roi, mais encore la manière dont vous l'exercez pour le bien de la religion. Dans cette vue j'ai fait écrire par le gardien des Capucins d'ici, qui est un homme fort sage, et fort connu pour tel dans son ordre, à son provincial, afin qu'il retire sans aucun retardement, de Maubeuge, ce prédicateur, et qu'il lui en substitue un autre, qui parle plus discrètement. Plus j'aime les Capucins, moins je veux qu'on puisse attribuer à l'ordre, d'approuver ou d'excuser l'indiscrétion de ce religieux particulier. J'espère même, Monsieur, que vous aurez bien la bonté d'excuser le corps, et de l'honorer de votre affection ordinaire, après qu'il vous aura fait toutes les soumissions convenables. C'est une grâce que je vous demande instamment pour ces bons religieux, dont la vertu et les travaux méritent votre protection. Je connais même assez votre bonté pour espérer que vous n'aurez dans la suite que de l'indulgence pour ce prédicateur, quand il aura reconnu sa faute et montré son regret de vous avoir déplu. J'écris à notre doyen de Maubeuge, afin qu'il avertisse de ma part ce religieux et son gardien, qu'il ne doit plus prêcher dans la chaire où il a commis sa faute, jusqu'à ce que vous trouviez, Monsieur, qu'elle soit assez réparée.
J'espère que vous aurez la bonté de défendre aux opérateurs' de scandaliser les gens de bien, et de divertir les spectateurs corrompus par des discours trop libres. Ils ne pourraient le faire sans contrevenir aux ordres que je suis sûr qu'ils ont d'abord reçus de vous. Un mot que vous aurez la bonté de leur dire les tiendra en respect. C'était ce mot que le prédicateur devait vous supplier de dire, au lieu de déclamer comme il a fait. Personne ne peut être avec
654. Au GARDIEN DES CAPUCINS DE CAMBRAI
A Cambray, 20 mars [1700]'.
20 mars [1700]
70 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 29 mars 1700
15 avril [1700] TEXTE 71
plus de zèle ni d'attachement que moi, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 20 mars. FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
655 A.
Monsieur,
L'intention du Roi étant que la procession qui fut instituée, en 1638, par le feu Roi, le jour de l'Assomption, lorsqu'il mit le Royaume sous la protection de la sainte Vierge, se fasse dans tous les pays de sa domination avec la décence convenable, Sa Majesté m'a ordonné de vous mander qu'elle désire que vous établissiez dans votre église cathédrale et autres de votre diocèse cette procession avec toute la splendeur et solennité et suivant l'esprit de la Déclaration de 1638, dont je joins ici une copie, et que vous ne sauriez rien faire qui lui soit plus agréable que de suivre l'usage qui s'observe à Paris à cet égard.
Je suis, Monsieur, votre très humble et très affectionné serviteur.
DE BARBEZIEUX.
A MAIGNART DE BERNIÈRES
A Cambray, 31 mars [1700].
Vous êtes le maître absolu pour l'affaire du prédicateur capucin. Rien n'est plus édifiant que votre procédé'. On n'y voit que noblesse et bonté de coeur, avec un respect sincère pour la religion. M. le doyen de Maubeuge' dira aux pères Capucins tout ce que vous réglerez, et il leur fera entendre toutes les obligations qu'ils vous ont. Je suis avec l'attachement et le zèle le plus sincère, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.
657. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Jeudi 15 avril [1700].
J'ai ressenti, Madame, dans la conversation d'aujourd'hui une joie que je ne puis vous exprimer, et que vous auriez peine à croire. Il me paraît que Dieu agit véritablement en vous, et qu'il veut posséder tout votre coeur.
Pour l'oraison, faites-la non seulement dans les temps réglés, mais encore au-delà, et dans les intervalles de vos occupations, autant que vous en aurez la facilité et l'attrait. Mais prenez garde à ménager vos forces de corps et d'esprit, et arrêtez-vous, dès que vous éprouverez quelque petite lassitude. Votre manière de faire oraison est très bonne. Commencez toujours par les plus solides sujets qui vous ont touchée dans vos lectures. Suivez la pente de votre coeur pour vous nourrir d'une présence amoureuse de Dieu, des personnes de la sainte Trinité, et de l'humanité de J[ésus-]C[hrist]. Attachez-vous intimement à cette adorable société. Demeurez-y avec une confiance sans bornes, et dites-leur tout ce que la simplicité de l'amour vous inspirera. Après leur avoir parlé de l'abondance du coeur, écoutez-les intérieurement, en faisant taire votre esprit délicat et inquiet. Pour les distractions, elles tomberont comme d'elles-mêmes, pourvu que vous ne les suiviez jamais volontairement, que vous demeuriez toujours par votre choix occupée à aimer, que vous ne soyez point trop distraite par la crainte des distractions, et que sans vous en mettre beaucoup en peine, vous reveniez tranquillement à votre exercice, dès que vous avez aperçu que votre imagination vous en détourne. La facilité avec laquelle vous faites oraison marque que Dieu vous aime beaucoup, car sans une grâce bien forte votre naturel scrupuleux vous donnerait de grandes inquiétudes pendant que vous voudriez penser à Dieu.
Pour vos lectures, je ne crains point de consentir que vous lisiez la plupart des livres de l'Ecriture sainte puisque vous en avez l'attrait, que vous les avez déjà lus avec consolation, que vous ne voulez point les lire par curiosité, et que vous avez toute la docilité nécessaire pour vous édifier des choses que vous ne pourrez point approfondir. La permission que je vous donne à cet égard vous doit mettre en paix, et je vous supplie de ne consulter plus là-dessus pour finir tous vos scrupules'. Les livres que je vous conseille principalement' sont ceux du Nouveau Testament. Mais évitez les questions profondes de l'Epître aux Romains jusqu'au douzième chapitre'. Si vous les lisez, n'entrez point dans les raisonnements des savants. Vous pouvez lire aussi les livres historiques de l'Ancien Testament, avec les psaumes, certains livres qu'on nomme Sapientiaux, tels que les Proverbes, la Sagesse, et l' Ecclésiastique, et certains endroits les plus touchants des prophètes. Mais n'abandonnez ni l'Imitation de J[ésus-]C[hrist], ni les ouvrages de s. Fr[ançois] de Sales. Ses lettres et ses entretiens sont remplis de grâce et d'expérience. Quand la lecture vous met en recueillement et en oraison, laissez le livre. Vous le reprendrez assez quand l'oraison cessera. Lisez peu chaque fois. Lisez lentement et sans avidité. Lisez avec amour.
Ne songez plus à vos confessions générales qui ne vous ont que trop embarrassée, et qui ne feraient plus que vous troubler. Ce serait un retour inquiet et hors de tout propos qui serait contraire à la paix où Dieu vous appelle, et qui réveillerait vos scrupules. Tout ce qui excite vos réflexions ardentes et délicates, vous est un piège dangereux. Suivez avec confiance le goût d'amour que Dieu vous donne pour ses perfections infinies. Aimez-le comme vous voudriez être aimée. Ce n'est pas lui donner trop. Cette mesure n'est point excessive. Aimez-le suivant les idées qu'il vous donne du plus grand amour.
Les deux hommes que vous voyez sont bons. L'un vous aide moins. Mais aussi il court moins de risque de vous gêner, et de vous retarder dans votre voie. L'autre entend mieux et est plus secourable. Mais faute d'expérience en certaines choses, il pourrait vous embarrasser, et vous rétrécir le coeur*. Si
BARBEZIEUX A FÉNELON
A Versailles, le 29 mars 1700.
656.
72 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 16 avril [1700] 30 avril [1700] TEXTE 73
cet inconvénient vous arrivait, avertissez-m'en, et tâchez de le prévenir, en ne retouchant point avec lui les choses déjà réglées, comme par exemple la lecture de l'Ecriture sainte.
Ne soyez point martyre des bienséances et d'une certaine perfection de politesse. Cette délicatesse dévore l'esprit, et occupe toujours une âme d'elle-même. Agissez et parlez sans tant de circonspection. Si vous êtes bien occupée de Dieu, vous le serez moins de plaire aux hommes et vous leur plairez davantage.
Pour Madlle votre petite fille, n'agissez point avec elle suivant vos goûts naturels'. Ne lui parlez qu'en présence de Dieu suivant la lumière du moment où il faudra lui parler. Si vous y êtes fidèle, vous ne la gâterez jamais, et personne ne lui sera aussi utile que vous. Laissez-la ou auprès de vous ou ailleurs6, comme M. le c[omte] de M[ontberon], M. son père' et Mad. sa mère le souhaiteront. Mais évitez, si vous le pouvez, un couvent. Le meilleur la gênera, l'ennuiera, la révoltera, la rendra fausse, et passionnée pour le monde.
Je suis, Madame, uni à vous en N[otre] S[eigneur] et zélé pour tout ce qui vous touche au-delà de tout ce que j'aurais cru, quoique je vous honorasse infiniment.
658. A LA MÊME
Vendredi 16 avril [1700].
Ne soyez en peine de rien, Madame. Je n'ai voulu que vous parler franchement sur la réserve que vous vous reprochiez d'avoir eue dans notre conversation'. Pour moi, je ne manquerai point de vous parler et de vous écrire, selon les occasions, avec tout le zèle dont je suis capable. Ménagez vos forces dans l'exercice de l'oraison. C'est parce que cette occupation intérieure épuise, et mine insensiblement, qu'il faut s'y donner des bornes, et éviter une certaine avidité spirituelle. La vie intérieure amortit l'extérieure, et cause souvent une espèce de langueur. Votre faible santé a besoin d'être épargnée, et votre vivacité est à craindre même dans le bien. Dieu sait combien il m'unit à vous dans son amour.
659. A MAIGNART DE BERNIERES
[21 avril 1700?].
Monsieur,
Souffrez que je vous importune pour les intérêts des habitants de Solesme qui ont besoin de recourir à votre justice. Ils demandent que les habitants des villages voisins du leur, soient obligés de donner des déclarations exactes de toutes les terres qu'ils tiennent dans le territoire de Solesme, afin qu'on puisse régler avec justice ce qu'elles doivent porter de taille conformément
à votre ordonnance. On ne peut être avec plus de zèle que je le serai parfaitement toute ma vie, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Mons 30 avril [1700]
On ne peut être plus éloigné que je le suis, Madame, de toute inégalité de sentiments à votre égard. Si vous en voyez des marques extérieures, ma volonté n'y a aucune part. J'ai souvent des distractions et des négligences. Mais je ne change point, surtout pour vous, Madame, et je suis touché de plus en plus du désir' de votre sanctification. Je vois avec joie que Dieu vous donne certaines lumières, qui ne viennent point ni de l'esprit, ni de la délicatesse qui vous est naturelle', mais de l'expérience et d'un fonds de grâce. C'est ainsi qu'on commence à penser, quand Dieu ouvre le coeur, et qu'il veut mettre dans la vie intérieure. L'homme qui vous a parlé' est bon, sage, pieux, et solide dans ses maximes. Mais il n'a pas l'expérience des choses sur lesquelles vous le consultez, et faute de cette expérience, il vous retarderait, en vous gênant, au lieu de vous aider. Ne quittez point vos sujets d'oraison, ni les livres d'où vous les tirez. Mais quand vous éprouvez un attrait au silence devant Dieu, et que vos lectures ou sujets font ce que vous appelez un bruit qui vous distrait, laissez tomber le livre de vos mains, laissez disparaître votre sujet, et ne craignez point d'écouter Dieu au fond de vous-même en faisant taire tout le reste. Les sujets pris d'abord avec fidélité vous mèneront à ce silence si profond, et ce silence vous nourrira des vérités plus substantiellement que les raisonnements les plus lumineux. Mais ne cessez point de prendre toujours des sujets solides, et de choisir ceux qui sont les plus propres à vous occuper, et à vous toucher le coeur.
Quand vous apercevez que vous êtes en distraction, ou en sécheresse, et en danger d'oisiveté, remettez-vous doucement et sans inquiétude en présence de Dieu, et reprenez votre sujet. S'il vous tient en recueillement, continuez à vous en nourrir. Si au contraire vous éprouvez qu'il vous gêne, qu'il vous distraie, et qu'il vous dessèche dans ce temps-là°, et que vous ayez de l'attrait pour le silence amoureux en présence de Dieu, ne craignez point de suivre librement cet attrait de grâce. Cette liberté ne peut être suspecte d'illusion, quand on se propose toujours des sujets solides, qu'on ne se permet aucune oisiveté volontaire, qu'on s'occupe dans les temps de silence intérieur d'une vue amoureuse de Dieu, qu'on revient à la méditation des sujets, dès qu'on aperçoit la distraction et la cessation de ce silence amoureux, qu'enfin on se tient d'ailleurs dans toutes les règles communes pour juger de l'arbre par le fruit des vertus. Je ne sais si vous avez bien lu les livres de s. Fr[ançoisj de Sales. Mais il me semble que vous pourriez lire fort utilement ses entretiens, quelques-unes de ses épîtres, et divers morceaux de son grand traité de l'amour de Dieu. En parcourant vous verrez assez ce qui vous convient. L'esprit de ce bon saint est ce qu'il faut pour vous éclairer, sans nourrir en
A Cambray 21 avril.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
660. A LA COMTESSE DE MONTBERON
74 CORRESPONDANCE DE FÉNELON ler mai 1700
vous le goût de l'esprit, qui est plus dangereux pour vous que pour un autre. Je souhaite de tout mon coeur, Madame, que votre santé soit bonne , et que vous croissiez en n[otre] S[eigneur] J[ésus-]C[hrist] 5 selon ses desseins sur vous. Rien ne peut vous être dévoué en lui au point que je le suis pour toute ma vie.
660 bis. LE CARDINAL GABRIELLI A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC
Illustrissime Domine,
Gratissimœ mihi acciderunt novissimœ litterae Dominationis tue Illustrissime, quibus de tua optima valetudine, et de D. meo Sebastiano [arch. Camerac.] inter audacissimorum hostium insultus semper imperterrito et immoto me admones
Inclusam tibi hic transmitto epistolam funebrem, etc.2, compositam a patre Maussolié qui a quindecim diebus mihi detulit librum a se conscriptum gallico idiomate, de materia orationis3, etc., typis Parisiensibus editum, et D. illi archiepiscopo dicatum, quem sexennio ante jussu rev[erendissi]mi patris Ferrarii, magistri sacri palatii apostolici, nunc cardinalis, recognoveram, et elucubraveram approbationem in eodem libro impressam; qua de re memini, me non semel cum Dominatione tua collocutum hic Rome fuisse; nec mea me fefellit opinio, nimirum, quod totus ille liber propter capsulams esset immutandus, quod factum adverto, ut ex ipsis parergis liquet6. Non amplius propter gravissimas causas publici juris fient extremœ tabule Juliani, ubi inter plura reflexione digna, sesquipedalibus litteris delineatur intestinum et immortale odium in doctores', et proinde nomen Divini istis in regionibus sibi pepererat 8, et viam ad Basilii locum invadendum, variis artibus et reconditis moliminibus, etiam a D. Erasmo fabricatis9, et nunc patefactis, sibi paraverat ' °.
Dominus Eugenius pluries mihi dixit, quod a multo tempore expectat a D. Cyrillo " responsum ad quamdam suam epistolam ei scriptam pro quo-dam negotio D. canonici Letemplerie, cui nomine meo salutem plurimam dicas
Unica ex omnibus patens fuit causa, quare monachi [cardinales] Morimundo [Gallia] profecti in Claramvallem [Romam] sese intempestive receperint, scilicet, celebratio capituli generalis pro electione novi Basilii [Papae], de cujus salute jam conclamatum esse ipsi putabant
A viro fide dignissimo et precipuo, tempore insectationis capsulae in Morimundo degente, apud D. Alphonsum certior factus sum, quod Gaspar et Eusebius propter illam insectationem prie manibus se habere credebant monachatum [cardinalatum] a D. Basilio [Innocentio XII] sibi impartiendum ".
Non mihi nova advenerant, que mihi significat D. Cyrillus de capitulo generali in Morimundo sub finem ineuntis mensis celebrando '5, et de persecutione movenda in doctores obtentu doctrine ab ipsis assertœ in materia gratiœ et prœdestinationis, ex quibus capitibus potissimum incessetur liber
TEXTE 75
Julii qui nihili penitus facit eorum astus et dolos '6. Ipsi enim pro more suo pugnabunt textibus mutilatis, obtruncatis, interpolatis, concisis, et mendaciis, et proinde similes gerrœ et offuciœ nullum ei facessent negotium, maxime quod sententie ille de gratia et prœdestinatione 17 non adhuc ab Ecclesia proscriptœ sunt, et palam in catholicis scholis edocentur et propugnantur. Doctores hisce de rebus jam premoniti sunt, et D. Stanislaus" mihi ostendit prima quœdam folia cujusdam libelli Colonie impressi, cum hac epigraphe : Augustiniana Ecclesiae Romanae doctrina a cardinalis Sfondrati Nodo extricata, per varios sancti Augustini discipulos, illus[trissiJmis et rev[erendissiJmis Ecclesiae principibus, archiepiscopis, episcopis, cœterisque totius ccetus ecclesiastici ordinibus Cleri Gallicani in comitiis generalibus in palatio regio ad Fanum S. Germani proxime congregandis nuncupata. Coloniae, typis haeredum Cornelii ab Egmond: cum approbationibus. 1700 '9. In prœfatione hujus libelli enumerantur quœdam scriptiones in librum cardinalis Sfondrati adornatœ, plures proferuntur propositiones censura digne ex eo libro extractœ sed foede mutilatœ et detruncate. Adducuntur quidam textus responsionis seu defensionis libri Sfondrati plane insulsissime forte ab ipsis adversariis excogitatœ; recensentur ibi nomina plurium cardinalium, principum et regularium, ejusdem libri fautorum ; sed ubique altissimum de me et meo libro silentium". Marcellus et Calixtus 2' subirati videntur in Julium et in principio se veluti ab eo lœsos ostendebant. Calixtus tamen sensim in Julium propendere videtur, et hoc mane ei visitationem restituit. Marcellus vero hactenus domi moratur, et neminem recipit. Sparsus fuit per Urbem rumor, quod quamprimum D. Faustus" Morimundum petet, aliquot mensibus pro suis domesticis negotiis moraturus.
Anno proxime elapso omni jucunditate me complevit lectio duplicis libelli" D. Sebastiani a Dominatione tua indicati et a plerisque etiam hic eximie commendati; et summopere miror, quomodo exhinc arripiatur ansa exagitandi D. Sebastianum, quem propter hos libellos a nemine reprehensum, quin potius summe laudatum accepi. Queso, Dominatio vestra humillimam meo nomine reverentiam domino meo Sebastiano prœstet, meque illi maximopere devinctum significet; et interim temporis angustiis coarctatus ex toto corde maneo, Dominationi vestrœ Illustrissime addictissimus.
Rome die prima Maii 1700.
J.M. CARD. GABRIELLIUS.
Tandem aliquando post multiplices superatas difficultates et varios astus
delusos Julius in Abbatia S. Dionisii collocatus fuit nudius tertius24.
660 A. FR. CAILLEBOT DE LA SALLE ET M. DE RATABON A FÉNELON
A Lille, ce 25 mai 1700.
Il y a longtemps. Monseigneur, que nous avons appris de M. l'évêque d'Arras', que vous l'avez fait dépositaire d'un projet sur la juridiction ecclésiastique'. Nous l'avons fortement sollicité ici de vouloir nous en donner des copies, comme étant parties intéressées. L'offre qu'il nous a faite, de
[ler mai 1700].
76 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
28 mai 1700
entre juin et novembre 1700 TEXTE 77
nous en permettre la lecture, ne nous étant d'aucune utilité, nous avons cru devoir vous supplier très instamment de nous faire part de vos lumières. Nous nous servirons de la liberté de notre ministère, et nous vous dirons avec sincérité nos sentiments sur ce projet. M. d'Arras est convenu avec nous, que les conférences seraient beaucoup plus utiles, si vous nous mettiez en état de les préparer, en nous faisant part du projet que vous avez dressé, et qui en est tout le fondement. Nous espérons que vous voudrez bien nous en accorder copie. Il semble que cette confiance est due à notre caractère, et que nous la méritons par le respectueux attachement avec lequel nous sommes, Monseigneur, vos très humbles et très obéissants serviteurs.
FR. EVÊQUE DE TOURNAY. A.M. EVÊQUE D'YPRES.
661. A MARIE-CHRISTINE DE SALM'
[28 mai 1700].
Madame,
J'espère que vous ne désapprouverez point la liberté que je prends de vous demander vos bons offices auprès de Monsieur le Prince de Salm2 pour une affaire qui me paraît digne de votre zèle. Il y a, Madame, dans la ville de Mons, qui est du diocèse de Cambray, Madame la Princesse de Darmstadt, qui est de la maison de Cro3, et soeur de M. le Duc de Havre. Tout le monde sait combien sa naissance est illustre, mais je puis vous assurer, comme son pasteur, sans rien exagérer, que son mérite la rend encore plus estimable que son nom. Sa conduite est très régulière et très édifiante, son esprit est droit et solide, son coeur bon et noble; son courage et sa patience m'étonnent et me touchent beaucoup. Les malheurs de la guerre qui ont ravagé tout ce pays ont ruiné les terres de sa maison. Madame sa mère', qui de son côté a fait des pertes infinies par la confiscation de toutes ses terres pendant dix ans, ne peut plus continuer à la secourir'. Quelque soin que prenne Madame la Princesse de Darmstadt pour diminuer sa dépense, sans avoir égard ni à son rang ni à son âge, elle ne peut plus subsister sans quelque ressource du côté de Monsieur son époux'. Elle se trouve même chargée d'un petit prince, qui est un très bel enfant'. D'ailleurs toutes les raisons de bienséance et de religion demandent que les deux époux demeurent ensemble. Elle le désire ardemment, et outre qu'elle veut là-dessus tout ce qu'elle doit vouloir, elle a un attachement parfait pour la personne de M. le Prince de Darmstadt. Il n'y a rien qu'elle ne voulût faire, et souffrir, pour pouvoir se mettre ainsi dans sa place naturelle. Il me semble, Madame, qu'une si bonne oeuvre mérite bien vos soins et la médiation de Monsieur votre frère. Sa grande réputation de piété solide, le crédit que tout le monde sait qu'il a auprès de l'Empereur, et de l'Impératrice, son inclination à faire du bien, font croire à Madame la Princesse de Darmstadt qu'il voudra bien lui procurer quelque protection, pour faciliter l'union de deux personnes qui ne doivent point être séparées. Je suis persuadé, Madame, que vous serez sensible au malheur d'une personne si estimable et qui fait un si bon usage de ses grandes croix. Dès qu'elle m'a proposé d'avoir l'honneur de vous écrire, j'ai compté que ce serait une manière agréable de me renouveler dans votre souvenir, que de vous proposer une oeuvre si touchante. On ne peut avoir connu, autant que je l'ai fait, la bonté de votre coeur, sans avoir cette pleine confiance. Je serai toute ma vie avec le zèle et le respect le plus sincère, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.
A Mons 28 mai 1700.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
[entre juin et novembre 1700].
Vous aurez bien la bonté, Monseigneur, de me pardonner le retardement de cette réponse. Mes grands embarras en sont un peu cause' ; d'ailleurs j'avais besoin de parler à M. d'Arras et à M. de Bagnols avant que de vous rendre compte de mes pensées.
J'avoue, Monseigneur, que je ne puis me résoudre à entrer dans la demande de l'exécution de l'édit de 1695. Cet édit autorise l'appel comme d'abus, et l'introduirait inévitablement dans notre pays, où il est inusité'. L'usage de cet appel est d'autant plus à craindre, que tous les magistrats sont intéressés à le désirer, et qu'il met notre juridiction à la merci des juges séculiers. Nous devons être soumis aux ordres du Roi pour ces sortes d'appels, quand Sa Majesté voudra les introduire en ce pays; mais tant qu'on nous laissera la liberté de représenter avec un profond respect et une soumission parfaite nos raisons, nous devons, ce me semble, faire tous nos efforts pour éviter l'exécution d'un édit qui établirait à jamais cet usage contre l'Eglise. Pour les avantages que l'édit nous donne, outre qu'il n'y en a aucun de comparable avec l'inconvénient de l'appel comme d'abus, d'ailleurs nous les trouvons presque tous par le droit commun, par les canons, et en particulier par le concile de Trente reçu en ce pays: aussi l'édit n'a-t-il pas été fait pour nous. C'est au clergé de France, qui n'a jamais reçu le concile, qu'on a accordé cet édit; et après qu'il a été reçu en France, on a demeuré deux ans sans le faire enregistrer à Tournay. Il serait à souhaiter, pour la juridiction ecclésiastique, que d'autres intérêts infiniment moindres n'eussent jamais fait désirer son enregistrement.
Il est vrai que nous devons empêcher qu'on ne nous ôte notre recours naturel au Conseil du Roi contre les arrêts de notre Parlement qui blesseraient la juridiction épiscopale. Mais permettez-moi, Monseigneur, de vous proposer plusieurs réflexions là-dessus.
1° L'exécution de l'édit nous causera un mal bien plus à craindre que celui que le Parlement nous ferait en obtenant qu'on ne casserait jamais ses arrêts. Combien y a-t-il d'équivalents par lesquels, sans casser des arrêts, on les rend nuls et comme non avenus quand ils sont insoutenables ! Pour l'appel comme d'abus, les juges de ce pays le pousseraient sans mesure, s'ils le regardaient comme leur dédommagement sur les cassations d'arrêts.
662. A FR. CAILLEBOT DE LA SALLE
78 CORRESPONDANCE DE FÉNELON entre juin et novembre 1700
2° L'exécution de l'édit n'opérerait rien pour nous par la cassation des arrêts dont nous aurions à nous plaindre.
3° Nous ne devons pas craindre qu'on nous ôte jamais le recours au Conseil contre les entreprises du Parlement. Ce recours est naturel, évidemment nécessaire, fondé sur l'exemple de tous les Parlements du royaume, et actuellement établi en ce pays : nous en sommes en possession. Vous, Monseigneur, et M. d'Arras, vous avez fait casser ou supprimer plusieurs arrêts. De plus, l'exemple du Conseil de Malines, sur lequel on a donné au Parlement de Tburnay ses privilèges, est décisif en notre faveur. Quand ce Conseil de Malines a jugé contre l'Eglise, elle a son recours au Conseil secret de Bruxelles, qui réforme le jugement dont l'Eglise se plaint. N'est-il pas juste que nous ayons recours au Conseil du Roi contre le Parlement de Tournay comme on a recours au Conseil de Bruxelles contre celui de Malines? Notre droit ne peut jamais être mis en doute. Ce serait craindre ce qui est impossible, et perdre de vue le mal extrême de l'appel comme d'abus, dont nous sommes fort menacés.
Il y a une chose très importante à observer, ce me semble, sur les cassations d'arrêts : c'est qu'en les demandant en général, on soulèverait contre les évêques toutes les communautés, et on paraîtrait attaquer les franchises du pays', dont les peuples flamands sont très jaloux. Ils craignent de sortir de leur pays contre leur coutume, et d'être traduits, sous prétexte de cassation d'arrêts, à des tribunaux de France, où ils croient que leurs parties seront accréditées*, et les feront condamner sur des maximes contraires à la jurisprudence flamande. Ainsi nous serons odieux à nos troupeaux, et nous aurons tout le pays contre nous, si nous demandons en général les cassations d'arrêts.
Ne nous suffit-il pas de faire notre demande avec la restriction suivante: c'est de ne demander le recours au Conseil, que pour les affaires ecclésiastiques? On peut réformer les arrêts qui blessent les grands corps, comme l'Eglise, laissant les révisions pour les procès particuliers. Si les révisions avaient lieu pour toutes nos affaires, la discipline deviendrait impraticable, par ces frais immenses de révisions, et par leurs longueurs. De plus, si dans certaines matières nous ne reconnaissons pas le Parlement pour juge, comment reconnaîtrions-nous les avocats qu'il appelle pour les révisions d'arrêts? Je voudrais encore que les cassations ou suppressions d'arrêts (car je ne dispute point du nom) n'eussent lieu pour nous que dans les cas pressants et d'entreprise' clairement insoutenable. Cela suffirait pour tenir le Parlement sur ses gardes, et pour l'accoutumer au joug du Conseil. On pourrait même, sur une lettre de M. le chancelier, s'assembler pour conférer amiablement sur les principaux points à régler entre les évêques et le Parlement. Deux prélats et deux principales têtes du Parlement travailleraient ensemble, en présence de l'intendant de la province, à un projet de règlement. Les articles dont ils ne pourraient convenir seraient envoyés à la cour, et ils y seraient décidés. Ainsi tous nos embarras finiraient sans procédures rigoureuses. Les évêques ne s'exposeraient point à l'appel comme d'abus, et ils ne paraîtraient pas attaquer les franchises du pays. Ce règlement fixerait la jurisprudence du Parlement: il craindrait encore plus les cassations d'arrêts, s'il lui arrivait d'en donner contre son propre règlement.
TEXTE 79
C'est dans ce règlement qu'on pourrait finir tout ce qui regarde les portions congrues, les maisons presbytérales, et toutes les autres difficultés': mais il faudrait une lettre de M. le chancelier pour faire conférer les deux parties. Pour moi, je ne demande qu'à ne me mêler de rien. Je me borne à agir de concert avec mes confrères, par les voies les plus douces et les plus amiables, et je souhaite que d'autres plus éclairés que moi entrent dans les conférences, si on en fait.
Voilà, Monseigneur, ce que je pense sur cette affaire. Il me paraît que M. d'Arras est à peu près dans les mêmes sentiments, et c'est ce qui diminue ma crainte de me tromper 7. Pour M. de Bagnols, il m'a paru fâché de voir naître cette affaire, et craindre de s'en mêler. Je suis avec beaucoup de zèle et de respect, etc.
663. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Dimanche 13 juin [1700].
Je prends véritablement part, Madame, à la douleur que vous cause l'extrémité de la maladie de Madlle... L'incertitude où vous êtes depuis deux jours, en attendant de ses nouvelles, est encore une rude croix. Rien ne fait tant de peine à la nature que cette suspension entre une faible espérance et une forte crainte. Mais nous devons vivre en foi pour la mesure de nos peines, comme pour tout le reste. Notre sensibilité fait que nous sommes souvent tentés de croire que nos épreuves surpassent nos forces. Mais nous ne connaissons ni les forces de notre coeur, ni les épreuves de Dieu. C'est celui qui connaît tout ensemble, et notre coeur qu'il a fait de ses propres mains avec tous les replis que nous y ignorons, et l'étendue des peines qu'il nous donne, auquel est réservé de proportionner ces deux choses. Laissons-le donc faire, et contentons-nous de souffrir, sans nous écouter. Ce que nous croyons impossible, ne l'est qu'à notre délicatesse et à notre lâcheté. Ce que nous croyons accablant, n'accable que l'orgueil et l'amour-propre, qui ne peuvent être trop accablés. Mais l'homme nouveau trouve dans ce juste accablement du vieil homme, de nouvelles forces, et des consolations toutes célestes. Offrez à D[ieu] votre amie, Madame. Voudriez-vous la lui refuser? voudriez-vous la mettre entre vous et lui, comme un mur de séparation? Que sacrifieriez-vous qu'une vie courte et misérable d'une personne qui ne pouvait que souffrir ici-bas, et voir son salut en danger? Vous la reverrez bientôt, non sous ce soleil qui n'éclaire que la vanité et l'affliction d'esprit, mais dans cette lumière pure de la vérité éternelle, qui rend bienheureux tous ceux qui la voient. Plus votre amie était droite et solide, plus elle est digne de ne vivre pas plus longtemps dans un monde si corrompu. Il est vrai qu'il y a peu d'amis sincères, et qu'il est rude de les perdre. Mais on ne les perd point, et c'est nous qui courons le risque de nous perdre, jusqu'à ce que nous ayons suivi ceux que nous regrettons'.
Pour votre oraison ne craignez rien, Madame. Il n'y a point d'illusions à suivre l'attrait de Dieu pour demeurer en sa présence occupés de son admiration et de son amour 3, pourvu que cette occupation ne nous donne jamais la folle persuasion que nous sommes bien avancés, pourvu qu'elle ne nous
13 juin [1700]
80 CORRESPONDANCE DE FÉNELON [15 juin 1700]
empêche pas de sentir nos fragilités, nos imperfections, et le besoin de nous corriger, pourvu qu'elle ne nous fasse négliger aucun de nos devoirs et pour l'intérieur et pour l'extérieur, pourvu que nous demeurions sincères, humbles, simples, et dociles dans la main de nos supérieurs. Ne hésitez donc point. Recevez le don de Dieu, ouvrez-lui votre coeur. Nourrissez-vous-en. L'hésitation gênerait votre coeur, troublerait l'opération de la grâce, et vous jetterait dans une conduite pleine de contrariétés, où vous déferiez sans cesse d'une main ce que vous auriez fait de l'autre. Tandis que vous ne ferez que penser à D[ieu], l'aimer, vous occuper de sa présence, et vous attacher à sa volonté, sans rien présumer de vous, sans négliger aucune règle, sans vous relâcher dans la voie des préceptes et des conseils, sans vous écarter de l'obéissance et de la voie commune, vous ne serez point en péril de vous tromper. Suivez donc l'attrait. Dites à l'Epoux : Attirez-moi après vous. Je suivrai l'odeur de vos parfums'. Ne donnez de bornes à votre recueillement, qu'autant que le besoin de ménager votre santé, et de remplir les devoirs de votre état, le demanderont. Prenez seulement garde que le corps ne souffre de ce que l'esprit fait au dedans. L'oraison la plus simple, la plus facile, la plus douce, la plus bornée au coeur, et la plus exempte de raisonnement, ne laisse pas de miner sourdement les forces corporelles, et de causer une espèce de langueur insensible. On ne s'en aperçoit pas, parce qu'on est trop plein de son goût, et que la peine douce ne paraît point peine. Voilà ce que je crains, et non pas l'illusion, dans une conduite aussi droite et aussi régulière que la vôtre.
664. Au MARQUIS DE BLAINVILLE
On dit que vous êtes malade, mon très cher fils en notre Seigneur, et que vous souffrez. Votre souffrance m'afflige, car je vous aime tendrement. Mais je ne puis m'empêcher de baiser la main qui vous frappe. Et vous conjure de la baiser amoureusement avec moi. Vous avez abusé autrefois de la santé, et des plaisirs qu'elle donne'. L'infirmité et les douleurs qui la suivent, sont votre pénitence naturelle. Je prie Dieu seulement qu'il abatte encore plus votre esprit que votre corps, et qu'en soulageant le dernier selon le besoin, il vous désabuse pleinement de l'autre. O qu'on est fort quand on ne croit plus l'être, et qu'on ne sent plus que la faiblesse, et les bornes de son propre esprit! Alors on est toujours prêt à croire qu'on se trompe, et à l'avouer en se corrigeant. Alors on a l'esprit toujours ouvert à la lumière d'autrui. Alors on ne méprise rien que soi et ses pensées. Alors on ne décide' rien, et on dit les choses les plus décisives du ton le plus simple, et le plus déférent pour autrui. Alors on se laisse volontiers juger. On se livre sans peine, on donne droit de censure au premier venu. En même temps on ne juge de personne que dans le vrai besoin. On ne parle qu'aux personnes qui le souhaitent, et en leur disant ce qu'on croit voir en elles d'imparfait, on le dit sans décision, plutôt pour n'user point d'une réserve contraire à ce que ces personnes souhaitent, que pour vouloir être cru, et pour se contenter dans sa critique.
Voilà, mon très cher malade, la santé que je vous souhaite dans l'esprit, avec une véritable guérison du corps. En attendant, souffrez avec humilité et patience. Dieu sait quelle joie j'aurais si je pouvais vous embrasser, et vous posséder ici. Mais j'entends l'orage qui gronde plus que jamais'. Il ne faut pas le renouveler par notre impatience. Attendez donc encore un peu. Dès qu'on croira que vous pourrez venir sans danger, votre présence sera une grande consolation pour moi dans mes peines. En retardant votre voyage je prends encore plus sur moi que sur vous. Rien n'est plus sincère que la tendresse avec laquelle je vous suis tout dévoué.
665. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Jeudi 17 juin [1700].
Vous avez raison, Madame, de croire que dans les moments de recueillement et de paix, dont vous m'avez parlé, on ne peut qu'aimer, et se livrer à la grâce qu'on reçoit'. Ce que vous ajoutez a encore un sens très véritable. Vous dites que vous avez cru sentir que notre travail doit cesser, quand Dieu veut bien agir par lui-même. Ce n'est pas qu'on cesse alors de coopérer à la grâce, et de correspondre à ce que Dieu imprime intérieurement, car vous reconnaissez vous-même qu'alors on aime et on se livre à la grâce. L'amour est sans doute le plus parfait exercice de la volonté. Se livrer à la grâce par un choix libre, c'est sans doute y coopérer de la manière la plus réelle, et la plus parfaite. Il n'y a donc point d'oisiveté, ni de cessation d'actes dans ces moments de recueillement et de paix, où vous dites que notre travail doit cesser. Ce sont des moments où D[ieuJ veut bien agir par lui-même, c'est-à-dire prévenir l'âme par des impressions plus puissantes, et la tenir en silence, pour écouter ses intimes communications; mais alors elle n'est point sans correspondance. Elle aime, elle se livre à la grâce, c'est-à-dire qu'elle fait les actes les plus simples et les plus paisibles, mais les plus réels, d'amour et de foi pour l'époux qu'elle écoute intérieurement; c'est-à-dire qu'elle acquiesce à tout ce qui est dû à l'époux et à tout ce qu'il demande par sa grâce; c'est-à-dire que l'âme s'enfonce de plus en plus dans l'amour de l'époux, dans la mort à tous les désirs terrestres, et dans toutes les vertus que l'esprit de grâce peut inspirer selon les divers besoins. Ces actes quoique très réels ne paraissent qu'une disposition de l'âme, et ils sont si généraux qu'ils paraissent confus. Mais ils ne laissent pas de contenir dans cette généralité le germe de chaque vertu particulière pour les occasions'. Ne craignez donc pas, Madame, de suivre l'attrait intérieur dans ces moments de recueillement et de paix. Ces moments ne remplissent pas toute la vie. Vous en trouverez assez d'autres, où vous pourrez revenir aux règles communes.
Je suis ravi de vous entendre dire avec admiration, que la conduite de D[ieuJ est aimable, et proportionnée à nos besoins. Oui, Madame, il se fait tout à tous, pour se proportionner à chacun de nous. Il nous enseigne par l'expérience de ses communications, qu'il est comme une mère, qui porte son enfant entre ses bras'. Nous ne saurions trop nous familiariser avec lui. Cette confiance, comme vous le dites très bien, appartient toute à l'amour et ne peut venir que de lui. Cette familiarité ne diminue ni le respect, ni l'admiration,
A Cambray [15 juin 1700]'.
17 juin [1700]
TEXTE 81
82 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 19 juin 1700
1 juillet [1700]
TEXTE 83
ni la crainte filiale. Au contraire on ne craint jamais tant de contrister l'époux, que quand on est dans cette union de coeur avec lui.
Il est vrai que plus cette union est douce, plus l'âme craint d'en être sevrée. Quand on tient aux créatures, on ne sent point les privations de D[ieu]. Mais quand on se détache des créatures, et qu'on commence à goûter les dons intérieurs, les moindres privations sont très rudes, et elles font tomber dans une solitude intérieure qui accable. Mais quand D[ieu] se communique, il faut se nourrir, et quand il retire ses communications sensibles, la croix est un autre aliment moins doux, mais très pur. Il faut être prêt à ces deux états. Laissez votre amie' entre les mains du parfait ami, qui est le seul lien des vraies et pures amitiés. Il fera sa volonté, qui sera la vôtre. J'espère, Madame, que j'aurai l'honneur de vous voir à...5
665 A. MM. DE BRISACIER ET TIBERGE A FÉNELON
A Paris, 19 juin 1700.
Monseigneur,
Il y a longtemps que vous n'avez entendu parler de nous, ne croyez pas cependant que nous ayons rien perdu de l'estime et du respect que nous avons toujours eus pour votre personne, et faites-nous la justice d'être bien persuadé que nous conserverons toujours les mêmes sentiments à votre égard'. Oserions-nous compter aussi, Monseigneur, sur la continuation de vos bontés, et prendre avec confiance la liberté de vous envoyer un exemplaire de la lettre que nous avons écrite au Pape sur les superstitions des cérémonies de la Chine', et que nous avons été forcés de rendre publique en France pour servir de réponse à plusieurs écrits des Jésuites, et surtout à la dernière lettre du P. Le Comte à M. le duc du Maine'? Il nous a semblé que c'était pour nous un devoir indispensable de ne rien écrire dont nous n'eussions l'honneur de vous faire part, et que personne ne pouvait mieux que vous, Monseigneur, nous dire le jugement qu'on en doit porter, soit par les lumières dont vous êtes rempli, soit par l'amitié (si nous l'osons dire ainsi)" dont vous nous honorez depuis si longtemps. Nous recevrons avec docilité tous vos avis, et nous serons sans changement avec un profond respect, Monseigneur, vos très humbles et très obéissants serviteurs.
DE BRISACIER. TIBERGE.
666. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Clambrail, 23 juin [1700].
J'ai voulu, Madame, vous laisser tout le temps d'apprendre par d'autres la perte de votre amie. Dieu l'a retirée des pièges de ce monde, après l'y avoir préparée par une assez longue maladie, et il a voulu vous détacher d'une personne fort estimable, qui contentait la délicatesse de votre goût. Tout ce qu'il fait paraît rigueur, et n'est que miséricorde. Bientôt tout ceci sera fini, et nous verrons à la lumière de la vérité combien Dieu nous aime, quand il nous donne quelque croix. Mon zèle et mon respect pour vous, Madame, sont très grands et très sincères.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY'.
p.m. A BARBEZIEUX
Lessines, «30 juin 1700».
667. A L'ABBÉ DE LANGERON
Au Casteau 1 juillet [1700].
Je vous remercie, mon tr [ès] C[her] E[nfant], de vos bons avis sur mes prévoyances superflues. J'en avais besoin, et je vous prie de les recommencer, quand je m'échapperai encore. J'ai reçu une lettre d'avis secret de Paris, qui porte qu'ils veulent m'obliger (apparemment par quelque ordre du Roi) à aller à l'assemblée de S. Germain pour y renouveler avec des explications plus amples et plus précises, ce qu'ils prétendent que je n'ai fait que par artifice dans mon mandement et dans le procès-verbal de notre assemblée. Ce procédé serait bien extraordinaire'. Mais vous voyez par expérience qu'ils sont capables des excès les plus irréguliers'. Si vous appreniez quelque chose, je vous conjure de m'en avertir, surtout par rapport aux formalités de droit que j'aurais à observer. Du reste je demande à D[ieu] qu'il me mette un voile sur les yeux pour ne rien prévoir. Dabitur enim vobis in illa bora quid loquamini, et spiritus ejus loquetur in vobis3.
M. Target me laisse une plaie au coeur. Je ne puis la guérir. Il n'y a qu'à la porter en paix, comme une vraie blessure corporelle. Ces sortes de coups m'impriment une tristesse amère et profonde'.
Pour M. Sab[atier] je ne le compte point pour exempt de très grandes imperfections. Je suppose même qu'il est un de ces ardélions spirituels qui se remuent et qui parlent beaucoup trop. Je compte bien aussi que M. L'Esch[assier] 6, embarrassé de le remplacer à Autun, n'aura pas grande envie de s'en priver pour moi; enfin je comprends que j'aurais avec M. Sab[atier] beaucoup d'épines, et peut-être même de mécomptes. Mais voici mes raisons, après lesquelles je vous conjure de décider.
1° Je ne saurais trouver un homme plus expérimenté parmi ceux qui ne sont point engagés dans des congrégations. De plus il est bien éloigné du jansénisme. Il se charge d'attirer ici des ouvriers qui agiront avec subordination. Enfin il a de la piété, et la lettre qu'il m'a écrite en est une marque, qui me touche.
2° Je lui ai fait savoir que sa lettre ne m'avait point rebuté', et que je ferais une tentative vers S. Sulpice. Ainsi il s'attend que je la ferai, et il entendra d'abord à demi-mot ce que M. L'Esch[assier] lui voudra dire, s'il lui mande qu'il ne peut qu'approuver qu'il suive les conseils que M. Tr[onson] lui avait donnés autrefois par rapport aux offres qu'on lui fait. Si M. L'Esch[assier]
84 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 1 juillet [1700]
ne voulait point lui écrire là-dessus, de peur qu'une lettre ne pût être vue, il pourrait écrire à quelque autre directeur d'Autun, et lui mander de lui renvoyer sa lettre, après l'avoir lue à M. Sab[atier] e.
3° M. Sab[atier] connaît toute la grossièreté des gens de ce pays. Mais sa lettre fait assez entendre qu'il y reviendrait volontiers, si le corps de S. Sulpice
le dégageait de ses liens. Ce n'était pas la grossièreté du pays, mais l'inutilité où il y vivait contre son naturel actif et empressé, qui le dégoûta. La supériorité d'Autun acheva de le tenter 9.
Après tout M. Bren[ier '°] le connaît mieux que moi, et je ne suis entêté de rien, et vous savez bien que je dois être désabusé de désirer. Car tout ce
que j'ai désiré me vient de travers ". Mais je croirais qu'il faudrait au moins faire une tentative vers M. L'esch[assier] puisque j'ai mandé que je la ferais faire. Si elle réussit, ce sera une ouverture de providence qui surpassera ce qu'on en devait espérer. Si elle ne réussit pas, j'aurai la consolation que D[ieu] aura décidé, et je n'y penserai plus.
Si néanmoins M. Bren[ier] connaissait en M. Sab[atier] des défauts essentiels qui lui fissent croire absolument que je ne dois pas le demander, je m'arrêterais tout court sur sa seule parole.
Pour M. L'Esch[assier] rien ne peut le toucher que l'avantage de l'Eglise. Sans se commettre en rien, il me procurerait plusieurs sujets pour un diocèse
où les besoins sont singuliers, et il ne se priverait que d'un seul, qui n'est pas de leur corps '2, et qu'ils ne ménagent guère pour le conserver. Serait-il possible qu'ils n'eussent pas de quoi remplacer un seul homme étranger?
Si vous trouvez avec M. Bren[ier] qu'il ne faille point parler à M. L'Esch[assier], ou bien si celui-ci refuse, je vous conjure de voir avec M.
Bren[ier] un sujet capable de conduire notre séminaire. Il m'en a déjà pro-
posé plusieurs. Je n'en connais pas un. Vous pouvez les examiner avec lui, consulter MM. de Précelles et Boucher '3, voir par quelque occasion natu-
relle, le principal sujet sur lequel vous aurez arrêté votre vue, et compter
qu'un canonicat l'attend '4. Mais vous voyez bien qu'il faut un sujet mûr, formé, et qui prévienne un peu en sa faveur. Notre pauvre séminaire a besoin
de quelqu'un qui le relève. Décidez avec les gens que je vous nomme, peut-
être déciderez-vous aussi mal que je l'ai fait. Mais faites le mieux que vous pourrez, et comptez que je ne puis vous savoir jamais que bon gré de vos
soins. Je ne tiens point à M. Sab[atier], si M. Brenier qui le connaît à fond ne le croit pas propre. Pour moi, sans l'admirer je ne le désirais que par comparaison à ce que je puis espérer d'ailleurs, surtout dans ma situation présente ". Mais si on décide qu'il ne me convient pas, je demeurerai content. En ce cas, je lui ferai savoir par voie indirecte, que mes amis n'ont pas trouvé d'ouverture, pour entamer la négociation. Ce que je demande, c'est un autre homme, si celui-là n'est pas ce qu'il me faut.
Je ne crois pas avoir exhorté M. de Bl[ainville] à voir fort souvent la bonne P.D. 16, mais enfin il croit suivre mon conseil, et lui est un surcroît de
peine. C'est de quoi je suis sensiblement affligé. Mais il n'y a que quinze jours que je l'ai prié bien sérieusement dans une lettre de ne venir point cet été à Cambray ''. Tort ou non, je l'ai fait. Quelle apparence de lui mander si tôt après tout le contraire? que pourrait-il penser? Après tout le Roi est certainement indigné contre moi, et le fait assez voir' M. de Bl[ainville] n'est pas comme vous et comme Leschelle 19. Il est actuellement domestique
1 juillet [1700] TEXTE 85
du Roi, et un de ses grands officiers". Doit-il aller voir un homme contre lequel le Roi paraît si indigné? Je vous le demande. Mais supposons que je me sois trompé, en décidant qu'il ne doit pas venir. Sur quoi paraîtrai-je tout à coup changer? Peut-être pourriez-vous, la bonne P.D. et vous, lui conseiller tous deux de venir de Laon n au Casteau me surprendre un jour, malgré les avis de discrétion pour lui que je lui ai donnés. Vous lui recommanderiez de ne rester ici qu'un jour, afin que cela parût moins. Mais vous voyez bien que cette visite, si courte qu'elle fût, serait sue à Cambray, et mandée à Versailles. Pesez bien le conseil que vous donnerez. Il ne faut jamais le donner que bon à celui à qui on le donne. Je pourrais, s'il ne vient point, lui conseiller, outre la chasse que j'ai déjà fort approuvée, lui conseiller d'autres occupations innocentes dans quelque lettre, et l'exhorter à ne se contraindre point sur ses sociétés, pourvu qu'il n'en admette aucune de dangereuse. De votre côté, ne seriez-vous point à portée de lui faire entreprendre quelque dessein ou de langues, ou de science, qui lui ôtât le grand loisir qui le mène si souvent où l'on n'a pas besoin de lui? Si vous voyez quelque autre meilleur expédient, mandez-le-moi. Vous verrez avec quel zèle je m'en servirai.
Je suis ravi de ce que M. de Cad." ne craint point les fautes de son gendre futur". Cela étant, il faut faire le mariage au plus tôt, et voir s'il redressera le jeune homme. Dieu le veuille.
Je vous renvoie l'imprimé de M. Précelles24. N'en saurait-on trouver pour de l'argent aucun autre exemplaire?
Mille amitiés au Gr[and] Abbé] 25. Tout à mon t[rès] c[her] e[nfant] sans réserve in Christo .1 Testi] D[ominoJ n[ostr]o26.
Ce que je vous conjure de bien peser pour l'affaire de M. Sab[atier], c'est la comparaison de M. Sab[atier] avec le sujet qu'on pourrait me choisir en sa place. Je suppose qu'il a plus d'imagination que de jugement bien solide, que sa vertu est imparfaite, qu'il est vif, jaloux, délicat, et facile à blesser. Mais sa délicatesse pour ne rompre pas avec Saint-Sulpice est édifiante. Il a de la vertu, et du talent extérieur. Il est sûrement éloigné du jansénisme. Il croit pouvoir mener avec lui des ouvriers prêts à travailler sous lui. Il a de l'expérience. Il connaît le pays, et me témoigne de l'inclination pour y revenir. Que me donnera-t-on en sa place? peut-être un jeune docteur sortant des études, qui n'aura jamais été éprouvé, qui ne connaîtra point le travail, ni les provinces, qui sera méprisé par nos rigoristes. Ils diront : Fallait-il déposséder nos gens, pour faire venir de Paris un Franchot" de cette espèce? D'ailleurs M. Sab[atier] n'attend qu'un mot qu'il comprendra d'abord. M. L'Esch[assier] n'a pas besoin de rompre la glace. Elle est toute rompue. Il ne s'agit que de lui faire savoir un oui ou un non de la manière la plus précautionnée, pour ne commettre point S. Sulpice. Voyez donc, mon t[rès] c[her[ enfant] avec M. Bren[ier] et les autres ce qu'on peut choisir. Pour moi je ne veux rien. Je crains de vouloir après tant de mécomptes, et je vous proteste que je serai toujours content, quand vous aurez décidé le mieux qu'il vous aura paru.
Mandez-nous que Mile votre soeur se porte bien", dès que Godin" sera arrivé heureusement.
86 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
20 juillet [1700]
20 juillet 1700 TEXTE 87
668. AU MÊME
A Cambray, 20 juillet [1700]'.
Vos remontrances, mon t[rès] c[her] e[nfant], me firent quelque légère peine sur-le-champ'. Mais il était bon qu'elles m'en fissent, et elles ne durè-
rent pas. Je ne vous ai jamais tant aimé. Vous manqueriez à D[ieu] et à moi, si vous n'étiez pas prêt à me faire de ces sortes de peines, toutes les fois que vous croirez me devoir contredire. Notre union roule sur cette simplicité, et l'union ne sera parfaite, que quand il y aura un flux et un reflux de coeur sans réserve entre nous.
Je suis ravi d'apprendre que vous êtes content du livre du P. Desch.' que
vous lisez, et de M. de Préc[elles] avec lequel vous avez raisonné. Puisque ce dernier veut faire rimprimer son petit ouvrage, je serai volontiers chargé de
cette commission. Vous n'avez qu'à m'envoyer l'écrit, je trouverai bien
moyen de le faire imprimer à Bruxelles'. De mon côté je tâche de ne perdre pas mon temps sur cette matière. Nous en parlerons, si D[ieu] permet que
vous reveniez nous voir l'hiver prochain. Dans les occasions qui le mériteront, vous pourrez conférer avec M. de Préc[elles] qui me paraît un vrai bon homme sur les choses qu'il a faites pour moi'.
J'ai écrit à M. Sab[atier] pour lui proposer d'écrire à M. son supérieur de Paris' sur les offres que je lui fais. Il faut attendre sa réponse. En atten-
dant, je vous conjure de jeter les yeux avec M. Bren[ier] sur quelque sujet qui pût conduire notre séminaire, en cas que M. Sab[atier] me manque. Vous savez les avantages que je ferais à un bon sujet.
Je n'écris point à notre B.P. duchesse', n'en ayant pas le temps aujourd'hui. Mais je compte que tout ce que je vous mande est pour elle
comme pour vous. M. de Bagnols m'a parlé du mariage de M. le D. de Mor-
temart, comme un homme surpris qu'il épouse Madile de Caderousse, parce qu'il a toujours vu les affaires de cette maison fort embrouillées. Je suppose
que des gens habiles en ont examiné le fond pour M. le D. de Mortemart. Vous aurez de l'argent, dès que vous en donnerez l'ordre. Je voudrais seulement avoir un état de ce que vous avez payé pour moi, de ce qui vous a été remboursé, et de ce qui vous reste dû.
Je vais être fainéant pendant les moissons qui ne finiront qu'avec le mois d'août. Je compte d'employer en visites les mois de septembre et d'octobre. Je serai revenu ici pour la Toussaints. C'est alors, ce me semble, que vous m'avez fait espérer de nous venir revoir. Vous verrez en ce temps-là en quel état seront les choses.
Embrassez, autant que vos petits bras le pourront faire, le grand abbé. Je serais ravi de l'embrasser moi-même, car je l'aime comme si nous avions passé des années ensemble'. Ne m'oubliez point, quand vous verrez M. de Harlay'. Ce que je sens pour lui ne fait que croître et embellir tous les jours. J'ai reçu de M. de Croisilles9 une lettre si tendre, que j'en suis pénétré. Je lui écris tout le moins que je puis, parce qu'il veut toujours me répondre de sa main malgré ses mauvais yeux.
Le livre du P. Desch[amps] est ici. Je le lirai dès que j'en aurai le temps. Voici en peu de mots tout le fait pour M. d'Arros'°. Il était question d'un pacte mutuel entre deux personnes de ma famille de l'an 1460. On prétendait chez nous qu'en vertu de cet acte la terre de Salagnac n'avait pu passer par les femmes, de notre famille dans celle des Birons. Mon père avait commencé ce procès. Mon frère, qui n'a pas été héritier de mon père, a voulu hasarder le jugement de ce procès, et l'a fait juger il y a plus de vingt ans au parlement de Bourdeaux sous mon nom, me faisant prendre la qualité d'héritier sous bénéfice d'inventaire de mon père. Il l'a fait sans m'en avertir. Un procureur a été chargé de faire juger l'affaire pour moi, sans aucune procuration, ni lettre, ni ordre verbal, ni consentement même de ma part, et à mon insu. Mon frère lui a donné les pièces, qui sont d'anciens titres de la famille, et qui ont été produites au procès. Vous remarquerez, s'il vous plaît, deux choses.
L'une, que la succession de mon père me serait très onéreuse, qu'il m'a fait son héritier par son testament, que je n'ai jamais pris de lettres de bénéfice, et qu'il m'importe beaucoup de ne paraître point avoir agi comme héritier bénéficiaire, sans lettres de bénéfice.
La seconde chose est qu'il me paraît bien étrange qu'on puisse faire condamner aux dépens un homme à son insu. Ne tient-il qu'à charger à deux cents lieues de moi un procureur d'agir sans procuration et sans lettre? Qui est-ce qui sera en sûreté, si un homme est lié ainsi, sans l'avoir voulu? Le procédé de mon frère mériterait que la chose retombât sur lui.
D'un autre côté, on croira que le procureur n'agissait pas sans quelque pouvoir, puisqu'il avait des titres de notre famille. M. d'Arros est d'un nom illustre, il est pauvre, il est mon parent. La somme n'est pas grande. On la trouvera petite à proportion de mon revenu ". Ayez la bonté de dire le fait à M. de Mondion 2, après quoi je suivrai ce que vous croirez à propos.
Mille compliments du fond du coeur à Madlle de Langeron. Je l'aime, et je l'honore infiniment. Tout à mon t[rès] cher] e[nfant] sans réserve.
668 A. SŒUR ANNE-MARIE DES FONTAINES' A FÉNELON
[20 juillet 1700].
Monseigneur,
Ce n'est tout au plus que d'une année à l'autre que je suis importune à Votre Grandeur, mais je suis toujours excusable puisque c'est la confiance jointe au profond respect que j'ai en vous qui me fait prendre la liberté de vous supplier très humblement de prier Dieu pour moi. Si vous saviez, Monseigneur, le besoin que j'en ai, vous auriez, j'en suis sûre, compassion de moi. Quoique je n'aie point de directeur pour éviter bien des inconvénients, l'on ne laisse pas de me gêner beaucoup et de vouloir que ma prière soit oisive et suspecte dès que je cesse de m'agiter par des mouvements empressés et inquiets qui me sont insupportables, plus je veux quelquefois m'y assujettir crainte de suivre ma propre volonté et moins je puis prier'. Il n'y a que Dieu seul qui connaisse ma situation et ce que je souffre.
Tout ce qu'il y a de gens de bien dans Paris sont touchés, Monseigneur, de votre piété et du fruit que vous faites dans votre diocèse. Ce que Mr de Meaux et M. de Reims veulent encore faire ne sert qu'à les rabaisser et à faire éclater la vertu que Dieu a mise en vous, qu'il soit béni à jamais et que ses
88 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 22 juillet 1700 De Cambray [17001
ennemis soient confondus'. Au nom de Dieu que vous aimez si bien, Monseigneur, donnez-moi quelque marque comme vous vous souviendrez de moi dans le saint sacrifice de la messe et dans vos prières. Il n'y a aucun inconvénient à craindre en le faisant par Mr Chasmellet 5 de la com. de St Sulpice. Ma Sr Charlotte de St Cyprien, carmélite, est toujours la même à votre égard, et assure votre Grandeur aussi bien que moi de ses très humbles respects et obéissances6.
Des Nouvelles Catholiques de Paris, ce 20e juillet 1700.
M. DESFONTAINES.
669. AU CHAPITRE DE SAINT-NICOLAS D'AVESNES
Au Casteau, 22 juillet 1700.
Les besoins généraux du diocèse nous ayant obligés, Messieurs, à différer cette année le concours jusqu'après la saint Jean, je crois que vous aurez égard à une si forte raison pour ne priver pas le pasteur d'Avesnes1 du revenu de sa prébende. Il ne pourrait subsister dans ses fonctions s'il en était privé. Il n'a fait aucune faute qui puisse lui attirer cette privation. S'il n'était pas à Avesnes à la saint Jean', il ne pouvait ni ne devait y être, n'étant pas encore pourvu de son titre. Cette privation retomberait encore plus sur les peuples que sur lui, puisqu'il ne peut ni paître le troupeau, ni résider, s'il n'a pas de quoi vivre sur les lieux. Je connais trop, Messieurs, votre équité et votre zèle pour douter que vous ne lui accordiez les fruits de l'année que vous lui auriez donnés s'il fût arrivé un mois plus tôt'. On ne peut rien ajouter, Messieurs, à la sincérité avec laquelle j'honore votre corps, et suis cordialement pour toujours à chacun de vous.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
670. AU MARQUIS DE BLAINVILLE
25 juillet 1700.
1° Soyez ferme dans vos exercices de piété, c'est-à-dire, dans vos lectures, votre oraison réglée de chaque jour, vos confessions, et vos communions.
2° Que votre oraison ait toujours des sujets réglés, et proportionnés à vos besoins, pour humilier l'esprit et réprimer la sensualité du corps.
3° Que vos lectures tendent aux choses de pratique, et à la correction de vos défauts. Appliquez à votre personne tout ce que vous lirez.
4° Prenez garde aux compagnies que vous verrez fréquemment et avec familiarité. Craignez surtout et évitez celle des femmes.
5° Evitez de juger d'autrui en mal sans nécessité. Que la vue de vos défauts vous empêche d'être si délicat et si rigoureux contre ceux d'autrui.
6° Accoutumez-vous à suspendre votre jugement dans toutes les choses où l'ordre de la prudence ne vous oblige pas de juger. Cette habitude de décider, et de décider en mal entretient une précipitation de jugement, une présomption, une critique âpre et maligne, un attachement à son propre sens, et un mépris de celui d'autrui, qui sont incompatibles avec la vie intérieure, où il faut être doux et humble de coeur.
7° Evitez la dissipation, que les engouements portent toujours avec eux. Un engouement dans sa première pointe occupe trop. Il vide et dessèche l'intérieur. Un autre engouement succède au premier, et la vie se passe dans des entêtements. Quand un engouement est dans sa première force, laissez-le ralentir, et faites oraison là-dessus. Ensuite, quand il sera modéré, prenez-en sobrement ce qu'il faudra, ou pour la santé de votre corps, ou pour amuser un peu votre esprit.
8° Ne songez à aucun changement d'état par inquiétude, par langueur, par une mauvaise honte d'être inutile dans le monde, par la démangeaison de faire un personnage. Les genres de vie que vous n'avez point éprouvés, ont leur piège, leurs épines, leurs langueurs, que vous ne voyez pas de loin. A chaque jour suffit son mal. Quand demain sera venu, il aura soin de lui-même'. Aujourd'hui ne songez qu'à aujourd'hui. Il faut voir ce que deviendra madame de...2 et mademoiselle votre fille'. Il est inutile de faire des projets pour trois ans', Dieu donnera des ouvertures pour ce qu'il voudra faire.
9° La profession sainte que vous avez eue en vue, demande beaucoup de perfection de tous ceux qui y entrent. Un enfant qu'on y élève doit avoir une grande innocence. Un homme âgé ne doit sortir du siècle pour y entrer, qu'autant qu'il a des marques extraordinaires de vocation. L'ennui d'être inutile dans le monde n'est point une raison pour s'ingérer dans ce saint ministère. On y trouverait encore plus d'ennui que dans l'état laïque'.
10° La chasse vous est nécessaire pour votre santé. Cette raison est décisive. N'en ayez aucun scrupule. Je ne crains point la chasse, mais bien les chasseurs. Que cet exercice du corps ne vous fasse point abandonner l'étude modérée. Vous aviez pris l'étude avec ardeur; elle nuisait à votre santé, et à votre intérieur même. Amusez-vous un peu par les livres sans application nuisible à la santé. Cet amusement fera que vous chercherez moins les compagnies dangereuses.
11° Appliquez-vous à régler vos affaires, sans y attacher votre coeur, et sans aucune vue d'ambition.
12° Ne manquez à aucun de vos devoirs pour la cour par rapport à votre charge' et aux bienséances. Mais point d'empressement pour les emplois qui réveillent l'ambition.
13° Puisque Dieu permet que depuis longtemps, vous n'ayez ni ouverture ni repos de coeur avec***7, voyez-la rarement, et éloignez insensiblement les visites jusqu'à ce qu'elle se rapproche de vous, et que Dieu vous change l'un pour l'autre.
671. Au MÊME
De Cambray [17001.
Je vous recommande toujours de craindre la hauteur, la confiance en vos pensées, la décision' dans vos discours : soyez doux et humble de coeur,
90 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 26 juillet [1700]
c'est-à-dire que la douceur doit venir d'une humilité sincère: l'âpreté et le défaut de modération ne viennent que d'orgueil. Pour s'adoucir, il faut se rabaisser et s'apetisser par le fond du coeur. Un coeur humble est toujours doux et maniable dans le fond, quand même la superficie serait rude, par les surprises d'une humeur brusque et chagrine. Veillez, priez, travaillez, supportez-vous vous-même, sans vous flatter. Que vos lectures et vos oraisons se tournent à vous éclairer sur vous-même, à vous corriger, et à vaincre votre naturel en présence de Dieu'.
672. AU MÊME
De Cambray [1700?].
Je crois, mon cher Monsieur, que vous pouvez suivre le conseil qu'on vous avait donné aux eaux: suivez-le librement; mais ayez de plus en plus attention pour ne vous relâcher jamais, pour éviter la dissipation, pour éviter les compagnies et les liaisons qui rappelleraient le goût du monde', et qui ralentiraient votre grâce. Demeurez uni à la bonne..., malgré l'opposition de vos deux naturels, et la vivacité qui vous rend l'un et l'autre si sensibles'.
Je pense souvent à vous avec plaisir; mais il faut se contenter d'y penser de loin, et se rapprocher en esprit par l'union à celui en qui toutes les distances ne sont rien. Ne voyez pas trop le monde. Ne vous fatiguez point ni d'étude, ni de solitude sauvage, ni même d'exercices de piété. Prenez tout avec modération; variez et diversifiez vos occupations; ne vous passionnez sur aucune. Arrêtez-vous dès que vous sentez un certain empressement qui vient de la passion'. Défiez-vous de votre esprit décisif et dédaigneux'. Dès qu'il vous échappe une parole de ce caractère, prenez d'abord un ton plus bas. Ne jugez point les autres sans nécessité'. Ne vous laissez passer à vous-même aucun tour pour vous donner aux autres comme étant meilleur que vous n'êtes. Dieu sera avec vous, si vous avez au coeur une intention droite et simple de suivre tout ceci. Vous y manquerez; mais il ne faut pas se rebuter; et, en s'humiliant de ses fautes, il faut reprendre sa course pour réparer les faux pas où l'amour-propre fait broncher. Je suis, mon cher Monsieur, de plus en plus tout à vous et à jamais.
673. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Au Casteau 26 juillet [1700].
Je suis fort irrégulier, Madame. Mais vous avez besoin de mes irrégularités et de mes sécheresses'. En attendant que nos amis deviennent parfaits, il faut tourner à profit pour nous leurs imperfections. En nous mortifiant, et en nous détachant, elles nous seront plus utiles que leurs perfections. Pardonnez-moi donc toutes mes fautes, et comptez (je vous parle en toute simplicité chrétienne) que personne au monde ne peut être à vous avec plus d'union de coeur, de zèle, et d'attachement à toute épreuve, que moi.
26 juillet [1700] TEXTE 91
Vous êtes emmaillottée. Mais on démaillotte les enfants, à mesure qu'ils croissent. Il y a néanmoins une manière de croître, que je ne vous souhaite point. A Dieu ne plaise que vous soyez grande, comme on l'est dans le monde. J[ésus-]C[hrist] ne voulait point que ses apôtres, qui étaient encore grands, empêchassent les petits enfants de venir à lui. C'est à eux qu'appartient le royaume du ciel, et malheur aux grands qui ne se rapetissent pas pour leur ressembler. J'aime cent fois mieux vos langes, et votre honte enfantine, que cette grandeur roide et hautaine des sévères Pharisiens'.
Quand Dieu accoutume une âme à lui, elle se passe sans peine de tout ce qu'il ne lui laisse point au dehors. L'amour est un grand casuiste pour décider les doutes. Il a une délicatesse et une pénétration de jalousie, qui va au-delà de tous les raisonnements des hommes. Il faut être dépendant de l'ordre extérieur, et docile aux hommes qui ont l'autorité. Mais quand le dehors manque, il faut être détaché, vivre de foi, et suivre l'amour.
Je suis ravi de ce que vous aimez sainte Magdeleine. Elle me charme. En elle tout est vie de grâce et d'amour simple, mais transporté. Je la joins à la troupe de la sainte Vierge, de s. Joseph et de s. Jean-Baptiste. J'aime bien aussi le disciple bien-aimé, qui est le docteur de l'amour.
Ce que vous sentez est une grande nouveauté pour vous. C'est une vie toute nouvelle et inconnue. On ne se connaît plus, on croit songer les yeux ouverts. Recevez, et ne tenez à rien. Aimez, souffrez, aimez encore. Peu d'attention aux dons, sinon pour louer l'Epoux qui donne. Grande simplicité, docilité, fidélité dans l'usage en chaque moment. L'amour rend libre, en simplifiant, sans dérégler 3.
Dormez autant que vous pourrez. Votre corps en a besoin, et vous ne devez point y manquer par avarice d'oraison. L'esprit d'oraison fait quitter l'oraison même, pour se conformer aux ordres de la Providence. Pendant que vous dormirez, votre coeur veillera. Dans le temps des insomnies ne rejetez point la présence de Dieu, mais ne l'excitez pas au préjudice du sommeil. Ce que vous éprouvez n'est qu'un commencement. Ce qui est le plus vif et le plus sensible, n'est ni le plus pur, ni le plus intime. Cette vivacité d'amour naissant jette dans l'âme les principes de vie, qui sont nécessaires pour les suites. Sucez donc le lait le plus doux de l'amour, à la mamelle des divines miséricordes. Aimez, comme Dieu vous donne l'amour dans le temps présent. Quand il voudra vous faire languir dans les privations, vous l'aimerez d'une autre sorte, et ce sera une autre nouveauté bien étrange.
Votre chute ne vous a point effrayée. Est-ce que vous n'êtes plus timide? Je voudrais bien savoir comment vous avez été en cette occasion. Ne vous troublez point par trop de retours sur vos fautes. C'est votre pente qui est à craindre. Je lirai assez votre écriture. D[ieu] soit tout en vous. Rien que lui.
92 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 26 juillet 1700
BARBEZIEUX A FÉNELON
A Versailles 26 juillet 1700.
Monsieur,
Le Roi désirant savoir' si Messieurs les archevêques et évêques ont fait publier dans leurs diocèses la constitution du Pape du 12 mai 1699' portant condamnation du livre intitulé Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, conformément à ce qui a été résolu dans votre assemblée provinciale et à la déclaration du 4e août 1699, Sa Majesté m'a ordonné de m'informer si vous et Messieurs les évêques vos suffragants avez donné vos mandements pour la publication de cette constitution, et de vous demander en même temps deux exemplaires, tant de votre mandement que de ceux de Messieurs les évêques de votre province, observant s'il vous plaît de me marquer ceux qui n'ont pas encore satisfait à ce qui est porté par cette déclaration', Je suis...
674. A LA COMTESSE DE MONTBERON 4 août [1700?] TEXTE 93
676. Au MÊME
[4 août 1700?].
Monsieur,
Je suis véritablement affligé de ne pouvoir accorder au sieur Briais la prévôté de Solesme ', puisque vous lui avez accordé votre protection. Mais j'ai déclaré à l'occasion de l'emploi de châtelain du Casteau2, à plusieurs de mes amis, et même à quelques parents assez proches', que je ne donnerais aucun de ces emplois, qu'à des gens du pays. Si je suivais maintenant, Monsieur, une conduite contraire, les gens que j'ai refusés, me croiraient de mauvaise foi. Mes raisons pour me borner aux gens du pays, ont été très fortes. Toute la nation conquise supporte très impatiemment que des Français viennent par industrie leur enlever ce qui les regarde naturellement. Un évêque doit, ce me semble, leur épargner ces jalousies, et ces murmures. Il doit se faire aimer de son troupeau, pour pouvoir leur inspirer l'amour de la religion4.
Au reste, Monsieur, la promesse que vous me faites de ne me demander plus rien est une menace pour moi'. Pourquoi m'enlever la joie, que je goûterais, si j'étais assez heureux une fois en ma vie, pour reconnaître par quelque petit plaisir ceux que vous me faites en toute occasion. De grâce donnez-moi quelque moyen de vous témoigner avec quel zèle je serai toujours plus que personne du monde, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 4 août.
673A.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
A Cambray 28 juillet [1700]. 677. A LA COMTESSE DE MONTBERON
J'avais écrit cette lettre au Casteau, Madame; mais quelques embarras me la firent oublier dans le moment de mon départ, où je voulais la donner à un domestique pour vous la porter en revenant ici. Je souhaite que votre santé soit bonne et que votre paix croisse tous les jours.
Dieu soit avec vous.
Jeudi 5 août [1700].
675. A MAIGNART DE BERNIÈRES
A Cambray 29 juillet [17001.
Monsieur,
Je suis ravi d'apprendre que vous êtes revenu en bonne santé. Ma joie est intéressée, car j'espère de ne laisser point passer la belle saison sans avoir l'honneur de vous voir à Maubeuge. Ce plaisir sera aussi grand pour moi que le zèle, l'attachement cordial, et l'estime singulière avec laquelle je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
Votre dernière lettre, Madame, m'a fait un sensible plaisir. Je vois que Dieu vous éclaire, et vous nourrit. Prenez ce qu'il vous donne. Demeurez à la mamelle. Vous avez vu des saints que l'amour a instruits sans science. Il n'y avait là aucune oeuvre de main d'homme. Fait-il s'étonner que l'amour apprenne à aimer? Ceux qui aiment sincèrement, et que l'esprit de Dieu enivre de son vin nouveau, parlent une langue nouvelle'. Quand on sent ce que les autres ne sentent point, et qu'on n'a point encore senti soi-même, on l'exprime comme on peut, et on trouve presque toujours que l'expression ne dit la chose qu'à demi. Si l'Eglise trouve qu'on ne s'exprime pas correctement, on est tout prêt à se corriger, et on n'a que docilité, que simplicité en partage. On ne tient ni aux termes, ni aux pensées. Une âme qui aime dans le véritable esprit de désappropriation, ne veut s'approprier ni son langage ni ses lumières. On ne saurait rien ôter à quiconque ne veut rien avoir de propre'.
Quand vous éprouvez un attrait de paix amoureuse, qui est gêné par l'arrivée de l'heure où vous faites une oraison réglée, continuez sans scrupule cette paix autant qu'elle pourra durer. Elle sera une très bonne oraison. Si
94 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
15 août 1700
15 août 1700 TEXTE 95
vous apercevez qu'elle tombe, et que vous soyez oisive ou distraite, prenez alors la règle d'oraison pour vous relever doucement.
L'avarice du temps est une vraie imperfection. C'est un empressement naturel, et une recherche des goûts spirituels. Mais Dieu se sert de cette imperfection, pour tenir les commençants dans un plus grand dégoût, et dans une séparation plus fréquente de tout ce qui est extérieur. Le temps de l'enfance est celui où l'homme se nourrit à la mamelle presque à toutes les heures. Il tête même quelquefois étant presque endormi. Il n'y a point de repas réglés. L'enfant est avide. Mais il se nourrit, et croît sensiblement'. L'unique chose à observer, est de ne manquer jamais à aucun devoir extérieur pour contenter cet attrait.
Je ne suis point pressé de ravoir les livres. Ne les lisez que quand vous n'avez rien de meilleur à faire. Peut-être ne serez-vous pas fâchée de les relire en certains moments, ou du moins d'en revoir des morceaux. Ces traits de grâce, qui sont si originaux, ne sont pas précisément ce qu'on éprouve. Mais c'est quelque chose de la même source. Les paroles propres des saints sont bien autres que les discours de ceux qui ont voulu les dépeindre. Ste Catherine] de G[ênes] est un prodige d'amour. Le F[rère] Laurent] est grossier par nature, et délicat par grâce. Ce mélange est aimable, et montre Dieu en lui. Je l'ai vu, et il y a un endroit du livre, où l'auteur, sans me nommer par mon nom, raconte en deux mots une excellente conversation, que j'eus avec lui sur la mort, pendant qu'il était fort malade, et fort gai'.
678. A LA COMTESSE DE FÉNELON
A C[ambrai] 15 août 1700.
Je dois, ma chère soeur, vous parler sur deux chapitres avec une entière ouverture de coeur. Celui de M. Roquet sera le dernier. Commençons par celui de M. votre fils'.
Il ne m'incommode en rien céans, et je suis au contraire très aise de l'avoir, car je l'aime fort. Il est très poli, très complaisant, très caressant, et très empressé pour moi. Plût à D[ieu] qu'il fît aussi bien pour lui-même, qu'il fait pour moi dans notre société. J'ai très peu de temps pour le voir, pour lui parler, pour le faire parler, pour le faire agir naturellement devant moi, et pour le redresser. Mes occupations presque continuelles m'en ôtent la liberté. D'ailleurs il ne voit personne à Cambray. Il aurait besoin de voir et d'entendre des gens propres à le former. Il ne peut voir ici que des ecclésiastiques.
Comptez que ses études n'ont été presque rien jusqu'ici, et qu'à l'avenir il ne faut pas se flatter de l'espérance qu'elles lui soient plus utiles, quoique M. de la Templerie2 n'y néglige rien. L'enfant a l'esprit vif et ouvert, avec de la facilité pour comprendre toutes les choses extérieures, et beaucoup de curiosité pour les choses qui se passent autour de lui. Mais il a l'esprit encore fort léger. Il ne fait guère de réflexion sérieuse. Il n'a ni goût de curiosité pour aucune étude, ni application, ni suite de raisonnement. Toutes ses inclinations se tournent aux exercices du corps et aux amusements de son âge. Il est déjà grand. Son corps se fortifie, et tous les exercices lui font beaucoup de bien. Je crois bien qu'il ne les lui faut permettre qu'avec modération, car il est encore fluet, délicat, et d'une santé très fragile; ce qui pourra bien lui durer toute sa vie.
Je le garderai encore avec grand plaisir, si vous le souhaitez, jusqu'au printemps prochain. Mais c'est à vous à bien examiner si vous ne pourriez pas le lui faire employer plus utilement ailleurs tant pour les exercices du corps, que pour la société propre à lui former l'esprit et à le mûrir.
Les voyages sont fort dangereux à la jeunesse, d'une grande dépense, quand on veut les bien faire, et absolument inutiles, quand on n'a pas encore des pensées sérieuses et solides. S'il fallait quelque voyage, ce devrait être après l'académie. Le temps qu'il passerait en province avec vous à voir la nature de vos biens, de vos embarras, et le mauvais état de ses affaires, pourrait être très utilement employé. Il s'ennuie horriblement à Cambray', et quoi qu'on puisse lui dire, il s'imagine toujours que, quand il ira à Paris, ou dans vos terres, il sera un seigneur bien brillant. Cette faiblesse de cerveau est assez naturelle à quatorze ans. Vous avez grande raison de ne faire de séjour à Paris que le moins que vous pourrez. Il vous sera néanmoins difficile d'éviter d'y demeurer un peu dans le temps qu'il sera à l'académie. Si vous aviez un honnête homme à mettre auprès de lui, vous pourriez peut-être vous en dispenser. Les deux points principaux sont 1° que votre compte soit bien fini, qu'il ait besoin de vous, et que vous n'ayez aucun besoin de lui; 2° que vous lui témoigniez une amitié solide, et qu'après lui avoir montré à fond le triste état de ses affaires, vous lui fassiez du bien'. Vous pouvez, si vous voulez absolument reculer à toute extrémité, le laisser ici jusqu'au printemps, le faire aller alors dans vos terres, et ne le mettre à l'académie que l'hiver suivant. Tout cela n'est point impossible pendant la paix. Mais il s'ennuiera étrangement ici, et n'y fera presque rien.
Pour M. Rocquet 5, je n'en fais aucun usage, et n'en puis faire aucun pour le présent. Quand je l'ai gardé céans, ç'a été uniquement par rapport à vous. J'ai plus d'ecclésiastiques qu'il ne m'en faut. Après vous avoir mandé que je le garderais autant que vous le souhaiteriez pour M. votre fils, j'ai dû lui parler en conformité, quand il est venu me témoigner sa peine: je l'ai fait dans ces termes précis. Il a très bien entendu que je me chargerais seulement de le nourrir dans la maison autant que vous souhaiteriez qu'il y demeurât, et il n'a jamais compris autre chose. On ne peut pas être au fait plus qu'il y est, et qu'il y a toujours été. Il sait bien que je ne me suis chargé de rien, que de vous faire plaisir en sa personne. C'est ce que je continuerai de faire autant que vous le souhaiterez. Mais je vous supplie de croire que je ne lui ai jamais rien fait espérer au-delà, et qu'il n'a jamais pu ni dû croire qu'il eût à compter qu'avec vous. Ayez la bonté, s'il vous plaît, de vous éclaircir à fond avec lui, et de décider. Sa bonne conduite et son affection méritent que vous ne le laissiez pas plus longtemps sans savoir quel est son état, ni les mesures qu'il a à prendre. Plus la chose deviendrait équivoque, plus je la veux rendre certaine pour ce qui me regarde. Je n'ai que deux choses à faire. L'une, de le garder fort honnêtement tant qu'il vous plaira, quoique je n'en fasse aucun usage. L'autre, de penser à lui, ou de loin ou de près, quand j'aurai quelque occasion convenable, pour lui faire du bien. Agréez, s'il vous plaît, que je me borne à ces deux choses, et que tout le reste se traite entre vous et lui. Je ne saurais aller plus loin.
96 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 2 septembre [1700]
4 septembre [1700?]
TEXTE 97
Je partirai dans peu de jours pour aller faire des visites de paroisses vers Bruxelles, et je n'en reviendrai que pour l'hiver. Ma santé ne fut jamais aussi bonne qu'elle l'est. Le travail la fortifie. J'éviterai l'épuisement. Mais ce diocèse demande qu'on agisse beaucoup. Votre attention pour ma santé me touche très vivement. M. l'abbé de Ch[antérac] m'a mandé combien vous êtes sensible à tout ce qui me regarde. Je ne le suis pas moins à tous vos intérêts, qui seront les miens jusques à la mort. J'embrasse tendrement mon frère, que j'aime du fond du coeur, et je suis à ma chère soeur autant que je dois y être, c'est-à-dire sans réserve et à jamais.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
679. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai], 2 septembre [1700].
Je suis ravi', Madame, non seulement de ce que Dieu fait dans votre coeur, mais encore du commencement de simplicité qu'il vous donne, pour me le confier. Je voudrais que vous fussiez aussi simple pour vos confessions, que vous l'êtes dans votre oraison. Mais Dieu fait son oeuvre peu à peu. Cette lenteur avec laquelle il opère, sert à nous humilier, à exercer notre patience à l'égard de nous-mêmes, à nous rendre plus dépendants de lui. Il faut donc attendre que votre simplicité croisse, et qu'elle s'étende insensiblement jusque sur la manière dont vous vous confessez, et où je vois que vous écoutez trop vos réflexions scrupuleuses. Il n'y a aucun inconvénient que vous alliez à la communion, sans vous confesser, les jours de communion, où vous n'avez aucune faute marquée à vous reprocher depuis la dernière confession. C'est ce qui peut vous arriver dans les courts intervalles d'une confession à l'autre. Dieu veut qu'on soit libre avec lui, quand on ne cherche que lui seul. L'amour est familier. Il ne réserve rien. Il ne ménage rien. Il se montre dans tous ses premiers mouvements au bien-aimé. Quand on a encore des ménagements à son égard, il y a dans le coeur quelque autre amour qui partage, qui retient, qui fait hésiter. On ne retourne tant sur soi, avec inquiétude, qu'à cause qu'on veut garder quelque autre affection, et qu'on borne l'union avec le bien-aimé. Vous qui connaissez tant les délicatesses de l'amitié, ne sentiriez-vous pas les réserves d'une personne pour qui vous n'en auriez aucune et qui mesurerait toujours sa confiance, pour ne la laisser jamais aller Z au-delà de certaines bornes? Vous ne manqueriez pas de lui dire: Je ne suis point avec vous comme vous êtes avec moi; je ne mesure rien: je sens que vous mesurez tout. Vous ne m'aimez point comme je vous aime, et comme vous devriez m'aimer. Si vous, créature indigne d'être aimée, voudriez une amitié simple et sans réserve, combien l'époux sacré est-il en droit d'être plus jaloux ! Soyez donc fidèle à croître en simplicité. Je ne vous demande point des choses qui vous troublent, ou qui vous gênent. Je suis content pourvu que vous ne résistiez point à l'attrait de simplicité, et que vous laissiez tomber tous les retours inquiets, qui y sont contraires, dès que vous les apercevez.
Suivez librement la pente de votre coeur pour vos lectures, et à l'égard de l'oraison que l'épouse ne soit point éveillée, jusqu'à ce qu'elle s'éveille d'elle- même. N'y ménagez que votre santé qui peut souffrir dans cet exercice, quoique le goût intérieur vous empêche de le remarquer. Amusez un peu votre imagination, et vos sens, quand vous éprouverez que vous aurez besoin de quelque petite occupation extérieure, qui les soulage. Ces amusements innocents ne troubleront point alors la présence amoureuse de Dieu.
Vous pouvez compter, Madame, sur les deux choses dont nous avons parlé. Je ne vous manquerai jamais, s'il plaît à Dieu, en rien. Je suis sec et irrégulier Mais Dieu est bon dans ceux qui ont besoin de bonté pour faire son oeuvre, et dont il se sert. Confiez-vous donc à Dieu, et ne regardez que lui seul. C'est le bon ami, dont le coeur sera toujours infiniment meilleur que le vôtre. Défiez-vous de vous-même, et non de lui. Il est jaloux. Mais sa jalousie est un grand amour, et nous devons être jaloux pour lui contre nous, comme il l'est lui-même. Fiez-vous à l'amour. Il ôte tout. Mais il donne tout. Il ne laisse rien dans le coeur que lui, et il ne peut y rien souffrir. Mais il suffit seul pour rassasier, et il est lui seul toutes choses. Pendant qu'on le goûte, on est enivré d'un torrent de volupté', qui n'est pourtant' qu'une goutte des biens célestes. L'amour goûté et senti ravit, transporte, absorbe, rend tous les dépouillements indifférents. Mais l'amour insensible, qui se cache pour dénuer l'âme au dedans, la martyrise plus que mille dépouillements extérieurs. Laissez-vous maintenant enivrer dans les celliers de l'Epoux.
680. A MAIGNART DE BERNIÈRES
Souffrez, Monsieur, que je prenne la liberté de vous importuner encore une fois en faveur des habitants de Solesme ', en vous suppliant d'avoir la bonté de leur accorder une grâce qu'ils auront l'honneur de vous expliquer, si vous voulez bien leur donner une petite audience, et qui leur avait été autrefois accordée par M. Voysin2. Je suis, Monsieur, très parfaitement votre très humble, et très obéissant serviteur.
680 A. BARBEZIEUX A FÉNELON
A Marly ce 17 septembre 1700.
Monsieur,
Le Roi a vu par le rapport que je lui ai fait de tous les mandement de M" les archevêques et évêques dont les diocèses sont dans les provinces de mon département, qu'il ne manquait que le vôtre et celui de M. l'évêque d'Arras. J'ai eu ordre de Sa Majesté de lui parler avant son départ pour lui témoigner que le Roi était étonné de ce que, nonobstant la résolution qui fut prise au mois de mai 1699 dans l'assemblée provinciale de Cambray, ainsi qu'il paraît par le procès-verbal, il n'avait point fait de mandement conforme au projet qui avait été fait dans ladite assemblée. Il a promis d'y satisfaire incessamment après s'être excusé par des raisons assez faibles.
A Cambray 4 septembre [1700?].
98 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 22 septembre 1700 22 septembre 1700 TEXTE 99
A votre égard le Roi sait bien que par votre mandement du 9e avril 1699 vous vous êtes soumis à la constitution, mais Sa Majesté a remarqué avec étonnement que nonobstant la déclaration qu'elle a fait expédier après avoir été informé du résultat de toutes les assemblées provinciales de son royaume, par laquelle Sa Majesté enjoint à tous les archevêques et évêques conformément aux résolutions qu'ils avaient prises eux-mêmes de faire lire et publier incessamment ladite constitution en forme de bref dans toutes les églises de leurs diocèses, de l'enregistrer dans leurs officialités, et de donner tous les ordres qu'ils estimeraient les plus efficaces pour la faire exécuter ponctuellement, vous n'ayez rien ordonné sur cette matière dans votre diocèse depuis que cette déclaration a été enregistrée au Parlement de Tournay'. Sa Majesté s'attend que vous réparerez incessamment cet oubli et m'a ordonné de vous écrire qu'elle désire que vous m'envoyiez deux des mandements que vous ferez à cette occasion pour satisfaire à sa déclaration afin que je puisse les lui remettre.
681. AU CARDINAL GABRIELLI
[22 septembre 1700].
Etiamsi parcus in scribendo sum, tamen frequens in recolenda jucundissima qua me dignaris benevolentia. Nunc vero res magni momenti ad silentium intermittendum animum impellit. Quapropter de muftis pauca dicam
Quœ tanto molimine tantoque tumultu triumviratus2, in nomine Cleri Gallicani in lucem edidit acta, haud dubie jam lecta sunt ab Eminentia vestra. Geminum prodit opus; alterum quo card[inalem] Sfondratum cum casuistis3, alterum quo me profligatum volunt4.
1° A biennio jactitabant universœ theologiœ moralis purissimœ collectionem ad umbilicum adduci. Verum spes illa excidit omnis, ex varies censuris excerpta typis mandarunt. Quanto utilius ac modestius Alex[andri] VII et Innoc[entii] XI decreta colligi ac denuo excudi jussissent !
2° Queruntur has propositiones a Pontificibus fuisse damnatas omisso antiquo usu... more majorum, et canonico ordine. Hinc metuunt ne dirum virus serpat. Quapropter suis quasque censuris configendas ducunt. Ita canonicus ordo Pontificum desuetudine interturbatus ab antistitibus restituitur. Ipsi vero Papam docentes suum officium, expectant fore ut tantum opus perficiat6.
3° In scenam invehitur liber ccetui dedicatus, qui Nodum dissolutum impugnat'. Graves, inquiunt, notae inuruntur semipelagianismo saepius imputato8. Hujus libri auctor episcopi Meldensis observationum sex propositiones carpserat. Neminem latet quam impatiens contradictionis sit episcopus ille. Promiserant quidem antistites audacissimi censoris dogmata in conventu, cui dedicatio solemnis facta est, condemnanda esse. Hoc sperabant omnes optimae note theologi. Sed mince Meldensis mere offucie. Dum in propositiones casuistarum jamdudum a superiore judice damnatas incassum detonat, repullulanti hœresi parcit. Quœ de sensu obvio, etc., dixerunt, quœstionem facti, quam vilipendunt, attinent. At de questione juris, scilicet de doctrina fidei, que tot scriptis et cavillationibus deluditur, nusquam ne
quidem vocula9. Unum est quod acerbissime repudiant, scilicet facienti quod in se est Deum gratiam Salvatoris omnium non denegare, liberalitate mere gratuita1°.
4° Qua prœsules quinque in cardinalem Sfondratum dixerant, conventus solemniter approbat, et ratum facit. Quin etiam judicium super hoc libro a Papa quinque delatoribus promissum affingunt " : quo nihil optatius, inquiunt omnes uno Meldensis ore locuti. Quare, pergunt, et a libro examinando nos abstinere par est. Nec interim oblivisci doctrinae adversus Pelagianos a s. August[ino] traditae, quam et Ecclesia Romana suam fecit, et Ecclesiae Gallicanae jam inde ab initio commendavit. Ita annuunt censori Sfondrato, semipelagianismum saepius imputanti. Hanc pestem exscindere tenetur Ecclesia Romana Augustini sententiœ tuendœ adscripta 12.
Hactenus de censura quœ piœ memoriœ vestrum amicum offendit ", nunc de gestorum narratione que me attinet, tria observanda subjungam.
1° Aperta et iterata variatio occurrit. Absit, Eminentissime Domine, ut librum meum a summo Pontifice condemnatum indirecte tueri velim. Sed, incolumi censura, Meldensis in libello impugnando hallucinari potuit. In Instructione de statibus orationis inculcatum voluerat nefas esse per interesse proprium beatitudinem intelligere; ea vili locutione abusi erant Quietistœ. Apostolus Spiritu sancto instinctus ita loqui vetabat. Dabatur spes omnino desinteressata". Verum immutata post editionem mei libelli controversia, immutanda fuit locutionum regula. Ubi sensit me (calva beatitudine semper optanda) exclusum voluisse a perfectis interesse quatenus proprium, quod antea nefas, repente factum est veluti consecrata locutio 's. Quod Anselmus, quod Scotus, quod alii omnes scholastici interesse proprii vocabulo designant, est ipsamet beatitudo. Hanc non designare eo nomine est haeresis formalis. Hanc vero abdicare his vocibus est impia et horrenda desperatio. His artibus, quoquo me verterem, hereticus esse cogebar. Si interesse proprium in libello significaret ipsammet beatitudinem, Quietistarum more locutus, Paulo, S. Spiritui, totique Ecclesiœ contradicebam, amputabam spem omnem, in haeresim formalem impingebam. At contra si dicerem proprium interesse in libello non significare beatitudinem, sed mercenaritatem, exclamabat adversarius. Anselmus, Scotus, aliique omnes theologi ipsammet beatitudinem interesse proprii vocabulo designarunt. Ha2C est a multis seculis trita et consecrata locutio, quemadmodum Consubstantiale et Deipara'. At nunc libello jamdudum condemnato interesse proprium, quod primis temporibus beatitudinem significare vetabat, et postea ut consecratum adhibuit ad significandam beatitudinem, iterata metamorphosi ad pristinum sensum tandem transtulit. Pontificie censurœ in hoc aperte derogavit, quod in libello proprium interesse (contra mentem auctoris) beatitudinem sonare visum fuerit ; conventus autem neget hoc vocabulum beatitudinem ipsam sonare. Protheus autem, ut videre est, mutata impune forma, quidquid dixerit frater, crimini vertit Episcopi vero, quidquid ipse dictet, cœco et servili obsequio scribunt. Quœ omnia dicta velim, illœsa simplicissima '' et absolutissima animi demissione, qua Pontificiœ in meum libellum censurœ constanter adhereo.
2° Quœ nova ac falsa Meldensis docuerat de unica amandi ratione, nimirum beatitudine, qua sublata Deus ipse non esset amandus, hœc eadem conventus nomine fucatis verbis repetit. Quœ si non advertant episcopi, quis
100 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 30 septembre 1700
custodum Israel mentis sopor? Si advertant, quœ flagitiosa servitus? Si Deus ablata illa supernaturali beatitudine amandus non esset, accidentali dono seipsum amabilem facit. Aut potius donum illud non fuit liberum. Sed hoc donum supernaturale naturœ ipsi intelligenti debetur '9.
3° In gestis narrandis de nostra controversia a conventu deligitur adversarius ille meus, qui necdum expleto odio omnia maligne confingat. Confinxit, at Deo justo permittente, sibi ipsi multoties contradixit. Inter multa unum exemplum proferam. In Declaratione solemni affirmaverat, me in examinanda domina Guyon cum aliis tribus quartum judicem accessisse20. Hoc autem a me candidissime pernegatum fuit. Nunc ipse sibi minime constans, una mihi et huic feminœ tres illos censores datos fuisse affirmat 2'. Multa hujusmodi secum aperte pugnantia refelli apologeticis scriptis, quœ scripta ut oblitterentur, nullum lapidem non movet. Dum causam dicere mihi licuit, adversarius in gestis discutiendis obmutescere coactus est. Ubi vero sensit me Sedis Apostolicœ reverentia ad silentium adigi, vocem impune attollit, fratrem vinctum, humanitatis oblitus, jugulare nititur. Silebo tamen, et uni Deo intus dicam. Domine, vim patior: responde pro me". In illa animœ amaritudine preces oro vestras, E. D., measque Patri luminum jugiter fundo, ut Ecclesiœ gravissime laboranti opem strenue feras, Petri sedes toto orbi illuceat, et si vacet", sufficiatur pontifex ad omne opus bonum instructus. Hœc omnia arcana tutis ac fidis auribus instillanda esse mihi visum est, ut piissimus et sagacissimus cardinalis qui bonique consulens, quidquid expediat vel non, tempore et loco, aut loquatur, aut silentio prœtermittat.
Intima cum observantia et perenni animi cultu subscribor.
Athi in Hannonia 22 septembris 1700.
A BARBEZIEUX
Je viens de recevoir la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire en date du 17 de ce mois'. C'est avec le plus profond respect et le zèle le plus sincère que je veux me conformer aux intentions' du Roi. Mais je dois vous dire avec sincérité, que ce n'est nullement par oubli que je n'ai pas fait un second mandement sur la condamnation de mon livre. Il m'a paru qu'il ne pouvait être question de faire deux fois la même chose. Mon mandement n'était point, comme il semble, Monsieur, que vous l'avez cru, un simple acte de soumission au bref du Pape'. Un mandement est un acte d'autorité épiscopale. En adhérant dans le mien au jugement de mon supérieur, je condamnais mon livre avec les mêmes qualifications, j'en défendais la lecture sous les mêmes peines, en un mot je faisais par avance ce que notre assemblée provinciale' a réglé dans la suite que chaque évêque ferait par son mandement particulier. Ce qui était alors à commencer pour tous les autres évêques, était donc déjà fini par avance pour moi. Un mandement qui contient tout ce que la délibération de l'assemblée provinciale et la déclaration du
11 octobre 1700 (?) TEXTE 101
Roi' demandent, ne satisfait pas moins à ces deux actes, en les prévenant, qu'en les suivant. Il est même beaucoup plus fort que tous les autres, en ce qu'il a prévenu la règle. Aussi avais-je fait clairement entendre dans notre assemblée, qu'il ne me restait plus rien à faire, après ce que j'avais fait. Voici, Monsieur, mes propres paroles dans le procès-verbal: M l'archevêque a dit que pour lui il n'avait point à délibérer pour savoir s'il recevrait la constitution en forme de bref puisqu'il l'a déjà reçue avec tout le respect et la soumission due au S. Siège, par un mandement qu'il a publié le 9 du mois dernier dans son diocèse'.
Au reste la publication de mon mandement ne pouvait être plus forte que je la fis, pour ne m'épargner en rien. J'en fis faire deux éditions, l'une française, et l'autre latine, dont je distribuai à mes dépens plus de sept cents exemplaires. J'en envoyai à tous les Doyens de districts pour en faire part à tous les curés de ce diocèse. De plus l'imprimeur en vendit un très grand nombre. Quinze jours après on en fit encore deux autres éditions, l'une à Bruxelles et l'autre à Louvain', qui furent d'abord répandues dans tout le pays.
Dans la suite je fis imprimer le procès-verbal de notre assemblée provinciale, avant qu'on l'eût imprimé à Paris, et j'y insérai tout du long le bref du Pape avec mon mandement. Ainsi cette publication du procès-verbal fut une publication réitérée du mandement même. J'y avais inséré le bref pour me conformer plus exactement par cette circonstance à la délibération de notre assemblée'.
Enfin j'ai ajouté la dernière formalité qu'on pouvait attendre de moi, savoir l'enregistrement du bref au greffe de notre officialité. Si on veut le vérifier, on le trouvera précisément en sa place.
Ainsi, Monsieur, j'ose dire que jamais chose de cette nature n'a été consommée avec plus d'exactitude et de bonne foi. Il ne me reste donc rien de réel à exécuter pour satisfaire ni à la délibération de notre assemblée, ni à la déclaration du Roi. Mais je n'expose tout ceci que pour justifier la droiture de ma conduite. Il suffit que Sa Majesté souhaite que je recommence, pour m'engager à recommencer. Je paierai sans peine une seconde fois la dette que j'avais payée d'abord par avance de si bon coeur. J'envoie dès aujourd'hui à Cambray les ordres nécessaires afin qu'on publie dans toutes les églises, sans attendre mon retour, un mandement9 où le bref sera inséré en français, et afin que vous en puissiez recevoir au plus tôt deux exemplaires. Pour M. l'év[êque] d'Arras, tout ce qui le regarde m'est entièrement inconnu, et ne peut être mis sur mon compte.
Je suis, M., votre très humble et très affectionné serviteur.
F. A. D. D. C.
683. A...
A Cambray, 11 octobre 1700 (?).
[Il lui exprime combien il est touché et édifié de l'attention charitable qu'il a eue pour les intérêts des pauvres de Priches.]'
A Lessines le 30 septembre 1700.
682.
M.
102 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 25 octobre 1700
684. A MARIE-CHRISTINE DE SALM
Mons, 25 octobre 1700.
Les visites que je suis obligé de faire dans cette partie de mon diocèse, m'ont donné occasion, Madame, de voir Mme la princesse de Darmstadt et je ne puis m'empêcher de vous représenter qu'elle m'a paru de plus en plus digne de compassion et de secours '.
Madame la duchesse d'Havré, sa mère, ne peut plus la faire subsister. Toutes les terres de cette maison, qui sont sur cette frontière, ont souffert, pendant dix ans de guerre, non seulement une confiscation continuelle, mais encore des déprédations de bois et des ravages sans ressource. Il a fallu vivre et faire pendant cette longue désolation beaucoup de nouveaux créanciers, au lieu de payer les anciens. Cette maison n'a pu obtenir du côté de l'Espagne aucune grâce pour la dédommager de ces pertes si accablantes. Elle a souffert, du côté de la France, toutes les rigueurs que la guerre autorise. Enfin elle succombe et je ne vois plus rien qui puisse éviter sa ruine totale. Madame la duchesse d'Havré, dans un état si déplorable, souffre, outre ses propres malheurs et ceux de ses autres enfants, toutes les peines de Mme la princesse de Darmstadt qui se voit sans bien, sans consolation, à charge à sa mère et abandonnée de son mari. Elle est jeune, elle a de l'esprit, du mérite et de la vertu. Sa naissance est grande, sa figure est agréable, quand l'extrême langueur que lui causent ses déplaisirs ne la flétrit point. Il n'y a rien en elle qui doive dégoûter M. le prince de Darmstadt, ni attirer son mépris.
Elle souffre ses peines avec un courage très noble et une religion très sincère. Son fils est le plus joli enfant qu'on puisse voir. Que deviendra-t-il? la mère et l'enfant me paraissent mériter toute la compassion de l'empereur' et de l'impératrice'. Le besoin presse et ne peut plus souffrir de retardement. Mme la D. d'Havré s'est épuisée et sa fille ne peut plus attendre d'elle aucune subsistance. Cette jeune personne se consume de tristesse, et toute cette famille est un spectacle qui fait pitié aux personnes les plus indifférentes. Je suis persuadé, Madame, qu'elle vous en fera beaucoup, car je ne saurais jamais oublier ce que j'ai vu de la bonté de votre coeur. La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire et l'extrait que j'y ai trouvé de celle de Monsieur le prince de Salm, donnent de grandes espérances. J'y vois les marques les plus touchantes de la piété et de la générosité de leurs majestés impériales. J'y vois aussi avec joie le zèle et les soins empressés de Monsieur le prince de Salm, qui ont un grand mérite devant Dieu et devant les hommes. Mais ne pourriez-vous point, Madame, écrire encore un mot pour faire souvenir des personnes accablées de tant d'autres affaires plus grandes, que le mal est dans une si grande extrémité qu'il ne peut plus attendre un remède lent.
Après que j'eus reçu la lettre pleine de bonté, dont vous m'honorâtes, et qui a été, depuis ce temps-là, l'unique consolation de Mme la princesse de Darmstadt, je vous fis une réponse que j'envoyai par l'adresse que vous m'aviez marquée, et je mandai à M. l'abbé de Langeron ce que vous m'aviez écrit d'obligeant pour lui. Je compte le revoir dans peu de jours à Cambray. Je prie beaucoup Dieu, Madame, qu'il vous comble de ses grâces. C'est avec 26 octobre 1700 TEXTE 103
respect que je suis, pour toute la vie, votre très humble et très obéissant serviteur.
F. ARCHEVÊQUE DUC DE CAMBRAY.
684 A. BARBEZIEUX A FÉNELON
A Fontainebleau le 26 octobre 1700.
Monsieur,
J'ai reçu deux jours après la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 18 de ce mois les deux exemplaires de votre mandement au sujet de la constitution du Pape sur le livre de l'explication de la Maxime des saints. J'en ai rendu compte au Roi, et il ne me reste qu'à vous assurer que je suis...
685. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Cambray 31 octobre [1700].
Je n'arrivai qu'hier, Madame. Je n'ai appris que dans ce moment par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire l'heureuse naissance du nouveau-né'. Je m'en réjouis de tout mon coeur. Ne serait-il pas permis, Madame, d'aller un de ces matins après la fête, dîner avec vous pour revenir le soir à Cambray'? Le 13 de novembre' est encore bien éloigné. Répondez, s'il vous plaît, en toute simplicité, et en abjurant toute politesse contraire. Vous savez, Madame, avec quel respect je vous suis dévoué.
FRANÇ. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
686. A LA MÊME
A Cambray 2 novembre [1700).
J'attends, Madame, sans impatience, mais de bon coeur, samedi ou lundi'. Vous avez bien raison de compter sur moi. Dieu ne laisse aucune cérémonie entre les siens, quand ils sont siens sans réserve. Il met à la place des délicatesses de l'amour-propre celles de la charité, qui sont infinies, sans être gênantes ni contraires à la simplicité. Je me réjouis des bons sentiments de Mile... 2, et j'espère qu'elle se soutiendra dans le bien, puisque Dieu a soin de redoubler ses coups. Pour Mme de N...', prenez tout pour vous, s'il vous plaît, Madame, et ne me renvoyez rien. Je l'honore assez sincèrement pour être bien aise qu'elle pense ce qu'il faut sur vous, et je me réjouis encore davantage de ce que l'attention du monde ne vous touche guère.
104 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
687. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
[vers le 7 novembre 1700?]'.
Nous avons eu des jours charmants. Jamais automne' ne fut si belle. Mes visites se sont passées plus heureusement qu'il n'était permis de l'espérer. Je craignais la saison et les chemins. Tout a surpassé mes espérances. Depuis mon retour même j'ai eu deux beaux jours où nous nous sommes promenés, mais vous n'y étiez pas.
Je voudrais bien que vous pussiez voir Mad. de Montmege, qui est notre parente'. Elle m'a écrit une lettre pleine d'honnêtetés. Mais je ne sais comment lui répondre, faute d'être instruit de son adresse. Vous la découvrirez facilement. Mes amitiés à votre soeur.
Mille fois tout à vous, mon cher neveu. 11 novembre 1700
légèreté d'esprit, et par indolence. Je vois tout ce que je porte. Mais le monde me paraît comme une mauvaise comédie, qui va disparaître dans quelques heures'. Je me méprise encore plus que le monde. Je mets tout au pis aller, et c'est dans le fond de ce pis aller pour toutes les choses d'ici-bas, que je trouve la paix. Il me semble encore que D[ieu] me traite trop doucement et j'ai honte d'être tant épargné. Mais ces pensées ne me viennent pas souvent, et la manière la plus fréquente de recevoir mes croix, est de les laisser venir et passer, sans m'en occuper volontairement. C'est comme un domestique indifférent, qu'on voit entrer et sortir de' sa chambre, sans lui rien dire. Du reste je ne veux vouloir que D[ieu] seul pour moi, et pour vous aussi, Madame. Qu'est-ce qui suffira à celui à qui le vrai amour ne suffit pas9?
688 A. ANTOINETTE JAMET A FÉNELON
[7 novembre 1700?]
TEXTE 105
[11 novembre 1700].
F. A. D. C.
Monseigneur,
688. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Dimanche au soir 7 novembre [1700]. Cette lettre est écrite d'hier soir, lundi 8 novembre.
On ne peut, Madame, être plus touché que je le suis de ce qui vous regarde. Il m'a paru dans notre conversation que vos scrupules vous ont un peu retardée et desséchée. Ils vous feraient des torts irréparables, si vous les écoutiez. C'est une vraie infidélité. Vous avez la lumière pour les laisser tomber ', et si vous y manquez, vous contristerez en vous le S. Esprit. Où est l'esprit de Dieu, là est la liberté'. Où est la gêne, le trouble, et la servitude, là est l'esprit propre, et un amour excessif de soi. O que le parfait amour est éloigné de ces inquiétudes ! On n'aime guère le bien-aimé, quand on est si occupé de ses propres délicatesses ! Vos peines ne sont venues que d'infidélité. Si vous n'eussiez point résisté à Dieu, pour vous écouter, vous n'auriez pas tant souffert. Rien ne coûte tant que ces recherches d'un soulagement imaginaire. Comme un hydropique en buvant augmente sa soif, un scrupuleux en écoutant ses scrupules, les augmente, et le mérite bien'. Le seul remède est de se faire taire, et de se tourner d'abord vers Dieu. C'est l'oraison et non pas la confession qui guérit alors le coeur. Travaillez donc à réparer le temps perdu; car franchement je vous trouve un peu déchue et affaiblie'. Mais cet affaiblissement se tournera à profit. Car l'expérience de la privation, de l'épreuve, et de votre faiblesse, portera sa lumière avec elle, et vous empêchera de tenir trop à ce que l'état de paix et d'abondance a de doux et de lumineux. Courage donc. Soyez simple. Vous ne l'êtes pas assez, et c'est ce qui vous empêche souvent de tout dire, et de questionner.
Pour moi je suis dans une paix sèche, obscure et languissante, sans ennui, sans plaisir, sans pensée d'en avoir jamais aucun, sans aucune vue d'avenir en ce monde', avec un présent insipide, et souvent épineux, avec un je ne sais quoi qui me porte, qui m'adoucit chaque croix, qui me contente sans goût. C'est un entraînement journalier6; cela a l'air d'un amusement par
Je prends la liberté d'écrire à Votre Grandeur' pour vous dire ce que vous ne sauriez pas si je ne vous le disais, c'est à savoir QUE JE VOUS AIME.
Vous penseriez sans doute en lisant ces trois derniers mots, à vous tenir aussitôt sur vos gardes, si j'étais quelque belle jeune fille, de crainte qu'une telle déclaration ne fût le préambule de quelque tentation.
Ou si j'étais quelque grande dame, vous vous sentiriez peut-être embarrassé comment et avec quelles cérémonies il vous faudrait accepter, ou refuser un tel compliment.
Ou bien enfin si j'étais une gueuse, vous pourriez me soupçonner de vouloir attraper quelque chose des biens de Votre Grandeur par mes flatteries. Mais Monseigneur, je ne suis rien de tout cela.
Premièrement je n'ai besoin de rien. Et je suis si éloignée de vouloir m'attirer des présents que tous ceux qui me fréquentent savent que c'est peine perdue de m'en offrir; parce que je n'en veux recevoir ni petits ni grands de qui que ce soit que de mon frère: qui est un chanoine d'Evreux suffisamment accommodé qui ne désire point plus de richesses ni plus de dignités qu'il en a
Pour de la beauté je n'en ai jamais guères eu. De la jeunesse je n'en ai plus. Il y a pour le moins trente ans que mon père est mort. Et lorsqu'il mourut il y avait déjà quinze mois que j'avais fait profession dans l'abbaye de Saint-Sauveur d'Evreux. Ergo les hommes n'ont plus de tentations à craindre avec moi de ce côté-là.
Pour ma condition je ne suis que la fille d'un médecin. Ainsi vous ne serez jamais obligé d'user de beaucoup de cérémonies envers moi.
Mais j'ose vous dire, Monseigneur, que comme les esprits n'ont point de sexe, et que toutes les âmes sont d'une égale noblesse, la mienne en vérité est aussi intelligente sur votre mérite, et aussi encline à l'honorer que celle de plusieurs gens savants et de qualité qui se disent de vos amis.Et je vous assure que je vous donnerais de mon estime, et de l'affection que je vous porte des preuves qui vous seraient agréables et aussi glorieuses que les leurs, si j'avais là dessus autant de pouvoirs qu'ils en ont.
106 CORRESPONDANCE DE FÉNELON TEXTE 107
[11 novembre 1700]
11 novembre 1700
lbut ce que j'ai pu faire jusqu'à présent pour votre service a été de composer un manuscrit pour votre justification, dont la principale pièce est un
parallèle de quelques endroits de votre livre des maximes que j'ai mis à côté
des articles d'Issy avec plusieurs arguments et réflexions de ma façon: où il ne se rencontre rien d'offensant contre vos adversaires : et ce n'est point non
plus un fruit de rébellion et de désobéissance; cet ouvrage s'étant trouvé achevé avant qu'il fût défendu par aucune loi de lire et de transcrire le livre de Votre Grandeur.
J'avais bien envie dès lors que mon parallèle fut fait de vous l'envoyer. Mais ma clôture religieuse que je garde encore plus étroitement que pas une autre de mes compagnes à cause de mon humeur solitaire et studieuse: mon peu de commerce avec les gens tant du dehors que du dedans même de notre monastère ne s'est pas trouvé propre à me faire découvrir quelque occasion favorable à vous prévenir et à commencer à vous demander un peu de part à l'honneur de votre communication. Reconnaissant donc après quelques petites tentatives qui ont été inutiles, que ce serait en vain que j'attendrais plus longtemps un autre meilleur moyen de saluer Votre Grandeur, et de vous entretenir que par la poste, je m'en sers à cet effet, Monseigneur. Si ma lettre vous tombe entre les mains; que vous m'y répondiez; que vous me témoigniez souhaiter d'avoir le manuscrit que j'ai tout prêt à vous donner; que vous me marquiez une personne à Paris ou à Evreux entre les mains de qui je le puisse faire porter pour vous être rendu: j'en aurai bien de la joie, je vous en remercierai, et je tâcherai de vous satisfaire.
Je joindrais même si je pensais que vous le voulussiez à ce manuscrit qui vous regarde particulièrement, un autre qui me regarde plus spécialement puisque c'est pour mon propre usage et pour le bon règlement de mon âme que je l'ai mis en l'état où il est. Il pourrait en un besoin servir de preuve que pour être du parti de l'amour désintéressé, on n'est pas pour cela ennemi des actes méthodiques.
Je crois si peu, Monseigneur, que vous nous vouliez empêcher de faire des actes méthodiques, des réflexions et des raisonnements lorsque nous en avons besoin pour nous exciter à la poursuite des vertus que nous n'avons pas, ou à la conservation de celles que nous avons : que je ne ferais pas de difficulté d'exposer à votre examen, et de corriger sur les avis que vous me donneriez quatre ou cinq actes fort amples de foi, d'espérance, de charité, et d'humilité que j'ai composés dans un temps où j'en avais un grand besoin, dans lesquels je mets en oeuvres les plus fortes raisons que mon esprit a pu apercevoir pour exciter en moi le désir de ces vertus, ma ferveur à les demander à Dieu, et mon courage à m'en mettre sans retardement dans la pratique, au moins en la manière qu'un sage philosophe s'y pourrait mettre naturellement.
Quitte après cela à aller puiser dans les instructions de saint Paul, de saint Augustin, et de saint Thomas des remèdes propres à préserver de l'orgueil pélagien, ceux qui ressemblant à Pélage seraient fort contents d'eux-mêmes de s'être si industrieusement acquis toutes ces sortes de vertus qu'ils priseraient autant que si la grâce médicinale du Sauveur les leur avait infuses.
Si cette lettre qui vous promet de tels écrits quand vous les voudrez voir, s'égare en chemin; qu'elle ne vous parvienne point jusques à votre palais; ou que vous la dédaigniez: je me consolerai de n'y avoir perdu qu'une feuille de papier dont la perte ne me pourra pas causer beaucoup d'inquiétude puisque je ne machine rien contre Dieu ni contre le Roi et que je ne blesse ni la charité ni aucune autre vertu dans tout ce qui est dans ma lettre. Je serais pourtant bien aise qu'elle ne fût point perdue, et en priant Dieu qu'elle ne le soit point je la recommande à sa divine providence. Mais quand après toutes mes dévotes recommandations et malgré toutes mes précautions elle le serait, et que quelques curieux infidèles la décachetteraient, qu'en pourrait-on inférer après l'avoir lue? sinon que vous, Monseigneur, qui parlez si saintement de l'amour désintéressé avez dans toutes les provinces plusieurs personnes qui vous aiment véritablement sans autre intérêt que de rendre de bon coeur justice à votre mérite. Entre lesquelles personnes qui vous aiment et qui vous honorent sincèrement je supplie très humblement Votre Grandeur de me faire la grâce de compter toujours, Monseigneur, votre très humble et très obéissante servante.
De l'abbaye de Saint-Sauveur d'Evreux l'onzième novembre 1700 jour de Saint Martin
ANTOINETTE JAMET.
Certaines raisons, Monseigneur, m'obligent à faire plus de secret de cette lettre que je vous adresse que je n'en ai fait de quelques écrits que j'ai composés sur votre sujet, lesquels ont été un peu vus ici et à Paris. Mais pour cette présente lettre je n'en parlerai point ni à mon frère ni à personne de peur d'être traversée dans son envoi par diverses sortes de gens et de motifs. Et afin que Votre Grandeur ne soit pas mal édifiée de ce silence, je lui apprends que je suis Dieu merci dans un couvent mitigé où l'un des articles de notre mitigation regarde les lettres. C'est la coutume de cette maison que de toutes nos lettres les unes partent de nos mains et les autres y viennent d'ordinaire toutes cachetées. Nous n'en parlons et nous ne les montrons qu'autant que nous le voulons. Mais aussi c'est nous-mêmes, qui les payons et non pas la communauté. Or la libéralité de mon frère qui me donne tous les ans à mes étrennes 15 ou 20 francs me suffit pour satisfaire à mon aise à toutes ces sortes de petites dépenses. C'est pourquoi, Monseigneur, si vous voulez bien m'honorer d'une de vos lettres comme je vous en supplie, vous pourrez me la faire tenir par la poste. Il faudra néanmoins qu'après avoir mis sur le dessus «A Madame Jamet religieuse de St-Sauveur d'Evreux» et l'avoir cachetée d'un cachet qui ne vous désigne point elle vienne depuis Cambray jusques à Paris ou à Rouen enveloppée dans une autre. Et j'espère que de cette sorte ne paraissant point à Evreux qu'elle vienne de plus loin que de Rouen ou de Paris notre poste me l'apportera aussi fidèlement qu'elle m'en apporte d'autres que je reçois de temps en temps de ces deux villes-là.
Si quelqu'un du pays où vous êtes venait quelquefois en celui-ci et qu'il demandât à me voir, il n'aurait qu'à dire si on l'interrogeait de quelle part il me demande, que c'est pour me parler de Madame Riotte Religieuse cordelière de Gournay. Et pour que nous ne mentissions pas je lui parlerais effectivement de cette Dame. Nous n'avons point ici de soeurs écoutes à nos parloirs.
Je suis touché, Monsieur, comme je dois l'être de toutes les marques de la bonté de votre coeur. Mais elles ne me surprennent point, et vous auriez bien de la peine à surpasser mon attente.
Je reviens d'un voyage d'environ deux mois dans le Hainaut espagnol'. C'est ce qui m'a empêché de vous remercier plus promptement.
Quelque séparation qu'il y ait entre nous, je ne cesserai jamais de vous aimer et de vous honorer plus sincèrement que les gens qui vous environnent tous les jours.
C'est de tout mon coeur et pour toute ma vie que je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBR.AY.
687. A DOM FRANÇOIS LAMY
A C[ambrai] 14 novembre 1700.
Je n'ai le temps, mon Révérend Père, que de vous dire combien j'ai eu de joie d'apprendre de vos nouvelles par M. l'A. de L[angeron]. Ce qu'il m'a dit de votre bonne santé, et de la continuation de votre amitié pour moi, m'a fait sentir un vrai plaisir dans un temps où je n'en sens guère. Je ne vous dis rien sur votre livre contre le P. Malebranche. Le succès qu'il a eu dans un temps où il paraissait devoir être si violemment contredit, est le plus grand de tous les éloges qu'il pouvait recevoir'. Cette date est bien importante pour le motif propre de la charité. Je souhaite qu'elle vous consomme en J[ésus-] C[hrist] et que nous n'ayons plus ni vous ni moi d'autre vie que celle de la nouvelle créature cachée dans le sein du Père. Tout à vous, mon cher Père, à jamais.
24 novembre 1700 TEXTE 109
mérite, qui est notre châtelain' a déjà tout examiné, et a réglé exactement sur les lieux tous les travaux à faire. Les habitants sont prêts à s'y appliquer sans relâche, dès que la saison le permettra. Vous savez, Monsieur, qu'elle ne le permet pas maintenant. Rien ne presse. Voici la paix bien affermie. On ruinerait sans ressource ces pauvres gens, et on ferait périr toutes leurs voitures, si on les contraignait de travailler à ces ouvrages en plein hiver. J'ose dire que le vrai service du Roi demande qu'on attende jusqu'au printemps, puisque la chose n'est pas d'une nécessité pressante. Selon les apparences, ceux qui pressent tant veulent qu'on les apaise par quelque somme d'argent. Mais j'espère que vous voudrez bien leur imposer silence, et faire attendre la saison où le peuple ne manquera pas de faire son devoir.
Voici une autre affaire importune. Le procureur du Roi du Quesnoy' presse mes gens de leur donner un plan figuratif de nos bois du Casteau, pour prendre connaissance de ces bois. C'est attaquer directement nos privilèges. Il doit savoir que nous avons un arrêt du conseil qui nous maintient dans nos franchises à cet égard, et qui déclare que nos bois ne sont en rien assujettis à la maîtrise des eaux et forêts du Quesnoy, ni d'ailleurs. Cet arrêt est de l'an 16821e 22 de juin, et fut donné au rapport de M. Le Peletier, intendant de Flandre'. M. le procureur du Roi peut d'autant moins prétendre l'avoir ignoré, qu'il fut enregistré au Quesnoy, en présence de tous les officiers de la maîtrise, le 9 décembre de la même année'. Ne puis-je pas espérer, Monsieur, que vous engagerez cet officier à respecter l'arrêt du conseil et la volonté du Roi.
Je suis revenu si tard du Hainaut espagnol, et avec un équipage si fatigué de mes visites, que je n'ai pu passer par Maubeuge'. J'en ai tout le regret possible; et rien n'est plus sincère que mon impatience de vous aller dire avec quels sentiments je suis pour toute ma vie, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 20 novembre 1700.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
108 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 12 novembre [1700]
689. AU MARQUIS LOUIS II D'ESTOURMEL'
A Cambray 12 novembre [1700].
A C. 14 novembre 17002.
FR. ARCH DUC DE CAMBRAY.
691. A MAIGNART DE BERNIÈRES
692. Au MÊME
[24 novembre 1700].
Monsieur,
[20 novembre 1700].
Monsieur,
Je vous importune le moins que je puis. Mais je ne puis l'éviter, autant que je le voudrais, et vous avez la bonté de le souffrir.
Les gens préposés pour faire raccommoder les chemins veulent obliger les habitants de la terre de Solesme de réparer dès à présent les leurs. Il est vrai qu'ils en ont besoin. Mais M. du Barlet gentilhomme de naissance et de
M. le pasteur de Poix ' se trouve depuis longtemps dans l'impuissance de remédier à la pauvreté et à l'indécence de son église, parce que les fonds dus à cette église sont entre les mains de ceux qui les ont administrés, et qui ne veulent pas en rendre compte. Il est certain, Monsieur, que le curé est non seulement en droit, mais encore en obligation d'assister aux comptes de fabrique, et qu'on ne peut les rendre légitimement sans son intervention. Les placards des Rois d'Espagne autrefois souverains du pays l'ont décidé en termes formels. Le Roi a montré par son édit de 1695 que son intention est encore plus favorable au pasteur. Quoique cet édit qui avait été reçu au
8 décembre 1700
694. A BARBEZIEUX
TEXTE 111
[8 décembre 17001.
Monsieur,
Il me semble qu'il est de mon devoir dans la conjoncture présente de donner au Roi d'Espagne' des marques de mon profond respect, et de lui demander sa protection pour l'Eglise dans la moitié de ce diocèse, qui est sous sa domination. Nous avons tous les jours sur cette frontière des affaires difficiles, où la juridiction ecclésiastique serait en péril de souffrir beaucoup, si Sa Majesté Catholique n'avait pas la bonté de montrer une particulière attention pour protéger les intérêts de la religion en ce pays.
Je ne prendrai néanmoins, Monsieur, la liberté de lui écrire, qu'en cas que le Roi veuille bien m'en accorder la permission. J'attendrai là dessus ses ordres, et j'espère que vous me ferez l'honneur de me les envoyer. Je suis parfaitement, Monsieur, votre très humble, et très affectionné serviteur.
110 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 28 novembre 1700
parlement de Tournay, ait été suspendu par sa Majesté pour ce pays, il suffit pour montrer l'intention du Roi 2.
D'ailleurs les anciens placards sont décisifs, et en pleine vigueur. Je ne pourrais donc, Monsieur, me dispenser de soutenir le pasteur dans une fonction qui est pour lui et de droit et d'obligation. Mais comme j'apprends que ceux qui ont administré ces fonds de l'église sont les officiers de Madame Chastelain3 que j'honore beaucoup, et pour qui je sais que vous avez une considération particulière, je prends la liberté de vous supplier de vouloir bien engager Mad. Chastelain à faire en sorte que ces personnes qui dépendent d'elle rendent compte de l'administration des biens de l'église avec l'intervention du pasteur, qui a droit et obligation de s'opposer à tout ce qui ne serait pas régulier dans cette administration. De ma part je recommanderai fortement au pasteur de se conduire dans cette affaire de la manière la plus douce et la plus pacifique, pour ménager les administrateurs avec amitié, et pour marquer les plus grands égards à Mad. Chastelain qui les protège. Pardon, Monsieur, de cette opportunité que je n'ai pu éviter de vous donner.
Je suis toujours très parfaitement, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 8 décembre 1700.
A Cambray 24 novembre 1700. FR. AR. DUC DE CAMBRAY.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
695. A LA COMTESSE DE MONTBERON
693. A Mme DE NOYELLES (?)
28 novembre 1700.
Madame,
Je consens de tout mon coeur que vous fassiez dire la messe dans votre chapelle et que vous l'entendiez toutes les fois que votre médecin vous obligera de garder la maison. Les dames qui logent chez vous peuvent en user de même dans le même cas, et la permission s'étend aussi jusque sur les domestiques malades qui peuvent profiter de la messe qu'on dira pour les dames.
Cette lettre, Madame, vous servira de permission par écrit. Je connais trop votre piété pour craindre qu'une telle permission se tourne jamais chez vous en abus. Il ne me reste qu'à souhaiter des occasions plus importantes pour vous persuader du zèle avec lequel je serai parfaitement toute ma vie, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
Dimanche 12 décembre 1700.
J'ai toujours pour vous, Madame, au coeur ces paroles: comme l'eau éteint le feu, le scrupule éteint l'oraison. Ne vous écoutez point vous-même sur vos scrupules, et vous serez en paix. Il y a deux choses qui doivent vous ôter toute crainte. L'une est l'expérience de votre vivacité, de votre subtilité, de vos tours ingénieux pour vous troubler vous-même sur des riens. Vous l'avez souvent reconnu. Tous vos directeurs et confesseurs vous l'ont unanimement déclaré. C'était une tentation reconnue pour telle, avant que vous fissiez oraison'. L'oraison n'y doit rien ajouter. Pour faire oraison, vous n'en devez pas moins rejeter vos scrupules, comme des tentations anciennes, qu'on vous a de tout temps ordonné de n'écouter plus. L'oraison ne fait pas que ce qui était autrefois très innocent, devienne mauvais ou dangereux. L'oraison ne fait pas que vos anciens directeurs aient mal réglé ce qu'ils ont réglé indépendamment de toute oraison, et sur quoi ils sont uniformes. La seconde chose qui doit vous rassurer, est le préjudice qui vous vient de ces scrupules. Toutes les fois que vous voulez, contre l'obéissance, et contre votre attrait intérieur, rentrer dans ces examens tant de fois condamnés par vos directeurs, vous vous distrayez, vous vous troublez, vous vous desséchez, vous vous éloignez de l'oraison, et par conséquent de Dieu, vous rentrez en vous-même, vous retombez dans votre naturel, vous réveillez vos vivacités', vos délicatesses, et vos autres défauts, vous n'êtes presque plus occupée que de vous. En vérité tout cela est-il de Dieu? est-ce en suivant l'attrait de sa grâce qu'on s'éloigne tant de lui? A mon retour je vous trouvai si déchue, et si prête à vous dissiper entièrement, que je ne vous connaissais presque
112 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 13 décembre 1700
20 décembre 1700 TEXTE 113
plus'. Est-ce là l'ouvrage de Dieu? y reconnaissez-vous sa main? L'amour détourne-t-il d'aimer? D'ailleurs, dans la vie simple et régulière que vous menez depuis que vous faites oraison encore plus qu'auparavant, vous ne pouvez repasser dans votre esprit que des vétilles pour plusieurs années. Ne seriez-vous pas bien coupable devant Dieu, si vous vous détourniez de sa société familière dans l'oraison, par la recherche inquiète de toutes ces vétilles que vous grossissez dans votre imagination? Je les mets toutes au pis, et je les suppose de vrais péchés. Du moins elles ne peuvent être que des péchés véniels, dont il faut s'humilier, et travailler fortement à se corriger, mais que la ferveur de l'amour dans l'oraison efface promptement. Mais vous devriez tourner votre délicatesse scrupuleuse principalement contre vos scrupules mêmes. Est-il permis, sous prétexte de rechercher les plus légères fautes, de se troubler, de faire tarir la grâce de l'oraison, et de se faire tant de grands [maux'] pour en subtiliser de petits? Ce n'est pas pour le temps présent que je vous dis toutes ces choses. Vous n'en avez pas besoin maintenant. Mais le besoin en peut revenir. Le scrupule est une illusion en mal, comme la fausse oraison est une illusion en bien. Pour l'oraison qui met en paix, qui nourrit le coeur, qui détache, qui humilie, qui ne cesse que quand on tombe dans le scrupule, et qu'on ne peut quitter qu'en s'éloignant de l'amour, elle ne peut être que bonne. Il ne peut y avoir aucune illusion à croire sans voir, à aimer sans s'attacher à ce qu'on sent, à recevoir simplement sans s'arrêter à ce qu'on reçoit, à renoncer à toute imagination, au propre sens et à la propre volonté.
Voici une lettre qui était déjà faite, Madame, et à laquelle je n'ajouterai rien, sinon que je me servirai d'une voie particulière, qui se présente, pour faire la réponse qu'on attend, sans craindre l'inconvénient que vous craignez.
696. A DOM FRANÇOIS LAMY
A C[ambrai] 13 déc[embre] 1700.
Je suis surpris, mon Révérend Père, qu'on laisse écrire le P. Mal [ebranche] contre vous, et qu'en même temps on vous impose silence. Quelle autorité engage votre Père général à vous lier les mains pendant qu'on vous frappe, et qu'on vous impute des principes qui ont des conséquences impies? Vous avez raison d'obéir, et c'est dans votre silence qu'est votre force. Mais il faut que quelque personne puissante ait parlé au P[ère] général '. D'ailleurs je ne comprends pas comment le P. Mal ebranche] veut écrire contre un auteur à qui on a fermé la bouche. L'amour-propre bien éclairé sur ses intérêts (s'il y en avait un tel au monde)2 suffirait pour ne prendre jamais un si mauvais parti. Je plains votre adversaire de ce qu'il [se] fait tort par cette conduite, et je vous trouve fort heureux de n'avoir qu'à vous taire, en obéissant. Nous devons quelquefois à la vérité, de parler pour elle, faute de quoi nous manquerions à un devoir pressant. Mais elle n'a jamais besoin de nous, et elle est dans les mains de D[ieul ou, pour mieux dire, elle est D[ieu] même, qui n'a jamais besoin de personne. Votre Père général aura eu selon les apparences de fortes raisons pour vous empêcher d'écrire plus longtemps.
Pour le R[oi] d'Espagne, son état est bien grand', mais bien périlleux. Prions pour lui, afin qu'il fasse les biens, et qu'il ne fasse aucun des maux, que sa place le met à portée de faire. Beaucoup de jeunesse et d'autorité sont bien redoutables, quand elles se trouvent ensemble. Encore une fois prions pour lui.
Ne prions pas moins pour le nouveau Pape*, afin qu'il soit plein de l'esprit de grâce, non seulement pour remédier aux abus extérieurs sur la discipline, mais encore afin qu'il inspire au troupeau de J[ésus-]C[hrist] l'amour des vertus intérieures et de la prière, faute de quoi la discipline extérieure n'est que comme la lettre de la loi une vaine apparence de religion. Pour moi, je n'ai à parler qu'à Dieu, et mon état me dispense de parler aux hommes, excepté mes diocésains. Votre attention et votre sensibilité pour tout ce que vous croyez qui peut avoir quelque rapport à moi, me touche vivement. Mais rien de ce monde ne me regarde'. Ce qui peut m'être utile et consolant, c'est qu'un ami tel que vous continue à m'aimer, et à prier pour moi. De mon côté je ne cesserai jamais de prier pour vous, de vous honorer, et de vous aimer très cordialement.
FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.
697. A MAIGNART DE BERNIÉRES (?)
20 décembre 1700.
[Relative à la chapelle de Notre-Dame-aux-Arbres qui est située à la porte de Landrecies et que Louis XIV a fait rétablir.] «Le Roi désire que les pères carmes la desservent à l'intention des soldats de la garnison; mais il faut penser aux fondateurs et à l'instruction des paroissiens qui l'avoisinent. » '
698. A MARIE-CHRISTINE DE SALM
Cambray, 20 décembre 1700.
Je suis, Madame, dans une véritable et sensible affliction sur les nouvelles que vous me donnez de votre santé. J'espère néanmoins que les médecins qui devront examiner votre mal l'auront trouvé moindre que vous ne l'aviez cru. Il me tarde bien de savoir ce qu'ils auront jugé de votre état et je souhaite de tout mon coeur que vous puissiez m'en donner au plus tôt de bonnes nouvelles. Nous avons écrit à Paris pour savoir exactement comment est-ce qu'une dame de notre connaissance a été guérie d'un mal qu'on croyait incurable en ce genre. C'est Mad. de Chatillon ' que vous avez pu voir ou à S. Sulpice ou avec Mad. la Duchesse Douairière d'Usez2. Elle était fort mal et les médecins n'avaient pu la soulager. Un aventurier', ce me semble, lui fit un remède avec des cloportes et elle est parfaitement guérie. Dieu veuille que vous puissiez bientôt être de même. Il n'y a point de joie que je désire ressentir plus que celle-là. Nous garderons le secret là-dessus.
Pour la jeunesse il ne faut jamais être surpris des mécomptes qu'on y trouve. Il vient un âge où les jeunes personnes n'ont que le goût du plaisir, sans réflexion et sans expérience, avec la jalousie de leur liberté. Elles ne croient ni n'écoutent rien de ce qu'on leur dit. On leur est incommode, et il
114 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 20 décembre 1700 [1700] TEXTE 115
n'y a guère alors d'autre remède que celui de la patience pour laisser écouler le torrent. Mais l'âge amène peu à peu ce que l'autorité, l'exemple et l'instruction n'ont pu faire d'abord. Cette première pointe de jeunesse s'émousse, on s'accoutume à réfléchir, on éprouve du mécompte partout. On se rappelle insensiblement tout ce qu'on n'écoutait autrefois qu'à demi et dont on se moquait. On mûrit comme un fruit vert. La jeunesse bien instruite revient de loin après de grands égarements. Il faut la laisser un peu se fatiguer et s'embarrasser elle-même dans les indocilités. Il faut alors se borner à les édifier, à leur être aimable, sans les flatter, à prier pour elles, et à attendre que Miel') fasse sur elles ce que nous ne pouvons y faire'.
Mad. la P. de Darmstadt est allée faire un voyage à la hâte. A son retour, je lui offrirai ce qui dépend de moi. Les affaires de Mad. sa mère sont dans la dernière désolation. La fille n'aura aucune ressource si l'Impératrice n'a pitié d'elle tout au plus tôt 5.
Je suis fâché d'apprendre que Monsieur le Prince de Salm6 est goutteux. Je voudrais qu'un homme si droit, si éclairé, si utile au public n'eût aucun mal qui interrompît sa santé et ses travaux.
Ce qui vient d'arriver dans l'Europe est bien extraordinaire. D[ieu] fait des coups qu'on ne peut prévoir. La paix est un bien plus désirable que tous les autres de cette vie'. La vie elle-même n'est rien. Elle est déjà presque écoulée. La mienne ne finira point, Madame, mon zèle et mon respect pour vous.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
698 A. BARBEZIEUX A FÉNELON
A Versailles 20 décembre 1700.
Monsieur,
J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 8e de ce mois, de laquelle ayant rendu compte au Roi, Sa Majesté m'a commandé de vous faire savoir qu'elle ne croyait pas qu'il fût nécessaire que vous écrivissiez au Roi d'Espagne pour lui demander sa protection pour l'Eglise dont la moitié de votre diocèse est sous sa domination', et qu'elle lui en ferait parler par Monsieur le Duc d'Harcourt' lorsqu'il serait arrivé en Espagne. Je suis...
699. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Dimanche 26 déc[embre] 1700.
Vous ne vous trompez point, Madame, en disant que l'élévation que l'amour donne n'enfle point le coeur. C'est une marque qui rassure contre la crainte de l'illusion. L'amour, selon l'expérience intime, est bien plus Dieu que nous. C'est D[ieu] qui s'aime lui-même dans notre coeur'. On trouve que c'est quelque chose qui fait toute notre vie, et qui est néanmoins supérieur à nous. Nous n'en pouvons rien prendre pour nous en glorifier. Plus on aime
Dieu, plus on sent que c'est D[ieu] qui est tout ensemble l'amour et le bien-aimé. O qu'on est éloigné de se savoir bon gré d'aimer, quand on aime véritablement. L'amour est emprunté'. On sent qu'il fait tout, et que rien ne se ferait, s'il ne nous était donné pour tout faire. Hélas! qu'aimerais-je, si ce n'est moi-même, si je n'aimais que de mon propre fond? Dieu qui sait tout assaisonner, ne donne jamais le plus sublime amour sans son contre-poids. On éprouve tout ensemble au dedans de soi deux principes infiniment opposés. On sent une faiblesse et une imperfection étonnante dans tout ce qui est propre. Mais on sent par emprunt un transport d'amour, qui est si disproportionné à tout le reste, qu'on ne peut se l'attribuer. Un enfant qu'on enlève bien haut, loin de s'en croire plus grand, a peur de tomber, si on ne le tient à deux mains dans cette élévation. C'est l'amour qui rend véritablement humble, car il avilit infiniment tout ce qui n'est point le bien-aimé. Il en occupe tellement qu'il fait qu'on s'oublie. Enfin il fait sentir quelque chose de si différent de la nature, qu'il convainc de sa corruption et de son impuissance'. Il reproche intimement avec une vivacité perçante jusqu'aux moindres recherches de la nature.
Tenez ferme, Madame, pour vos communions°. Les consciences scrupuleuses ont besoin d'être poussées au-delà de leurs bornes, comme les chevaux rétifs et ombrageux. Plus vous hésiterez dans vos scrupules, plus vous les nourrirez secrètement. Il faut les gourmander pour les guérir. Plus vous les vaincrez, plus vous serez en paix. En passant au-delà, vous trouverez non seulement une paix véritable, mais encore une paix lumineuse, qui vous apportera un profond discernement sur le piège de vos scrupules, et qui sera suivie de fruits solides. Voilà la marque qu'une conduite est de Dieu. Rien n'est si contraire à la simplicité que le scrupule. Il cache je ne sais quoi de double et de faux. On croit n'être en peine que par délicatesse d'amour pour Dieu. Mais dans le fond on est inquiet pour soi, et on est jaloux pour sa propre perfection par un attachement naturel à soi. On se trompe pour se tourmenter, et pour se distraire de Dieu sous prétexte de précaution.
699 A. MICHEL CHAMILLART A FÉNELON
[17001.
Je n'ai point eu l'intention' de diminuer les privilèges des habitants du Cateau-Cambrésis par l'arrêt du 20 avril dernier qui a été rendu pour faire exécuter l'édit de l'établissement du contrôle des actes dans le département de M. Debagnols ; et sur ce que vous m'avez représenté par votre lettre, qu'elle a toujours été distinguée des autres châtellenies dans les impositions qui se sont faites et qu'elle a été exemptée dans de pareilles occasions', je ferai expédier un arrêt pour faire exempter du contrôle les actes qui seront passés par les juges, notaires et greffiers de cette châtellenie, quoiqu'elle soit comprise dans le précédent dont vous vous plaignez.
116 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 2 janvier 1701
700. A MAIGNART DE BERNIÈRES
[2 janvier 1701].
Monsieur,
On ne peut ressentir plus vivement que je le fais, toutes les marques d'amitié, que vous me faites l'honneur de me donner en toute occasion. Jugez par là comment je reçois vos souhaits pour la nouvelle année et combien j'en fais devant Dieu, afin qu'il vous comble de toutes sortes de bénédictions spirituelles et temporelles. Je le prie de les répandre aussi sur Madame de Bernières. J'aurai une véritable joie, quand la saison et mes projets de visites me permettront d'aller à Maubeuge vous remercier de tout ce que vous faites pour moi. Cependant, Monsieur, je puis vous assurer, qu'il ne tiendra pas à mes soins, que M. le pasteur de Poix ne fasse son devoir non seulement par rapport au service du Roi, et du public, mais encore par rapport à la Dame de sa paroisse qu'il doit honorer'. Je lui ai mandé de venir ici, afin que je puisse lui donner mes avis sur sa conduite. On ne peut rien ajouter aux sentiments à' l'estime singulière, et au zèle avec lequel je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. 10 janvier 1701 TEXTE 117
volonté, qui paraît moins, et qui est beaucoup plus que ce qu'on appelle d'ordinaire courage. La bonne eau ne sent rien. Plus elle est pure, moins elle a de goût. Elle n'est d'aucune couleur. Sa pureté la rend transparente', et fait que n'étant jamais colorée, elle paraît de toutes les couleurs des corps solides où vous la mettez. La bonne volonté qui n'est plus qu'amour de celle de Dieu, n'a plus ni éclat ni couleur par elle-même. Elle est seulement en chaque occasion ce qu'il faut qu'elle soit, pour ne vouloir que ce que Dieu veut. Heureux ceux qui ont déjà quelque commencement et quelque semence d'un si grand bien.
C'est à vous, Madame, à préparer, à ouvrir, à façonner peu à peu l'homme nouveau dans votre prochain, qui vous est si cher'. Ne hâtez rien, ne prévenez rien, ne vous empressez sur rien. Mais suivez pas à pas tout ce que D[ieu] commence. Il y a une espèce de signal qu'il donne. Il faut y être attentif et être aussi éloigné de la négligence et de la retenue politique, que de l'empressement. Je souhaite que votre malade' ne nous empêche point d'avoir l'honneur de vous revoir samedi '°. Aurez-vous la bonté de dire un mot pour moi aux deux personnes chez qui vous êtes?
702. A MARIE-CHRISTINE DE SALM
A Cambray 2 janvier 1701. De Cambray, 10 janvier 1701.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
701. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Cambray 5 janvier 1701'.
Je suis touché, Madame, de ce que votre malade souffre. Mais je me réjouis de ce qu'elle souffre si bien 2. Souvenez-vous de ce que dit le [Chrétien intérieurl: Ceux qui ne veulent point souffrir n'aiment point car l'amour veut toujours souffrir pour le bien-aimé. Vous ne vous trompez point, en distinguant la bonne volonté du courage. Le courage est une certaine force et une certaine grandeur de sentiment', avec laquelle on surmonte tout. Pour les âmes que D[ieu] veut tenir petites, et à qui il ne veut laisser que le sentiment de leur propre faiblesse, elles font tout ce qu'il faut sans trouver en elles de quoi le faire, et sans se promettre d'en venir à bout. Tout les surmonte selon leur sentiment, et elles surmontent tout par un je ne sais quoi, qui est en elles sans qu'elles le sachent, qui s'y trouve tout à propos au besoin', comme d'emprunt, et qu'elles ne s'avisent pas même de regarder comme leur étant propre. Elles ne pensent point à bien souffrir. Mais insensiblement chaque croix se trouve portée jusqu'au bout dans une paix simple et amère', où elles n'ont voulu que ce que Dieu voulait. Il n'y a rien d'éclatant, rien de fort, rien de distinct aux yeux d'autrui, et encore moins aux yeux de la personne. Si vous lui disiez qu'elle a bien souffert, elle ne le comprendrait pas. Elle ne sait pas elle-même comment tout cela s'est passé. A peine trouve-t-elle son coeur, et elle ne le cherche pas. Si elle voulait le chercher, elle en perdrait la simplicité et sortirait de son attrait. C'est ce que vous appelez une bonne
Je vous envoie, Madame, un mémoire exact sur le remède qui a guéri Mme de Chatillon' et qui n'a pas eu un moindre succès pour d'autres. Le remède est si simple, si facile, si innocent et éprouvé par une personne si estimable, qu'il mérite bien, ce me semble, sur un tel témoignage, que vous essayiez s'il pourra vous guérir. Vous n'aurez été nommée nulle part et vous ne le serez jamais. Il n'y a que l'abbé de G.' et moi qui gardons fidèlement votre secret. L'espérance que votre médecin vous donne me remplit de joie. Mais, mon Dieu, de quoi nous réjouissons-nous en ce monde, et que nos amitiés se réduisent à de faibles souhaits ! Nous nous désirons les uns aux autres un peu plus de langueur et de misère, en nous désirant un peu plus de vie. C'est souhaiter au malade qu'il aille jusqu'au dixième jour et qu'il ne meure pas le septième. M. de Barbezieux qui vient de mourir tout à coup, dans une florissante jeunesse et dans une éclatante fortune, étonne beaucoup de gens et ne corrige personne'.
Votre habile médecin a raison, Madame, de craindre pour vous la mélancolie. Rien ne ruine tant la santé des personnes vives et sensibles, elle cause ces humeurs âcres et corrosives qui font des impressions si profondes. Un bon régime, avec un peu de consolation, dans la société de personnes pieuses et affectionnées, vous guérirait mieux que tous les remèdes. Plût à Dieu que vous puissiez être six mois, en ce pays, en parfait repos'.
On assure que l'empereur' a déclaré la guerre au nouveau roi d'Espagne', voilà toute l'Europe que nous allons voir aussi agitée qu'elle l'était, il y a quelques années'. Pour moi, je ne sais que lever les mains' et demander à Dieu la paix, que le monde ne peut nous donner. Celle de Remiremont sera peut-être aussi difficile que celle de l'Europe. Ce n'est pas la grandeur des objets, mais la faiblesse des hommes qui rend leurs dissensions si irrémédiables. II ne faut à l'orgueil jaloux des hommes qu'un pouce de terre, qu'un sou
118 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 12 janvier [1701]
de revenu, qu'une vaine économie, qu'un fantôme d'autorité pour causer des contestations violentes et perpétuelles. Je vous plains s'il faut que vous rentriez dans des procès, avec une santé attaquée. Engagez-vous-y le moins que vous pourrez. Procurez à Madame votre soeur' des secours qui vous épargnent le danger d'agir vous-même. Bornez-vous à donner des conseils et des instructions aux solliciteurs. Travaillez, s'il est possible, à l'accommodement ; Madame votre soeur doit racheter votre santé 1°, pour son propre intérêt. Le procès de Rome n'est pas comme celui de Paris, vous ne pourrez y aller. Vous ne pourrez aller qu'à Remiremont, encore est-ce trop pour votre mal, pendant que les esprits y seront échauffés. Dieu veuille vous donner la paix! Il connaît, Madame, jusqu'où va mon zèle et mon dévouement pour vous.
703. A [MAIGNART DE BERNIERES?]
A Cambray, 12 janvier [1701].
Je ne puis m'empêcher, Monsieur, de vous importuner pour les intérêts de l'ecclésiastique qui aura l'honneur de vous rendre cette lettre. C'est un des meilleurs ouvriers de ce diocèse, et quoique la nature de son affaire me fasse craindre quelque difficulté, sa vertu m'engage à hasarder un peu en sa faveur. Vous voyez bien, Monsieur, que je n'en veux pas être moins retenu dans mes demandes. Je suis plus parfaitement que personne, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Illusme Domine,
Summopere me exhilaravit humanissima Dominationis tuœ illustrissime epistola' tam fausta mihi afferens nuntia de D. meo Sebastiano [archiep. Camerac.], et de restituta tibi optima valetudine, quam ab omnium bonorum largitore Deo diuturnam tibi apprecor.
Ad alteram mandati D. Sebastiani jam ab biennio undequaque disseminati impressionem, et promulgationem tua in epistola contentam obstupui2, et minime diffido, quod his quoque Deus dabit finem quo magis nunc forte ignotum, eo magis D. Sebastiano feliciorem, et suis œmulis molestiorem3. Jam de attentatis proxime elapso autumno4 in Morimundo [Gallia] quoad gravissimas materias et dignissimas personas commissis probe instructus fuis, et deflevi coram Deo insanas hominum cogitationes. D. Sebastianus apud omnes optime audit, ejusque animi prœclarissimœ dotes, pietas, eruditio, doctrina, robur, constantia, pastoralis zelus publico ubique efferuntur prœconio, et Julius [ipse Gabriellius] cum omnibus indiscriminatim, et assidue et palam de D. Sebastiano elogia concinnat6.
Complura in tuis litteris perlego de novi Pontificis meritis et electione, et quidem condigna et egregia, sed infra tanti viri prœrogativas, et talis elec 22 janvier 1701 TEXTE 119
tionis dignitatem': non quod velim eloquentiae tuœ vires extenuare, sed quia thema istud omni laude longe superius est; et ob id tanti viri et tam eximiœ electionis conditiones vix fidem ab auditoribus obtinebunt.
Ipse Urbini, anno 1649 die 22 julii nobilibus parentibus ortus est'. Ab infantia, maxima probitatis, ingenii, prudentiœ, et comitatis specimina prœ se tulit, ingentemque de se prœbuit expectationem. Septemdecim annos natus canonicatu basilicœ S. Laurentii in Damaso ab Alexandro septimo cohonestatus fuit, et omni litterarum genere prœcipue grœcarum, et sacra theologia excultissimus, ac utriusque juris, philosophie ac theologiœ laureas vigesimo etatis anno adeptus, ad varios prœlaturœ gradus, et ad complurium civitatum ditionis ecclesiasticœ gubernia a Clemente nono destina-tus fuit. His muneribus eximie perfunctus, et communi Status Ecclesiastici Aulœque Romane plausu celebratus, Romam redux ab Innocentio undecimo Basilics Vaticane vicarius constitutus, et postmodum a Brevium secretis destinatus, eidem Pontifici, et aliis duobus successoribus eodem in munere inservivit, atque ab iisdem ad graviora quœque Christiane Reipublicœ negotia adhibitus tam prœclare se gessit, ut ab ejus ore prœlaudati Pontifices unice penderent : est quippe indolis suavissimœ, famœ integerrimœ, inculpatœ vitae, capacissimœ mentis, mirificœ solertiœ, exactissimœ statuum ac negotiorum Principum Christianorum peritiœ, et maxime incomparabilis beneficentiœ omnibus prœcipue doctis viris paratissimœ, qua omnes sibi devinctissimos repente ipso primo affatu reddit, omni procul semota affectatione ac verbositate. Excelsis ac inclytis his donis condecoratus, ab Alexandro octavo sacra purpura insignitus fuit', ac in Reipublicœ ministerio confirmatus candidis suis moribus, ac beneficiis erga omnes profusis tot sibi amicos paravit, quot fere homines novit.
Deveniam modo ad ejusdem in summum Pontificem exaltationem. Die 19 novembris nulla affulgebat de creatione summi Pontificis spes; vota electorum adeo inter se diversa, ac dissona, ut communis omnium opinio esset de protrahenda ad plures menses Papœ electione", cum vespere ejusdem diei, evulgata in conclavi Regis Hispaniarum morte, obortus quidam rumor de necessitate, que novi Pontificis declarationem quam primum postulabat, ut laboranti his rerum angustiis Christiane Reipublicœ quantocius succurreretur. Ab aliquibus Cardinalibus illico arrepta de Pontifice creando tractatio, expensi quidam candidati, sed variis de causis rejecti. Propositus fuit in medium Cardinalis Albanus ", et unius horœ spatio comperta fuere vota requisitum numerum excedentia. Hora ejusdem noctis sexta per Conclave nuntius de futura in crastinum Pontificis electione innotuit. Horum omnium ignarus Cardinalis Albanus sua in cella quiescebat, cum sub sequentis diei auroram de re tota instructus, impossibile dictu est, que dixerit, que peregerit per totos tres sequentes dies ad avertendos Cardinalium animos a meditata electione. Mane diei 20 admoniti monachi Morimundi hujus resolutionis, cum sibi certo persuasissent, hujusmodi opus non nisi ipsis auctoribus inchoandum et perficiendum, vel ipsis adversantibus concludi nullatenus posse, cum contra sententiam suam rem peragi et jam conclusam viderunt, ad artes quibus hanc rem vel turbarent, vel electum sibi propitium redderent, convolarunt, et bene conscii beneficio dilationis, et temporis mora injecta sœpe dissolvi, palam querebantur de tam inopinata electione, et cum nihil haberent, quod eligendo objicerent, declararunt, quod etiam ipsi in idem
703 bis. LE CARDINAL GABRIELLI A L'ABBÉ DE CHANTÉRAC
[22 janvier 1701].
120 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 22 janvier 1701 TEXTE 121
22 janvier 1701
consentirent, sed quod res tota prius deferenda esset Demetrio ab Urbe itinere duorum dierum per expeditissimum cursorem conficiendo distanti. Hoc prœtextu dilata per quatuor dies electio fuit; quamvis gravissimi vira testati fuerint, nullum ad Demetrium cursorem missum; sed hoc jactatum, ut tempus meditatum opus dirimeret '2. Inter hœc plerique electores fremebant, et aperte contestati sunt se nec amplius horam expectaturos ad electionem peragendam. Quod vero Cardinalium animos maxime angebat, et suspensos tenebat, erat constantissima et fere insuperabilis renitentia et contradictio Cardinalis Albani, qui cella suie inclusus nullum ad sermonem admittebat. Cogitatum fuit, Confessarium ad ipsum inducere, qui ei exponeret Cardinales omnes ab ejus electione omnino removeri non posse, nec ipsum absque gravis peccati reatu in his rerum circumstantiis hanc supremam dignitatem declinare posse. Ad has voces sœpius per Confessarium repetitas, ejusque auribus inculcatas visus est Cardinalis Albanus aliquantisper asperitatem et pontificatus horrorem deponere. Tum ad insigniores Urbis theologos scriptum fuit, ut suam sententiam hac de re promerent, et scriptis mandarent, quœ deinde Confessarius ad D. Cardinalem Albanum detulit 13, qui nihil ad hac respondens obmutuit, et totus lacrymis obrutus luctu et suspiriis concidebat, ac febri valida vexatus medicorum cura premebatur. Demum post scrutinium vespertinum diei 22 novembris resolutum fuit ad electionem novi Pontificis proximo mane devenire, parataque omnia ad hujusmodi functionem necessaria. Mane ejusdem diei Cardinales longioris morœ impatientes agmine facto in cellam Cardinalis Albani irruperunt, quem vultu pallidum et totum lacrymis perfusum intuiti in sacram capellam pertraxerunt. Omnes Cardinales in conclavi erant quinquaginta octo, et post celebratum a singulis sacrum de Spiritu sancto deventum fuit ad electionem, quœ in primo ipso scrutinio completissima, et cum omnibus votis apparuit, nimirum, vota quinquaginta septem Cardinali Albano obtigerunt. Datis schedulis, eisque enumeratis, et de more recognitis, D. Cardinalis Decanus, sacri Collegii aliis Cardinalibus comitatus ad D. Cardinalem Albanum accessit, eique electionem de ipso plenissime, et ne uno quidem refragante, factam aperuit, illiusque consensum in electionem tam canonicam et legitimam expetiit. Ad has voces exhorrere visus est Cardinalis Albanus, et ingenti lacrymarum copia oborta vix verbum proferre poterat, omnibus aliis Cardinalibus in fletum effusis. Postea a Cœremoniarum Magistris electus in pedes erectus altare versus petere volebat, sed nimio tremore concussus gressum figere non pote-rat ; sed ab aliis adjutus ante altare sese prostravit, et diu ibi jacens suspiriis et fletu colliquescebat, non desinentibus aliis Cardinalibus lacrymas effundere, et metu torqueri de electi dissensu. Prolixo temporis intervallo transacto, ope eorumdem cœremoniarum Magistrorum electus in pedes sublevatus lacrymarum imbre vix permittente, clarissime contestatus est, sese ad consensum sue electioni prœstandum hac prœcise ratione adigi, ne gravi culpa se obstringeret, ut plures magni nominis Theologi per suas lucubrationes gravissimis auctoritatibus et rationibus demonstrarant ; mox binas sententias s. Gregorii Magni14, et alteram s. Leonis 15, quibus acceptationem summi pontificatus expresserant, pronuntiavit. Pro certo habeat Dominatio tua, me talia admirantem vix oculis meis credidisse, et manifeste hac nostra tempestate conspexisse, Ecclesiam eodem Spiritu ac nascentem et primitivam animatam mentique mea obversatum fuisse illud sancti Cypriani de
sancti Cornelii papa electione elogium: «Episcopatum nec postulavit, nec voluit, nec invasit, non quidem vim fecit, ut episcopus fieret, sed ipse vim passus est ut episcopatum coactus exciperet '6. » Utinam hœretici, et alii Romana Ecclesiœ subinfesti propriis oculis aspexissent hanc electionem undequaque sanctissimam, tum ex parte electorum, ex quibus saltem quindecim electo etate majores communiter ea dignitate dignissimi censebantur ; tum ex parte electi omnibus animi corporisque dotibus exornatissimi; tum ex parte electionis, quœ per quatuor dies protracta rarissimo exemplo plenissime, ne uno quidem dissentiente, imo omnibus mire exultantibus conclusa fuit, adeo ut inservire et statui possit pro exemplari electionis canonicœ, legitimœ ac pacificœ. Ad hoc etiam accessit, quod hujusmodi electio terminata fuit absque ulla prorsus previa conventione, aut alicujus nationis satisfactione, que alias permittebantur, neque indigna reputabantur, quod maximopere displicuit Monachis Morimundi '8, qui tanquam alii de collegio absque ailla prœrogativa, aut super alios cardinales partialitate, et electi benemerentia vel inviti concurrerunt : quod ego maximi facio. Hoc totum evidentissimum est, et magis magisque omnibus patefactum est ex subsequenti ministrorum prorsus indifferentium, et nulli parti adscriptorum, deputatione ab ipso Pontifice facta '9. Item summus Pontifex a die electionis usque in prœsentem diem non desinit identidem in fletus prorumpere, nec pristinam hilaritatem recuperare potest, quod et omnibus displicet, ipsique medici improbant propter bonze valetudinis jacturam20. Nihilominus s. Pater nec temporis momentum transigit, quo Ecclesiœ univers bono non prospiciat ; semper in actione est, eadem humanitate et affabilitate, qua prius, cunctos amplectitur, nullumque moestum dimittit; in functionibus ecclesiasticis assiduus est, easque explet mira gravitate, modestia, ac pietate, et vultus personœque majestas vere pontificalis universos œdificat et allicit, omni penitus seclusa affectatione. Communis est omnium certa spes, quod SS.D.N. Clemens XI. ceu Pater et princeps summo zelo, equitate, ac vigilantia omnem, quœ sub coelo est, Ecclesiam recturus sit, et deformatam Christiane Reipublicœ faciem pristino decori redditurus. Rogo demum Dominationem tuam, ut meo nomine salutem plurimam dicas meo venerabili, dilectissimo domino et amico D. Sebastiano, quem semper prœ mentis oculis habeo, et in cordis visceribus gero, eique constanter attesteris, mihi compertissimum esse, quod summus Pontifex ipsum plurimi facit, et maximopere diligit, qua de re mihi complura, eaque evidentissima suppetunt argumenta. Piaculum censerem, si silentio prœterirem, quod mihi tum antea tum post obitum D. Basilii [Innocentai XII] persuasissimum fuit, nimirum, Deum nunquam permissurum fuisse, quod Basilio succederet Monachus [cardinalis] aliquis, qui manus suas inquinavit in sigillo contra Thecam D. Sebastiani, et hoc ipsum pluries amicis meis insinuavi, quamvis multi Monachi abbatiœ s[ancti] Dionysii [cardinales S. Officii] 2' communiter promulgarentur Basilii loco proximi, quod et postea reapse divina ope, ac justo supremi Numinis judicio executum video; tametsi non hoc solum coelestis justitiœ prodigium ea in re admiratus fuerim. Queso de nimia prolixitate me excusatum habeas, Illustrissime Domine, cui omne bonum a Deo optimo maximo exopto. Dominationis vestrœ illustrissime addictissimus ex corde.
Rome 22 januarii 1701.
1.M. CARD. GABR1ELLIUS.
122 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 23 janvier 1701
704. A DOM FRANÇOIS LAMY
A C[ambrai] 23 janvier 1701.
Je viens, mon Révérend Père, de recevoir dans ce moment la lettre que vous m'avez fait la grâce de m'écrire en date du 19 de ce mois. Elle m'apprend que vous m'envoyez par quelque voie sûre un ouvrage, que vous avez fait nouvellement Il sera le très bienvenu, et je l'attends avec impatience. On ne saurait trop vous louer de votre silence à l'égard du P. Malebranche, pour obéir à votre Général. Se taire et obéir sont deux choses fort édifiantes. Qu'importe que le public ne sache pas le tort de ce père? Il est bon même de le cacher. C'est peu pour un chrétien, que d'avoir raison. Un philosophe a souvent cet avantage. Mais avoir raison, et souffrir de passer pour avoir tort, et laisser triompher celui qui a tout le tort de son côté, c'est vaincre le mal par le bien. Ce silence si humble et si patient, dans lequel on se renferme après avoir rendu témoignage à la vérité, pendant que le supérieur l'a permis, est encore plus convenable à un solitaire, comme vous, mon Révérend Père, qu'aux personnes qui ne sont pas entièrement hors du monde. On fait plus pour la vérité en édifiant, qu'en disputant avec ardeur pour elle. Prier pour les hommes qui se trompent, vaut mieux que les réfuter'.
L'extrait des Homélies du P. Le Nain' est très remarquable. C'est un langage fondé sur une vérité qui est de tous les temps. Tel a parlé ce langage par sentiment ou par imitation, qui n'en a jamais pénétré le sens, et qui s'effarouche dès qu'on le lui explique. Ce langage est même souvent excessif. Mais on sait bien à quoi il se réduit, selon l'intention des bonnes âmes.
M. l'ab[bé] de L[angeron] vous remercie de tout son coeur, et sera ravi de voir ce que vous nous envoyez. Nous vous aimons ici, et nous vous révérons de tout notre coeur. Pour moi, mon Révérend Père, je suis tout à vous sans réserve en N.S.J.C.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
A LA COMTESSE DE MONTBERON
Vendredi au soir 28 jan[vier] 1701.
Puisque vous êtes faible, Madame, reposez-vous, et ne sortez point. Le bon saint que nous aimons tant sera avec vous au coin de votre feu '. Vous savez combien il s'accommodait à toutes les faiblesses des corps et des esprits. L'amour aime partout. La faiblesse du corps ne diminue point la force du coeur. L'amour n'est jamais si puissant, que quand il se repose dans le sein du bien-aimé. Vous avez apparemment' trop pris sur vous dans votre voyage. C'est un reste de courage naturel et de délicatesse de sentiment qui vous a menée au-delà de vos forces corporelles. Les hommes pourront vous en tenir compte. Mais Dieu veut des choses moins belles et plus simples. Si vous sentez que votre langueur ne vous permette pas d'aller demain à la messe, renoncez-y bonnement. Souvenez-vous que si s. François de Sales était au monde, et qu'il fût votre directeur, il vous défendrait d'y aller en ce cas. Il ne vous le défend pas moins du paradis. En quittant la solennité de sa 29 janvier 1701
fête, vous suivrez son esprit. Vous le trouverez dans la faiblesse et dans la simplicité bien plus que dans une régularité forcée. Aimons comme lui, et nous aurons bien célébré sa fête. Si vous croyez pouvoir aller à l'église, n'y demeurez que le temps d'une messe. Mais défiez-vous de vous-même, et condamnez-vous à n'y aller pas, si peu que la chose vous paraisse douteuse selon la première pente' de votre coeur sans réflexion. Bonsoir, Madame, je n'ai pas eu un moment pour vous répondre plus tôt. Je vous irai voir dès demain, si je le puis.
706. A LA MÊME
Samedi matin 29 jan[vier] 1701.
Je vous conjure encore une fois, Madame, de ne songer point encore aujourd'hui à entendre la messe, si votre faiblesse et votre langueur ne vous le permettent pas. Vous manqueriez à Dieu] et au saint par ce défaut de simplicité, vertu que le saint a tant aimée et recommandée. Mais si votre santé se trouvait assez fortifiée pour entendre une messe, venez simplement à onze heures et demie entendre la mienne dans la chapelle de céans. Nous nous unirons ensemble au bon saint. Il m'a donné le jour de sa fête les prémices de mes plus grandes croix. Ce fut ce même jour, il y a précisément quatre ans, que mon livre' fut publié. Je dois faire de bon coeur l'anniversaire de ce jour crucifiant pour moi. Je reviens à votre santé. Si elle demande que vous ne partiez point du coin de votre feu, ne hésitez pas à le faire. Pour la langueur intérieure, vous ne la guérirez point avec le P. S.', ni par vos recherches. La paix en la souffrant est le vrai remède.
706 A. MICHEL CHAMILLART A FÉNELON
A Versailles ce 29 janvier 1701.
Monsieur,
La lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 15e de ce mois m'a été rendue. Je suis très sensible aux marques qu'il vous plaît de me donner de votre amitié' sur la nouvelle grâce que le Roi vient de me faire'. Je vous supplie d'être persuadé que j'aurai toujours beaucoup d'attention à tout ce qui pourra contribuer à votre satisfaction et à vous témoigner que je suis très parfaitement...
TEXTE 123
705.
124 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
3 février [1701]
3 février [1701] TEXTE 125
706 B. DOM FRANÇOIS LAMY A FÉNELON
3 février [1701].
Monseigneur,
Je suis bien honteux d'avoir excité votre attente et même votre impatience pour un ouvrage ' que vous trouverez assurément peu digne de votre attention. Dès là2 je rougis pour lui, quand il aura l'honneur de paraître devant votre Grandeur; car je n'avais pris la liberté de vous l'envoyer, que pour vous faire toujours un peu souvenir de mon respectueux attachement, et pour avoir l'honneur de me rendre auprès de vous, au moins par quelque chose de moi-même, ne le pouvant par le tout. Je rougis d'écrire, Monseigneur, pendant que vous gardez le silence, et si toutes les fois que je veux prendre la plume, je songeais bien à la justesse, à la netteté, à la facilité, à l'éloquence, à la solidité, à l'onction de celle que vous laissez reposer, je n'aurais jamais la force de soutenir la mienne. Mais, Monseigneur, croyez-vous donc pouvoir en conscience supprimer un aussi grand talent? N'est-ce point assez de ne pas écrire sur les matières que l'on a agitées? Faut-il supprimer les lumières que Dieu vous donne sur tant d'autres sujets? Croyez-vous n'être redevable qu'à votre diocèse? Tout le corps de l'Eglise n'est-il pas confié à tous les évêques? Au moins écrivez donc pour vos diocésains, et qu'il ne tienne qu'aux autres d'en profiter 3. Je sais que vous lui rompez souvent, de vive voix, le pain de la parole; mais vous n'êtes ni immortel ni d'une santé inaltérable; et il me paraît que votre charité et votre soin pour votre troupeau doit s'étendre au-delà même de votre carrière; et que vous devez songer à leur parler après même que vous ne serez plus. Pardon, Monseigneur, de ma liberté. Il y avait trop longemps que j'avais cela sur le coeur, et je ne fais, en cela, que servir d'interprète à mille gens qui le pensent et le disent comme moi. Tout ce que vous me faites l'honneur de me dire sur le chapitre du R.P. Malbranche5 me fait regretter jusqu'aux pensées que j'ai eues de faire connaître son tort. Que vous seriez propre, Monseigneur, à me détourner du mal et à me porter au bien, si j'avais l'avantage d'être plus près de vous !
Dans mon dernier voyage de Paris' j'ai eu la curiosité de voir Mile Rose, cette fameuse béate' de M. Boileau, qui fit, il y a quatre ou cinq ans tant de bruit à Paris'. Elle y est revenue il y a près d'un an9, et y passe présentement pour une fille miraculeuse: c'est-à-dire qui fait des prodiges, et qui pénètre les dispositions des coeurs'. MM. Boi[eau] et Du guay passent pour ses garants; et elle m'a dit elle-même qu'elle est toujours sous la direction du premier ". J'ai passé près d'une heure et demie avec elle, pendant ce temps elle ne m'a guère entretenu que de ses miracles : ou des maladies surnaturelles qu'elle eut la première fois qu'elle vint à Paris '2. Elle me les dépeignit comme des convulsions' périodiques, pendant lesquelles elle n'apercevait rien de ce qui se passait au dehors, et ne sentait rien des remèdes qu'on lui faisait: mais son esprit était tout occupé de Dieu 14. Elle m'assura que désormais il ne lui arriverait plus rien de semblable" ; et sur ce que je lui demandai quelle assurance elle en avait, puisque Dieu était toujours le maître de faire sur son corps les impressions qu'il y avait déjà faites; elle me fit entendre que c'était le temps des épreuves: et que ce temps était passé. Après cela, elle en vint au chapitre de ses miracles, et m'en conta plusieurs que j'avais déjà appris d'ailleurs, me disant néanmoins qu'elle voudrait qu'ils ne fussent point connus, qu'elle souhaiterait être cachée, qu'on l'importunait; qu'on ne lui parlait que de faire des guérisons; et sur cela elle me demanda si l'on pouvait lui commander de faire des miracles' . Je lui dis que je ne comprenais pas que cela pût tomber dans l'esprit de personne; qu'on pouvait bien lui commander de prier pour les malades; et laisser le reste au bon plaisir de Dieu. C'est ce que je dis aussi, reprit-elle; pour entreprendre de faire un miracle, il faut s'y sentir porté par l'esprit de Dieu. Enfin fatigué, je vous l'avoue, du chapitre de ses miracles, je la priai de me faire part de ses sentiments de piété et de ses voies d'oraison: mais elle déclina toujours ce chapitre; et comme j'y revins deux ou trois fois, elle me répondit qu'elle n'avait pas le loisir de prier" et que depuis le matin jusqu'au soir on l'occupait et on la sollicitait pour des malades. Je lui dis: Mais au moins vous ne perdez point la présence de Dieu pendant tout cela. Elle me répliqua que l'esprit avait toujours son vol". Je ne doutai point qu'elle ne l'entendît de son vol vers Dieu. Quoi qu'il en soit, il me paraît toujours que son esprit naturel voltige " beaucoup; car elle tient peu ferme sur un même sujet, et elle me donna bien des fois le change. Enfin désespérant de la pouvoir amener où je voulais, je pris congé d'elle. Elle me dit néanmoins qu'elle devait faire un voyage à S. Denis", et que nous pourrions nous y voir encore une fois. Je suspends donc mon jugement jusqu'à cette seconde entrevue, particulièrement en considération de ses deux garants'. Cependant, jusques ici l'esprit m'en paraît peu arrêté, et elle parle beaucoup. Il y a des gens qui en sont épris au-delà de tout ce qu'on peut imaginer: épris, dis-je, de sa sainteté, car tout son air, son visage et ses paroles ont quelque chose de hagard". Mais voilà trop abuser de votre patience, et d'un temps qui vous est si précieux". Je suis avec une vénération infinie, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Ce 3 février.
F. F. L.
Je viens de tomber sur un mot du R Quenel qu'il faut encore que je vous transcrive ici": «Ne cherchons que la gloire de Jésus-Christ dans notre propre salut. Ne désirons d'être glorifiés qu'en lui, en lui rapportant tout le bien qu'il fait en nous. C'est la justice qu'un membre doit à son chef. Un chrétien doit désirer chrétiennement les vertus chrétiennes : c'est-à-dire, regarder principalement le dessein que Dieu a d'honorer son Fils et de s'honorer en lui, en nous rendant conformes à son image par l'imitation de ses vertus, pour la perfection de son corps mystique, dans lequel toute la religion de la vie bienheureuse sera renfermée.» Sur le dernier verset du premier chapitre de la seconde Epître aux Thessaloniciens.
Ayez la bonté, Monseigneur, de donner cette lettre à M. l'abbé de Langeron.
126 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 8 février 1701
707. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Mardi 8 février] 1701.
Je vous rendrai, Madame, en main propre la lettre de M. le C...' . Vous pouvez compter que j'accepte de plein coeur ce que D[ieu] m'envoie. Soyons fidèles à le suivre.
Je crois que vous pouvez vous confesser un de ces jours-ci, mais à condition que vous bornerez votre confession à dire les fautes qui se font remarquer sans peine, et qu'après les avoir dites simplement selon la lumière que vous en aurez alors, vous n'y penserez plus après votre confession, et que vous en laisserez tomber la pensée avec la même fidélité qu'il faut avoir contre une pensée de tentation'. Je prie D[ieu], Madame, qu'il vous fasse telle qu'il veut que vous soyez.
708. A UN DOYEN DU DIOCÈSE DE CAMBRAI
A Cambray 12 février 1701.
Le mémoire que vous avez pris la peine de m'envoyer, Monsieur, n'est pas précisément ce que je vous avais prié de faire. Je demande, outre cette simple liste des curés de votre district, les qualités personnelles de chacun d'entre
eux à côté.
M. l'official' procédera contre vos deux adultères. Il faut bien s'attendre de voir toujours, jusqu'à la fin, des scandales dans le royaume de Dieu. J'espère que je ferai cette année la visite de votre doyenné'.
Je suis toujours, Monsieur, cordialement tout à vous.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
709. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Samedi 19 fév[rier] 1701.
Les personnes qui ne s'aiment que par charité, comme le prochain, se supportent charitablement, sans se flatter, comme on supporte le prochain dans ses imperfections. On connaît ce qui a besoin d'être corrigé en soi comme en autrui. On y travaille de bonne foi, et sans mollesse. Mais on fait pour soi comme on ferait pour une personne que l'on conduirait à Dieu. On fait le travail avec patience. On ne se demande, non plus qu'au prochain, que ce qu'on est capable de porter dans les circonstances présentes. On ne néglige rien pour se corriger. Mais on ne se décourage point à force de vouloir être parfait en un seul jour. On condamne sans adoucissement ses plus légères imperfections. On les voit dans toute leur difformité. On en porte toute l'humiliation et toute l'amertume. On ne se chagrine point dans ce travail. On n'écoute point les dépits de l'orgueil et de l'amour-propre, qui mêlent leurs vivacités excessives avec les sentiments forts et paisibles que la grâce 3 mars 1701 TEXTE 127
nous inspire pour la correction de nos défauts. Ces dépits si cuisants ne servent qu'à décourager une âme, qu'à l'occuper de toutes les délicatesses de son amour-propre, qu'à la rebuter de servir Dieu, qu'à la lasser dans sa voie, qu'à lui faire chercher des ragoûts et des soulagements contraires à sa grâce, qu'à la dessécher, qu'à la distraire, qu'à l'épuiser, qu'à lui préparer une espèce de dégoût, et de désespoir de pouvoir ' achever sa route. Rien n'arrête tant les âmes que ces dépits intérieurs, quand on s'y laisse aller volontairement. Mais quand on ne fait que les souffrir, sans y adhérer, et sans se les procurer par des réflexions d'amour-propre, ces peines se tournent en pures croix, et par conséquent en sources de grâce. Elles se trouvent au rang de toutes les autres épreuves, par lesquelles Dieu nous purifie et nous perfectionne. Il faut donc laisser passer cette souffrance, comme on laisse passer un accès de fièvre, ou une migraine, sans faire aucune chose qui puisse exciter ou entretenir le mal. Cependant il faut demeurer dans son occupation intérieure, et dans ses devoirs extérieurs, autant qu'on en conserve la liberté. L'oraison en est moins douce, et moins aperçue, l'amour en est moins vif et moins sensible, la présence de Dieu en est moins distincte et moins consolante, les devoirs extérieurs même en sont remplis avec moins de facilité et de goût'. Mais la fidélité en est encore plus grande, lorsqu'elle se soutient dans ces circonstances pénibles, et c'est tout ce que Dieu demande. Un bâtiment à rames va de plus grande force de rameurs, en ne faisant qu'un quart de lieue contre vent et marée, que quand il fait une lieue à la faveur de la marée et d'un bon vent. Il faut traiter les dépits de l'amour-propre comme certaines gens traitent leurs vapeurs'. Ils ne les écoutent point, et font' comme s'ils ne les sentaient pas.
Je vous conjure bien sérieusement, Madame, de ne supprimer point les lettres que vous m'écrivez. Il est bon que je vous voie au naturel dans ces premiers mouvements. Les supprimer, c'est une mauvaise honte de l'amour-propre. Les tours et retours sont contraires à la simplicité. Faut-il s'étonner que nous soyons faibles, inégaux, et épineux?
A LA MÊME
Vendredi 3 mars 1701.
Il s'en faut bien, Madame, que je ne sois rebuté. Je vous plains, et je ne songe point à vous gronder. Je n'ai d'autres peines que celle de ne pouvoir guérir les vôtres. Mais je voudrais que vous fussiez fidèle à faire ce qu'il me semble que D[ieu] demande de vous. Les choses que vous vous reprochez, et dont vous dites que vous avez horreur, ne sont que des faits' sans malignité, et sans aucune véritable conséquence pour le prochain, que vous dites en conversation. En vérité est-ce là de quoi se troubler? Ces bagatelles excitent vos scrupules. Vos scrupules excités troublent votre oraison, vous éloignent de Dieu, vous dessèchent, vous dissipent, réveillent vos goût naturels, et vous mettent en tentation contre votre grâce. Voyez combien le remède est pire que le mal. Le mal n'est qu'imaginaire; le remède est un mal réel. Je ne m'étonne point que votre imagination trop vive, et une habitude de vous laisser trop aller à vos réflexions, qui n'a point été assez réprimée', vous fassent de la peine. Mais il serait temps de vaincre ces obstacles, qui vous arrêtent
710.
128 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 8 mars 1701
dans la voie de Dieu. Au moins vous devez vous défier de votre imagination, sentir le mal qu'elle vous fait, reconnaître combien elle vous occupe de bagatelles, et vous dérobe la vue des plus grandes choses, enfin être docile, et demeurer ferme dans la pratique des conseils qu'on vous donne. Loin de vous abandonner, je vous persécuterai sans relâche. Je ne me décourage point pour tous vos scrupules. Ne vous découragez point de les vaincre. C'est de tout mon coeur que je vous conjure de communier demain, sans vous confesser'. Vous manquerez à Dieu, si vous ne faites pas ce que je vous demande en son nom, et pour l'amour de lui.
711. AU PAPE CLÉMENT XI
[8 mars 1701]
Sanctissime Pater,
Sollicitudine omnium Ecclesiarum occupatum pectus gravare piaculum foret. Verum quœ dicenda occurrunt, ipsam Ecclesiarum sollicitudinem, ni fallor, maxime attinent.
Nuntia per Gallias late dispersa, et Roterodami typis excusa ferunt vestram Beatitudinem ea quœ in Conventu Cleri Gallicani adversum me scripta sunt, sua auctoritate confirmare noluisse', eo quod mea erga Sedem apostolicam docilitas et obedientia illi fecerit satis. Quibus positis, si per paternam patientiam liceat, quam brevissime potero, selecta colligam.
I
D. Meldensis episcopus totius Conventus ore ita locutus est': On a pénétré à fond la nature du faux amour pur, qui effaçait toutes les anciennes et les véritables idées de l'amour de Dieu, et que nous trouvons répandues dans l'Écriture et dans la tradition. Celui qu'on veut introduire et établir en sa place, est contraire à l'essence de l'amour, qui veut toujours posséder son objet, et à la nature de l'homme, qui veut nécessairement être heureux. Qua verba sic latine sonant : «Penitus investigata est natura puri hujus amoris ficti, qui divini amoris antiquas omnes ac veras notiones, tum in traditione, tum in Scripturis passim occurrentes oblitterabat. Is autem, quem substituendum invehunt, adversatur, tum essentiœ amoris, qui semper vult potiri suo objecto, tum nature hominis, qui beatitudinem necessario exoptat. »
His profecto liquet Meldensem episcopum huc collineasse, scilicet, ut quœ, reclamantibus fere omnibus scholis, ipse dixerat de una amandi ratione, quae aliter explicari nequit3, scilicet adipiscenda beatitudine, a solemni Conventu adoptata videantur. Ita aperte docetur beatitudinem supernaturalem, seu visionem beatificam (namque de ea sola disceptatum fuit), esse motivum essentiale, etiam in propriis caritatis actibus. Neque enim ea virtutum theologicarum princeps, vel in tantulo actu, sine amoris essentia amare unquam potest.
Hec est Meldensis caritas, quam in verbis Conventus agnosco. «Deus, inquiebat hic auctor in nostra controversia, nostrum bonum est, et quidem totale. En essentiale amoris motivum. Atqui certissime de caritatis amore hic
8 mars 1701 TEXTE 129
agitur. »5 Id ex loco S. Thome in alienissimum sensum detorto inferebat. Eo loco Doctor angelicus ait, Deum, si non esset totum hominis bonum, non fore
illi amandi rationem. Quapropter ex interpretatione Meldensis sequitur Deum non fore amandum, si non esset totum bonum hominis, sive, aliis terminis, si non esset illius beatitudo6, id est, si noluisset largiri homini supernaturalem beatitudinem, de qua una orta est disputatio. Subinde ita exclamat Meldensis: «Quid autem assignari potest magis essentiale, et amori magis conveniens, quam esse unitivum? »' Hœc autem vox, nempe unitivum, ex mente auctoris aperte significat, illam unionem in qua voluntas semper vult potiri suo objecto, et in eo beatitudinem necessario exoptat.
Jam antea dixerat impossibile esse caritati, ut sit desinteressata erga beatitudinems Certe si caritas9 erga beatitudinem proprii interesse immunis esse non possit, spes que ac caritas gratuita dici debet : neque enim spes ullum aliud interesse, nisi beatitudinem, expetit.
Dixerat beatitudinem «esse ultimum hominis finem, quem omnes
volunt, et propter quem volunt omnia;... voluntatem naturaliter tendere in ultimum finem, eo quod omnis homo beatitudinem naturaliter velit, atque de ea voluntate cetera omnes voluntates formentur; si quidem homo, quidquid vult, propter finem vult. »"
De conditionatis vero Moysis, Pauli, cœterorumque sanctorum votis in abdicanda beatitudine, modo inducit quosdam dicentes has esse amantes ineptias, amoris deliria. Modo ipse ait, sanctos beatitudinem conditionate abdicasse, ut ea abdicationis formula beatitudinem ipsam tutius consequerentur. «Nihil aliud sunt, inquit, quam genus desiderii, eo ardentioris, quo latentioris. » " Ita sancti aut insaniebant contra amoris essentiam, nequidem exceptis Paulo ac Moyse; aut ipsi Deo illudere sperabant, dum simulata beatitudinis abdicatione conditionata beatitudinem ipsam, quo latentius, eo ardentius captarent. Hac autem vota, quœ in Paulo ac Moyse pios excessus appellat, in Mysticis increpat licentius. «Nihil est facilius, inquit, ea sui derelictione, cujus executionem impossibilem esse norunt. Vanus est hic sermo, proprii amoris esta. »'
Dixerat, usurpato contra auctoris mentem Augustini loco, «non tantum omnes beatos esse velle, sed etiam nihil prœter hoc velle, et propter hoc velle omnia. »13 Sic urgebam : Voluntne glorificare Deum propter beatitudinem, an beatitudinem ipsam volunt propter Dei gloriam? Quid ad hœc? « Speras, inquit, nos ea quœstione maxime angendos. Uno verbo respondetur, hœc duo esse inseparabilia. »14 O indecens responsum, quod nullatenus respondet Neque immerito se ita interrogari eum tœdebat. Verum hujus quœstionis, alfa de causa, me pudet. Qua fronte enim quis dubitaret beatitudinem formalem, quam Doctor Angelicus et scholœ aliquid creatum vocant, ut subalternum finem, ad finem simpliciter ultimum, nimirum Dei gloriam, esse referendam? Finem vero subalternum ad ulteriorem referri non posse, ipsius finis subalterni causa, neminem latet. Quapropter actus ille in religione purissimus, quo beatitudo ad gloriam Dei refertur, sic prœcise sumptus, beatitudinis ipsius motivum includere nequit. Alioquin illa beatitudinis relatio ad Dei gloriam, fieret propter ipsam beatitudinem, ac proinde beatitudo esset finis ulterior ipso fine simpliciter ultimo.
Verum quidem est beatitudinis motivum non esse semper tique explicitum, juxta Meldensis sententiam.Id est, actus non sunt œque expressi. «Vici-
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8 mars 1701
8 mars 1701 TEXTE 131
bus, inquit, aut tantisper premunt, aut actu eliciunt. Summam autem ipsam nunquam non retinent. »15 Hoc idem aliis verbis: «Beatum fieri velle, est confuse velle Deum: velle Deum est beatitudinem confuse velle. »16 Ita haec duo sunt inseparabilia, scilicet Deus, et beatitudo. Ex his conflatur objectum individuum, quod est finis ultimus. Quasi vero creator, et beatitudo formalis, quœ dicitur aliquid creatum, possint simul constituere individuum finem ultimum. Sic dicendum esset caritatem esse spem confusam, et spem vicissim esse confusam caritatem.
Alibi sic me impugnat. «Nonne hoc discrimen inter amorem caritatis et spem, est essentiale, quod caritas spectet Deum, ut conjunctum; spes vero, ut absentem? Quid autem assignari potest magis essentiale, et amori magis conveniens, quam esse unitivum?... Frustra ingenium torques. Neque enim assignari potest has inter virtutes differentia magis profunda et radicalis. »'' Si caritas spectat Deum ut totum hominis bonum, vel", aliis terminis, ut suam beatitudinem, potestne dici caritatem spectare suum objectum ut praesens ac sibi unitum? Nonne objectum illud, quatenus beatificum, procul abest ab anima, sive speret, sive caritate diligat? Quantum ab episcopo dis-sentit Angelicus Doctor, dum ait : «Fides autem et spes attingunt quidem Deum, secundum quod ex ipso provenit nobis vel cognitio veri, vel adeptio boni. Sed caritas attingit ipsum Deum, ut in ipso sistat, non ut ex ipso aliquid nobis proveniat, et ideo caritas est excellentior fide et spe etc. »19 Sane hœc differentia magis profunda et radicalis est".
Sententiam tamen temperasse tandem aliquando videtur Meldensis, dum duplex motivum assignat. Primum est Dei gloria; secundum nostra beatitudo. Continuo crederes motivum secundum non esse essentiale in propriis caritatis actibus. Sed motivum illud est inseparabile. Principale vero et primitivum ideo tantum primitivum appellatur, quod perfectio Dei absoluta sit fons a quo nostra beatitudo fluit. Ea ratione pulchritudo et perfectio divina dicenda est motivum principale et primitivum, in actibus omnium virtutum. Neque enim, exempli causa, Deus timendus est, nisi quia illius absoluta perfectio est fons a quo profluit impiorum poena. Quid autem absurdius eo motivo secundo et minus principali, de quo dictum 21 jam legimus : «Deus nostrum bonum est, et quidem totale. En essentiale amoris motivum. Atqui certissime de caritatis amore hic agitur. »" Alibi eum sic exclamantem audivimus: «Quid autem assignari potest magis essentiale, et amori magis conveniens, quam esse unitivum. »" Ego vero sic arguo : Quomodo dici potest minus principale, quod magis est essentiale amori? Numquid magis et minus opponuntur? Motivum illud, quod nomine tenus tantum est minus principale, idem est ipse hominis finis ultimus, propter quem omnes volunt omnia". Nihil his verbis excipitur, nequidem Dei gloria. Finis ultimus estne minus principalis? «Non tantum, inquit, hoc volunt, sed etiam nihil prœter hoc volunt, et propter hoc volunt omnia.»" Si praeter hoc nihil velint, si propter hoc omnia velint, hoc motivum non tantum est principale, sed etiam unicum in quocumque humano actu. Dictumne unquam fuit hanc voluntatem de qua coeterae omnes formantur, esse minus principalem, in quibusdam actibus de ea ipsa formatis? Hec doctrine adumbratilis adtemperatio26, mera ludificatio, merœ offuciœ.
«Punctum hoc, inquit, est decretorium, eoque solo totius controversiœ nodus secatur. »" Alibi sic me compellat : «In eo is te perditum.» Hœc est autem illius conclusio : «Ad exstirpandum adeo absurdum et periculosum errorem, absolute determinare oportet caritatem praeter primitivum et principale motivum glorie Dei in se spectati, habere etiam hoc motivum secundum, minus principale, et ad alterum relativum, scilicet Deum, quatenus suœ creaturœ communicabilem, et communicatum. »28 Dicere non audet, quatenus beatificantem. Sed hoc ipsum mitiori locutione insinuat. Verum quidem est Deum, si nullatenus se communicasset, amatum non ire. Sublata enim quacumque Dei communicatione, nulla existeret creatura, quœ illum amare posset. At si per communicationem Meldensis intelligat supernaturalem beatitudinem, seu visionem beatificam, de qua sola hactenus disputatum est, nego Deum, eo sensu communicatum, esse essentiale amoris motivum in quolibet caritatis actu. Sic illa capitalis conclusio Meldensis episcopi, aut nugatoria dicenda est, quippe quœ extra controversiœ fines vagatur, aut aperte docet caritatem essentialiter dependere a motivo visionis beatificœ, quam si Deus non fuisset largitus, minime amandus fuisset. Siccine Quietismus exstirpatur? Siccine Meldensis Petri successorem docet? Absolute, inquit, determinare oportet caritatem, etc. Oportetne absolute determinare29 Doctorem Angelicum Quietistam fuisse, dum diceret, caritatem attingere ipsum Deum, ut in ipso sistat, non ut ex ipso aliquid nobis proveniat, et ideo caritatem esse excellentiorem fide et spe"?
Hec singula vero, Sanctissime Pater, absit ut hic colligam disputationis iterandœ causa. Absit. Sed clam semel hœc dicenda puto, ne quœ ab episcopo docto scripta manent, et quœ a Conventu Gallicano incaute adoptata videntur, sensim prœvaleant. Unde triplex hœc consequentia liquido fluit.
1° Si Deus largiri noluisset homini visionis beatificoe accidentale donum, minime fuisset ab illo amandus. Neque enim quidquam amari potest, denegata essentiali amandi ratione. Atqui si Deus non esset totum hominis bonum, sive alio nomine, illius beatitudo, non esset illi ratio amandin ; neque enim" quis amare quempiam potest, amputata amoris ipsius essentia. Ergo homo, visione beatifica sublata, Deum amare nec posset, nec teneretur. () monstrum, quod excogitare nefas esset ! Sapienti et justo Creatori neutiquam licuit hominem condere, a quo non esset amandus. Ergo natura ipsa hominis, et amoris essentia postulant, ut donum, quod supernaturale vulgo et male dicitur, nature intelligenti affluat. Quod autem naturae hominis, et amoris essentiae, stricto jure debetur, nequaquam est gratia. Ita duplex ille ordo, nimirum naturalis et supernaturalis, quem scholœ omnes maxime distinctum volunt, jam non esset vere duplex; imo essentialiter simplex, et individuus. Unde certe damnandus esset" Romanus Catechismus, qui pastores quietistico veneno gregem sic necare jubet :
«Neque id quidem silentio prœtereundum est, vel in hoc maxime suam in nos Deum clementiam, et summœ bonitatis divitias ostendisse, quod cum sine ullo prœmio nos potuisset ut suœ gloriœ serviremus cogere, voluit tamen suam gloriam cum utilitate nostra conjungere34. Sunt enim qui aman-ter alicui serviant, sed tamen pretii causa, quo amorem referunt. Sunt prœterea, qui tantummodo caritate, et pietate commoti, in eo, cui dant operam, nihil spectant, nisi illius bonitatem, atque virtutem, etc. »"
2° Vota conditionata, que a Moyse, a Paulo, a tot sanctis cujusque œtatis emissa ad celum usque laudibus extulit Ecclesiœ constans traditio, essent amantes ineptiae, aut potius impia contra amoris essentiam deliria;
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horum experimenta, fanaticœ Quietistarum illusiones; horum locutiones, blasphemiœ. Quis autem æquo animo audiet Paulum ac Moysen aut delirasse contra amoris essentiam, aut sancto Spiritui fuisse mentitos beatitudinis tutius captandœ causa, dum se beatitudinem conditionate abdicare affirmarent, cujus ficte abdicationis neque volitionem sinceram, neque vel tantulam velleitatem elicere poterant? Num etiam dicendum erit sanctum Franciscum Salesium in his ineptiis, aut potius blasphemiis contra amoris essentiam, perfectionis summam sexcenties posuisse, ac proinde in illius festo quotannis ineptissime et periculosissime ab universa Ecclesia decantari : «Suis itaque scriptis coelesti doctrina refertis Ecclesiam illustravit, quibus iter ad christianam perfectionem tutum et planum demonstravit »? Num et hœc in sanctœ Theresiœ Officio eradenda sunt: «Cœlestis ejus doctrine pabulo nutriamur »"?
3° Nullus erit verus amor, nisi ille concupiscentiœ supernaturalis, quem comparative ad amorem amicitiœ, Doctor Angelicus imperfectum dicit, et quem scholœ, a sacramento poenitentiœ adjunctum, insufficientem esse docent ad peccatoris justificationem. Sic nulla erit, nisi adumbratilis, caritatis prœcellentia, quippe quœ non minus quam spes ipsa, mercedem quœrit, et circa illam est interessata. Namque, ut ait Conventus, semper vult potiri suo objecto, et in eo beatitudinem concupiscit" . Atqui omnis amor sibi aliquod bonum concupiscens prœsupponit, quasi essentiale fundamentum, benevolum sui ipsius amorem. Neque enim quisquam, quod bonum est concupisceret sibi ipsi, nisi jam sibi bene vellet, seu38 amore benevolentiœ se prosequeretur. Certe si ea sit natura hominis, et amoris essentia, ut caritas ipsa nunquam non velit potiri suo objecto, et in eo beatitudinem concupiscat, absolute determinare oportet Adamum in Paradiso voluptatis positum, primo seipsum amasse, puro39 amore benevolentiœ, deinde Deum, amore beatitudinem in eo concupiscente. Sic amor pure benevolus, quem erga Deum impossibilem ex ipsa amoris essentia dicunt, erga nos verum affirmant. Sic amor nostri primus est, perfectior est, absolutus est, et amorem Dei gignit. Amor autem Dei imperfectus, secundarius, ad alterum relativus, ex ipso profluit. Certe amor ille nostri essentialiter presuppositus amori divino, ei subordinatus esse nequit. Ea estne amoris essentia, et natura hominis? Isne ordo amoris quem Adamus innocens in Paradiso secutus est, dum rectus permansit ?
In eadem doctrina adstruenda totus aperte fuit D. cardinalis Noallius, cujus verba luculenta hœc sunt":
«Quo pacto ens intelligens Deum glorificare potest, nisi illius notitia et amore? Igitur tenemur optare Dei visionem et possessionem. »4' En illius implicitum argumentum. Natura omnis intelligens ad hunc finem essentialiter refertur, ut Deum notitia et amore glorificet. Atqui ipsa Deum nosse et amare non poterit, nisi ilium videat atque possideat. Ergo ex suo fine essentiali quodcumque ens intelligens visionem Dei atque possessionem optare tenetur.
«Unica via qua ad finem itur, huic fini inseparabiliter annexa est. Caritas me impellit ut Deum in se glorificem. Deo ut fini ultimo me devincit. Sed unicum hoc est medium, ut Deum glorificem, scilicet illius possessio. »42 Sic beatitudo supernaturalis proponitur ut unicum medium, quo ens intelligens Deum glorificare possit.
«Deus non amaretur, si non optaretur unio cum illo, illiusque possessio". Possidendi Dei votum, est votum sui ipsius beandi.»44
«Non licet dicere nos salutem non optare, nisi prœcise et exclusive, quatenus Deus eam vult... Ita cum restrictione tantummodo optantur, ea que ex natura sua indifferentia sunt, quœ non essent bona, et quœ minime vellemus, nisi ea optari preceptum esset. Quod absolute bonum est, absolute velle oportet. »" Restrictio quam a me appositam egre tulit, hœc est. Visionem beatificam opto, eo quod Deus, qui potuisset eam non largiri, gratis largiri voluit, ut" ex promissis constat. Quod si noluisset hoc supernaturale donum hominibus concedere, sua clementia, ut ait Catechismus Romanus, sine ullo praemio nos potuisset, ut suae gloriae serviremus, cogere' . Tùm certe donum illud velle non licuisset contra Dei nolentis determinationem. Quare ergo asseverat salutem non esse optandam praecise eo quod Deus eam velit, et nos ipsos velle jubeat. Oportetne velle absolute, quod Deus nolle potuisset? Illa absoluta voluntas hunc implicitum affectum includit: Ita absolute, meam salutem volo, ut si Deus eam noluisset, nihilo tamen minus eam vellem.
«Quandoquidem nostris mysticis persuasum est salutem suam non optandam esse, nisi quatenus Deus eam vult, brevi etiam persuasum erit Deum eam nolle. »" Quasi vero omnes illi suam salutem respuant, Deumque eam nolle somnient, qui hoc donum supernaturale et gratuitum esse norunt ! Donum illud nature intelligenti non esse debitum credo. Attamen ex ipsa fide certissime scio hoc donum indebitum, et mihi gratis oblatum, impensissime esse optandum. Illud opto non quidem absolute, et nulla promissi gratuiti ratione habita, sed praecise eo quod Deus id velit, et me velle jubeat. Qua arte efficiet auctor, ut brevi mihi sit persuasum Deum meam salutem nolle? nonne voluntas Dei Scripturis, traditione, et Ecclesiœ oraculis declarata immota manebit ? Caelum et terra transibunt, verba autem mea non praeteribunt". Existimatne D. Cardinalis tutius esse, ut omnes, non attenta gratuita Dei largitione, suam salutem, ut summum commodum absolute concupiscant?
« In quovis statu beatos esse volumus, infelices esse nunquam volumus. Et hœc sunt, quibus efficacissime moventur homines. »" Putatne etiam sanctos efficacius motos fuisse sui commodi, quam divine gloriœ intuitu ? Adjicit continuo, nulla facta exceptione. Igitur nequidem Paulum, nequidem Moysen exceptum voluit. Omnes, omnino omnes in Deum pura benevolentia, minus " quam sui commodi concupiscentia, affecti sunt.
«Caritas includit respectum desiderium possidendi Dei... Æque impossibile est nos per caritatem bonitatem supremam spectare absque beatitudinis motivo, ac impossibile nos unicum bonum nostrum cognoscere, non volito nostro bono. »" Notandum est donum supernaturale" a D. Cardinali semper inculcari, ut nostrum unicum bonum. Ea autem locutio impossibile aperte adstruit beatitudinis motivum ipsis caritatis actibus esse essentiale, ita ut amoris pure benevoli actus sint somniantis deliria. «Quod absolute bonum est, absolute optari oportet.» (De salute, scilicet supernaturali beatitudine, expressissime hic loquitur.) «Cum Deus sit summa justitia, impossibile est eum non semper velle, quod essentialiter justum est. Atqui essentialiter justum est, ut verum nostrum bonum velimus. Non tantum hic est sapientissimus legislatoris ordo, et gratuita, ac salutaris impressio liberatoris, sed etiam, ut ita dicam, ipsamet invincibilis, et necessaria auctoris nature
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impressio. Hœc est veluti voluntatis essentia. Quid vellet, si non vellet suum bonum ? »" Verum sic insto : Quod nos semper velle essentialiter justum est,
quod invincibilis et necessaria naturae auctoris impressio non minus postulat,
quam gratuita liberatoris promissio, hoc procul dubio naturœ nostrœ ex ipsius essentia debetur. Atqui salus seu visio beatifica tale est donum, ut
essentialiter justum sit illud a nobis optari. Imo ipsamet invincibilis et necessaria auctoris naturae impressio hoc votum nobis inspirat. Haec est denique veluti voluntatis essentia. Ergo salus, seu visio beatifica naturœ nostrœ ex ipsius essentia debetur. Possetne Deus denegare nature hominis suum unicum bonum, quod ab homine exoptari essentialiter justum est, et cujus votum ab invincibili et necessaria auctoris naturae impressione formatur? Possetne Deus justus et sapiens deludere votum, quod, ipso auctore, est veluti voluntatis essentia?
«Quid opponunt, inquit, his religionis principiis ? inanes metaphysicœ argutias... Amor purus Deum amat sine relatione ad nos. »" Argutiœ vero illœ Angelico Doctore depromptœ sunt : ut in ipso sistat, non ut ex eo aliquid nobis proveniat, et ideo caritas est excellentior fide et spe".
«Sancta sponsa (hoc tuto affirmari potest) nunquam usa est his prœcisionibus sophisticis, quas neoterici doctores jactitant. »"
« Notum sit semper et certum caritatis perfectionem his sophisticis prœcisionibus nullatenus esse metiendam. »" Qua alia igitur mensura vult ipse metiri caritatem, nisi illius definitione propria?
Sic pergit : «Quanta illusio ! van argutiœ fanaticis relinquendœ". Cunctœ religionis notiones confunduntur, si amorem abstractis novorum spiritualium notionibus accommodare velis. Sancti Francisci Salesii tractatum perlegas, miraberis, quod ad confirmandas mysticorum id genus speculationes, hunc auctorem sibi vindicare ausi fuerint. Quantum abest, ut a caritate excluserit Deum spectatum quatenus nostrum bonum est. Ipse, ipse docet expressissimis verbis quemlibet amorem unice fundatum esse in convenientia objecti amati cum voluntate, quœ illud cognoscit, et amat. »" Hoc certe gratis dictum est, scilicet, quod a cantate excluserim Deum spectatum quatenus nostrum bonum est. Imo sexcenties dixi caritatem posse hoc motivum admittere, illudque6' ad suum proprium finem, scilicet Dei gloriam, passim referre, sed motivum illud propriis caritatis actibus non esse essentiale. Adjeci hoc motivum beatitudinis, dum verbi gratia abest in votis ipsius beatitudinis conditionate abdicandœ, omitti abstractive tantum, non exclusive. Ipsemet D. Cardinalis hoc manifeste agnoscit. Namque iisdem locis acerrime reprobat abstractas, que mihi imputat, novorum spiritualium notiones, sophisticas praecisiones, et inanes metaphysicae argutias". Ergo ex confesso de abstractione aut prœcisione metaphysica, non de exclusione hujus motivi agitata fuit quœstio. Concludit ex loco S. Francisci Salesii contra universam illius doctrinam in sensum alienissimum adducto, quemlibet amorem (nullo excepto) unice fundatum esse in convenientia objecti", id est in nostro bono, seu commodo. Hœc est ipsissima Meldensis episcopi amandi ratio, quae aliter explicari nequit. Hœc est veluti voluntatis essentia. Hœc est hominis natura, et essentia amoris, quam Conventus solemnis prœdicat. Semper vult, inquiunt, potiri suo objecto,... beatitudinem necessario exoptat64.
Sapientissimum Patrem pacifico animo clam alloquor. Ipsa coram Deo viderit Beatitudo vestra, quo in periculo jam vertetur in Galliis Mosaïca et
Apostolica traditio, quœ per Patres, per Ascetas, per scholas omnes ad nos-tram œtatem usque viguit incolumis. De perfectionis summa agitur; quinetiam de amore de quo dictum intelligitur : Qui non diligit, manet in morte". Hanc auream traditionem nemo, prœter me, damnatum, tueri ausus est. Controversia nostra per totam Europam late insonuit. Causa, inquiunt, jam definita est. Nihil ulterius scrutantur plerique hominum. Jam omnino illis persuasum est amorem benevolum, benigne quidem, scandali declinandi causa, in aliquot indoctis sanctorum libris, exempli gratia, in operibus sancti Francisci Salesii, haberi excusatum ; has autem amantes ineptias quœ amoris essentiae repugnant, ut Quietismi fontem virulentum, in scriptis meis reprobatas esse". Hoc adversarii omnium auribus nunquam non instillant. Ea autem est in illis ingenii dexteritas et solertia, ut dum impugnando meo libello incumberent, errores textui imputatos in immensum exaggeraverint. Nunc vero, voti compotes damnatum dogma minus late accipi volunt. Arte contraria, censurœ fines coarctant, ut ipse benevolus amor implicitus videatur. Si quis autem ilium censurœ apostolicœ immunem dixerit, hunc Scripturis, traditioni, naturae hominis et amoris essentiae infensum conclamant Conventus episcopi". Quid, si Sedes apostolica hoc sancitum sua auctoritate confirmaret? actum esset de illo purissimo igne, quem Dominus Jesus voluit vehementer accendi, et quem extinctum Meldensis vellet.
Absit, Sanctissime Pater, absit ab Ecclesia Romana, ut ipsa olim locuta est", vigorem suum tam profana facilitate dimittere, et nervos severitatis eversa fidei majestate dissolvere.
II.
Omnia susdeque versant adversarii, ut apologetica mea scripta, ad Sedem apostolicam per controversiœ curriculum transmissa, cum ipso libro sine discrimine damnata vulgo reputentur. Eo fine inclamitant viginti tres propositiones libri damnatas in apologeticis acerrime propugnari". Atqui nihil est a veritate manifestius alienum. Nulla est enim ex his propositionibus, quam, prout in Brevi jacet, apologetica scripta tantillum excusata haberi velint. Imo singulœ propositiones, prout in Brevi jacent, in apologeticis, vehementissime quam potui, refelluntur.
Verum quidem est, Sanctissime Pater, me in apologeticis protulisse multa contextus libri temperamenta, singulis propositionibus consulte affixa, ne male unquam sonare possent. Hœc autem temperamenta non sufficere declaravit Breve pontificium, cui docili ac simplici animo sum obsecutus. Neque eo tamen minus aperte constat, nullam ex viginti tribus propositionibus, prout in Brevi jacent, in apologeticis propugnari. Quapropter temere prœdicant, apologetica tum pontificio Brevi implicite damnata, tum regio edicto prohibita esse. Sic enim habet ipsum edictum:« Insuper hunc librum unaque scripta typis excusa, atque in lucem edita, ad tuendas, quas continet et quœ damnatœ sunt propositiones, de medio tolli jubemus. »"
Apologetica vero minime tueor, ut edicti interpretatione facta, hœc opera libere circumferantur. A die qua Breve pontificium mihi innotuit, nequidem unum apologeticorum exemplar distribui. De hoc severissime inquisitum fuit a legato Regis Cameracum misso''. Defuit malevolis vel minima querelœ ansa. Pacis quœrendœ studio asperrima quœque silens pertuli. Hoc unum Beatitudini vestrœ perpendendum clam propono, nimirum adversarios
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librum damnatum cum apologeticis minime damnatis ex industria confun-
dere, ne benevolus amor in apologeticis tantopere propugnatus, censure immunis reputetur. Plerique hominum ita secum argumentantur : Archiepis-
copi " Cameracensis doctrina de amore puro ab apostolica Sede damnata est. D. Cardinalis Noallius et D. episcopus Meldensis, in hoc prœcise Cameracensem impugnaverunt, quod ipse negasset beatitudinis coelestis motivum esse essentiale quibuslibet caritatis actibus. Hoc erat punctum decretorium,
quo totius controversiae nodus secabatur73; in hoc exstirpandus erat Quietismus. In hoc pervicerunt. Pontifici inanes amoris chimerici argutias dam-
nanti applaudit Gallicanus Conventus. Declarat eam esse amoris essentiam,
ut semper velit potiri suo objecto, eamque naturam hominis, ut beatitudinem necessario exoptet74. His sancitis aperte adversantur archiepiscopi Camera-
censis apologetica. Ergo apologetica ab apostolica Sede, et a Conventu Gallicano reprobata sunt. Ea scripta affirmant caritatem ex suis propriis actibus in Deo sistere, non ut ex eo aliquid sibi proveniat, nequidem adeptio boni.
Contra vero Conventus docet essentiam amoris, ac proinde caritatis ipsius, eam esse, ut in Deo sistere non possit, nisi velit semper potiri suo objecto;
et ex eo beatitudinem sibi provenire optet. Hic apostolica Sedes, et Conventus Gallicanus; illic solus archiepiscopus Cameracensis. Causa jam definita est. Valeat ille quietisticus amor, qui in Deo sistere affectat, non ut ex eo salus œterna sibi proveniat".
Quocirca, Sanctissime Pater, per Christum, cujus legatione fungeris, et per custodiendum doctrine depositum, Beatitudinem vestram supplex iterum atque iterum oro, ut si quid in apologeticis erraverim, me docere et emendare dignetur.
Doctoris Angelici sententiœ de amore qui in Deo sistit, etc., hoc unum in apologeticis adjunxi ex decimo tertio Articulo Issiacensi depromptum,
scilicet «in vita et oratione perfectissima hos omnes actus (puta virtutum
omnium) in sola caritate coadunari, quatenus ipsa omnes virtutes animat, atque imperat illarum exercitium, etc. »" Sic autem temperata volui multa
antiquorum loca, ubi dictum est perfectos sola caritate agi, ut dixerim in
statu perfectissimo caritatem tum maxime vigentem cœteras virtutes plerumque prœvenire, earumque actus" imperare, ad eos ad suum finem, nempe
Dei gloriam, explicite referendos. Porro constat ex divo Thoma actus virtutis
imperatœ transire in speciem, aut assumere speciem" virtutis imperantis, salva tamen et incolumi propria specificatione. Ita assignavi statum habitua-
lem, nec tamen variationum expertem, in quo spei actus a caritate imperante nobilitantur. Possuntne mitius ac tutius explicari Patrum locutiones, quibus caritate sola perfectos agi asseverant, et spem imperfectis relinquere videntur.
Docent etiam Patres triplicem esse justorum ordinem, alios timore servos, alios" coelestis prœmii voto mercenarios, alios denique purissima cari-
tate perfectos filios. Luce ipsa clarior est hœc omnium temporum, et in Oriente et in Occidente traditio. Velint, nolint adversarii, traditio illa respui non potest. Altius, si possunt, eam vestigent, sensumque genuinum, ac liquidum proferant.
1° Dixi eos justos, quos Patres mercenarios nuncupant, plerumque elicere actus spei supernaturales a caritate tum adhuc infirma non expresse imperatos, eosque prœtereo sœpe emittere actus mere naturales amoris sui ipsius in expetenda beatitudine, quibus citra peccatum sibi indulgebant. 2° Dixi perfectos filios plerumque amputare hos" actus mere naturales circa beatitudinem, dum ipsam beatitudinem optant per actus spei supernaturalis, a caritate tum vegeta explicite imperatos. Ita affectum mercenarium ilium esse dixi, qui in actibus mere naturalibus consistit, et quem ab exercitio spei supernaturalis omnino diversum esse constat. Sic spei virtutis supernaturalis et theologicoe exercitium non tantum incolume, sed etiam frequens in perfectissimis animabus esse inculcatum volui. Certe, quidquid adversarii obstrepant, reperiendum est aliquid", quo quidam justi mercenarii constituuntur, et quod in perfectis filiis resectum est. Neque enim alii sine aliquo mercenario affectu mercenarii dicuntur, neque alii, nisi abjecto illo mercenario affectu, ad superiorem perfectorum filiorum ordinem transvolant. Dixerunt adversarii hunc affectum mercenarium, qui mercenarios constituit, spectare beatitudinem aliquatenus extra Deum, et praeter bona a Deo promissa". Dixerunt his primis sœculis fuisse aliquot Christianos ita rudes, ut nimium moverentur his commodis, aut veris, aut fictis, extra Deum, ita ut haec plus quam Deum ipsum in se possessum saperent, eosque potuisse spectari ut mercenarios. Dixerunt eos dictos fuisse mercenarios qui magis affecti erant bonis a Deo profluentibus, quam a Deo ipso, dum minus arrideret luis vera, et substantialis merces. Hœc autem commoda aliquatenus extra Deum et praeter bona a Deo promissa, vocant externas mercedes, LES RÉCOMPENSES ÉTRANGÈRES; vulgares animas in amando Deo quacumque ope indigere et uti83, asseverant.
D. Cardinalis Noallius hœc fuse exposuit. «Plures sunt, inquit, quam" expediret, Christiani, qui ad arbitrium rudem beatitudinem, eamque, ut ait Augustinus, œternam sibi ipsis fingunt. Ea quidem essent contenti, si a Deo concederetur, Deo ipso carentes85. Cum ipsi jucunde non vivant, nisi voluptatibus quibusdam afficiantur, excogitant, et concupiscunt" in eternitate hujus generis beatitudinem. Si Christiani non sunt singuli rudes, que ac Mahumetani, saltem non sunt ita eruditi ac spirituales, ut fideles deceret. Quantum abest ut singuli beatitudinem spectent ea purissima notione Dei cogniti et amati ! Quœrunt commoda que sensus magis afficiant. Quapropter in coelum quodammodo transferunt has beatitudinis ideas, quas in terra coluerunt... Paradisus, ut a Christiano mediocriter edocto intelligitur, locus est voluptatis, quo procul abest omne incommodum, quo omne commodum affluit. Neque altius sese erigunt. Hec notio vera est, etiamsi imperfecta sit. Sœpe, et justi, quorum affectus nondum puri sunt, aliquatenus distinguunt gaudium de Deo œternum cognito et amato, a beatitudine quam sibi pollicentur. »"
Hœc legens, poetarum campos Elysios, aut Mahummetis paradisum videre mihi videor. Siccine sperant justi mercenarii, quos salvari Patres affirmant? Num fabulosa hœc paradisi imago, et fidei christianœ, et Dei super omnia dilectioni aperte repugnant ? Quœnam sunt hœc commoda aliquatenus extra Deum, et praeter bona ab eo promissa, que si Deum daret, seipso minime dato, his contenti essent? Potestne aliquod bonum, excogitari extra et praeter veram beatitudinem, scilicet omnium bonorum perfectam ac simplicissimam aggregationem ? Hanc Gentilium fabulam ipsi Deo si anteposuissent mercenarii", neque fide christiana imbutos, neque caritate incensos eos fuisse quisquam diceret. Atqui hujusmodi justi, ita justi sunt, ex Patrum
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testimonio, ut justorum servorum ordine jam superiores, inferiores tantum sint prœcelsissimo filiorum gradu. Qui vero altius eo paradiso poetarum aut Mahummetis sese non erigerent, Gentiles aut Mahummetani essent dicendi. Hœc fere incredibilia docere satius adversariis" visum est, quam confirmare meam de illa traditione simplicem ac genuinam interpretationem. Sensit tamen D. Cardinalis se rem non ita liquido expediisse. «Tametsi, inquit", Patres non ita prœcise semper locuti fuerint, easdem tamen notiones sectatos fuisse omnibus persuasum sit. »9' Quis sic non eluderet evidentissimam, aut de consubstantialitate, aut de gratiœ necessitate traditionem? Licetne traditionem unanimem omnium temporum nihili facere his verbis : Patres non ita praecise locuti sunt, sed omnibus persuasum sit, etc. ? Atqui Patres luculentissime locuti sunt de justis mercenariis, qui salvantur. De his dictum est ab Ambrosio: « Angustœ mentes invitentur promissis; erigantur speratis mercedibus. »92 Dictum est a Chrysostomo : «Deus voluit sic virtutem nos posse colere, ut infirmitati nostre sese accommodaret. Quod si quis imbecillis sit, etiam in prœmium spectet. »93 Licetne dicere Deum infirmitati nostrae sese accommodare, dum sinit justos Mahummetico paradiso extra Deum, et praeter bona ab ipso promissa, delectari? Licetne dicere his promissis et mercedibus invitari et erigi angustas mentes? Imo hac impia et absurda fabula delusœ mentes, altius, inquit D. Cardinalis, non eriguntur. Licetne dicere Deum voluisse, ut virtus ipsa ita colatur, nempe dum voluntas plus movetur bonis a Deo profluentibus, quam Deo ipso ? Licetne dicere his Mahummetici paradisi adminiculis infirmas animas indigere, et ad perfectionem comparandam adjuvari? Licetne dicere hoc fabulosœ beatitudinis idolum extra Deum, et praeter vera promissa, non esse abominationem in loco sancto? Siccine angustae mentes invitantur et eriguntur, nimirum94 gravissime peccando? Siccine ut infirmi evadant fortiores, in praemium spectare oportet ? Que fere incredibilia nisi dicant adversarii, hanc traditionem cum suis principiis conciliare nequeunt. Hoc unum superfuit illis perfugium, ne mihi assentiri cogerentur. Hœc autem eo tantum fine hic recenseo, ut Beatitudo vestra meminerit95 quantum religioni periculum impenderet, si, confirmata Conventus doctrina, Apologeticorum sententia damnata videretur. Tum certe funditus rueret illa Moysis, Pauli, Ascetarum et scholarum traditio. Quod si in Apologeticis vel minimus" error obrepserit, in quo praecise erraverim, quis me docebit, nisi Ecclesia cœterarum magistra et mater? Filium docilem, et nolentem errare, non repellet Pater benignissimus.
Facile judicabit vestra Beatitudo, unde gravius immineat periculum, an ex Mysticorum adversariis, an ex inepta et ridicula Quietistarum illusione? Quietistœ paucissimi, alii aliis ignoti, illitterati, turpe ac vile fanaticorum genus, diversimode abrepti delirant. At contra Critici (absit ut quemquam indigitare velim) numero, ingenio, linguarum peritia, litteris etiam humanioribus, gratia, fama, eloquentia prœstantes, sapiunt quidem, sed non ad sobrietatem evangelicam. Alta sapientes, humilibus non consentiunt97. Quae ignorant blasphemant9B, simplicitatem fastidiunt ; Sanctorum experimenta, ut aniles fabulas derident, de vita contemplativa pifs idiotis rudiores. Quorum criticorum" si valeat auctoritas ac censura, protinus arescet vitae inte rioris unctio. Una nobis supererit sicca, jejuna, aspera ac tumens philosophia; atque in hanc partem jam Taxis habenis précipites ruunt juvenes, quos scientia inflari juvat.
Aliud occurrit hominum genus, veri ac sine fuco mystici, simplices anime, et pacis amantes, disputationibus et negotiis inhabiles, sed orationis peritœ. Has cum Quietistis confundere nefas esset. Quae enim societas luci ad tenebras? quae conventio Christi ad Belial'"? Candide, dociles, pavidœ columbœ, quarum gemitu Deus placatur, quas, si vel minimi erroris arguas, continuo sese gravissime culpant : came Deo, sibi ipsis viles, traditœ gratiœ Dei, excellentiorem viam œmulantur. Natio illorum obedientia, et dilectioun Patris est has egregias animas gremio fovere, amplecti, quasi pupillam oculi tueri delicatissime. Sed heu ! quis dicere queat, quam aspere hisce temporibus ab imperitis directoribus exterritœ discrucientur, si gratiœ intus allicienti tantisper obtemperent ? Sunt illis lacrymae panes die ac nocte, dum ab increpantibus dicitur : Ubi est Deus vester'"? Passim audiunt doctos dicentes, amorem benevolum contra Scripturas, traditionem, naturam hominis et amoris essentiam insanire I". Audiunt contemplationem esse vacuœ, et illusœ mentis otium, quietistico gurgite jam sese perditum ire, sponsumque Christum se repudiasse. Quid paterna miseratione dignius ?
IV.
Jam fere a biennio pontificie censure absque ulla restrictione adhaesi, meumque libellum, iisdem praecise qualificationibus affixis ter damnavi.
1° In exarando Mandato singulos Galliarum Conventus provinciales, et regium edictum, ego solus ultro antecessi.
2° In nostro provinciali Conventu hoc ipsum expressissime repetitum legitur.
3° Non ita pridem, petente Rege, Mandatum gratis iterare non piguit.
Ita per biennium nequidem vocula a me emissa fuit, nisi ad inculcandam absque ulla excusationis specie libelli condemnationem. Omitto loqui sin-
gula, que nihilo tamen minus a fratribus pertuli. Auctoribus id condonetur,
quotidianis precibus oro. Ab omnibus optimœ note vires, et ipsa infima plebe conclamatum erat nullam vocem, nisi consolatoriam, a fratribus in
fratrem deinceps emitti decere. At contra a Gallicano Conventu demandata
est 1" scribende Relationis provincia D. episcopo Meldensi, huic scilicet, quem adversariorum infensissimum fuisse neminem fugit. Ita unus ille fuit
simul actor, testis, judex, commissariorum prœfectus, et suce controversiœ scriptor. Protinus nomine alieno impune me discerpit, et tacenti insultat. Falsa, absurda, sibi ipsis aperte pugnantia, et jam in Apologeticis confutata repetit. Decuitne Conventum, dictante actore, in reum jam suis responsis purgatum, acriter invehi?
Nullatenus in ea Relatione'" dubitant episcopi, quin damnatis erroribus ex animo adhœserim, et libellum scripserim hujus delirii propugnandi causa.
Quo pacto id noverint, dicant, si possunt. Si non possunt, dixisse pigeai.
Sciuntne melius ipso auctore reclamante, quid ipse sua intima conscientia senserit? Neque in hoc sibi ipsis constant. Modo enim me, ut Sedi aposto-
licœ candide obsequentem, laudaverunt. Modo affirmaverunt me amplexum fuisse errores, a quibus animum semper maxime abhorruisse, Deo teste invo-
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22 mars 1701
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cato, sexcenties declaravi. Ita dum me inani laude demulcent, hypocritam ac perjurum prœdicant. Quid enim scelestius, aut impudentius foret, quam pudere debitœ confessionis, et peccati minime pudere? Quid magis flagitiosum, quam negare coram Deo me propugnasse 106 errorem, si revera ilium propugnassem? Id mihi imputant, ut adversariis obsequantur. Verum si hœc contumeliosa gestorum Relatio a vestra Beatitudine confirmaretur, continuo adversarii Regis patrocinio freti ad ulteriora pergerent. Peterent procul dubio, ut huic confirmationi, veluti formulario subscribere cogerer. Nonne satius esset extrema quœque perpeti, ipsamque fundere animam, quam fateri me sensisse, quod nunquam sensi, imo semper impugnatum volui. Veritas et conscientia vetant mihimet immerenti inferre hoc dedecus sempiternum. Ipsi autem magis ac magis in dies sentiunt se suce famœ, nisi meo dedecore, [non] consulere posse 1". Namque pii, probi, et cordati omnes indigno animo ferunt fratres in fratrem hactenus inaudita asperitate, invectos esse '".
Extrema hœc tandem, Sanctissime Pater, quasi jamjam essem moriturus, in sinum paternum fundo. Qui futurus judex, ipse cordium et renum scrutator, testis erit Deus: scit quod non mention
1° De mystica theologia nunquam excessi fines 1", quos in Apologeticis fuse, et prœcise positos Romana Ecclesia jamdudum examinavit.
2° Nulium errorem excusatum haberi volui. Imo librum candidissime scripsi, ut, salva et incolumi sanctorum traditione, Quietismi singulos errores aperte, et efficacissime refellerem.
3° In libro severius castigando, ne quid meticulosum lectorem offenderet, D. cardinali Noallio, ut intimo amico, et illusioni infensissimo, simplicissime usus sum. Ipse tres theologos peritos, et sibi fidos adhibuit, qui in retractando opere sententiam dicerent. Nimia, ut ipse tum aiebat, docilitate illis per singula obsecutus sum
4° Illis œque ac mihi visum est tum temporis, interesse proprium, quod mercenarii spiritus reliquias, ambitionem et avaritiam spiritualem"' liber nuncupat, nunquam significare posse salutem, sive Deum, quatenus nobis beatificum. Siquidem spem, illiusque formale objectum ab interesse proprio in tantulo opere 12 septuagies expressissime secreveram. Interesse proprium et affectus interessatus, ut postes 13 Carnotensis episcopus annotavit, sunt voces, quibus constat totum opusculum. Voces autem illœ sexcenties repetitœ, tum D. Cardinalis, tum theologorum aciem fugere non poterant. Eas igitur ita acceperunt, ut nequidem in mentem venerit, his significari posse salutis abdicationem. Quid autem mirum si ea vocabula sincere intellexerim eo sensu pio, quo ipsi unanimi consensu ea intelligenda arbitrati sunt? Igitur si in ea locutione usurpanda hallucinatus sum, saltem fraudis purus et integer id feci. D. ipse Cardinalis in hoc plus hallucinatus est, quippe quem decuisset me prœoccupatum admonere.
5° Huic voci, quœ Christum spectat, perturbatio, male adjecta fuit hœc altera, involuntaria. Neminem culpare est animus. Sed quod mihimet, quemadmodum et alii debetur, reddendum puto. Non mea est hœc vocula '14. Testes protuli omni exceptione majores, qui autographum circiter per mensem habuerunt, etiam editione jam '15 peracta. Nusquam in contextu occurrebat hoc vocabulum. Me absente libellus typis excusus est, excusa etiam errata. Ubi Parisios repetii, jam venum ibant. Continuo palam declaravi hoc vocabulum, ut alienissimum 16, resecandum esse. Quod si vocis hujus alienœ causa aliqua censurœ nota toti operi inspersa esset, meminerit œquissimus Pater, de mendo quod me nihil attinet, me gravissimas luere pcenas. Hœc propositio, me reclamante, tum verbo tum scripto, cœteris viginti duabus adjuncta fuit, et illa propositionum collectio dicta fuit respective erronea. Neque tamen palam id queror. Sed filius cœteris tacitus uni Patri clam pectoris vulnera nudat.
6° Tametsi ' ' ' propositiones singulœ, prout in Brevi jacent, destituuntur omnibus temperamentis, quibus eas in ipso contextu munitas existimabam, et quœ complures theologi Romani l g maximi fecerant, facta tamen propriœ mentis cœca abdicatione, intimam, œternam, et absolutissimam obedientiam, et docilitatem, iterum atque iterum voveo.
7° Ita me affectum profiteor, ut si in Apologeticis vel levissima erroris nebula offusa sit, errorem fateri clara voce, et quamprimum ejurare velim. Ergo Beatitudinem vestram impensissime oro, ne mihi humillime petenti nudam veritatem deneget. Labia sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore ejus'19. In insi pientia dito' 20, summa tamen cum verecundia, et demissione animi, id muneris incumbit Petro, qui conversus fratres confirmare'n tenetur. Nullum aliud beneficium, solatiumve postulo. Patris est, si erret filius, eum suo errori non permittere, si non erret, confirmare, ne tantis in œrumnis a vero deficiat. Quod si Pater filium nec docere, nec solari velit, nihilo tamen minus, filiali affectu, et cultu, ad extremum usque spiritum obsequar. In silentio et spe erit fortitudo mea' 22.
Verum procul esto quod me attinet. Caritas ipsa per Spiritum sanctum diffusa in cordibus nostris impugnatur. Deridentur sanctorum experimenta. Adspicis hœc, o custos Israel ! Purus ille amor male audit. Traditioni, inquiunt, Scripturis, naturae hominis, amoris essentiae repugnat. Verus amor vult semper potiri suo objecto, et in eo beatitudinem necessario exoptati". Applaudunt asseclœ innumeri gratiam captantes. Mcesti silent theologi veri et recti tenaces. In sua suprema sede aliquando loquetur Petrus. Cum transie-ris per aquas, tecum ero, et flumina non operient te. Cum ambulaveris in igne, non combureris, et flamma non ardebit in te... Ab oriente adducam semen tuum, et ab occidente congregabo te. Dicam Aquiloni: Da; et Austro: Noli prohibere. Affer filios meos de longinquo, et filias meas ab extremo terrael".
Pedes humillime deosculans, apostolicam benedictionem peto. Ero œternum cum summa reverentia, observantia, et submissione animi, Sanctissime Pater, Beatitudinis vestrae humillimus, et obedientissimus servus ac filius.
Cameraci, 8 Martii 1701.
FR. ARCH. DUX CAMERACENSIS.
712. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Mardi 22 mars 1701.
Monseigneur le Dauphin tomba dimanche en apoplexie, et on lui tira d'abord cinq palettes de sang. Nous n'en savons pas davantage. Mais cette
142 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
24 mars 1701 TEXTE 143
2 avril 1701
nouvelle se répandra bientôt avec toutes ses circonstances'. En attendant je vous supplie, Madame, de n'en point parler.
Mon bon ami M. de Croisilles 2 est mort en vrai chrétien. J'en suis bien touché. Mais Dieu prend ce qui est à lui, et non pas à nous.
Vous n'êtes point simple avec moi, et vous supposez que je ne veux point entrer simplement dans les desseins de Dieu sur vous. Vos besoins sont des droits que vous avez de me demander du secours. Puisque D[ieu] le veut je le veux aussi. Mais je vous demande deux choses. L'une est de ne rien cacher, et l'autre de faire ce que je vous dirai pour vaincre vos scrupules. Que si'veus y manquez, au moins faut-il m'en avertir de bonne foi. Je prie N[otre] S[eigneur] qu'il vous élargisse le coeur, qu'il vous désoccupe4 de vos vains scrupules sur des bagatelles, et qu'il vous empêche de lui manquer véritablement en résistant à son attrait. Rien ne guérit tant du scrupule que de le forcer sans hésitation. Dieu vous aidera. Rien ne lui est impossible. Croyez et vous recevrez suivant la mesure de votre foi.
713. AU DUC DE CHEVREUSE
714. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Samedi 2 avril 1701.
Je vous envoie, Madame, ma réponse pour madame... '. Il me paraît qu'elle hasarde trop, en écrivant avec confiance par la voie d'un petit garçon. Je lui fais néanmoins réponse, de peur de la peiner, en la laissant trop en suspens.
Pour vous, Madame, je vous conjure de communier demain, sans vous confesser, et de forcer tous vos scrupules, pour donner à Dieu cette preuve de votre sincère docilité à son ministre. Vous pouvez croire que je n'ai envie de charger ni votre conscience ni la mienne. Mais votre conscience a besoin d'être un peu élargie. L'amour, quand il se perfectionne, chasse la crainte', et quand il ne le fait pas, c'est qu'on le gêne, et qu'on l'arrête dans sa pente. Voulez-vous par crainte étouffer l'amour, et par une délicatesse déplacée pour Dieu, résister à Dieu même? J'aurai l'honneur de vous voir, dès que vous croirez en avoir besoin'.
Communiez demain, je vous supplie, et priez pour quelque chose que je recommande à Dieu. J'ai les Lettres de madame de Chantal': les voulez-vous lire? Pardon du mécompte pour ma réponse à Oisy. Dieu soit avec vous, et toutes choses lui seul en vous.
24 mars 1701. 715. AU MARQUIS DE BLAINVILLE
Jamais rien ne m'a touché plus vivement, mon bon [Duc], que votre lettre écrite, moitié à...', et moitié à Versailles. Dieu vous bénisse, et se complaise en vous pour votre petitesse. Ne cessez point de vous défier de votre esprit curieux et de vos raisonnements. Craignez ce goût des gens d'esprit et des savants. Vous savez même qu'il y a certains dévots secs, critiques, dédaigneux, et pleins de leurs lumières qui sont d'autant plus à craindre pour vous, que votre goût, votre habitude et votre confiance vous ont tourné longtemps de ce côté-là'.
Pour vos affaires n'y faites que ce qui vous paraîtra, devant Dieu dans l'oraison, que vous y devez faire pour l'éclaircissement des difficultés, et pour mettre les juges en état de vous rendre justice. Comptez que les arrangements de raisons étudiées, les efforts empressés de sollicitations, les tours persuasifs, etc., ne feront pas autant qu'une application modérée, paisible et simple, où vous n'agirez qu'à mesure que la grâce vous fera agir sans ardeur naturelle'. Surtout réservez-vous des heures certaines pour prier, pour lire autant qu'il le faut, afin que la lecture nourrisse l'oraison, et pour apaiser l'ébranlement naturel que la multitude des affaires pressées cause. Tout dépend de là et vous ne sauriez être trop ferme pour vous faire un retranchement contre le torrent des affaires qui entraîne tout. Puisque la petitesse de Jésus enfant` vous fait trouver dans une très bonne personne, et meilleure qu'il ne paraît d'abord', une société qui vous soutient, et qui ranime votre grâce, ne manquez pas à chercher ce commerce, et à le faciliter. Il vous attirera une particulière bénédiction.
4 avril 1701.
Je serais ravi de vous embrasser, mon cher Monsieur ; mais vous ne devez point venir présentement sur cette frontière, à moins que le service ne vous y mène '. Pour moi j'irai recommencer mes visites au-delà de Mons, dès que la saison sera un peu adoucie. La vente de votre charge' m'a fait plaisir; sachant combien elle vous en faisait, j'en ai ressenti un grand'. Pour le service, vous ne devez point penser à le quitter présentement'. Le goût d'ambition y est fort dangereux. S'il ne soutenait, on tomberait bientôt de lassitude; et quand il soutient, il mène trop loin. Il faudrait servir le Roi par pure fidélité à Dieu, sans chercher aucune gloire mondaine'.
Ne vous découragez point dans l'expérience de vos infidélités. Rien n'est si humiliant que la hauteur6 quand Dieu la fait voir, et qu'il en montre toute la déraison. Du moins quand vous apercevez qu'elle vous a échappé, ramenez-vous, rapetissez-vous, rabaissez-vous, et qu'alors la pratique réelle soit le fruit de votre bonne volonté. Autrement vous n'auriez qu'en paroles la haine de la hauteur et l'amour de la petitesse. Un grand point, c'est d'être simple et de bonne foi dans le désir de se corriger. Alors on ne déguise, on ne soutient, on n'excuse point les hauteurs. On recule, on répare, on avoue qu'on s'est trompé, ou qu'on a été trop vif. On fait sentir que la hauteur n'est pas du fonds, et qu'on en souffre plus de confusion, que ceux qu'on a fait souffrir. Ce qui n'est que dans la promptitude de l'humeur n'est que faiblesse. Il faut s'en corriger. Mais ce mal n'est pas le plus dangereux. Pour
144 CORRESPONDANCE DE FÉNELON [4 avril 1701]
la hauteur, elle vient de plénitude. C'est un fonds d'orgueil de démon. Ce fonds rend faux, âpre, dur, tranchant, dédaigneux, critique.
Soyez retenu avec le prochain pour ne prendre aucun ascendant, pour éviter la décision' et la moquerie. Rappelez la présence de Dieu. Humiliez-vous devant lui, pour demeurer humble devant les hommes. Ne prenez des hommes que ce qu'il vous en faut pour le besoin de la société. Priez, lisez, et tournez vos lectures en une espèce d'oraison. Défiez-vous de vos goûts pour le service, et en même temps de vos dégoûts pour le monde. Ne comptez pour rien aussi vos goûts pour une retraite belle en idée. En un mot ne comptez pour rien tous vos goûts, et toutes vos pensées. Bornez-vous à votre devoir de chaque jour, qui est votre pain quotidien'. En voyant moins la... 9, vous la verrez plus utilement que vous ne faisiez. Mille fois tendrement à vous.
A LA COMTESSE DE MONTBERON
Lundi [4 avril 1701].
27 avril [1701] TEXTE 145
718. A LA MÊME
Mercredi 27 avril [1701].
Je suis ravi, Madame, de vos bonnes nouvelles. J'attendrai sans peine jusqu'à une heure, l'arrivée de Mr [le comte de Montberon] '. Aussi bien ai-je beaucoup de longues affaires ce matin au vicariat et je ne pourrai sortir qu'à midi, pour aller commencer ma messe. Voulez-vous bien que nous envoyions mon carrosse au devant de notre courrier. Je le ferai, si vous le permettez. Réponse, s'il vous plaît, tout à l'heure'. Il ne faut qu'un mot au porteur de ce billet pour toute réponse, sans vous donner la peine d'écrire. Je vous demande à dîner Mlle de... Si Mlle de...3 est chez vous, n'hésitez point à nous la donner aussi.
719. A MAIGNART DE BERNIÈRES
Der mai 1701].
Monsieur,
716.
Ne hésitez point, Madame, à communier aujourd'hui. O la grande et l'aimable fête' ! C'est l'anéantissement du Verbe fait chair. Anéantissons-nous avec lui. Cet anéantissement est le prodige de l'amour. O que la vie du Fils de D[ieu] était cachée en cet état ! O que ce mystère est intérieure!
Ce qui n'est point du tout volontaire, et que nous avons sujet de croire de bonne foi étranger à notre volonté n'est ni péché ni imperfection. Ne craignez point ce que vous ne voulez pas.
717. A LA MÊME
Mardi 26 avril 1701.
Tout est pot au lait en ce monde. Chacun de nous est la pauvre Perrette' . Qu'y faire, Madame? Se consoler, perdre en paix ce que la Providence nous ôte, et ne tenir qu'à celui qui est jaloux de tout. En perdant tout de la sorte, on ne perd jamais rien. La jalousie qui est si tyrannique, et si déplacée dans les hommes, est en sa place en Dieu. Là elle est juste, nécessaire, miséricordieuse. En ne nous laissant rien, elle nous donne tout 2. Ne communiâtes-vous pas dimanche? Je crois que vous devriez prendre des règles fixes avec le bon père', surtout pour le temps de mon absence. Vous le mènerez au but mieux que personne.
Si M. le [comte de Montberonl pouvait arriver dimanche, ou même lundi', nous pourrions encore dîner ensemble, et cela serait fort joli. Sinon, il sera bien joli d'en être privé, car tout est joli dans la volonté qui décide.
D[ieu] vous bénisse. J'aurai l'honneur de vous voir et de vous écrire avant mon départ6.
Je vous envoie l'avis signé de ma main selon votre projet pour les maladreries'. Votre pensée est si favorable au vrai bien du public, que je suis ravi de m'y conformer, et qu'il serait impossible, ce me semble, de rien désirer de meilleur. J'espère, Monsieur, que votre voyage à Paris servira à appuyer cet avis, et à le faire recevoir au Conseil. On ne peut ressentir plus que je le fais la bonté avec laquelle vous avez protégé les habitants de Solesme'. Il faudrait que j'eusse des affaires bien pressées à Maubeuge, Monsieur, pour y aller avant votre retour. Mais je m'imagine que nous n'aurons pas la joie de vous voir revenir si tôt et que vous profiterez de votre voyage pour passer l'été à Paris. Ce qui est certain est que vous devez quelque amitié à ce pays, car il me revient de tous les côtés que vous, Monsieur, et Madame de Bernières y êtes aimés et honorés universellement'. Mais personne ne peut égaler le zèle avec lequel je suis pour toujours du fond du coeur, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 1 mai.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
720. Au PAPE CLÉMENT XI
Sanctissime Pater,
Quod me jamdudum decuit silentium, etiamnum in tanta lœtitiœ causa me decere putaveram. Quapropter, dum tot alii certatim plauderent mirificam vestram electionem coram Deo tacitus mirabar. Verum a quibusdam
Cameraci 6 maii 1701.
146 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 6 mai 1701
fide dignis viris jam certior factus paterno pectore nondum elapsam esse benevolentiam, qua me dignata est superioribus annis Beatitudo vestra2, mihi temperare nequeo, quin gratum et devinctum animum, summa cum reverentia, significem3. Que vero me attinent, tempore alienissimo commemorare puderet4: namque matris Ecclesiœ triumphus dolere vetat. Jam5 (nec vana fides) candidissimi nascentis Ecclesiœ dies iterum illuxisse mihi videntur. Flores apparuerunt in terra nostra. Non semetipsum clarificavit, ut pontifex fieret, qui repentino et unanimi omnium voto per triduum vim passus est6. Non sic homines, non sic. A Domino factum est istud, et est mirabile in oculis nostris7. Sciant gentes quia manus tua hœc, et tu, Domine, fecisti eam. Patrem luminurn 8oro, ut qui coepit opus bonum, perficiat usque in diem Christi Jesu9. Adsit constans et prospera valetudo; aurei anni affluant; tardo pede accedat virens e veneranda senectus. Mediis in scopulis ac tempestatibus frontem serenet pax illa, quam mundus neque dare neque auferre potest. Eluceat Spiritus sancti gaudium''. Sis, o Pater, sis omnibus omnia factus ", ut omnes Christo lucrifacias '2. Audiant hœretici, eosque pudeat matrem in ipsa senectute decoram ac fecundam sprevisse. Audiant impii, et sponse a sponso promissum œternœ juventutis florem mirentur ". Neque deinceps in ipso matris sinu audiantur hœ deflendœ voces : Ego quidem sum Pauli, ego autem Apollo, ego vero Cephœ '4; sed omnes sint perfecti in eodem sensu, et in eadem sententia, consummandi in unum. Hoc oro diu noctuque; hoc contra spem in spem credo 15. Neque enim, post insperatam illam, et desuper datam electionem, credentibus et orantibus quidquam impossibile videtur. Evangelizantis pacem beatissimos 16 pedes amantissime amplexus, apostolicam benedictionem intima cum observantia et singulari animi demissione peto.
Ero œternum, Sanctisime Pater, Beatitudinis vestrœ humillimus et obedientissimus servus ac filius.
FR. ARCH. DUX CAMERACENSIS.
Au CARDINAL PAOLUCCI
[6 mai 1701].
A LA COMTESSE DE MONTBERON
Vendredi 6 mai 1701.
Il faut que je parte de bonne heure, Madame, pour aller dire la messe à Saulzoir ', où je vais faire la visite en passant; mais je vous donne la bénédiction de D[ieu] notre père, et de n[otre] S[eigneur] J[ésus-]C[hrist]. La paix soit avec vous. Elle y sera, si vous êtes simple, et vous mériterez de la perdre, si peu que vous sortiez de cet attrait de simplicité. Vous en avez l'expérience, et cette expérience si sensible vient d'une bonté qui veut convaincre et vous faire honte de vos hésitations dans la foi. Le raisonnement subtil pour vous tourmenter vous-même est pour vous comme le fruit défendu. Dès que vous
7 mai 1701 TEXTE 147
apercevrez que vous vous serez écoutée vous-même, laissez tomber vos raisonnements, et revenez à votre vrai centre, hors duquel vous ne trouverez aucun repos. Le bon père, que vous avez vu depuis peu 2, vous sera utile, pour vous faire passer outre, quand vos subtilités vous arrêteront.
Je vous envoie une lettre pour Mad. [d'Oisy] 3, mais je crains que vous vous incommoderez à l'aller voir. Rien n'est plus opposé à votre grâce que de prendre trop sur votre santé, car c'est aux dépens de votre corps déjà faible nourrir votre esprit naturel et votre amour-propre, qui se plaît à ces sortes de délicatesses et de politesses pour le prochain. Tâchez de faire entendre au P...4 le mal qu'on vous fait en vous écoutant. On fait que vous vous écoutez, et on vous accoutume à ne supprimer jamais ce qui ne se surmonte jamais bien qu'en le supprimant.
Ne m'oubliez pas, je vous conjure, en écrivant à Tournay et à Malines'. Je vous manderai au plus tôt le temps précis de mon séjour à S. Denis6. Je suis véritablement fâché de n'avoir pas vu Mme la comtesse de Souastre'. Je prie D[ieu] qu'il vous garde contre vous-même. C'est la seule chose, dont je suis en peine. Il voit, Madame, et il fait tout ce qui est dans le fond de mon coeur par rapport à vous.
722. A LA MÊME
A Valenciennes 7 mai 1701.
Je dois, Madame, vous rendre compte de mes projets. Je ne compte point de m'arrêter à Mons, et je vais droit à S. Denis. La mission ne peut commencer à Binch que le jour de la Pentecôte, ce qui me donne une semaine pour la visite des environs de S. Denis, et pour aller à Enghien voir Mad. la D. d'Aremberg '. Si M. le M. de M.2 veut venir au désert, nos deux abbés le posséderont à certaines heures, et je me délasserai le soir de mes visites de la journée, en trouvant une si bonne compagnie avec laquelle nous nous promènerons dans des bois assez agréables. Ne m'oubliez pas, s'il vous plaît, dans le lieu où vous voulez aller. Je suis fort touché de bien des choses, et entr'autres de la dernière lettre. Portez-vous bien, Madame. Ne regardez point derrière vous, si vous voulez aller en avant. Je ne vous dis rien de mon zèle, et de mon respect.
723. A LA MÊME
A Binch 15 mai, jour de la Pentecôte 1701.
J'ai reçu, Madame, deux paquets de vous et rien de vous-même. Pas un mot qui m'apprenne comment vous vous portez. Cela est bien sec. Mais tout est bon, pourvu que vous vous portiez bien, et que vous soyez en paix. J'eus l'honneur de vous écrire de Valenciennes, pour vous dire que je serais à S. Denis toute la semaine qui vient de finir'. En effet j'y ai passé tout ce temps-là, pensant souvent à M. le M. de M.2 que j'eusse été ravi de posséder dans
p.m.
[Texte disparu]
721.
148 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 7 juin 1701
TEXTE 149
7 juin 1701
cette solitude, où les promenades sont très agréables pendant les beaux jours. Mais je ne me flattais d'aucune espérance, sachant combien il doit être assujetti à sa résidence par le voisinage d'un certain homme, qu'il doit vouloir contenter, et qui ne se contente pas facilement 3. J'espère qu'il se trouvera quelque autre temps plus favorable que la Providence nous fournira pour nous voir en liberté. Me voici fixé pour une dizaine de jours. Je compte qu'après la fête du S. Sacrement' je pourrai aller vers Maubeuge. De là je me rapprocherai insensiblement de Cambray5, où je souhaite de tout mon coeur de vous trouver avec un coeur plus large que celui que vous rétrécissez si souvent. Si quelque peine vous arrête, ne hésitez pas à parler au P.R..., en cas que le P.S.... ne vous décide pas assez nettement'. Surtout que le soleil ne se couche point sur vos hésitations, car plus elles durent, plus elles deviennent difficiles à guérir.
Je vous envoie une lettre pour Mad. d'Oisy, qui a besoin d'être donnée sûrement en main propre. Mais n'y allez pas, je vous conjure. Il suffit d'y envoyer une personne sûre. N'allez pas faire des merveilles d'amitié, qui prennent trop sur votre santé. Ces merveilles sont des ragoûts d'amour-propre.
Mad le d'U...7 a besoin et mérite d'être soutenue par des lettres d'amitié et d'édification, qui la consolent et qui l'encouragent. Répondez-lui bonnement. Mad. la C. de S[ouastre] n'a-t-elle point passé à Cambray, et n'y est-elle point encore? Si elle y est, je vous conjure de lui dire mille choses, qui ne sont point des compliments. Je n'espère pas de la trouver chez vous à mon retour. Mais j'ai bien envie d'avoir l'honneur de l'aller voir chez elle'. Je souhaite fort que M. le C. de M[ontberon] fasse cet été de petits tours à Cambray, et que Tournay nous le prête.
Je suis toujours, Madame, l'homme du monde qui vous est le plus dévoué. Je souhaite que l'esprit de simplicité, de vérité, de paix et d'amour, descende et repose sur vous, que son feu consume en vous tout ce qui n'est pas de lui, et qu'il soit l'âme de votre âme.
723 A. LE CARDINAL GABRIELLI A FÉNELON
Illustrissime et Reverendissime Domine,
Die 4a vertentis mensis sub vesperum recepi humanissimas litteras Dominationis vestrœ illustrissimaz, iisque inclusas hesterno mane consistorio secreto apud S. Petrum tradidi clam domino meo cardinali Paulutio, ipsumque enixe rogavi, ut quam primum summo Pontifici directam ac inscriptam epistolam offerret, quod e vestigio se facturum esse sancte spopondit '. Equidem Dominationi vestrœ illustrissime me summe obstrictum contestari debeo propter benignissimas vestras litteras, qua me incredibili consolatione perfuderunt; repetere etenim impresentiarum libet quod alias significavi, nimirum, sicuti nihil mihi gratius contingere potest, quam mente revolvere, et ore omnibus indiscriminatim deprœdicare dignissimi archiepiscopi et ducis Cameracensis eximia merita et egregias dotes; ita nil mihi jucundius accidere potest, quam ejus perlegere litteras, ac de eo descripta
percipere nuntia2. Reverendissimus dominus episcopus Porphyriensis', sacrarii pontificii prœfectus, nuper Romam ex balneis Aquisgranensibus, Leodio, ac Lovanio redux, mihi retulit illis in regionibus undequaque personare celebrem famam vestrœ conspicuœ pietatis, clarissimœ sapientiœ, et vigilantissimi zeli pastoralis, cum omnimodo silentio, et totali oblivione prœteritarum controversiarum. D. quoque abbas de Montgaillard, nepos reverendissimi episcopi Sancti-Pontii, consanguineue et amicus vester, non diu differet viva voce vobis exponere sermonem quem ipse de Dominatione vestra habuit cum summo Pontifice, vestrœ personœ dignissimo aestimatore. Quocum ego etiam non desinam quamcumque arripere occasionem eamdem digne commemorandi, quotiescumque sese occasio obtulerit 5.
Interim nonnulla hic subtexam de D. nostro Papa, qui adhuc moerorem non deponit de dignitate sibi pene per vim illata, sed identidem suspiriis et gemitibus exaggerat et deplorat sibi et Ecclesiœ, ut ipse ait, adversam sortem sue exaltationis6. Superiori mense, inter recitandum officium sancti Petri Cœlestini', a lacrymis temperare non poterat, deflens quod sanctus ille vir eterna beatitudine fruitur ob pontificatus abdicationem; ipse vero, propter ejus acceptationem, incertus salutis manet. Hœc sunt assidua animi ejus humillima sensa, qua nihilominus minime interrumpunt indefessam et continuam ipsius vigilantiam et curam super universam Ecclesiam, innatam ejus erga omnes benignitatem et indulgentiam, atque suavissimam indolem cum pontificia majestate ac gravitate absque ullo artificio conjunctam. In solemni supplicatione pro festo SS. Corporis Domini', non in sella gestatoria evehi voluit, sed pedibus, capite penitus nudato, incessit, nunquam oculum a venerabili sacramento divertens, nec lacrymas temporis momento cohibens, que magna vi obortœ totam faciem jugiter rigabant. Octava ejusdem solemnitatis recurrente die, interesse decrevit supplicationi a clero basilics Vaticane instructœ, et nihili duxit objectiones magistrorum cœremoniarum, qui opponebant nullum hujus rei antecessorum Pontificum extare exemplum, ritumque ac cœremonias hoc in casu adhibendas nullatenus constare. Ipse enim in sententia perstans pedibus comitari voluit augustissimum sacramentum, facem accensam dextera gestans, capite prorsus detecto, oculisque solo defixis, universo populo inspectante et admirante. Quadragesimali tempore pluries nosocomia invisit, œgrotis cibaria prœbuit, eos omni ope spirituali et temporali adjuvit, nonnullis cum morte colluctantibus sacramentum extrema Unctionis administravit, eorumdemque animas usque ad extremum halitum precibus in Rituali Romano descriptis, genibus flexis, commendavit; nec omisit in Vaticana basilica publice quorumcumque fidelium sacramentales confessiones per plures horas excipere9. Hœc insignia pietatis humilitatisque pontificiœ opera, aliœque functiones ecclesiasticœ, maxima devotione ac gravitate omnis affectionis quantumcumque
exilis et minima nescia, quanta œdificationis consolationisque omnibus, nedum fidelibus, verum etiam heterodoxis, hanc in Urbem assiduo confluentibus sint, paucis exprimi non potest. Unde tum basilics, tum sacellum seu capella pontificia, ubi Pontifex sacris functionibus nunquam non interest, semper redundant exteris cujuscumque conditionis, qui admirari et efferre non cessant Prœsidis majestatem, gravitatem, modestiam, ac devotionem ex intimo ejus corde evidenter emanantem, clarisque elogiis ubique deprœdicant, quod caro et sanguis nihil hactenus ipsi revelaverit Hœc pauca pro
150 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 10 juin 1701
temporis angustia litteris consigno longe quamplura eaque potiora fame beneficio evulgata prœtermitto. Interea Dominationem vestram illustrissimam pro viribus rogo et obtestor, ut vestra jussa mihi frequenter impertiatis, ac vestris nuntiis animum meum vestris praeclarissimis meritis propensissimum sœpius reficiatis; ac nomine meo D. abbatem de Chanterac plurimum salvere jubeatis; demumque in perpetuum maneo, Dominationis vestrœ illustrissime et reverendissimœ servus addictissimus.
Rome 7 junii 1701.
JOANNES MARIA CARD. GABRIELLIUS.
724. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai] 10 juin 1701.
J'avais compté, Madame, que je vous trouverais ici, et cette espérance me faisait un grand plaisir. Mais Dieu vous a envoyée à... La bonne place est celle où il met. Toute autre est d'autant plus mauvaise, qu'elle flatterait notre goût, et serait de notre propre choix. Etes-vous libre à... pour être seule? D'ailleurs n'y êtes-vous point embarrassée par vos confessions? Je suis fort aise que l'homme que vous avez vu soit propre à vous soulager le coeur, et à vous aider'. Je l'aime, et je l'estime beaucoup. Je suis persuadé qu'il pourra souvent vous faire du bien. Mais je ne veux point cesser de vous donner mes soins. C'est une union que Dieu a faite, et qui étant de son ordre doit durer. Je ne vois rien qui puisse m'éloigner de ce pays, et ce qu'on vous a écrit ne peut avoir aucun fondement 3. Ne songez donc point à des choses éloignées. Cette inquiétude sur l'avenir est contraire à votre grâce. Quand Dieu vous donne un secours, ne regardez que lui seul dans le secours qui vous est donné, et prenez-le chaque jour, comme les Israélites prenaient la manne, sans en faire jamais de provision d'un jour à l'autre.
La vie de pure foi a deux choses; la première est qu'elle fait voir Dieu seul sous toutes les enveloppes imparfaites, où il se cache. La seconde est de tenir une âme sans cesse en suspens. On est toujours comme en l'air, sans pouvoir toucher du pied à terre. La consolation d'un moment ne répond jamais de la consolation du moment qui suivra. Il faut laisser faire Dieu dans tout ce qui dépend de lui, et ne songer qu'à être fidèle dans tout ce qui dépend de nous. Cette dépendance de moment à autre, cette obscurité, et cette paix de l'âme dans l'incertitude de ce qui lui doit arriver chaque jour, est un vrai martyre intérieur, et sans bruit. C'est être brûlé à petit feu. Cette mort est si lente, et si interne, qu'elle est souvent presque aussi cachée à l'âme qui la souffre, qu'aux personnes qui ignorent son état'. Quand Dieu vous ôtera ce qu'il vous donne, il saura bien le remplacer, ou par d'autres instruments, ou par lui-même. Les pierres mêmes deviennent dans sa main des enfants d'Abrahams. Un corbeau portait tous les jours la moitié d'un pain à S. Paul ermite dans un désert inconnu aux hommes6. Si le saint eût hésité dans la foi, et s'il eût voulu s'assurer un jour d'un autre demi-pain pour le jour suivant, le corbeau ne serait peut-être point revenu. Mangez donc en paix le demi'-pain de chaque jour que le corbeau vous apporte. A chaque jour suffit
TEXTE 151
son mal. Le jour de demain aura soin de lui-mêmes. Celui qui nourrit aujourd'hui est le même qui nourrira demain. On reverra la manne tomber du ciel dans le désert, plutôt que de laisser les enfants de Dieu sans nourriture. Mais encore une fois ce qu'on vous a mandé n'est rien. Les choses sont à une distance infinie de ce que vous craignez.
Je serai ravi de revoir M. le comte de... Ne pourrais-je point vous le mener à..., et l'y laisser? Je pourrai cet été aller faire quelque petit séjour au Casteau, et profiter de votre voisinage. La continuation des incommodités de Madame la comtesse de S. m'afflige: je l'honore du fond du coeur'.
Mon Dieu, que Mad. d'... me fait de pitié ! elle aurait besoin du corbeau de S. Paul. Elle n'avait de consolation que de vous. J'irai la voir. Mais je ne puis le faire qu'une fois. Ne pourriez-vous point l'inviter à vous aller voir à... Pour des lettres je n'en crois pas devoir confier à Mad de... pour les donner à une femme inconnue.
724 A. CLÉMENT XI A FÉNELON
[14 juin 1701].
Venerabilis frater,
Salutem et Apostolicam benedictionem. Quibus felicitatis auspiciis nostre ad Apostolicum solium exaltationi suffragata fuerit fraternitas tua, nos facile, te etiam reticente', ex veteri perspectoque tuo in nos studio conjecimus. Gratum nihilominus accidit nobis gratulationis officium, quod tuis ad nos litteris consignasti, dum tamen nobiscum sentias, justas esse nostrœ trepidationis causas ob susceptum a nobis, Deo ita jubente, pastorale officium, cujus gravitatem tu ipse usu deprehenderis, ad omnium prœsertim Ecclesiarum sollicitudinem in supremo hoc munere propagatum. Angit etiam cor nostrum expensa continenter a nobis virium nostrarum infirmitas, et non satis qua prœsentium temporum conditio, inprimis autem verendum illud divine vocis oraculum : Judicium durum eis qui prœsunt'. Que omnia profecto faciunt, ut quemadmodum eligeremus abjecti esse in domo Dei, ita exaltati modo humiliati simus, et conturbati. Animo tamen non deficimus, imo confidimus, daturum esse nobis virtutem, qui contulit dignitatem, ubi potissimum vota nostra fraternœ pietatis ope fulciantur. Nullum itaque addictœ nobis voluntatis, et singularis zeli, quo prœstas, prœclarius specimen nobis exhibere poteris, quam si tuis, et crediti tibi gregis precibus cœleste nobis praesidium concilies. Interim vero de propensa nostra in te caritate tam certum te esse volumus, quam amanter ejusdem pignus Apostolicam Benedictionem fraternitati tue impertimur.
Datum Rome apud Sanctum Petrum sub annulo Piscatoris die XIV Junii MDCCI, pontificatus nostri anno primo.
ULYSSES JOS. ARCHIEP. THEODOSIEN'.
14 juin 1701
152 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
15 juin 1701
16 juin 1701 TEXTE 153
724 B. LE CARDINAL PAOLUCCI A FÉNELON
[15 juin 1701].
Dedi Sanctissimo Domino nostro illutrissimœ Dominationis tue litteras, quas ipse libenter admodum legit, atque ex pontificio Brevi, quod ad te dari Sua Sanctitas jussit, plane cognosces, quam paterno erga te inclytamque istam Ecclesiam animo sit'. Perjucundum mihi sane erit, si in his, ac in omnibus rebus, que illustrissime Dominationis tue commoda, dignitatemque respicient, declarare tibi reipsa potero, et quanti faciam eximiam virtutem tuam, et quam de tua singulari pietate, perpetuaque in hanc Sanctam Sedem observantia prœclare sentiam. Interim vero illustrissime Dominationis tue manas deosculor. Illustrissime et reverendissime Dominationis tue servus.
ROMae, die 15 junii 1701.
724 C. LE CARDINAL GABRIELLI A FÉNELON
[15 juin 1701].
Illustrissime et Reverendissime Domine,
Transmitto Dominationi Vestrœ Illustrissimœ hic annexas litteras responsivas Summi Pontificis, et Domini mei Card. Paulutii', simulque libentissime arripio hanc novam occasionem renovandi imbecillam meam servitutem Vestrœ Amplissimœ Dominationi, quam indesinenter in corde et mente gero, cuique perpetuo exambio inservire. Hic ab ultimis meis litteris vobis directis usque dum nil novi contigit, sed semper in me perseverat vetus in vos benevolentia, et addictum obsequium, quo œternum manebo Dominationi Vestrœ Illustrissimœ et Reverendissime servitor ex corde.
Je suis ravi, mon bon et cher..., que vous trouviez dans la personne dont vous me parlez ce que vous avez besoin de chercher. Dieu met ce qu'il lui plaît où il lui plaît '. Naaman ne pouvait être guéri dans les fleuves de Syrie. Il fallait qu'il fût assujetti à celles de la Palestine'. Qu'importe par où viennent la lumière et le soutien? II n'est question que de la source, le canal ne fait rien. Ce qui exerce le plus notre foi, qui démonte le plus notre sagesse humaine, qui nous simplifie, qui nous rapetisse, qui nous désabuse le plus de notre propre esprit, a quelque chose de plus propre aux desseins de Dieu.
Recevez donc ce qu'il vous donne, et recevez-le avec dépendance de l'Esprit qui souffle où il veut. On ne sait ni d'où il vient, ni où il va'. Mais il ne s'agit pas de vouloir savoir ce que Dieu cache, il suffit d'être fidèlement attentif à ce qu'il montre.
Si vous pouvez vous sevrer de toute curiosité, et de tout raisonnement superflu, vous gagnerez beaucoup de temps pour l'oraison, et pour vos affaires. L'esprit d'oraison vous rendra simple, concis, décisif, sobre en pensées et en paroles, tranquille dans les embarras. Le propre esprit est actif, verbeux', vacillant, empressé, multipliant les vues, voulant toujours atteindre à tout et faire l'impossible, perdant le bien pour viser au mieux, espérant de persuader, de plaire, de concilier tout. L'esprit de grâce ne cherche en paix que la fidélité, sans craindre aucun des inconvénients que la fidélité ne pourra éviter. Voilà la paix que le monde ne peut ni donner, ni ôter et qui surpasse tout sens humain. Comment le monde la donnerait-il? Il ne peut la connaître. Il ne peut la croire dans ceux qui en jouissent.
Le raisonnement est une grande dissipation. Les raisonneurs, les savants etc. sans oraison éteignent l'esprit intérieur, comme le vent la bougie. Après avoir été avec eux, on se sent le coeur desséché, et l'esprit hors de son centre. Craignez ce genre d'hommes. Ils sont contagieux pour vous. Il y en a qui paraissent recueillis, et qui ne le sont guère. On confond aisément une certaine ferveur d'imagination avec le recueillement. Ces sortes d'hommes sont échauffés pour certains biens extérieurs, dont ils se passionnent. Ce zèle les dissipe, car ils sont continuellement occupés de divers objets, sur lesquels ils raisonnent, subtilisent, et s'épuisent. Mais ils n'ont point la paix intérieure, et ce silence où l'on écoute Dieu. Ainsi ils sont plus contagieux que les autres, parce que leur dissipation est plus déguisée. Approfondissez-les; vous trouverez des hommes inquiets, critiques, ardents, toujours occupés du dehors, âpres et roides dans tous leurs désirs, délicats par des réflexions excessives, pleins de leurs pensées, impatients dans les moindres contradictions, en un mot, des ardélions5 spirituels incommodés de tout, et presque toujours incommodes. Moins vous verrez de telles gens, plus vous serez libre pour agir selon votre grâce.
Pour votre voyage de Chaulnes, Dieu sait, mon bon Duc, quelle joie j'aurais s'il me procurait la consolation de vous voir: mais c'est à vous, qui êtes sur les lieux', à savoir mieux que moi ce qui peut être fait sans conséquence. Examinez-le, je vous conjure, avec le bon [duc de Beauvillier]. Et faites ensuite ce que vous croirez convenable, etc.
726. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai] 16 juin 1701.
Je suis ravi, Madame, de vous savoir en paix et en abondance. Mais ne dites point dans votre abondance intérieure: Je ne serai jamais ébranlée'. Quand on est orgueilleux pour des biens empruntés, le prêteur prend plaisir à confondre l'emprunteur ingrat. Profitez de l'abondance sans vous l'approprier.
Romœ 15 junii 1701.
J.M. CARD. GABRIELLIUS.
725. Au DUC DE CHEVREUSE
16 juin 1701.
F. CARD. PAULUTIUS.
154 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 22 juin 1701 27 juin 1701 TEXTE 155
[22 juin 1701].
Je suis ici depuis huit heures du matin jusqu'à sept heures du soir au concours. Dès que j'en serai sorti, j'irai voir cette pauvre recluse, qui me fait grand pitié. Elle a été ici gardée à vue'.
La mort de Monsieur a été un coup de foudre. Il est tombé comme roide mort. Dieu veuille qu'il ait eu à son jubilé les pensées sérieuses qu'on lui attribue. Mais le monde trouve bien sérieux ce qui ne l'est guère'.
Ne faites rien qui déconcerte votre petite santé. Pour la crainte des consolations, elle va trop loin. Prenez simplement celles qui vous viennent, au hasard d'en être châtiée si votre coeur n'y est pas assez sobre. Il ne faut jamais passer outre, dès qu'on sent intérieurement la jalousie de 1'Epoux sacré. Mais on retomberait dans les réflexions contraires à la simplicité, et dans le trouble, si on voulait prévenir toutes les jalousies de l'Epoux. Il y aurait même une volonté propre et une espèce de délicatesse pour soi-même à aimer mieux renoncer aux consolations pour être délivré des épreuves qu'elles attirent. Ce serait vouloir décider, et rejeter le bénéfice de peur des charges. Je conclus que je vous enverrai dimanche un relais à S...' pour venir coucher à Cambray. Je comprends que vous voudriez que j'allasse le mardi à...5, et c'est à quoi je suis tout prêt.
Souvenez-vous toujours de ce que vous dites : Mes dispositions sont moins sensibles, moins connues, et plus vraies. J'aime la jalousie de Dieu: il faut la laisser détruire tout autour d'elle. Elle ne divise que pour mieux réunir.
727. A MAIGNART DE BERNIÈRES
Monsieur,
Je crois vous devoir représenter la violence qui a été faite à un paysan fermier de quelques terres de l'archevêché de Cambray dans la paroisse de Caudry'. M. de Caudry', dont M. le comte de Monbron pourrait vous dépeindre le caractère', n'est point seigneur de sa paroisse. La seigneurie appartient à sa mère, qu'il ne voit point, et malgré laquelle il s'empare de toute l'autorité. Il a fait une défense d'aller couper des herbes dans les blés, et comme le fermier de l'archevêché a coupé ses propres blés' dans son champ, M. de Caudrys a voulu le faire mettre à l'amende, comme s'il n'était pas permis à ce paysan de disposer, comme il lui plaît, de ce qui est à lui. Pour faire imposer cette amende, M. de Caudry a nommé dans ce fait particulier un bailli différent de celui de sa mère, sur sa seule autorité. Le paysan n'ayant pas voulu payer cette amende, et ayant voulu faire ouïr des témoins, M. de Caudry l'a battu très rudement deux fois, et l'a menacé de faire encore pis. Voilà, Monsieur, le fait que cet homme raconte. L'exposition qu'il en fait, et le caractère de M. de Caudry, le rendent très vraisemblable. Je crois bien que la terreur que tout le monde a d'un homme si violent empêchera la plupart des témoins de parler. Mais enfin à moins qu'on ne prouve que ce paysan a coupé du blé ou de l'herbe dans un champ différent du sien, peut-on le punir, et M. de Caudry qui n'a pas même l'autorité de vrai seigneur, peut-il faire des vexations si odieuses? Si elles étaient impunies, il n'y a rien que M. de Caudry n'osât entreprendre. J'espère, Monsieur, que vous aurez la bonté d'examiner cette affaire pour empêcher l'oppression d'un pauvre homme, qui n'a ni assez de bien pour plaider, ni assez de force pour encourager des témoins à déposer contre une partie terrible, et qui enfin courra risque d'être assommé sur un chemin, ou dans sa propre maison, à moins que votre autorité et votre protection n'arrête M. de Caudry'. Pardon, Monsieur, de cette importunité. Personne au monde ne peut être avec plus de zèle ni avec plus d'attachement que moi, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray, 22 juin 1701.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
728. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Cambrai] 27 juin 1701.
La lettre de Mad... est fort touchante, Madame. Il était trop tard, quand je la reçus, pour l'avertir que je prêchais hier. Mais je prêcherai encore dimanche prochain, et je l'en avertirai de bonne heure. Il me tarde beaucoup d'aller à... Mais j'ai plusieurs chevaux boiteux, qui me font retarder. Mon impatience regarde plus Madame la... que vous, Madame. Je suis presque fâché depuis votre départ d'ici. Vous ne voulûtes jamais me promettre ce que j'avais raison de vous demander. Il est vrai qu'il ne faut pas promettre, sans vouloir tenir. Mais il faut vouloir tenir tout ce qui est bien demandé. La docilité est la seule ressource contre le scrupule. Vous êtes scrupuleuse sur des bagatelles, et vous ne l'êtes point sur une si grande indocilité. Elle est très contraire au véritable esprit d'oraison. Pardonnez ce reproche. D'ailleurs j'entre dans vos peines, et je vous plains, mais il faut être fidèle, et ferme dans la voie droite.
729. A MICHEL CHAMILLART
2 juillet 1701.
Je ne puis m'empêcher de vous importuner par rapport à diverses entreprises que les gens qui lèvent les droits du Roi font tous les jours sur la châtellenie du Cateau-Cambrésis '. Je n'oserais vous fatiguer de ce détail dans des occasions si fréquentes ; mais je crois que vous savez que nos franchises ont une origine et des fondements si singuliers, qu'on n'en doit craindre la conséquence pour aucun autre lieu. Les Espagnols ont toujours reconnu que c'était la moindre consolation qu'ils pussent laisser à notre église, après l'avoir dépouillée'. Le Roi après avoir fait la conquête du Cambrésis sur les Espagnols, n'a cessé en aucune occasion de confirmer ces franchises, qu'ils nous avaient laissées. Je n'ai garde de demander aucune innovation en notre faveur. Je me borne à demander qu'on n'en fasse aucune contre nous, et
156 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 10 juillet 1701
qu'on nous laisse dans une possession si bien fondée, où S. M. a déclaré tant de fois qu'elle voulait nous laisser'. Un mot que vous aurez la bonté d'écrire à nos deux intendants de Flandres et de Hainaut, réprimera toutes ces fréquentes entreprises. Je ne puis que me louer beaucoup de l'équité de MM. de Bagnols et de Bernières, et même de leur zèle pour l'Eglise; mais un mot de votre main, qu'ils pourront montrer, décidera plus que toutes les meilleures raisons qu'ils pourraient alléguer. Je vous demande cette grâce d'autant plus librement qu'elle ne regarde point ma personne, ni aucun revenu dont je puisse profiter, mais seulement des franchises qui restent à cet archevêché'.
730. A MAIGNART DE BERNIÈRES
[10 juillet 1701].
Monsieur,
Je suis bien tenté de me mettre en mauvaise humeur contre Solesme', qui m'oblige si souvent à vous importuner. Les gens qui lèvent' les droits du Roi veulent, dit-on, qu'on supprime un cabaret de bière, qui est dans la dépendance de Solesme, de peur que ce ne soit une occasion de fraude pour les impôts établis dans les lieux circonvoisins. Permettez-moi, Monsieur, de vous représenter là-dessus trois choses. La première est que ce danger de fraude n'est pas plus grand aujourd'hui, qu'il4 l'était dans tous les autres temps, et que malgré ce prétendu danger on n'a jamais cru devoir troubler notre franchise. La seconde est qu'on peut trouver un remède contre le prétendu danger de fraude, sans nous déposséder de notre franchise; par exemple on le peut, en imposant de grosses amendes contre ceux des villages voisins, qui viendront en fraude boire dans ce lieu-là. La troisième est que l'on ne pourrait nous ôter la franchise pour ce cabaret, sans la faire tomber par une conséquence inévitable sur tout Solesme, et puis sur la châtellenie entière du Casteau. On ne manquera pas d'alléguer partout également le danger de fraude. Ceux qui lèvent les droits du Roi' ne cessent d'entreprendre 6, et il faut être à toute heure sous les armes, pour les repousser. Ils ne cherchent que des prétextes pour crier, et pour se faire donner ce qu'ils n'ont jamais eu. J'aimerais mieux souffrir toutes choses, que d'empêcher le véritable intérêt du Roi. Mais nos franchises ont des fondements singuliers' dans l'état, dont notre Eglise est déchue. Le Roi a eu la bonté de les confirmer en toute occasion. La chose dont il s'agit n'est rien pour Sa Majesté, et c'est beaucoup pour l'archevêché de Cambray. Il nous est capital de ne nous laisser jamais entamer'. J'espère, Monsieur, que vous voudrez bien nous délivrer de cette innovation toute manifeste. Vous ne sauriez honorer de votre amitié un homme qui en sente plus le prix que moi, ni qui soit avec un zèle et une inclination plus sincère, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 10 juillet 1701.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
11 juillet 1701 TEXTE 157
731. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrail 11 juillet 1701.
J'ai fort au coeur cette parole: la personne que vous aimez est malade'. Vous m'êtes en vérité très chère en N[otre] S[eigneur]. Jugez par là, Madame, combien il me tarde de vous savoir guérie. Je crains que vous ne vous soyez épuisée sans y prendre garde. On prétend même que vous avez fait diverses austérités. Si vous les avez faites sans consulter, votre propre volonté s'y trouve. C'est cette propre volonté qu'il était bien plus important de mortifier, qu'un corps déjà si affaibli. Ménagez vos forces, je vous en conjure. Je ne perdrai pas un moment pour vous aller voir. Je suis ravi de penser que Mad.la C. de S. est unie de coeur avec vous dans votre solitude'. Ne me faites aucune réponse, et ne songez qu'à rétablir votre santé.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
732. A UN ECCLÉSIASTIQUE DE SON DIOCÈSE
A Cambray, 12 juillet 1701.
Vous avez su, Monsieur ', que je n'ai pu refuser à M. l'évêque d'Arras de vous laisser encore à Douay, pour empêcher la ruine d'une oeuvre que votre présence soutient ; mais comme cette condescendance, dont j'ai usé jusqu'ici par déférence pour ce prélat, doit avoir ses bornes, et qu'il n'est pas juste de préférer toujours une oeuvre étrangère, aux besoins de notre séminaire diocésain, je vous prie de penser bien sérieusement à venir bientôt nous aider. Il serait même fort à désirer que vous profitassiez du reste du temps de votre séjour à Douay, pour y prendre des degrés dans l'Université, comme vous m'aviez assuré que vous le feriez. Je compte que vous viendrez avant la fin de l'automne. Je vous aime et je vous estime véritablement. Ainsi vous ne devez nullement douter de l'affection avec laquelle je serai toujours entièrement à vous.
733. A MAIGNART DE BERNIÈRES
A Cambray 17 juillet 1701.
Monsieur,
Je vous suis sensiblement obligé de la bonté avec laquelle vous vous laissez importuner par nos gens de Solesme, et j'espère que votre décision vous débarrassera d'eux pour longtemps '.
A l'égard de la capitation, M. de Chamillart me presse de la régler, afin qu'il puisse en rendre compte au Roi'. Ainsi je suis ravi que vous soyez de votre côté engagé à solliciter cette affaire pour les bénéficiers de votre intendance 3. Si vous voulez bien les faire tous avertir, je me rendrai dans le
158 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 26 juillet 1701
lieu qui vous sera le plus commode, au jour précis que vous me marquerez. J'irai ou au Quesnoy ou même à Maubeuge, suivant que les affaires du Roi, qui vous assujettissent, le demanderont. Choisissez, s'il vous plaît, Monsieur, et faites-moi l'honneur de me mander au plus tôt le lieu où nous pourrons traiter la chose avec tous les bénéficiers de ce diocèse et de votre département`. Personne ne sera jamais avec plus de zèle que moi, ni plus sincèrement du fond du coeur, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
TEXTE 159
l'ordre de Dieu. Je n'ai garde d'entrer dans votre conduite, ni même de demeurer uni à vous, si vous ne me promettez les choses suivantes:
1° Vous ferez tout ce qu'on vous dira pour augmenter votre sommeil et votre nourriture, afin de rentrer à cet égard dans le premier état.
2° Vous suivrez la règle du P.R. pour vos confessions.
3° Vous chercherez simplement les consolations et les soulagements d'esprit, qui vous conviennent.
Je demande là-dessus une réponse prompte, franche, et décisive. D[ieu] sait la peine que vous me faites.
1 août 1701
A LA MÊME
736.
734. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai] 1 août 1701.
A Cambray 26 juillet 1701.
J'irai, Madame, jeudi prochain' au Quesnoy et je passerai à...2 en attendant que je puisse y aller du Cateau. L'irrésolution où je suis depuis quinze jours', me fait de la peine par rapport à mon désir de vous aller voir. Je suis fort touché de la lettre de Mad. la...4, il me paraît en elle une candeur et un fonds de grâce qui promettent beaucoup. Vous ne me dites rien de vous. N'en est-il plus question? Ne vous confessez-vous plus comme auparavant? Jeudi je vous presserai de m'en dire de nouvelles. J'ai été à...5 où tout va bien. J'ai écrit au grand prieur de S. Wast6. Vous ne dites rien de votre santé, non plus que de votre intérieur. Je prie Dieu qu'il ait soin de l'un et de l'autre. J'irai dîner avec vous jeudi, mais je demande votre repas ordinaire.
A LA MÊME
A C[ambrai] 30 juillet 1701.
Je ne fais, Madame, aucun remerciement, ni à vous, ni à Madame la comtesse de... '• Il y en aurait trop à faire, et je ne suis pas bien préparé à cette fonction. Venons à vous, dont je suis fort en peine. Vous vous consumez en plusieurs manières, qui sont toutes contraires à Dieu, étant contraires à l'obéissance. Vous vous ôtez les consolations que Dieu ne vous ôte point. Il est aussi dangereux de s'ôter ce qu'il n'ôte pas, que de se donner ce qu'il ne donne point. D'ailleurs le scrupule vous dévore, et c'est ce scrupule qui ne vous laisse ni joie, ni repos, ni soulagement, ni respiration. En même temps il vous rejette dans des confessions perpétuelles de vétilles, qui doivent casser la tête à vous et à votre confesseur. Il n'y aurait que l'obéissance qui pourrait remédier à un mal si pressant. Mais elle vous manque, et j'avoue que j'en suis scandalisé. Si vous étiez simple, vous obéiriez sans raisonner et sans vous écouter. Les vrais enfants se taisent, et font ce qu'on leur dit. L'amour véritable ne sait ce que c'est que de hésiter dans l'obéissance. C'est un grand malheur de souffrir par infidélité. Ce qui mine votre santé minera tout votre intérieur, et vous réduira à une certaine vivacité d'imagination sur l'amour, sans aucune docilité. Pour moi, je souffre de voir ce que vous souffrez contre
Si mes paroles sont dures, Madame, n'oubliez pas, s'il vous plaît, mes expériences. Les termes modérés ne sont pas assez forts pour réprimer vos scrupules. Vous savez bien que mon coeur est très éloigné de vous traiter durement. Ma peine très sensible sur votre état montre assez qu'il n'y a en moi rien de dur que l'expression. Voulez-vous que je vous laisse dépérir pour l'intérieur et pour l'extérieur par vos scrupules? Puis-je être uni à vous en N[otre] S[eigneur] contre l'attrait de la grâce de N[otre] S[eigneur] même? Je puis bien continuer à vous honorer, respecter, et plaindre. Mais pour cette union intérieure de grâce, c'est vous qui la rompez par votre indocilité obstinée dans vos scrupules. Si j'étais plusieurs jours de suite avec vous, je vous contraindrais à me dire certaines vérités sur le prochain, que vous regardez comme des médisances, et qui ne sont rien'. Je ne m'effraie point de votre activité involontaire, mais seulement de votre indocilité et de votre réserve volontaire, qui rend inutiles tous les secours de la direction, et qui vous replonge dans vos maux. Vous désobéissez, et ensuite vous ne parlez plus, parce que vous craignez qu'on ne vous ramène de votre égarement, et que vous ne voulez pas être redressée. La docilité serait le remède de tous vos maux. L'indocilité rend tous les remèdes inutiles. Par là on est toujours à recommencer. Vous avez comme un bandeau, qui vous couvre les yeux, et vous ne voyez pas combien vous devriez être scrupuleuse sur vos vains scrupules, pendant que vous vous endurcissez sur les désobéissances les plus contraires à l'esprit de Dieu. C'est quelque chose, que vous reconnaissiez et confessiez de bonne foi votre tort sur la diminution du sommeil et des aliments. Mais vous y retomberez bientôt, si vous continuez à écouter vos scrupules qui vous rongent, et à faire des confessions qui vous épuisent. Je reviens donc aux règles du P.R., et je demande absolument pour condition essentielle, que vous les observerez, et que vous tournerez vos scrupules de ce côté-là.
Je compte que j'irai mercredi au C..., et de là à...2. Nous parlerons du lieu où vous devez demeurer, et je vous déclare par avance, quoiqu'il ne faille pas prévoir de si loin, qu'...3 ne me paraît point un lieu, qui vous convienne. Je prie N[otre] S[eigneur] de vous faire surmonter ce qui vous éloigne de lui. Dès le moment que vous reviendrez sur vos pas, vous sentirez le besoin de la communion, et vous en serez affamée. Dès que la maladie cesse, le besoin de la nourriture se fait sentir.
735.
160 CORRESPONDANCE DE FÉNELON ler août 1701
737. Au DUC DE CHEVREUSE
le' août 1701.
J'ai appris avec une sensible douleur, mon bon Duc, la perte que vous avez faite'. Dieu l'a permis, et il faut se taire. Il ne nous reste qu'à prier Dieu pour celui que nous avons perdu. Vous savez que je l'aimais beaucoup, et que j'ai toujours été sensible à ce qui le regardait'. Je suis persuadé que vous portez en paix cette croix, et que vous avez d'abord sacrifié à Dieu le cher enfant qu'il lui a plu de reprendre. Mais je suis en peine de la tendresse de Madame la Duchesse: quoique je ne doute nullement de sa conformité à la volonté de Dieu, je crains que son coeur n'ait beaucoup à souffrir, et je prie notre Seigneur de la consoler. Les douceurs de cette vie ne sont guère consolantes, et elles nous mettent presque toujours en danger de nous y attacher trop. Mais pour les amertumes dont la vie est pleine, elles sont véritablement mortifiantes. Tout notre chemin est semé et bordé d'épines. Nous ne sommes ici-bas que pour souffrir, et pour aimer celui qui nous éprouve par cette souffrance. Tous nos attachements les plus légitimes se tournent en croix. Dieu les rompt, pour nous unir plus purement à lui, et en les rompant, il nous arrache les liens du coeur, auxquels tenaient ces objets extérieurs. Il faut laisser faire à la main de Dieu, en toute occasion, cette opération douloureuse. Je dois plus qu'un autre sentir les peines de la bonne duchesse, qui a tant senti les miennes'. Je viens d'apprendre que de bonnes gens sont allées vous voir à...4, et j'en suis ravi dans l'espérance que cette visite aura servi à soulager les coeurs. J'aurais voulu pouvoir être transporté invisiblement dans votre solitude. Mais il me semble que nous sommes bien près lors même que Dieu nous tient éloignés. C'est en lui que je ne cesse de vous porter dans mon coeur: je le ferai, mon bon et cher Duc, jusqu'au dernier soupir de ma vie.
738. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Au C[ateaul 7 août 1701.
Je vous envoie, Madame, une lettre pour Mad. d'... '. Je vous conjure d'y ajouter un bon commentaire de votre façon. Elle a besoin de ce secours, et le mérite fort. Plus je la vois, plus je l'estime, et espère que Dieu] la prendra toute à lui. Ce qui se passera dans les repas... ne sera point sur son compte, et la compagnie ne saura que trop, que rien ne roule sur ses soins. Ainsi ce qu'elle sacrifiera à M...2, ou plutôt à D[ieu] même, en cette occasion, n'est pas grand chose.
Je vous conjure, Madame, de demeurer dans votre lit, autant que vous y demeuriez autrefois, et d'y attendre le sommeil, quand il vous a échappé. Il revient, quand on l'attend en paix. Mais quand on suit son imagination, on l'éloigne de plus en plus. Je n'aurai bonne opinion de votre état intérieur, que quand vous posséderez assez votre âme en patience, pour bien dormir. Je ne vous demande que calme et docilité. Vous me direz que le calme de l'imagination ne dépend pas de nous. Pardonnez-moi. Il en dépend beaucoup. Quand on retranche toutes les inquiétudes auxquelles la volonté a quelque part, on diminue beaucoup celles-là mêmes qui sont involontaires. Moins on s'agite volontairement, plus on se met en état de ne s'agiter d'aucune façon, et de tempérer une imagination trop émue. Une petite pierre qu'on fait tomber dans l'eau, la trouble quelque temps, et on ne pourrait d'abord en arrêter l'agitation. Mais cessez de l'agiter, elle se calme peu à peu d'elle-même. D[ieu] aura soin de votre imagination, dès que vous n'en entretiendrez plus le trouble par vos réflexions scrupuleuses.
J'aurais voulu pouvoir parler hier à Mad. la C...3, et je me sentais le coeur fort ouvert pour elle. Mais l'occasion ne fut pas favorable. Il fallait se séparer. Dites-lui, je vous prie, que je suis véritablement occupé d'elle devant N[otre] S[eigneur], et que je lui souhaite une simplicité au-dessus de toute sagesse humaine, et de tout courage naturel. Si vous voulez être enfant devant D[ieu], et bien petite, vous ne devez avoir en partage que docilité et obéissance.
740. A LA MÊME
A Cambrai] 14 août 1701.
Au Casteau', vendredi 5 août [1701].
C'est avec le plus sensible regret, Madame, que je vous ai affligée'. Mais j'ai été le premier affligé par votre indocilité, et par votre véritable résistance à Dieu. Je lui manquerais, si je vous laissais sans scrupule sur ces résistances, pendant que vous êtes scrupuleuse sur des riens qui vous tuent.
Je compte d'aller aujourd'hui à...3, et j'y arriverai en effet au sortir de votre dîner, après avoir achevé quelques affaires que j'ai ici. Si vous voulez me venir voir demain, j'en serai ravi. Il me tarde infiniment de me raccommoder avec vous, Madame, et beaucoup plus encore de vous raccommoder avec Dieu, dont vous vous éloignez à force de vouloir hors de propos vous en rapprocher par des confessions scrupuleuses. Pardonnez-moi des duretés que vous avez rendues inévitables.
Je voudrais bien,Madame, n'avoir qu'à vous consoler. Mais souffrez que je commence par vous gronder un peu. Vous en avez besoin. Vos peines qui devraient m'engager à vous épargner, sont ce qui me presse de vous en faire un reproche. Faut-il que vous soyez si longtemps à passer comme vous le dites par le fer et par le feu, sans en dire un mot? Est-ce être simple? est-ce être fidèle à l'attrait de Dieu? est-ce être sincère? Si vous cachez votre coeur, on ne peut en guérir la plaie. Une plaie cachée ne fait que s'envenimer. Je voyais bien en gros que vous souffriez. Mais vous faisiez tout ce qu'il fallait pour me le laisser ignorer. Au nom de Dieu ne soyez point si forte pour vous passer de conseil et de consolation, et soyez-le un peu plus contre vos scrupules.
162 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 17 août 1701
J'avoue néanmoins que votre dernière lettre me fait un sensible plaisir, et qu'elle achève de nous raccommoder. Non seulement vous me dites que vous avez souffert de longues peines, mais encore vous ajoutez un trait de vraie ingénuité contraire à votre naturel. C'est de me demander sans façon quelque lettre qui vous console. O je prie le Père des miséricordes, et le Dieu de toute consolation de répandre abondamment la sienne dans votre coeur! Que la paix de J[ésus-]C[hrist] soit avec vous. Amen.
Si je savais en détail vos peines je tâcherais de vous dire en détail des choses proportionnées à vos besoins. Mais nous sommes encore trop heureux de savoir en gros que vous avez le coeur malade. Si c'est de scrupule, j'avoue que c'est un martyre. Mais l'obéissance seule peut finir toutes vos douleurs. Ecoutez-vous vous-même, vous vous rongerez le coeur, et dépérirez tous les jours. Ecoutez la voix de D[ieu] dans ceux qui vous le représentent, la paix renaîtra. Mais quand on s'écoute contre l'attrait intérieur, et contre l'autorité extérieure, on sent la vérité de cette parole : Qui est-ce qui a résisté à Dieu, et qui a eu la paix'? Vous avez voulu vous donner ce que Dieu ne vous donnait pas, et vous ôter par courage ce qu'il ne vous ôtait point, et qui vous était nécessaire. Vous étiez un petit enfant à la mamelle, qui par fantaisie quitte le lait, et veut manger du pain dur sans avoir des dents. Revenez à la mamelle des divines consolations. Voyez et goûtez combien le Seigneur est doux'. Vous le sentirez, pourvu que vous vous jetiez entre ses bras sans raisonner, et que vous obéissiez à son serviteur. Essayez-le. Croyez-moi du moins pour l'essai. Priez bonnement et ingénument D[ieu] de vous soulager, et de vous élargir le coeur. Cette prière simple et familière ne peut que lui être agréable.
Je ne manquerai pas de dire tout ce qu'il faut à Mad...3 Je n'ai rien appris de M. de... par M. de...4 L'avenir n'est pas à nous. Laissons-le à Dieu. Soyons-lui fidèles dans le présent, qui nous est donné.
741. A UN ECCLÉSIASTIQUE DE SON DIOCÈSE
A C[ambrai] 17 août 1701.
Ne vous hâtez point de revenir, Monsieur '. Votre affaire est importante et difficile. Le voyage est très long. On ne saurait le faire souvent. Pendant que vous êtes sur les lieux, n'oubliez rien pour la finir. Vous ne sauriez vous défier trop de la vivacité de votre naturel, qui doit être bien excitée par une affaire de cette nature. Il est très difficile de résister à cette tentation, et il serait très dangereux d'y succomber. Je vous donne le conseil que je voudrais qu'on me donnât en pareil cas. C'est maintenant que vous devez suivre jusqu'au bout toutes les preuves que vous pouvez espérer, car elles ne sauraient que diminuer et dépérir par le retardement. Si vous pouvez acheter chèrement la paix, vous ne devez pas y hésiter. Vos frères, quelque tort qu'ils puissent avoir, sont vos frères. Vos neveux sont votre famille, et n'ont aucun tort. Tout ce que vous ferez se tournera ou contre vous-même, si vous ne réussissez pas après un si grand éclat, ou contre votre propre famille si vous réussissez. Il s'agira encore plus de l'honneur que du bien. Songez-y devant D[ieu], comme si vous alliez mourir. A l'égard de votre personne, l'intérêt ne doit pas vous tenir. Vous ne manquerez pas du bien convenable à votre
18 août 1701 TEXTE 163
subsistance, quand vous vous donnerez tout entier à l'étude et au service de l'Eglise. Le procès aura des suites infinies qui vous éloigneront de toute étude et de tout travail pour votre profession. Votre jeune frère sera beaucoup mieux ayant peu, mais travaillant de jeunesse à se pousser, que s'il s'engageait à poursuivre de grosses prétentions. Jugez par la sincérité de cette lettre combien vos intérêts me touchent.
F. A. D. C.
742. AU DUC DE CHEVREUSE
18 août 1701.
J'ai reçu, mon bon et cher Duc, votre lettre sur la perte que vous avez faite, et je crois que vous aurez reçu aussi celle que je vous écrivis sur le même sujet, dès que je trouvai une occasion sûre'. Je ressens et cette perte, et la douleur dont vous me paraissez pénétré. Mais je ne saurais être en peine de votre coeur, ne doutant point qu'il ne soit dans la vraie paix qui est toujours inséparable de l'amour de toutes les volontés de Dieu. Je vous plains seulement de cette plaie secrète dont le coeur demeure comme flétri. Mais la souffrance est la vie secrète des âmes ici-bas, car ce n'est que par un sentiment de mort que se forme en nous le principe d'une nouvelle vie. Tout ce qui semble faire pourrir dans la terre le grain, le fait germer et croître pour la moisson'.
Au reste, il ne faut point se laisser aller à des pensées trop affligeantes. Les fragilités d'un âge si tendre', et d'une vie si dissipée n'ont pas un aussi grand venin que certains vices de l'esprit, que l'on raffine, et que l'on déguise en vertus dans un âge plus avancé. Dieu voit la boue dont il nous a pétris, et a pitié de ses pauvres enfants. D'ailleurs quoique le torrent des passions et des exemples entraîne un peu un jeune homme, nous pouvons néanmoins en dire ce que l'Eglise dit dans les prières des agonisants: // a néanmoins, ô mon Dieu, cru et espéré en vous. Un fond de foi, et des principes de religion qui dorment au bruit des passions excitées, se réveillent tout à coup dans le moment d'un extrême danger. Cette extrémité dissipe soudainement toutes les illusions de la vie, tire une espèce de rideau, ouvre les yeux à l'éternité, et rappelle toutes les vérités obscurcies. Si peu que Dieu agisse dans ce moment, le premier mouvement d'un coeur accoutumé autrefois à lui, est de recourir à sa miséricorde. Il n'a besoin ni de temps, ni de discours pour se faire entendre et sentir. Il ne dit à Magdeleine que ce mot : Marie'; et elle ne lui répondit que cet autre mot : Maître. C'était tout dire. Il appelle sa créature par son nom, et elle est déjà revenue à lui. Ce mot ineffable est tout-puissant. Il fait un coeur nouveau et un nouvel esprit au fond des entrailles. Les hommes faibles, et qui ne voient que le dehors veulent des préparations, des actes arrangés, des résolutions exprimées. Dieu n'a besoin que d'un instant, où il fait tout, et voit ce qu'il fait.
Il y aurait une présomption horrible à attendre ces miracles de grâce'. Mais celui qui défend de les attendre, se plaît quelquefois à les faire. Vous trouverez dans la cinquième des cinquante' Homélies de saint Augustin et en d'autres endroits que la vie elle-même est une grâce, puisque Dieu ne la
164 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 21 août 1701
prolonge que pour nous inviter jusqu'au dernier moment à nous convertir. N'en doutons donc point. Celui qui veut sincèrement sauver les pécheurs ne les attend que pour les sauver, et en vain les attendrait-il, s'il leur refusait dans la dernière heure du combat décisif le secours nécessaire pour rendre leur salut possible. Consolamini in verbis istis'.
Je prie l'Esprit consolateur d'adoucir les peines de madame la Duchesse et les vôtres. Je vous porte tous deux tous les jours dans mon coeur à l'autel avec toute votre famille qui me sera chère jusqu'au dernier soupir. Je n'ai garde d'y oublier le pauvre enfant que vous avez perdu. Je suis en celui qui nous a tant aimés et que nous voulons tous aimer plein de zèle et d'attachement, mon bon Duc, pour vous et pour madame la Duchesse.
TEXTE 165
25 août 1701
Mad. la C. de ...3 m'a promis de gouverner votre santé. Je la conjure de me tenir parole, et de prendre malgré vous à cet égard une véritable autorité. Vous déshonorez le pur amour'. Vous faites croire qu'il est sans cesse occupé de toutes nos vétilles, au lieu qu'il va toujours droit à Dieu en pleine simplicité. Je prie N[otre] S[eigneur] de vous soutenir contre vous-même, et de vous rendre la véritable paix.
744. A LA MÊME
A C[ambrai] 25 août 1701.
Je ne voudrais, Madame, vous donner que de la consolation, et je ne puis éviter de vous contredire. Votre vivacité vous fait imputer aux hommes comme à Dieu ce qu'ils n'ont jamais pensé. Sur quel fondement pensez-vous que je veuille me décharger de votre conduite, et vous renvoyer au père... '? Je n'ai en vérité jamais eu cette pensée. Je crois bien qu'il peut vous être fort utile pour vous soutenir en mon absence contre vos scrupules, et contre vos impatiences de vous confesser. Mais je ne vais pas plus loin, et si vous vouliez me quitter pour vous mettre absolument dans ses mains, je crois que je vous dirais avec simplicité: Ne le faites pas. Quoique j'estime fort sa grâce et son expérience, il me semble qu'il ne vous convient pas tout à fait, et que vous manqueriez à D[ieu] en quittant l'attrait qu'il vous a donné pour me croire. Demeurez donc en paix, n'écoutez point votre imagination trop vive et trop féconde en vues. Cette activité prodigieuse consume votre corps, et dessèche votre intérieur. Vous vous dévorez inutilement. Il n'y a que votre inquiétude qui suspende la paix et l'onction intérieure. Comment voulez-vous que D[ieu] parle de cette voix douce et intime, qui fait fondre l'âme, quand vous faites tant de bruit par tant de réflexions rapides'? Taisez-vous, et D[ieu] reparlera. N'ayez qu'un seul scrupule, qui est d'être scrupuleuse en désobéissant. Loin de vouloir quitter l'autorité, je voudrais la prendre, et c'est vous qui me la refusez, en ne voulant pas me croire sur vos confessions.
J'ai dit à M. le C[omte de Montberon] que j'apercevais combien vos scrupules nuisaient à votre santé, afin qu'il sentît combien vous avez besoin du séjour de Cambray. Il m'a paru croire que la lecture de sainte Thérèse et des autres livres spirituels avaient réveillé vos scrupules par des idées de perfection. Je n'ai pas insisté, de peur qu'il ne me crût prévenu. Vous voyez ce que fait votre activité, sur laquelle vous n'êtes point docile. Vous demandez de la consolation. Sachez que vous êtes sur le bord de la fontaine, sans vouloir vous désaltérer. La paix et la consolation ne se trouvent que dans la simple obéissance. Soyez fidèle à obéir contre vos scrupules, et les fleuves d'eau vive couleront, selon la promesse. Vous recevrez selon la mesure de votre foi, beaucoup si vous croyez beaucoup, rien, si vous ne croyez rien, et si vous continuez à écouter vos vaines réflexions, qui se multiplient à l'infini.
M. l'abbé de...' a égaré la lettre de recommandation, que vous aviez eu la bonté de lui donner pour monsieur votre frère'. Son procès presse, et je vous supplie, Madame, de vouloir m'en envoyer promptement une autre pour ce bon abbé. Je sais comment vous faites, dès qu'il s'agit d'amitié. Ainsi je n'ai rien à ajouter. Vous n'avez que trop de vivacité et de délicatesse pour vos amis. N'allez pas croire que c'est une louange que je vous donne. Non, c'est un vrai blâme. Dieu ne veut cette vivacité et cette délicatesse ni pour lui, ni pour les siens. C'est ce qui fait faire tant de dépense en réflexion superflue, et ce qui cause tant d'insomnie. C'est ce qui cause tant de scrupule sur les devoirs vers Dieu et vers les hommes. Je prie D[ieu] qu'il vous fasse sentir la vérité de cette parole de David. J'ai couru dans la voie de vos commandements, quand vous avez élargi mon coeur'.
744 A. LE DUC DE CHEVREUSE A FÉNELON
A Vaucresson', le 26 août 1701.
Toutes nos mesures pour notre voyage de Picardie sont rompues, mon bon Archevêque, et nous n'aurons point la joie de vous voir cette année. Nous sommes obligés maintenant à un séjour assidu auprès du Roi après une absence aussi longue, et le vidame' étant allé joindre son régiment en Italie parce que Mgr le duc de Bourgogne dont il était aide de camp ne marche point 3, madame de Chevreuse est bien aise de demeurer où arrivent d'abord les nouvelles et les courriers. Elle est plus sensible que je ne vous puis dire aux marques de votre amitié sur la perte que nous avons faite', et ce qui lui vient de vous fait sur elle une vive impression. Sa foi et son abandon paraissent avoir maintenant enfin surmonté entièrement la nature.
Le vidame se tourne tout à fait de manière à nous donner du contentement. Sa vie est réglée, le mauvais exemple ne l'ébranle pas, il s'occupe fort chez lui, la raison, l'honneur, la droiture sont devenus ses motifs dominants, il fait des réflexions bien sérieuses sur la religion qui paraissent des effets de grâce, et il désire d'être marié. Ainsi nous croyons devoir lui donner une épouse cet hiver au plus tard, et il n'est question que de la choisir. C'est sur ce choix, mon cher Archevêque, que nous demandons votre avis, madame de Chevreuse et moi. Nous ne pensons plus aux filles de M. Chamillard s. On les croit engagées ailleurs, et Dieu nous a déterminés sur cela par diverses
743. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai] 21 août 1701.
166 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 26 août 1701
raisons et inconvénients. Suivant votre avis, nous regarderons principalement dans ce choix la personne avec un bien raisonnable et une naissance honnête, et nous ne songerons pas à la prétention du duché', afin qu'il n'y ait point de mécompte. Trois sortes de personnes se présentent à nos yeux, des filles de grande maison ou illustrée, des demoiselles plus riches, des filles de robe et de bon lieu avec du bien. Parmi les premières, je n'en vois que deux, M11e de Noailles', avec deux cent mille livres, et Mile de Tourbe 8, avec quatre cent mille. Car je ne compte pas Mile de Melun', qui est dans le grand jeu de la cour, et dont le bien est fort diminué. Vous savez mieux que personne les raisons qui m'éloignent naturellement de l'alliance de Noailles "'; mais le bon D. a voulu que je vous la nommasse quand je lui ai dit que je vous écrivais toutes mes vues. Cette demoiselle a quinze ans, est bien faite, douce, spirituelle, sage. Le vidame n'y a pas grand penchant, à cause des beaux-frères ", mais n'en a néanmoins nul éloignement. Mile de Tourbe a quatre ou cinq ans de plus que le vidame, et est depuis deux ans dans une piété qui se soutient. On doute si son humeur ne tient pas de race '2: ses amies disent que non, on le peut approfondir. Parmi les demoiselles, on parle de quelques héritières de Guienne et de Bretagne, mais dont jusqu'à présent les qualités personnelles ne me sont pas connues. Mais vous avez Mlle du Forest '3 dans votre voisinage, dont vous m'avez assuré ce printemps que vous sauriez des nouvelles exactes, et je vous prie de vous en souvenir. Je n'ai pu rien apprendre à Paris de sa maison. Enfin, dans la robe, on parle de Mlle de Varangeville '4 qui sera riche mais dont la naissance est bien peu de chose, et Mlle de Némon '5, fille du marquis qui est lieutenant-général de marine, laquelle aura cinq ou six cent mille livres parce que la présidente sa tante la mariera, et dont on loue l'éducation et l'humeur. Je serai fort aise, mon bon Archevêque, d'être conduit par vous dans le choix d'une de ces personnes '6, et j'ajouterai seulement pour n'oublier aucune réflexion sur ce sujet, que le vidame a vingt-cinq ans accomplis dans la fin de cette année et aura environ quarante mille livres de rente toutes dettes payées.
Je ne vous en dirai pas davantage aujourd'hui. J'envoie cette lettre à la B.D. [duchesse de Beauvillier] pour vous la faire tenir par la première occasion sûre et je ne vous puis assez marquer combien je suis content d'elle en toutes manières. Je le suis bien aussi du B.P. Ab. [de Langeron] qui avance beaucoup, ce me semble. Plaise à Dieu que j'imite de si bons exemples et que je profite des lumières qu'il me donne par eux et par lui-même pour n'agir et ne vivre que pour son amour et sa gloire. Je suis à vous, mon cher Archevêque, avec un dévouement du fond du coeur et sans réserve.
TEXTE 167
745. A MAIGNART DE BERNIÉRES
[28 août 1701].
Monsieur,
Je suis honteux de ne vous avoir point fait mes très humbles remerciements sur la copie de la lettre de M. de Chamillart, que vous avez eu la bonté de m'envoyer si obligeamment. Il m'a paru dans la réponse que j'ai reçue de lui de mon côté, qu'il était content de ce qui s'était passé au Quesnoy pour la capitation'. C'est votre lettre qui a donné cette bonne impression, et je n'entreprendrai point, Monsieur, de vous dire ici combien j'en ai le coeur touché. Je vois avec plaisir en toute occasion que vos premiers mouvements vont à obliger et à servir. C'est votre pente, et votre naturel. Heureux qui tombe en de telles mains. M. de Chamillart m'a enfin nommé M. de Monbron pour assister à notre assemblée du clergé du département de M. de Bagnols. J'attends M. de Monbron, et dès qu'il sera venu nous finirons notre affaire. Mais comme le fermier général qui a reçu la capitation de la guerre passée nous presse pour quelques non-valeurs, notre clergé qui est effarouché sur ce que ce fermier veut nous rendre tous solidaires demande que nous réglions eux et moi une manière de faire lever à l'avenir la capitation, qui soit si exacte pour éviter les non-valeurs, et pour éviter la solidité', que je crois devoir prendre cette précaution avec eux dans notre petite assemblée. Je doute fort que nous puissions faire mieux que ce que vous me faites l'honneur de me proposer. Dès que nous aurons pris une résolution pour le côté de Cambray, je vous en rendrai compte, Monsieur, afin que vous trouviez bon que l'on s'y conforme dans le côté de votre département. Ce retardement n'ira qu'à très peu de jours. Cependant je me flatte toujours de l'espérance que nous vous posséderons à Valenciennes pour la fête prochaine'. Vous n'aurez que le spectacle sans embarras, et vous pourrez éviter la foule. M. du Rancher' la craint beaucoup jusqu'à la table de M. de Magalotti 5. Sans compliment personne au monde ne peut vous honorer du fond du coeur plus que je le fais, ni être avec plus de zèle, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 28 août 1701.
746. AU PAPE CLÉMENT XI
[septembre 1701].
5° Omnes me flagitii clam evictum credent. Olim inquiunt in conciliis oecumenicis vivi antistites qui de divinis pessime ac subdole scripserant, ad explicanda solummodo scripta, compellebantur. Archiepiscopus Cameracensis de spe cautius quam sancti ascetœ scripsit. Quœ de interesse proprio asseruit, ea ipsa sancti, ea ipsa Meldensis episcopus passim docuit. Libellus igitur per se innocuus est, sed per auctorem clam evictum male sonat. Auctor
28 août 1701
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
168 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 1er septembre 1701
Archiepiscopus Sedi Apostolicœ totum se dedidit. Purissimam ascetarum traditionem aperte et periculosissime impugnatam pro virili defendit. Adversarius de caritate aperte errans, in collegam asperrime, in Sedem apostolicam minus reverenter se gessit. Qui de spe sese purgavit damnatus est, qui de caritate obfirmato animo errat, victoriam reportavit. Qui tantum patientiaz, et devoti in Sanctam Sedem animi exemplum fratribus prœbuit, a Sancta Sede ut quietismi fautor emendatus est. Qui vero tam aspere in fratrem invectus est, et judicium apostolicum tot machinationibus antevertit, laurea donatur. Hinc patet eum qui damnatur maxime damnandum esse, eumque qui vincit, maxime dignum fuisse qui vinceret.
6° Si quis forte non ita sentiret, conjiceret S. P. quod ne quidem a catholico excogitari fas est, nempe Ecclesiam cœterarum matrem ac magistram in re dogmatica tempori aliquatenus obsequi voluisse, et judicium suum ita temperasse, ut qui manifesto errat vincere, qui traditionem sanctorum propugnat vinci videatur, ne exoriantur schismata. Sed absit ut ea hominum acceptio in judicio doctrinali illibatœ Ecclesiœ umquam imputetur. Imo potius ego ipse devovear œternumque improperium solus portem, o Ecclesia mater, ne hœc de te ab impiis dici possint. Nullum est S.P. nullum omnino schismatis periculum. Neque timendum est ubi non est timor. Periculum non est de unitate Ecclesiœ sed de perfectione caritatis quam altis machinationibus petit adversarius. Rex sapientissimus, piissimus, et Sedi Apostolicœ addictissimus quœque edixerit B. vestra continuo rata haberi jubebit. Ita numquam occurrit felicior temporum circumstantia, ut Petrus in Beatitudine vestra vivus ac loquens ad veritatem sine ambiguitate tuendam, ac firmandam pacem sanctorum experimenta et locutiones a Quietistarum deliriis prœcise secernat.
Hœc forsan liberioribus prœcordiis protuli. Sed filialem affectum, reverentiam, docilitatem, animique demissionem respicere dignetur B. vestra. Dum hœc liberius dico, impensius etiam Apostolicœ Sedi et Pontifici tot virtutibus ornato omnem obedientiam, et intimum cultum voveo. Ita affectum me vivere ac mort certum est. iEternum ero qua possum reverentia, animi gratitudine, et observantia.
747. A MAIGNART DE BERNIERES
Per septembre 1701].
Monsieur,
Je suis très fâché de l'indiscrétion et de l'importunité des habitants de Solesme. S'ils n'avaient importuné que moi seul, je le leur pardonnerais plus facilement. Mais je trouve fort mauvais qu'ils m'aient engagé à vous demander des choses qu'ils ne devaient pas attendre de vous '. Je prendrai à l'avenir de grandes précautions, Monsieur, pour réprimer leurs inquiétudes. Mais comme un peuple grossier ne sait pas ce qu'il fait, je vous supplie d'avoir la bonté de l'excuser, et de lui continuer même la protection que vous lui avez déjà plusieurs fois accordée.
1er septembre 1701 TEXTE 169
Pour le nommé Brocard' du village de Hors' de notre châtellenie du Casteau, j'avais donné les ordres à notre châtelain, de le faire prendre, avant que j'eusse reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Vous savez, Monsieur, qu'il est en fuite. On a pris toutes les mesures possibles, pour le surprendre, s'il est assez hardi pour revenir. Vous ne pouvez m'obliger plus sensiblement, ni me témoigner plus solidement l'amitié, dont vous m'honorez, qu'en m'avertissant de tels désordres, car je n'ai rien plus à coeur, que d'empêcher toutes les fraudes, qui se peuvent faire au préjudice des droits du Roi. Je serai toute ma vie avec l'attachement le plus sincère, et du fond du coeur, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
A Cambray 1 septembre. FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
747 A. L'ABBÉ DE CHANTÉRAC A FÉNELON
Paris ter septembre 1701.
Madame de Chevry ' et M. l'abbé de Langeron s'intéressent pour mon affaire, Monseigneur, de la manière du monde la plus obligeante. Ils me mènent chez mes juges, ils parlent fortement à leurs amis particuliers, et l'on voit bien qu'ils sont résolus à me faire gagner mon procès. On ne peut pas être reçu plus agréablement que Madame de Chevry le fut et moi avec elle de M. le premier président'. Je lui rendis votre lettre. Il me dit après l'avoir lue, pour me faire une honnêteté, que vous lui mandiez que je vous étais nécessaire à Cambray et que pour me débarrasser bientôt il donnerait le Bureau à mon rapporteur toutes les fois qu'il le demanderait. Il me pria deux et trois fois de vouloir bien faire réponse pour lui à la lettre que je lui avais rendue de votre part, espérant ajouta-t-il que je vous dirais mieux qu'il ne saurait faire combien il honorait tout ce qui venait de votre part. Et lorsque nous sortions de sa chambre il me dit encore d'un ton de voix à n'être presque entendu que de moi seul: Tout ce que M. de C[ambrai] assure, je le crois juste, je le crois vrai, cela me suffit. Je ne veux point l'examiner davantage'. Ces paroles convenaient fort bien aux demandes de mon procès, mais son air disait quelque chose de plus. Mr l'abbé de la Garde est mon rapporteur. Il s'est déjà acquis une grande réputation quoique jeune homme. Sa manière de me recevoir est bien différente de celle que les juges les plus civils peuvent prendre avec les plaideurs qu'ils veulent le plus distinguer. Il paraît fort attaché à Mr le duc de Larochefoucaud et me raconta une conversation qu'il avait eue avec lui depuis peu de jours qui regarde l'avenir et dont je vous ferai le récit à loisir dans une de nos promenades'. Mon affaire se juge par grands commissaires: c'est-à-dire les onze plus anciens du grand conseil. J'ai consigné' et cette après-dînée sera la quatrième vacation pour la lecture des pièces. On croit qu'ils commenceront à opiner lundi, et là-dessus on espère que l'affaire sera jugée la semaine prochaine'. Pour ce qui regarde l'insulte faite à mes soeurs', Mr l'abbé de L. et moi vîmes hier tout à loisir Mr le gouverneur de ces provinces' qui m'embrassa de très bon coeur. Il verra tout ce qui se peut faire et témoigne que ces violences ne sauraient être réprimées
7 septembre 1701
170 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
TEXTE 171
9 septembre 1701
avec trop d'autorité. Lorsqu'il est hors de son gouvernement il ne peut point faire d'ordonnance; mais il peut ménager cette affaire ou avec le secrétaire d'État, ou dans le conseil des dépêches, ou du moins la recommander à l'intendant ou au commandant des lieux. Je ne demande rien en particulier, et je ne veux que ce qu'ils peuvent sans s'embarrasser. M. L. de Langeron s'est chargé de faire un mémoire sur les deux informations, de voies de fait et de mauvaises moeurs, et sur l'impossibilité d'avoir justice dans aucun autre tribunal. Je vous rends compte Monseigneur de tout ce détail comme à la personne du monde qui prend plus d'intérêt à tout ce qui me touche et à laquelle aussi je suis uni par de plus forts liens. Mon respect et mon dévouement sont assurés très sincères 1°.
G. D. C.
748. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Cambray, 7 septembre 1701.
On vous aura dit, Madame, la faute que je fis à... ', oubliant de dire que M. le C[omte] de M[ontberon] partait pour Tournay. Je suis le premier homme du monde pour supposer que j'ai dit ce que je ne dis point, et pour vouloir que l'on comprenne sans que je parle. Vous avez vu une troupe assez joyeuse. Comment ne le serait-elle pas? On marche sur sa foi, mais il faut être bien sage, pour ne réveiller aucune inquiétude'.
Je reviendrai ici, comme vous le savez, après la procession de Valenciennes', pour traiter la capitation avec M. le C[omte] de M.' En attendant que j'aie l'honneur de vous revoir, soyez ferme contre vous-même. L'ange de Satan se transforme en ange de lumière'. Il se présente à vous sous la belle apparence d'un amour délicat et d'une conscience tendre. Mais vous connaissez les troubles et les dangers où il vous jette par des scrupules violents. Tout dépend de la fidélité à repousser simplement les premières impressions. Dès qu'elles sont reçues, vous n'êtes plus maîtresse de vous. Je prie N[otre] S[eigneur] de vous garder.
748 bis. L'ABBÉ DE BEAUMONT A L'ABBÉ DE LANGERON
Voilà, mon cher Abbé, une lettre de madame la D. d'Aremberg' par laquelle vous verrez que M. Aud.2 est toujours le même et qu'on a pris le parti de le renvoyer. Depuis qu'elle a été écrite, le père Ange', confesseur de madite Dame, est venu ici, elle était encore à demi ébranlée sur le sujet de cet homme, ou du moins elle ne voulait prendre aucune résolution absolue sans avoir bien consulté. Il paraît en tout cela qu'elle est bonne, aisée à attendrir, et qu'elle n'agit point par humeur ni par passion. Les trois sujets qu'on lui avait proposés étaient: 1° l'homme de chez M. d'Alègre4 2° M. Collo' 3° M. l'abbé de S. Remy6; c'est ce dernier qu'elle dit ne lui paraître pas convenir. Mais elle le dit sur le portrait qu'on lui en avait fait qui n'était guère avantageux alors; et depuis vous nous avez écrit beaucoup de bien de lui. S'il se trouvait avoir les qualités nécessaires d'ailleurs, je suis persuadé, et M. de Cambray le croit aussi, qu'il conviendrait mieux que personne. Mad. d'Aremberg serait ravie d'avoir un homme accoutumé à entendre parler de négociations et d'intérêts des princes, et qui pût en entretenir son fils de bonne heure'. Elle n'a pas moins à coeur cette sorte d'éducation que celle qui va à le former pour la guerre. Vous serez peut-être surpris qu'elle ait pris un Jésuite' en attendant. C'est apparemment faute d'autre, mais il n'est pas mauvais qu'elle l'accoutume un peu à gens de cette robe; ainsi examinez à loisir les sujets qu'on lui propose, sans pourtant y perdre de temps. Je ne crois pas que M. Collo pût lui convenir, et M. de Cambray ne le croit pas non plus. Je compte toujours de partir vers le 15 mais je voudrais bien que le bon abbé de Chanterac fût de retour auparavant, parce que Matou et Minet demeureraient absolument seuls dans la maison avec quelques valets'. Tout à vous mille fois, mon cher abbé.
Vous comprenez bien par tout ce que je vous mande que l'avis de M. de Cambray a été que M. d'Audigier ne pouvait plus être utile dans sa place, tant à cause de son humeur incorrigible, qu'à cause de l'aversion extrême que l'enfant a conçue de lui. Ainsi c'est une chose conclue, et sur laquelle vous pouvez compter. Je crois même que cet homme partira incessamment. On vous prie de laisser entendre qu'il a demandé lui-même son congé.
Voilà une lettre que j'ai reçue pour vous par la poste; je ne sais ce que c'est, ni d'où elle vient si ce n'est qu'il a dessus de Thiers.
749. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Valenciennes, 9 septembre 1701.
Je n'ai qu'un moment, Madame, pour vous remercier. Je pars d'ici quand la bonne compagnie ' y doit arriver. J'avoue néanmoins que je ne suis pas fâché d'en partir, car je trouve ici trop de gens à voir et trop de choses inutiles à dire. Pendant mon voyage je déroberai des moments pour vous demander de vos nouvelles et de celles de votre amie'. Ce que vous me mandez de votre état me donne une joie sensible. Vous voyez que D[ieu] a la patience de revenir, toutes les fois que le scrupule ne lui ferme point votre coeur. Il n'y a rien à vous dire sinon que vous demeuriez comme vous êtes. J'aime de tout mon coeur la femme forte', et vous n'avez rien à souhaiter de moi là-dessus. D[ieu] l'aime. Pourquoi ne l'aimerais-je pas? Si elle avance, comme elle le doit, elle deviendra moins forte d'une certaine façon, et plus petite. D[ieu] soit toutes choses en vous, Madame, et nous une seule en lui.
7 septembre 1701.
172 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 10 septembre 1701
A LA COMTESSE DE FÉNELON
A Cambray 10 septembre 1701.
Je souhaite de tout mon coeur, ma chère soeur, que vous ayez achevé votre voyage en parfaite santé'. Si vous en êtes aussi contente que je le suis, vous ne serez pas éloignée de nous venir revoir dans la suite. Me voici revenu pour travailler à notre capitation', après laquelle je repartirai pour faire des visites jusqu'à la Toussaints. Songez pendant que vous êtes à Paris, à y finir vos principales affaires avec les plus grandes précautions. M. votre fils' sera ravi d'aller dans vos terres pour y chasser le reste de l'automne. Mais il sera un peu affligé, s'il y passe l'hiver. Je vois bien néanmoins qu'il ne peut demeurer à Paris que pour ses exercices de l'académie, et je ne sais s'il est assez fort pour les commencer cette année'. Je l'embrasse de tout mon coeur, et je l'aime véritablement. S'il veut s'appliquer, s'instruire, faire des réflexions sérieuses, écouter les conseils des personnes qui ont de l'amitié pour lui, et de l'expérience, agir en toutes choses d'une manière simple et naturelle, fuir les mauvaises compagnies, travailler à se rendre digne des bonnes, ne prendre des hommes que le bon sens et la vertu, sans affecter de les imiter dans les petites choses, il nous donnera à vous et à moi une véritable consolation'. Je serai ravi si mon frère peut gagner son coeur et sa confiance. Le coeur de mon frère est bon et désintéressé. Ainsi je ne doute point qu'il ne fasse tout ce qui dépendra de lui pour se faire aimer de M. de Laval, et pour entrer avec vous dans tout ce qui sera utile à M. votre fils'. Je vous envoie une lettre pour ma soeur la religieuse', que je vous prie de lire, et de fermer, avant que de la faire partir. Je suis, ma chère soeur, pour toute ma vie tout à vous sans réserve comme j'y dois être.
F. A. D. C.
Une des choses que je recommande le plus fortement à M. votre fils, c'est qu'il ne parle jamais avec légèreté. Par là on tombe insensiblement dans l'inconvénient de dire des choses qui ne sont pas exactement vraies, faute de les avoir examinées avant que de parler, et on acquiert, en entrant dans le monde, une réputation, qui fait un tort irréparable.
751. A MAIGNART DE BERNIÈRES
Je suis honteux, Monsieur, de retarder si longtemps la réponse que je vous dois sur la manière de lever notre capitation'. Mais j'ai encore' besoin de deux ou trois jours pour pouvoir vous en rendre bon compte. Nous venons de tenir ici une assemblée pour le département de M. de Bagnols, où nous n'avons pas trouvé des facilités aussi grandes que dans le vôtre'. Je vous supplie d'avoir la bonté de m'envoyer' l'état qui regarde les curés de ce diocèse dans votre département. Ils ne sont point marqués dans la feuille que vous me donnâtes au Quesnoy. Il faudra que leur taxe et celle de ce côté-ci soient 18 septembre 1701 TEXTE 173
conformes, autrement les uns se plaindraient d'être plus mal traités que les autres. De grâce, Monsieur, faites-moi l'honneur de me mander la somme qui fut réglée au Quesnoy, et le nombre des curés de ce diocèse qui sont de votre département. Si je pouvais rapprocher Cambray de Maubeuge, je me trouverais fort heureux d'un tel voisinage. Si j'osais, je vous dirais combien j'ai le coeur attendri. Vous n'en êtes pas moins parfaitement honoré, Monsieur, par votre très humble, et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
752. A L'ABBÉ DE LANGERON
A C[ambrai] 18 septembre 1701.
J'ai reçu, mon t[rès] c[her] e[nfant], une lettre pour vous, que j'ai ouverte, pour voir si c'était quelque chose qui le méritât, et que je n'ai point lue, dès que j'ai aperçu dans les premières lignes qu'il ne s'agissait de rien où je dusse entrer. Bullot vous dira que nous nous portons bien'. La capitation me retiendra ici jusque vers la fin de ce mois. Alors j'irai faire mes visites jusqu'à la Toussaints. Je prie D[ieu] qu'il vous rende tout ce que vous avez fait pour le bon abbé de Ch[antérac]. Il aurait été bien embarrassé sans vous. Je commence à être en peine de lui et de son procès. Suivant vos lettres' il devait être jugé incessamment, et je n'en reçois aucune nouvelle. Ce long silence m'alarme un peu. Vous savez que je ne suis plus si tranquille, et que peu de chose' suffit pour me blesser le coeur. Ce que je voudrais le plus que vous pussiez trouver dans M. de S. Remy serait un fonds sincère de religion. Je ne demanderais pas tant une certaine dévotion toute dressée, qu'un coeur droit, et sans hauteur contre la simplicité évangélique. J'ai tout écrit à Mad. la D[uchesse] d'Ar [enberg], qui est charmée de vos soins. Vous pouvez-vous souvenir de la préface sur Télémaque. «C'est dommage que D[ieu] ne puisse être servi de la sorte et que la faiblesse de la nature fasse que l'amour-propre soit la base de toutes les vertus. » Voilà une étrange théologie. Il croit que l'amour de charité est une vision de quelques contemplatifs qui avaient la tête échauffée'. C'est avoir le coeur un peu froid'. Je souhaite fort que la bonne D. retrouve à S. Denis le calme, la santé, l'embonpoint'. Quelle nouvelle a-t-elle de son fils'? Mille amitiés à Madile de Langeron' et au grand abbé'. Tout à vous sans mesure.
753. Au CHANOINE PH.-CH. ROBERT'
21 septembre 1701.
Je vous remercie de tout mon coeur, Monsieur, des écrits que vous m'avez envoyés; je les lirai en carrosse pendant mes visites; maintenant je ne saurais rien lire de suite; l'ordination et la capitation m'occupent'. Je n'ai pas manqué d'agir vers M. de Bedmar3 qui doit donner un abbé au Val-des-Ecoliers4; il me promet d'avoir de grands égards pour ce que je lui représenterai, mais
A Cambray 13 septembre [1701].
750.
174 CORRESPONDANCE DE FÉNELON [septembre 1701]
il faut que vous me mettiez au plus tôt s en état de faire ce qu'il attend de moi. Envoyez-moi donc promptement un mémoire sur le caractère de chaque religieux de la maison, et sur les bons sujets de l'ordre et des maisons voisines qu'on pourrait choisir ; la chose presse, ne perdez pas un instant; je vous garderai le secret inviolablement, et je vous prie de le garder aussi. J'ai vu depuis peu le P. Capucin votre oncle; on ne peut en être plus content que je le suis, ni plus édifié; je vous aime bien tous deux; priez l'un et l'autre pour moi. Je compte que vous nous reviendrez voir librement. Cordialement tout à vous en N[otre] S[eigneur].
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
753 bis. LE CHANOINE ROBERT A P. QUESNEL
[entre 1696 et 1703].
Je vous remercie du petit écrit que vous m'envoyez. Je le trouve fort beau, mais je le relirai encore. Je m'étais déjà servi à Cambrai d'une partie de ces réflexions en témoignant à un des régents du séminaire que je ne savais trouver du bon sens dans cet endroit aussi bien que dans plusieurs autres, car il est aisé de faire voir qu'il ne répond point par là à ce qu'on lui avait objecté, et la lecture que j'avais faite récemment de la Défense de l'Eglise Romaine me fournit aussi des preuves convaincantes que tout ce que disait notre prélat était faux.
Plus je lis ses ouvrages, moins je m'approche de ses sentiments. [...].
N'avez-vous pas considéré aussi ce qu'il dit dans la réponse à la déclaration d'un certain auteur qu'il ne nomme pas touchant l'oraison de simple présence de Dieu, auquel il trouve tant à redire. Je crois que c'est M. Nicole qui parle de la manière qu'il dit de cette oraison dans le L. 2 de la réfutation des quiétistes et surtout ch. 17 et 18. Certainement si c'est à lui qu'il en veut, il a grand tort, car il ne se peut rien de plus solide et de plus circonspect que ce qu'il dit dans le livre de cette oraison, et je ne pense pas qu'il lui soit jamais avantageux ni honorable de s'opposer à ce livre [...].
M. de Cambrai ne manquera pas de profiter de tout ce qu'il trouvera de favorable dans les livres de ses adversaires. C'est à mon avis ce qu'il fait de mieux; car pour (sic) tout ce qu'il apporte pour fonder et fortifier son sentiment me paraît très faible; je suis même surpris que ceux qui l'attaquent ne viennent pas à ce qu'il croit de plus fort, comme est la gratuité des promesses, la liberté de Dieu à anéantir l'âme, etc.
754. A FRANÇOIS HÉBERT
A Cambray 27 septembre 1701.
Puisque vous le voulez, Monsieur vous serez en faveur de mesdemoiselles de La Chastaigneraye mon créancier pour trois cents francs. Mais vous ne le serez que jusqu'à votre retour des eaux. Je dois plus qu'un autre plaindre ces demoiselles, car je suis leur parent. Mais je ne puis approuver qu'elles 27 septembre 1701 TEXTE 175
aient quitté leur pays pour aller à la cour. Des filles de naissance sans bien trouvent toujours dans leur province des parents ou des amis, qui leur donnent à peu de frais de petits secours. On y vit presque de rien. D'ailleurs il est plus honnête à toute extrémité de tenir sa subsistance du travail de ses propres mains, que de la devoir aux libéralités d'autrui. En quittant sa province pour aller à la cour, on multiplie ses besoins, au lieu de les diminuer, on se remplit de vaines espérances, et on s'accoutume à un genre de vie, auquel on ne devrait point s'accoutumer. Je vous supplie, Monsieur, de faire entendre à ces demoiselles que les grandes dépenses que je ne puis retarder pour mon diocèse ne me permettront de leur donner aucun secours après celui-ci.
Je n'aurai jamais de peine à recevoir, comme je le dois, la lettre que vous me mandez que M. l'évêque de Chartres me veut écrire. Dieu merci, je n'ai rien sur le coeur pour le passé. Si je hésitais là-dessus, je croirais manquer aux devoirs de la religion'. (Je prie Dieu tous les jours pour ce prélat. Je lui souhaite toutes les plus abondantes bénédictions dans ses travaux, et dans l'usage de son crédit. Je crois seulement que je ne dois jamais faire certains pas, qui persuaderaient au monde que je reconnais qu'on a eu raison d'attaquer ma sincérité en matière de foi. M. l'évêque de Chartres ne doit pas vouloir que je paraisse avouer contre moi ce qui ne fut jamais véritable, et au lieu de rechercher mon commerce, il devrait le fuir avec horreur, s'il me croyait capable d'une si lâche politique. Ma délicatesse à cet égard n'est pas de point d'honneur, mais de conscience et de religion. A cela près, je veux' ne me compter pour rien, et être souple comme un enfant.
Je n'ai jamais cessé d'honorer très sincèrement M. l'évêque de Chartres, et je serais ravi de l'en persuader.) Ne soyez donc nullement en peine de ma réponse en cas qu'il m'écrive. Je tâcherai de l'édifier, et de lui montrer un coeur de véritable confrères. Vous pouvez juger par la confiance avec laquelle je m'ouvre à vous, Monsieur, avec quelle estime cordiale je suis votre t. h. et t. o. s.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
755. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai] 27 septembre 1701.
Voilà, Madame, une lettre de votre amie. Quelque petit nuage avait obscurci les derniers jours; mais M... a tout raccommodé. Il faut souvent recommencer avec certaines têtes. Je prends part, Madame, à votre joie sur l'arrivée de M. le M. de M. Il me paraît capital qu'il s'explique à fond en honnête homme'. Il ne lui est point permis de laisser aller les choses plus loin, sans les vouloir mener de bonne foi et de tout coeur jusqu'au bout. Il doit cette franchise à M. son père, qui est si passionné pour ses intérêts, et à une famille qui montre tant d'inclination pour le préférer à d'autres. Il n'y a pas un moment à perdre là-dessus. D[ieu] veuille que tout se tourne heureusement.
Je me console des incertitudes et des longueurs qui me tiennent ici', dans l'espérance que vous y reviendrez peut-être avant mon départ. Demeurez comme D[ieu] vous met, et souvenez-vous que vous serez en paix, toutes les
8 octobre 1701 TEXTE 177
gulier en soi. M. de Bagnols2 est fort bien intentionné. Je n'en saurais douter. M. le M. de Bedmar me donne sujet d'espérer qu'il aura les égards possibles à ma proposition... [Il fait ses compliments à M. le comte de Roeux.]
758. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
A C[ambrai] 8 octobre 1701.
J'ai corrigé mon thème, mon cher neveu. Nos raisons me paraissaient bonnes. Mais il faut céder à autrui '. J'ai écrit à l'amie de M. de Clerfey2 pour avoir une prompte réponse. Cependant il faut compter par avance que tout est fait, et qu'on n'avait pas besoin d'un nouveau pouvoir. L'ex-pédagogue a eu un canonicat vacant à L. Cela est fort honnête', et bon à dire pour encourager M. de S. R[émy4]. Je souhaite fort que ce successeur, s'il n'a pas une piété fervente, ait au moins avec des moeurs régulières, des principes de solide religion, et une sincère estime pour la vertu. Dès que j'aurai une réponse, je vous l'enverrai pour M. Ludon 5, qui me paraît de loin un assez honnête homme. Je me prépare à partir. Il est bien temps. J'ai un second thème à composer. Mais personne ne le corrigera, et j'y laisserai tous mes solécismes. Pour les éviter je prendrai le style laconique. Mille compliments à ma nièce et à M. de Chevry6. Le bon abbé' paraît gâté de toutes les douceurs qu'on lui a fait goûter à Paris. Nous allons le sevrer. Portez-vous bien, et revenez sans vapeurs. Tout à vous.
759. A LA COMTESSE DE MONTBERON
Samedi au soir', 8 octobre 1701.
Je suis ravi, Madame, de vos prospérités intérieures. Elles vous sont données pour vous apprendre tout ce que vous perdez, quand vous vous livrez à vos réflexions scrupuleuses, et combien Dieu veut vous attirer à une sainte liberté. Les grâces doivent être reçues avec fidélité pour exécuter ce qu'elles inspirent, ou pour le leur laisser opérer sans résistance. Mais il y a une manière de les recevoir, et de n'y point tenir. C'est de n'être point attaché à la consolation qu'elles donnent, et d'être tout prêt à en porter la privation, quand il plaira à Dieu] de les ôter.
J'aime mieux que vous veniez demain communier de ma main, à la chapelle de N[otre]-Dame, après la grande messe. Bonsoir, Madame. Dieu] sait ce que je vous suis à jamais en lui.
176 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 28 septembre 1701
fois que vous ne sortirez point de votre place par inquiétude. On quitte Dieu pour chercher sa sûreté en soi-même.
Je ne saurais révérer ni chérir en N[otre] S[eigneur] plus que je le fais la femme forte'. Il me semble qu'elle va toujours uniment comme une bonne pendule. La fidélité simple au moment présent est le trésor du coeur. C'est la manne du désert, qui a tous les goûts selon les divers besoins, et qui rassasie sans cesse. On a tout ce qu'on veut, car on ne veut que ce qu'on a. Le moment présent est une espèce d'éternité, qui prépare à la véritable, et qui en est un avant-goût.
756. AU CHANOINE PH.-CH. ROBERT
A Cambray 28 septembre 1701.
Je pense comme vous, Monsieur, que M. Du Mont' ferait beaucoup mieux qu'un autre au Val des écoliers. C'est pourquoi je vous conjure d'aller promptement trouver de ma part M. le C. du Roeux2 et de le supplier d'écrire à M. le M. de Bedmar et aux autres qui peuvent faire réussir ce dessein. Il n'y a pas un moment à perdre. De ma part je fais toutes les démarches qui dépendent de moi pour cette bonne oeuvre. Il serait bon que M. le C. du Roeux eût la bonté de représenter fortement le mérite de M. Du Mont, sa naissance sous la domination du R[oi] Catholique, son séjour auprès de son frère, ce frère qui a toujours servi l'Espagne, et qui commande à Courtray3, enfin le désordre de la maison du Val, le pressant besoin de la régler, et le peu de ressource qu'on doit espérer des sujets de la communauté'. Je n'oublierai rien pour appuyer toutes ces bonnes raisons. Témoignez je vous prie à M. le C. du Roeux que j'ai pour lui un attachement et un zèle singulier. Mandez-moi des nouvelles de sa santé. J'aurais bien voulu aller cette automne à Mons. Mais il faut que j'aille faire des visites du côté de Tournay. La capitation ecclésiastique me tient même ici malgré moi depuis cinq semaines'. Je salue toute votre famille, et suis tout à vous, Monsieur, du fond du coeur.
Cambray, 4 octobre 1701.
760. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
Gardez s'il vous plaît, le secret sur notre dessein pour M. du Mont, et priez M. le C. du Roeux de n'en parler à personne.
757. Au MÊME
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
J'ai cru, Monsieur, devoir écrire à M. de [Sandonl] pour le faire concourir à notre dessein. Peut-être ai-je agi en cela trop humainement, mais enfin cela est fait. Il m'a paru que la démarche qu'il ferait pouvait être innocente. On dit qu'il est homme de bien. Il ne parlera que pour un bon sujet. Il n'y a pas de simonie à craindre. Ceux qui ont l'autorité temporelle ont besoin d'être aidés et déterminés au bien, pourvu qu'on ne fasse rien qui soit irré-
A Cambray 9 octobre 1701.
On ' me mande qu'on ne peut expliquer sa joie sur le succès des soins de M. Ludon2. On consent qu'il promette, outre la table, telle somme qu'il jugera à propos. Je ne laisserais pas, dit-on, échapper un homme de mérite
178 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 10 octobre 1701 TEXTE 179
10 octobre 1701
pour de l'argent: il n'y a donc plus qu'à conclure, et qu'à nous faire savoir comment tout aura été conclu. Je suis en peine de Mr de Chevry3, et je vous prie, mon cher neveu, de nous en mander des nouvelles. Je m'y intéresse de tout mon coeur. Vous savez comment je suis pour ma nièce. Votre M. Ludon est un fort honnête homme. Faites-lui mes baise-mains. Il faut que cet homme-là ait son mérite. Je pars après-demain. Tout à vous.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
761. AU MARQUIS DE LOUVILLE'
A Cambray, 10 octobre 1701.
Il y a longtemps, Monsieur, que je diffère à vous répondrez. Les raisons en seraient trop longues, et inutiles à expliquer. Elles n'ont aucun rapport à vous. Je vous aime et vous honore toujours du fond du coeur. Vos lettres sont arrivées ici sans accident. Ne soyez en peine de rien. J'ai pensé à un canal encore plus assuré. C'est celui du P. de Montazet, provincial des Carmes chaussés à Bordeaux'. C'est un homme de condition et de mérite, très secret, très sage, et fort ami de M. l'abbé de Chanterac. Il est, je crois, proche parent de M. de Montviel4 qui est avec vous. Mais il ne faut point vous ouvrir à M. de Montviel là-dessus. Le bon père ne sera même d'aucun secret. Il saura seulement que son ami M. l'abbé de Chanterac recevra quelquefois par son canal quelque lettre d'Espagne, et il est trop discret pour en parler. Vous n'aurez qu'à mettre à monsieur, monsieur l'abbé de Chanteraque. Cette orthographe, différente du vrai nom de Chanterac, avertira d'abord le bon père de faire tenir soigneusement la lettre, et il ne saura pourtant point qu'elle sera pour moi. Il l'enverra par la poste à Paris, à un neveu de son norn5, qui est aussi neveu de M. l'abbé de Chanterac, et qui est homme de bon esprit, soigneux et très affectionné pour son oncle. Les lettres des particuliers inconnus ne courent aucun risque par la poste depuis Bordeaux jusqu'à Paris. Le neveu de M. l'abbé de Chanterac donnera les lettres à M de de Chevry6 ma nièce, qui ne les mettra jamais à la poste, mais qui me les enverra soigneusement par les fréquentes voies particulières et très sûres, que nous avons depuis Paris jusqu'ici. Vous n'aurez donc, Monsieur, qu'à faire votre paquet, où vous mettrez à monsieur, monsieur l'abbé de Chanteraque, puis vous ferez une seconde enveloppe, où vous mettrez au R. P de Montazet, provincial des Carmes chaussés, à Bordeaux. Le père, après avoir ôté l'enveloppe qui sera pour lui, y en remettra une autre à monsieur de Montazet son neveu, à Paris. Mad. de Chevry enverra ici ce paquet par voie sûre sous son enveloppe, et M. l'abbé de Chanterac sera bien averti que les lettres qui viendront ainsi de Paris avec cette orthographe de Chanteraque ne seront pas pour lui, mais pour moi. C'est l'homme du monde le plus sage et le plus affectionné. Ainsi il exécutera tout très religieusement, et sans vouloir rien pénétrer. De plus, comme vos lettres viendront dans le paquet de Mad. de Chevry, ce sera moi qui ouvrirai toujours le paquet, et je ne donnerai à M. l'abbé de Chanterac aucune des lettres où il y aura cette orthographe de Chanteraque et je les ouvrirai. Voilà, Monsieur, bien des précautions pour le plus innocent de tous les secrets ! Nous ne voulons, ni vous ni moi, nous en servir pour aucune intrigue ni vue humaine. Il ne s'agit que de commerce d'amitié, de consolation et d'épanchement de coeur. Si les maîtres le voyaient, ils ne verraient que franchise, droiture et zèle pour eux.
Je vous dirai, sans rien savoir, par aucun canal, de ce qui peut se passer dans votre cour, que vous ne sauriez trop vous borner à vos fonctions précises, ni trop vous défier des hommes. C'est par excès d'amitié, que je me mêle de vous parler ainsi. Rendez votre esprit patient; défiez-vous de vos premières et même de vos secondes vues; suspendez votre jugement; approfondissez peu à peu. Ne faites de mal à personne, mais fiez-vous à très peu de gens. Point de plaisanterie sur aucun ridicule; nulle impatience sur aucun travers; nulle vivacité pour vos préjugés contre ceux d'autrui. Embrassez les choses avec étendue pour les voir dans leur total, qui est leur seul point de vue véritable. Ne dites jamais que la vérité; mais supprimez-la toutes les fois que vous la diriez inutilement par humeur ou par excès de confiance. Evitez, autant que vous le pourrez, les ombrages et les jalousies'. Si modeste que vous puissiez être, vous n'apaiserez jamais les esprits jaloux. La nation au milieu de laquelle vous vivez est ombrageuse à l'infini, et l'est avec une profondeur impénétrable. Leur esprit naturel, faute de culture, ne peut atteindre aux choses solides, et se tourne tout entier à la finesse: prenez-y garde'. Songez aussi à tout ce que vous écrivez. N'écrivez que des choses sûres et utiles; ne donnez les douteuses que pour douteuses. Ecrivez simplement, et avec une certaine exactitude sérieuse et modeste, qui fait plus d'honneur que les lettres les plus élégantes et les plus gracieuses. Proportionnez-vous au maître que vous servez. Il est bon, il a le coeur sensible au bien; son esprit est solide, et se mûrira tous les jours: mais il est encore bien jeune. Il n'est pas possible qu'il ne lui reste, malgré toute sa solidité, certains goûts de cet âge, et même un peu de dissipation. Il faut l'attendre, et compter que chaque année lui donnera quelque degré d'application et quelque autorité. Ne lui dites jamais trop à la fois; ne lui donnez que ce qu'il vous demandera. Arrêtez-vous tout court, dès que vous douterez s'il en est fatigué9. Rien n'est si dangereux que de donner plus d'aliment qu'on n'en peut digérer: le respect dû au maître, et son vrai bien qu'on désire, demandent une délicatesse, un ménagement et une douce insinuation que je prie Dieu de mettre en vous. S'il vous paraît ne désirer point vos avis, demeurez dans un respectueux silence, sans diminuer aucune marque de zèle et d'affection: il ne faut jamais se rebuter". Quand même la vivacité de l'âge le ferait passer au-delà de quelque borne, son fonds est bon, sa religion est sincère, son courage est grand, et il aimera toujours les honnêtes gens qui désireront son vrai bien, sans le fatiguer par un zèle indiscret. Ce que je crains pour lui, c'est le poison de la flatterie, dont les plus sages rois ne se garantissent presque jamais. Ce piège est à craindre pour les bons coeurs. Ils aiment à être approuvés par les gens de mérite, et les hommes artificieux sont toujours les plus empressés à s'insinuer par des louanges flatteuses. Dès qu'on est en autorité, on ne peut plus se fier à la sincérité d'aucune louange. Les mauvais princes sont les plus loués, parce que les scélérats, qui connaissent leur vanité, espèrent de les prendre par ce côté faible. On a bien plus à craindre et à espérer auprès d'eux, qu'auprès des bons princes, parce qu'ils sont capables de prodiguer les honneurs et de pousser loin la violence. Jamais empereurs ne furent autant loués que Caligula, Néron, Domitien. Si les meilleurs rois y faisaient bien réflexion, ces exemples les rendraient
180 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 10 octobre 1701
10 octobre 1701 TEXTE 181
timides sur les louanges les mieux méritées. Ils craindraient toujours d'y être trompés, et prendraient le parti le plus sûr, qui est de les rejeter toutes. Les vrais honnêtes gens admirent peu, et louent même avec simplicité et modération les meilleures choses. Cela est bien sec pour les princes, accoutumés aux exclamations, aux applaudissements, à l'encens prodigué sans cesse. Les malhonnêtes gens ne louent un prince que pour en tirer quelque bienfait. C'est l'ambition qui se joue de la vanité, et qui la flatte pour la mener à ses fins. C'est le tailleur qui appelle M. Jourdain monseigneur, pour lui attraper un écu". Un grand roi doit être indigné qu'on le suppose si vain et si faible. Nul homme ne doit être assez hardi pour le louer en face; c'est lui manquer de respect. Vous savez que Sixte V défendit sévèrement de le louer.
Un roi n'a plus d'autre honneur ni d'autre intérêt que celui de la nation qu'il gouverne. On jugera de lui par le gouvernement de son royaume, comme on juge d'un horloger par les horloges de sa façon, qui vont bien ou mal.
Un royaume est bien gouverné' 2, quand on travaille sans relâche, autant qu'on le peut, à ces choses: 1° à le peupler; 2° à faire que tous les hommes travaillent selon leurs forces pour bien cultiver les terres; 3° à faire que tous les hommes soient bien nourris, pourvu qu'ils travaillent; 4° à ne souffrir ni fainéants, ni vagabonds; 5° à récompenser le mérite; 6° à punir tous les désordres; 7° à tenir tous les corps et tous les particuliers, quelque puissants qu'ils soient, dans la subordination; 8° à modérer l'autorité royale en sa propre personne, de façon que le Roi ne fasse rien par hauteur, par violence, par caprice ou par faiblesse, contre les lois; 9° à ne se livrer à aucun ministre ni favori. Il faut écouter les divers conseils, les comparer, les examiner sans prévention; mais il ne faut jamais se livrer aveuglément, en aucun genre, à aucun homme: c'est le gâter, s'il est bon; c'est se trahir soi-même, s'il est mauvais.
Par cette conduite, un roi fait véritablement les fonctions de roi, c'est-à-dire, de père et de pasteur des peuples. Il travaille à les rendre justes, sages et heureux. Il doit croire qu'il ne fait son devoir, que quand il est la houlette en main à faire paître son troupeau, à l'abri des loups. Il ne doit croire son peuple bien gouverné, que quand tout le monde travaille, est nourri, et obéit aux lois. Il y doit obéir lui-même; car il doit donner l'exemple, et il n'est qu'un simple homme comme les autres, chargé de se dévouer pour leur repos et pour leur bonheur.
Il faut qu'il fasse obéir aux lois et non pas à lui-même. S'il commande, ce n'est pas pour lui, c'est pour le bien de ceux qu'il gouverne. Il ne doit être que l'homme des lois et l'homme de Dieu. Il porte le glaive pour se faire craindre des méchants. Il est dit que tous les peuples craignirent le Roi, voyant la sagesse qui était en lui" (c'est Salomon). Rien ne fait tant craindre un roi, que de le voir égal, ferme, se possédant, ne précipitant rien, écoutant tout, et ne décidant jamais qu'après un examen tranquille.
Si un jeune prince est assez heureux pour n'avoir ni favoris ni maîtresse, et s'il ne croit aucun de ses ministres, qu'autant qu'il reconnaît devant Dieu que son avis est meilleur que celui des autres, il sera bientôt craint, révéré et aimé. Il doit être fort attentif aux bonnes raisons d'un chacun; mais il ne doit jamais se laisser décider ni par la qualité des personnes, ni par certains tons décisifs qui imposent. Il doit accoutumer les premières personnes à proposer simplement leurs pensées, et à attendre en silence sa résolution. Cet ascendant sur ceux qui l'approchent est le point capital; mais il ne peut le prendre tout à coup. Un jeune roi, quoiqu'il ne soit pas moins roi et maître qu'un autre plus âgé, ne peut avoir la même autorité sur les hommes. Par exemple, le Roi Catholique sera fort heureux s'il peut, dans quarante ans, se faire obéir comme le Roi notre maître est maintenant obéi dans tout son royaume. Un jeune roi qui arrive dans un royaume où il est étranger, et d'une nation que l'Espagnol regardait comme ennemie, doit se faire à la nation, se plier aux coutumes, s'accommoder aux préjugés, surtout s'instruire des lois du pays, et les garder religieusement. A mesure que son application et son expérience croîtront, il verra croître aussi son autorité. D'abord il doit se ménager et n'entreprendre que les choses d'une nécessité absolue. Ce qu'il est impossible de redresser aujourd'hui, se redressera dans dix ans, peu à peu et presque de soi-même. Qu'il écoute facilement, mais qu'il ne croie que sur des preuves claires. Qu'on ne gagne jamais rien ni à lui parler le premier, ni à lui parler le dernier. Le premier et le dernier parlant doivent être égaux; c'est le fond des raisons qui doit décider. Qu'il étudie les hommes; qu'il ne se fie jamais aux flatteurs; qu'il examine les talents de chacun; que les bonnes qualités d'un homme ne lui fassent jamais perdre de vue ses défauts; qu'il craigne de s'engouer. Chaque homme a ses défauts; dès qu'on n'en voit pas dans un homme, on le connaît mal, et on ne doit plus se croire. La grande fonction d'un roi est de savoir choisir les hommes, les placer, les régler, les redresser. Il gouverne assez, quand il fait bien gouverner par ses subalternes'
Si le Roi doit tant prendre sur lui, être si modéré, si appliqué, que ne doivent pas faire ceux qui ont l'honneur d'être auprès de lui! Je prie Dieu tous les jours pour Sa Majesté, et aussi pour vous, Monsieur, que j'aime et que j'honore du fond du coeur.
J'oubliais de vous dire, que personne n'est plus persuadé que moi que le Roi Catholique est né avec une parfaite valeur, et même avec de grands sentiments d'honneur en toutes choses. J'en ai vu des marques dès sa plus tendre enfance. J'avoue que c'est un grand point à un roi, que d'être intrépide à la guerre. Mais le courage de la guerre est bien moins d'usage à un si grand prince, que le courage des affaires. Quand se trouvera-t-il au milieu d'un combat? Peut-être jamais. Il sera au contraire tous les jours aux prises avec les autres et avec lui-même au milieu de sa cour. Il lui faut un courage à toute épreuve contre un ministre artificieux, contre un favori indiscret, contre une femme qui voudra être sa maîtresse. Il lui faut du courage contre les flatteurs, contre les plaisirs, contre les amusements qui le jetteraient dans l'inapplication. Il faut qu'il soit courageux dans le travail, dans les mécomptes, dans le mauvais succès. Il faut du courage contre l'importunité, pour savoir refuser sans rudesse et sans impatience. Le courage de guerre, qui est plus brillant, est infiniment inférieur à ce courage de toute la vie et de toutes les heures. C'est celui-là qui donne la véritable autorité, qui prépare les grands succès, qui surmonte les grands obstacles, et qui mérite la véritable gloire. François I" était un héros dans une bataille; mais c'était la faiblesse même entre ses maîtresses et ses favoris. Il dépensait honteusement dans sa cour toute la gloire qu'il avait gagnée à Marignan. Aussi tout allait de travers, et rien ne réussissait 's. Charles dit le Sage ne pouvait aller à la guerre à cause de ses infirmités; mais sa bonne et forte tête réglait la guerre même: il était
182 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
11 octobre 1701
11 octobre 1701 TEXTE 183
supérieur à ses ministres et à ses généraux. Le Roi notre maître s'est acquis plus d'estime par sa fermeté pour régler les finances, pour discipliner les troupes, pour réprimer les abus, et par les ordres qu'il a donnés pour la guerre, que par sa présence dans plusieurs sièges périlleux. Son courage patient à Namur y fit plus que la valeur même de ses troupes.
Dites toutes ces choses, Monsieur, comme vous le jugerez à propos. Je vous les donne telles que je les pense. Vous saurez les accommoder au besoin, et je ne doute point que vous n'ayez parfaitement à coeur la réputation et le bonheur du roi auquel vous êtes attaché. Pour moi, je souhaite ardemment qu'il soit un grand roi et un vrai saint, digne descendant de saint Louis.
Je vous ai proposé l'ordre à garder pour les enveloppes, afin qu'il y en ait le moins qu'il se pourra. Le bon père Montazet trouvera sous l'enveloppe qui s'adressera à lui la lettre pour M. l'abbé de Chanteraque. Il en remettra une autre pour son neveu à Paris. De là jusqu'ici tout marchera en sûreté. La multitude des enveloppes donne du soupçon, parce qu'on sent les cachets, et que les paquets en sont même plus épais. De la façon que je vous propose de faire, il n'y aura jamais que deux enveloppes. Si vous aviez quelque adresse à nous marquer bien sûre à Madrid, avec une orthographe pour un quelqu'un de ce pays-là, comme celle que je vous propose pour M. l'abbé de Chanteraque au lieu de Chanterac, les lettres iraient tout de même jusqu'à vous, sans qu'il parût jamais à la poste qu'elles sont pour vous, et sans courir le risque qu'elles fussent jamais ouvertes par celui à qui elles paraîtraient s'adresser ". Mais je ne vous conseille pas de montrer le moindre air de mystère à des gens qui pourraient soupçonner qu'il y en a, et s'en prévaloir en vous trahissant. Le cachet de ce paquet-ci est un oiseau avec une couronne en chef, deux oiseaux pour support et un casque.
Je serai toute ma vie, Monsieur, sans réserve, votre très h. et t. o. s.
F. A. D. C.
762. A L'ABBÉ DE LANGERON
A C[ambrai] onze octobre 1701.
Le curé de Vers[ailles] m'a écrit que M. de Chartres ayant su que Mlle de Châtegneraye était ma parente, il avait pris de grands soins d'elle, qu'il le chargeait de me faire bien des compliments, et de m'assurer d'un attachement sincère et cordial. J'ai répondu que j'étais édifié de la charité qu'on avait témoignée à cette pauvre demoiselle, que je priais le curé de faire mille remerciements pour les compliments, dont il s'était chargé vers moi, et que ceux dont je le suppliais de se charger aussi, étaient très sincères. Cela n'est-il pas assez court '?
Notre capitation est conclue à trente mille francs. Il a fallu que M. de Chamillart ait décidé. Tout s'est passé ici de manière que le clergé a sujet d'être bien content de M. de Monbron et de moi'. Je pars pour Tournay3 bien fâché de n'avoir pu partir plus tôt, dans l'impatience de revenir vous recevoir à la Toussaints.
Ne hésitez point à conclure pour Mad. la D[uchesse] d'Ar[enberg] avec M. de S. Remy. Vos pouvoirs sont pleins, et il vaudrait mieux vous en servir sans attendre une réponse, que de laisser échapper un bon sujet, qu'on ne pourrait remplacer'. La duchesse a donné à M. d'Audigier3 partant un canonicat de Leuze. Cela est noble, et mérite d'être dit au successeur. Mais je ne sais si le prédécesseur justifie par son mérite ce choix devant Dieu. Il n'est point venu me voir en passant.
Je prie l'abbé de Beaumont de voir pour l'amour de moi M. l'abbé Pucelle6. Je dois quelque chose à la famille de feu M. de Croisilles', sur tout ce qui est arrivé à M. le maréchal de Catinat'. Si Panta oublie l'agenda que je lui ai donné', je le livrerai aux plus noires vapeurs, et je n'aurai plus aucun soin de lui défiger le sang. C'est un homme perdu comme le malade imaginaire livré à tous les maux en ie'° .
Quelque impatience que j'aie de revoir et d'embrasser mon cher Gavache ", j'aimerais mieux en être privé, que de l'ôter à la bonne P. D. ou à Mlle de L.12 dans leur besoin. Excepté ces deux cas, il n'est rien tel que d'enlever. Panta, le grand Panta, n'a qu'à le prendre sur ses épaules ''. Je voudrais qu'il eût des bottes de sept lieues. Si j'en avais j'irais une fois la semaine à S. Denis 14, il n'y paraîtrait pas. Je verrais aussi la digne soeur de Pantaléon, et celle du P. abbé, et le grand abbé, et le joyeux Calas '5. On dit que vous pergréquez' tous ensemble. Ces moeurs antiques pour les cènes ne m'édifient pas. La Toussaints s'approche. Employez bien le temps, et revenez nous voir : nous philosopherons l'hiver. D[ieu] sur tout"!
J'ai reçu une lettre du père Sanadon qui est très bonne. Vous en seriez tous deux bien contents '8. Je prie mon Panta de n'oublier pas des amitiés à Mlle de Pagny, ".
Depuis cette lettre écrite, je vous ai mandé que Mad. la duchesse] d'Ar[enberg] accepte à toute condition pour la table et pour les appointements M. l'abbé de S[aint]-R[emi]. Je vous envoie une lettre d'elle pour M. l'abbé de L. et celle qu'elle m'écrit". Ma pensée serait que M. l'abbé de S[aint]-R[emi] vînt à peu près en même temps que vous, et que nous le gardassions ici quinze jours, après quoi nous l'enverrions à Enghien.
J'envoie au cher Panta 600 livres pour ma soeur, que M. le marquis de Monbron lui donnera'.
J'apprends dans ce moment que l'abbé du Casteau est mort cette nuit". Voilà un embarras pour moi. Il n'y a point de prieur. Dom Charles, comme sous-prieur, se fera valoir. Il a un grand zèle pour l'élection, et voudrait bien gouverner en qualité d'abbé, pour le bien, dit-il, de la maison.
Je vous envoie ma lettre pour Louville23. Mettez-y le cachet que vous me faites promettre.
Souvenez-vous des ouvrages de M. du Bellay", Carithée, etc; j'en ai un vrai besoin. Tendrement aux deux abbés"; embrassez pour moi le grand. Mille compliments à Mile de Langeron et à ma nièce.
184 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 16 octobre 1701
763. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Tournay 16 octobre 1701.
Vous me pressez, Madame, de retourner voir les personnes dont je dois prendre soin, et vous, qui m'attendez, vous ne songez qu'à vous enfuir, dès que je serai revenu. Je n'ai pas le temps aujourd'hui d'écrire à Mad... ' Mais j'espère que vos lettres ne lui manqueront pas. Elle a du courage et de l'amitié. Ces deux choses la portent au-delà de ses forces. Elle croit pouvoir plus qu'elle ne peut. Ce que vous lui dites la touche. Mais son fond n'est pas encore capable de tous les sacrifices que vous lui demandez. J[ésus]-Christ] qui connaissait mieux ses disciples qu'ils ne se connaissaient eux-mêmes, leur disait : Vous ne pouvez à présent porter ces choses'. Il leur disait : Vous serez tous scandalisés de moi cette nuit. S. Pierre soutenait que pour lui il n'en serait rien. Quand même, disait-il, tous les autres seraient scandalisés, pour moi je ne le serai pas. Quand même il faudrait mourir avec vous, je ne vous renoncerai jamais'. J[ésus]-C[hrist] insiste et lui prédit qu'il le reniera trois fois, avant que le coq chante, et en effet l'interrogation d'une servante lui fait renier son maître avec serment. Voilà l'homme. Voilà ce qu'il donne dès qu'il donne du sien, et qu'il promet quelque force de soi.
Laissez Mad...* lire, goûter, prier, se nourrir. Il faut donner patiemment aux âmes, avant que de leur demander. Il faut qu'elles aient été nourries intérieurement de l'oraison, et avoir mis en elles un certain trait d'amour, avant que de pouvoir espérer qu'elles fassent certains travaux extérieurs. Que fait la mère à son petit enfant? elle l'allaite et le porte. Si elle voulait d'abord le faire marcher, il tomberait. Quand le lait l'a fortifié, vous voyez que de lui-même il cherche à former ses premiers pas. Il faut donc attendre et porter l'enfant, pendant qu'il est encore à la mamelle. Quand Dieu commencera à se faire sentir assez pour demander un dernier adieu au monde, ce sera le moment où il faudra aider l'âme pour cette douloureuse décision. Mille sincères compliments à la femme forte'. Je vous suis dévoué sans réserve.
764. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
A Anvain, 19 octobre 1701.
Je profite de l'occasion de M. le D. de Charost', mon cher Panta, pour vous donner de mes nouvelles. Je fais mes visites sous les tristes Hyades ou sous l'aqueux Orion'. Je tiendrai bon le plus tard que je pourrai. Mais à la fin il faudra regagner nos pénates. M. le Prieur 3 rétrécit son haut de chausses' à Tournay. J'y retourne prêcher dimanche. Vous pouvez compter que si je n'arrive pas à Cambray pour la Toussaints, au moins j'y arriverai deux jours après. M. le D. de Charost, à qui je donne vingt louis, vous les donnera à Paris. Ainsi vous aurez quelque petit secours. Mais je ne veux pas vous en envoyer trop de peur que vous ne demeuriez trop longtemps loin de nous. Je compte que vous ne reviendrez point sans le vénérable M. Ludon5. Vous seriez mal reçu sans lui. Mille amitiés à votre soeur. N'oubliez pas je
22 octobre 1701 TEXTE 185
vous prie les livres de M. du Bellay6. Je voudrais bien aussi les oeuvres de sainte Cath[erine] de Sienne. Mille fois tout à mon cher et unique Pantaléon.
765. AU MÊME
A Tournay 22 octobre 1701.
Je suis charmé, mon bon Panta, de votre pensée pour M. Chalmette'. Elle m'avait passé quelquefois par la tête. Mais je ne m'y étais pas arrêté, ne connaissant point le sujet, et supposant qu'il n'avait pas assez de fond pour soutenir l'emploi'. Cette place demande de la tête, et au moins un savoir médiocre de théologie. Je ne doute plus de la tête, puisque vous me le donnez sage, ferme, clairvoyant, expérimenté, et gouvernant avec une autorité douce, une populace assez difficile. Mais il faut un peu de savoir pour observer ceux qui enseigneront, pour douter dans les cas douteux, pour décider sagement, et sans se commettre en certaines occasions délicates, pour se donner quelque poids et quelque réputation, dans un lieu, où l'on cherchera à le critiquer, et à l'avilir; enfin pour faire certains entretiens où il faut parler juste et précisément, pour inspirer la saine doctrine. Il faut même qu'il ait un peu le talent de la parole, et quelque habitude d'instruire d'une manière familière et affectueuse.
Vous me parlez de lui donner un canonicat de Notre]-Dame. A cela je réponds: 1° je n'en ai point; 2° si j'en avais, je voudrais avant que de le lui donner, essayer si nous nous conviendrions l'un à l'autre. Mon inclination et ma prévention pour lui sont très grandes. Mais c'est beaucoup hasarder, que de se marier d'abord ensemble. Serait-il impossible qu'il nous vînt voir? Ne pourriez-vous lui proposer aucun essai'? Tâtez-le, ou parlez-lui ouvertement. J'aime toujours mieux l'ouverture entière, quand les gens en sont capables.
Reviendrez-vous sans avoir vu M. Brenier? Il mérite de l'amitié*. Si vous pouvez voir le père... qui est parent de mademoiselle Maunourry6, sans lui attirer aucun démérite, j'en serai fort aise. Mais ne hasardez rien à ses dépens. Je voudrais fort qu'il pût me procurer un exemplaire d'un écrit du R Le Tellier sur le péché philosophique', qu'il m'a mandé être fort bon. Comment va leur procès de la Chine à Rome'? Je vous ai mandé par M. le D. de Ch[arost], que je serai à Cambray au plus tard deux jours après la Toussaints. Comptez là-dessus. Si vous ne pouviez vous y rendre si tôt, mandez-le moi sans façon au plus tôt. Je retarderais peut-être' de mon côté mon retour, et allongerais peut-être un peu mes visites, si la saison me le permettait. Mais je n'espère guère de beaux jours, ni des chemins praticables. Mille amitiés sincères et tendres à votre soeur. J'embrasse M. Ludon jusqu'à l'étouffer. O qu'il me tarde de me revoir entre vous deux dans notre promenade! D[ieu] soit, mon cher enfant, lui seul toutes choses en vous.
186 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 23 octobre 1701
765 A. LE CARDINAL GABRIELLI A FÉNELON
[23 octobre 1701].
Illustrissime et Reverendissime Domine,
Aliquandiu distuli jucundissimœ epistolœ Dominationis vestrœ illustrissime respondere, ex materiœ quidem inopia, nullatenus autem ex diminutione affectus, quem dignissimœ persone vestrœ mihi tot titulis dilectissimœ jamdiu integrum ac inviolabilem devovi. Interea mecum ipse mente frequenter revolvi immensum solatium, quo Dominationem vestram illustrissimam merito perfundendam novi ex Brevi amantissimo et gravissimo SS. D. N. Pape ad vos directo, quod tamen mihi tenui admirationi fuit, ut pote qui pro comperto habeo altissimam existimationem, quam de vestris eximiis meritis condigne fovet Beatissimus Pater, et ob id vobis ex intimo cordis gratulor
Abbas ille mihi clam indicatus a Dominatione vestra illustrissima notissimus in hac aula erat2, ejusque factionis apertum studium cunctis exploratum, atque adeo nihil inde timeri poterat. Summus Pontifex sagacissimœ mentis et emunctissime naris princeps ab hujusce tincturœ hominibus falli omnino nescius talem de ipso ad amussim efformaverat ideam, qualem graphice delineatam ejusdem imaginem in limatissimis vestris litteris perspexi. Ea enim externa benevolentie signa ipsi exhibita alio prorsus tendebant, nec illius amicis proficua, nec illi exosis noxia.
Mitto Dominationi vestrœ illustrissime exemplar Homiliœ die festo Principum Apostolorum inter missarum solemnia in basilica Vaticana a SS. D. N. pontificalibus insignibus decorato cum summa gravitate et majestate habite 3, adstante sacro collegio cardinalium, et coetu complurium antistitum sacris vestibus indutorum, et coram christianorum principum ministris, et immensa populi omnis generis multitudine. Dum autem jussiones vestras anxius prœstolor ex animo glorior subscribi, Illustrissime et Reverendissime Domine, Illustrissime Dominationis vestrœ addictissimus servus.
Rome die 23 octobris 1701.
A Tournay 26 octobre 1701.
Pardon, mon Révérend Père, de n'avoir pas répondu à votre question'. Il n'y a eu dans mon silence rien qui doive vous faire aucune peine, ni qui vienne d'aucune réserve. Voici simplement ce que je pense là-dessus.
Notre [corps2] n'a besoin que d'être nourri. Il lui suffit que l'âme qui le gouverne, soit sensiblement avertie de ses besoins, et que le plaisir facilite l'exécution d'une chose si nécessaire. Pour l'âme, elle a un autre besoin. Si elle était simple, elle pourrait recevoir toujours une force sensible, et en bien user. Mais depuis qu'elle est malade de l'amour d'elle-même, elle a besoin
26 octobre 1701 TEXTE 187
que D[ieu] lui cache sa force, son accroissement, et ses bons désirs. Si elle les voit, du moins ce n'est qu'à demi, et d'une manière si confuse qu'elle ne peut s'en assurer. Encore ne laisse-t-elle pas de regarder ces dons avec une vaine complaisance, malgré une incertitude si humiliante. Que ne ferait-elle point, si elle voyait clairement la grâce qui l'inspire, et sa fidèle correspondance? D[ieu] fait donc deux choses pour l'âme au lieu qu'il n'en fait qu'une pour le corps. Il donne au corps' la nourriture avec la faim et le plaisir de manger. Tout cela est sensible. Pour l'âme, il donne la faim qui est le désir, et la nourriture. Mais en accordant ses dons il les cache, de peur que l'âme ne s'y complaise vainement : ainsi, dans les temps d'épreuve où il veut nous purifier, il nous soustrait les goûts, les ferveurs sensibles, les désirs ardents et aperçus. Comme l'âme tournait en poison par orgueil toute force sensible, D[ieu] la réduit à ne sentir que dégoût, langueur, faiblesse, tentation. Ce n'est pas qu'elle ne reçoive toujours les secours réels. Elle est avertie, excitée, soutenue pour persévérer dans la vertu. Mais il lui est utile de n'en avoir point le goût sensible, qui est très différent du fond de la chose. L'oraison est très différente du plaisir sensible qui accompagne souvent l'oraison. Le médecin fait quelquefois manger un malade sans appétit. Il n'a aucun plaisir à manger, et ne laisse pas de digérer et de se nourrir. Sainte Thérèse remarquait que beaucoup d'âmes quittaient par découragement l'oraison dès que le goût sensible cessait, et que c'était quitter l'oraison, quand elle commence à se perfectionner. La vraie oraison n'est ni dans le sens, ni dans l'imagination. Elle est dans l'esprit et dans la volonté'. On peut se tromper beaucoup en parlant de plaisir et de délectation. Il y a un plaisir indélibéré et sensible qui prévient la volonté, et qui est indélibéré. Celui-là peut être séparé d'une très véritable oraison. Il y a le plaisir délibéré qui n'est autre chose que la volonté délibérée même. Cette délectation qui est notre vouloir délibéré est celle que le Psalmiste commande, et à laquelle il promet une récompense: Delectare in Domino, et dabit tibi petitiones cordis tui5. Cette délectation est inséparable de l'oraison en tout état, parce qu'elle est l'oraison même. Mais cette délectation qui n'est qu'un simple vouloir n'est pas toujours accompagnée de l'autre délectation prévenante et indélibérée qui est sensible. La première peut être très réelle et ne donner aucun goût consolant. C'est ainsi que les âmes les plus rigoureusement éprouvées peuvent conserver la délectation de pure volonté, c'est-à-dire le vouloir ou l'amour tout nu, dans une oraison très sèche, sans conserver le goût et le plaisir de faire oraison. Autrement il faudrait dire qu'on ne se perfectionne dans les voies de D[ieu] qu'autant qu'on sent augmenter le plaisir des vertus, et que toutes les âmes privées du plaisir sensible par les épreuves, ont perdu l'amour de D[ieu] et sont dans l'illusion. Ce serait renverser toute la conduite des âmes, et réduire toute la piété au plaisir de l'imagination. C'est ce qui nous mènerait au fanatisme' le plus dangereux. Chacun se jugerait soi-même pour son degré de perfection par son degré de goût et de plaisir. C'est ce que font souvent bien des âmes sans y prendre garde. Elles ne cherchent que le goût et le plaisir dans l'oraison. Elles sont toutes dans le sentiment. Elles ne prennent pour réel que ce qu'elles goûtent et imaginent. Elles deviennent en quelque manière enthousiastes. Sont-elles en ferveur? elles entreprennent et décident tout. Rien ne les arrête, nulle autorité ne les modère. La ferveur sensible tarit-elle? aussitôt ces âmes se découragent, se relâchent, se dissipent et reculent. C'est toujours
J. M. CARD. GABRIELLIUS.
766. A DOM FRANÇOIS LAMY
188 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 26 octobre 1701 TEXTE 189
30 octobre 1701
à recommencer. Elles tournent comme une girouette à tout vent. Elles ne suivent J[ésus]-C[hrist] que pour les pains miraculeusement multipliés'. Elles veulent des cailles au désert'. Elles cherchent toujours comme S. Pierre à dresser des tentes sur le Tabor, et à dire: O que nous sommes bien ici9! Heureuse l'âme qui est également fidèle dans l'abondance sensible, et dans la privation la plus rigoureuse! Sicut mons Sion non commovebitur'. Elle mange le pain quotidien de pure foi et ne cherche ni à sentir le goût que D[ieu] lui ôte, ni à voir ce que D[ieu] lui cache. Elle se contente de croire ce que l'Eglise lui enseigne, d'aimer D[ieu] d'une volonté toute nue, et de faire quoi qu'il lui en coûte, tout ce que l'Évangile commande et conseille. Si le goût vient, elle le reçoit comme le soutien de sa faiblesse. S'il échappe, elle en porte en paix la privation, et aime toujours. C'est l'attachement au sensible qui fait tantôt le découragement, tantôt l'illusion. Au contraire, c'est cette fidélité dans la privation du sensible qui préserve de l'illusion. Quand on perd, sans se procurer cette perte par infidélité, le goût sensible, on ne perd que ce que perd un enfant que ses parents sèvrent. Le pain sec et dur est moins doux, mais plus nourrissant que le lait. La correction d'un précepteur fait plus de bien que les caresses d'une nourrice.
Cessons de raisonner en philosophes sur la cause, et arrêtons-nous simplement à l'effet. Comptons que nous ne devons jamais tant faire oraison, que quand le plaisir de faire oraison nous échappe. C'est le temps de l'épreuve et de la tentation, et par conséquent celui du recours à D[ieu] et de l'oraison la plus intime. D'un autre côté, il faut recevoir simplement les ferveurs sensibles d'oraison, puisqu'elles sont données pour nourrir, pour consoler, pour fortifier l'âme. Mais ne comptons point sur ces douceurs où l'imagination se mêle souvent et nous flatte. Suivons J[ésus]-C[hrist] à la croix comme S. Jean. C'est ce qui ne nous trompera point. S. Pierre fut dans une espèce d'illusion sur le Tabor. Il est aisé de se dire à soi-même: J'aime D[ieu] de tout mon coeur, quand on ne sent que du plaisir dans cet amour. Mais l'amour réel est celui qui aime en souffrant: Noli credere affectui tuo qui nunc est".
Je suis fort aise, mon Révérend Père, d'apprendre que vous êtes content et édifié de la personne que vous avez vue'. J'espère que l'abbé de B[eau-
mont] m'apportera de vos nouvelles " . Quand D[ieu] suspend vos études il vous réduit à faire quelque chose de bien meilleur que d'étudier. Priez pour moi, comme je prie pour vous. Mille fois tout à vous sans réserve. Ne montrez, je vous prie, ceci à personne"; il ne me convient point qu'on voie rien
767. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
A Tournay 26 octobre 1701.
Je vous envoie, mon cher neveu, une lettre pour ma soeur de la Filolie que je vous prie de faire partir par la route que je ne sais point. Je compte toujours de m'en retourner à Cambray quelques jours après la Toussaints. Je prêcherai ici le jour de cette fête, et je ne pourrai éviter d'y séjourner encore deux jours au-delà tant pour la confirmation, et pour les visites des couvents de religieuses, que pour certaines civilités à rendre. Mille et mille fois tout à mon Panta, à sa soeur, à M. de Ch., à M. Ludon2 que j'espère d'embrasser, et à nos bons amis en petit nombre.
F. A. D. C.
768. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Tournay dimanche 30 octobre 1701.
Je n'ai eu, Madame, aucun moment à moi, et je suis encore aujourd'hui surchargé de travail. Pardonnez mon silence. Je l'ai gardé avec beaucoup de peine. Voilà mes visites finies. Je serai encore ici trois ou quatre jours, pour les communautés de la ville, et pour les civilités à rendre. Ainsi j'arriverai à Cambrai] avant la fin de la semaine. Mais je ne vous y trouverai pas. C'est de quoi je suis bien fâché. Je ressens encore plus la cause de votre absence', que votre absence même, car je suis plus sensible à ce qui vous afflige, qu'à ce qui me prive d'une grande consolation. Je vous offre tout ce qui dépend de moi. C'est le plus grand plaisir que vous me puissiez faire, et si vous êtes simple, vous en userez simplement.
J'aime beaucoup en notre Seigneur votre bonne et chère fille. Cultivez-la pour lui. Je plains votre pauvre amie', et je souhaite qu'elle puisse vous aller voir à...3 Je ne négligerai rien pour sa consolation. Mais je ne puis presque rien tout seul. Dieu supplée, et on ne manque de quelque chose, que quand on manque de foi. Ma santé s'est soutenue comme le beau temps. Je crains pour la vôtre les politesses et les complaisances. Mettez-vous en liberté pour le dedans et pour le dehors.
769. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
Vous pouvez compter, mon cher neveu, que je serai à Cambray vendredi 4e de novembre. Je souhaite de tout mon coeur que je puisse vous y embrasser ce jour-là ou bientôt après. Je ne voudrais pourtant pas vous gêner par rapport à votre soeur, qui peut encore avoir besoin de vous, ni par rapport à notre cher petit bon homme', qu'il vaudrait mieux attendre pour ne revenir point sans lui. La personne pour laquelle il a cherché avec succès, lui est très obligée et en témoigne une grande reconnaissance. Elle accepte tout et fera ce qu'on n'a point promis, pourvu qu'elle ait sujet d'être contente. Elle prie instamment que l'on se hâte de venir, parce qu'en attendant la fonction est abandonnée. Je vous conjure de hâter tant que vous pourrez le départ de l'homme. Si vous pouvez nous apporter les factums de Mrs de Guimené et de Rohan, je serai bien aise de les voir'. Mille amitiés à votre soeur. Tout à vous sans réserve.
F. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
de moi. F. A. D. C.
A Tournay 31 octobre 1701.
[6 novembre 17011
771. A LA COMTESSE DE MONTBERON (?)
[Vers le 6 novembre 1701?].
TEXTE 191
190 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
770. AU MÊME
4 novembre 1701
A C[ambrai] 4 novembre 1701.
J'arrive ici, et je me hâte, mon cher N[eveu], de vous le dire. Ma pensée est que vous proposiez comme de vous-même, à l'homme dont il s'agit', ce que vous croyez bon, avec l'espérance de ce qu'on désire faire pour lui dans les occasions, quand son travail aura commencé à mériter, et que le pays sera déjà préparé. Jusque-là il pourra vivre sans établissement assuré, comme il vit et travaille sans établissement fixe dans la place où il est actuellement. Mais je ne voudrais qu'une simple proposition, sans nous engager. Vous verriez quelle serait sa réponse, et elle nous servirait à mieux juger du parti à prendre. Quand vous auriez une fois su sa disposition, nous serions en état de conclure en deux jours. Mais je ne voudrais rien arrêter, sans vous avoir vu à loisir, et sans avoir examiné avec vous la réponse qu'il vous aura faite. Ce qu'il me paraît que vous devez bien approfondir avec lui, c'est s'il pourrait se résoudre à mener une vie solitaire, uniforme, et continuellement sédentaire, après en avoir mené une si active au dehors et si variée'. Aura-t-il la santé, le goût, la patience nécessaire pour cette vie égale et régulière, comme le mouvement d'une pendule? D'ordinaire les naturels propres aux emplois laborieux, qui regardent le peuple, ne sont point propres à ce travail secret et tranquille. C'est tomber dans un ennui et dans une langueur très difficile à soutenir. Il est vrai que cette personne connaît par expérience ces deux sortes de vies, et qu'elle peut vous dire, sans aucune nouvelle épreuve, si elle peut s'accommoder à la longueur d'un travail toujours insensible, et comme enterré. Voilà, si je ne me trompe, le point le plus essentiel. Il faut aussi le préparer aux manières épineuses du pays'. Quand vous aurez fait votre éclaircissement avec lui, nous n'aurons plus qu'à en parler dans une conversation, après quoi vous pourrez conclure avec lui sur les vues que vous lui aurez proposées, et sur les réponses qu'il vous aura faites', en sorte que le tout se fera aussi bien de loin par lettre, qu'en présence de vive voix. M. Ludon, qui me paraît homme de bon sens, pourra vous aider de ses conseils en cette occasion'. Ce que j'ai vu de lui là-dessus me paraît' fort à propos. Ne laissez pas de voir l'homme, dont on vous dit tant de bien, et qui est si attaché à son emploi. Il peut vous indiquer des sujets, en cas que celui dont il s'agit ne pût accepter. Faites vos affaires pendant que vous y êtes. Vous laissez ici un grand vide, dont j'ai presque autant d'horreur que la nature en a des siens, selon la philosophie vulgaire'. Mais j'aime mieux me priver d'un plaisir, et ne rien ôter à votre famille à laquelle vous devez un secours. Je m'y intéresse de tout mon coeur. Peut-être pourrez-vous nous mener notre ami'? Pour l'homme mort dans le temps de votre arrivée à Paris, vous pourriez savoir par le P. Br.' que son frère, qui est encore à Paris, vous ferait voir, s'il a laissé des papiers curieux, et si quelque ami a recueilli cette succession. Souvenez-vous du portrait que vous m'avez fait espérer. Mille amitiés à votre soeur, et autant de compliments sincères à M. de Chevry. Je suis ravi de ce que la B. P. D." est bien aise de vous voir. Je suis en peine de sa tristesse et de sa langueur. Cherchez ce qui pourrait lui donner quelque soulagement.
Cette tristesse, qui vous fait languir, m'alarme et me serre le coeeur. Je la crains plus pour vous que toutes les douleurs sensibles. Je sais par expérience ce que c'est d'avoir le coeur flétri et dégoûté de tout ce qui pourrait lui donner du soulagement. Je suis encore à certaines heures dans cette disposition d'amertume générale, et je sens bien que si elle était sans intervalle, je ne pourrais y résister longtemps'.
Je viens de faire une mission à Tournay: tout cela s'est assez bien passé, et l'amour-propre même y pourrait avoir quelque petite douceur; mais dans le fond le bien que nous faisons est peu de chose. Si on n'était soutenu par l'esprit de foi, pour travailler sans voir le fruit de son travail, on se découragerait ; car on ne gagne presque rien, ni sur les hommes pour les persuader, ni sur soi-même pour se corriger. O qu'il y a loin depuis le mépris et la lassitude de soi-même jusqu'à la véritable correction ! Je suis à moi-même tout un grand diocèse, plus accablant que celui du dehors et que je ne saurais réformer. Mais il faut se supporter sans se flatter, comme on doit le faire pour le prochain.
772. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
A C[ambrai] 6 novembre 1701.
Voici un ami de M. Quinot, par lequel je vous donne de mes nouvelles. La lettre sera commune entre le grand Panta et le petit M. Ludon, que j'embrasse en esprit avec tendresse, en attendant de les embrasser réellement tous deux'. Notre mission de Tournay s'est assez bien passée, et la ville m'a paru assez contente de moi. Le contraste y fait un peu, et je crains bien que le suffragant' à son retour sentira aussi que le contraste lui fait tort. Je vois, je parle, je fais des civilités. Tout cela lui manque, et la contradiction est au comble. Je vous ai mandé ma pensée sur M. Chalmette'. Si vous lui parlez de votre chef, comme je vous le propose, mandez-moi quelle aura été sa réponse. Comptez que je n'ai que trop d'envie de l'attirer. Mais point de canonicat, en arrivant, je vous prie. Si vous avez des nouvelles de mes soeurs', je vous prie de m'en faire part. N'oubliez pas ce que je vous ai mandé pour le P. de La Ch[aise] par rapport à la religieuse'. Il faut lui représenter qu'elle ne sait où poser le pied. Je souhaite fort qu'on donne un vrai pasteur à ce pauvre diocèse6.
Réglez, je vous prie, avec notre bon nouvelliste ce qu'il faudra pour les frais de ses gazettes qui ne tarissent point. Il faut que ce soit un vrai bon homme'. Je sais que M. d'Audigier est de ses amis. Voyez si vous n'avez rien à lui dire sur le caractère de cet hommes, que je crois fort passionné contre la comp[agnie] des Jésuites.
La D[uchesse] d'Ar[enberg] presse pour avoir bientôt M. l'abbé de Saint-Remy'. Quand pourra-t-il partir? tiendra-t-il à quelque chose? Il ne serait pas honnête qu'il commençât par demander de l'argent. La D. doit lui en
192 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 8 novembre 1701 12 novembre 1701 TEXTE 193
offrir pour son voyage après son arrivée. Mais il ne doit pas, ce me semble, en prétendre avant que d'être là. Elle m'a mandé que s'il faisait bien, elle lui donnerait cinq cents écus d'appointements. Elle compte, et moi aussi, qu'il demeurera quinze jours à Cambray, en passant. Mais je voudrais bien que ce séjour fût quand vous serez tous deux ici.
Mambrun, qui a été bien malade, se porte mieux. Mais il est languissant, et ne peut se remettre. Ne nous amènerez-vous point Godin? N'oubliez pas les vues pour un cuisinier, si Mambrun me quitte, ni les consultations de dépense'''.
Je paierais chèrement le traité du P. Le Tellier sur le péché philosophique", que le P. San... estime fort. C'est une matière, qui a une liaison essentielle avec toutes celles de la grâce. S'il y a à Paris quelque chose qui mérite d'être vu, ne craignez point de me demander un peu d'argent. Je vous attends tous deux12en paix, et je serai prêt à ne vous point voir, si vous étiez nécessaires à notre bonne P. D. '3 Mais D[ieu] sait la joie que j'aurai de me voir entre vous deux. Mille amitiés à mademoiselle de Langeron et à ma nièce de Chevry. Je souhaite fort que la dernière nous vienne voir à son loisir. Pour l'autre je ne puis que la porter dans mon coeur devant D[ieu]. J'y porte avec une infinie tendresse mes deux abbés comme mes chers enfants.
770. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A Nic-AUG. DE HARLAY-BONNEUIL
A Cambray, 12 novembre 1701.
Je suis, Monsieur, sensiblement touché de la perte que vous venez de faire'. Elle est grande pour le public, et je sais combien il est rare de trouver dans une place si importante tant d'estimables qualités. D'ailleurs je connais la tendresse et la sensibilité de votre coeur, et je comprends tout ce que vous souffrez dans une si triste occasion. Pour moi, je ne saurais jamais, ce me semble, sentir trop vivement tout ce qui vous touche. Plus j'ai éprouvé votre amitié pour moi', plus j'apprends par votre exemple à quel point on doit s'intéresser pour ses véritables amis. Que ne puis-je, Monsieur, être auprès de vous, pour prendre part à votre douleur, et pour tâcher de l'adoucir! Vous savez d'où peut venir la véritable consolation dans la perte des personnes qui nous sont chères. La religion ne peut nous mieux consoler, qu'en nous apprenant qu'elles ne sont pas perdues pour nous et qu'il y a une patrie, dont nous approchons tous les jours, qui nous réunira tous. Ne nous affligeons donc pas comme ceux qui n'ont point d'espérance'. Je suis privé du plaisir de vous voir, mais je compte sur l'écoulement de la vie, et j'espère que nous nous retrouverons bientôt pour toujours en Dieu. Ceux qui meurent ne sont de même à notre égard qu'absents pour peu d'années, et peut-être de mois. Leur perte apparente doit servir à nous dégoûter du lieu où tout se perd, et à nous faire aimer celui où tout se retrouve. La sincère religion, dont je sais que vous êtes rempli, me fait espérer, Monsieur, qu'un coup si rude vous sera salutaire. Dieu ne frappe que par amour, et il n'ôte que pour donner. Je le prie de vous consoler, de conserver votre santé, pour laquelle je crains dans cette épreuve, et de tourner entièrement votre coeur vers lui. Heureux qui vit de foi', qui ne compte que sur Dieu, qui est en ce monde comme n'y étant plusl Personne ne peut vous honorer du fond du coeur, plus que je le ferai toute ma vie. C'est un sentiment qui me fait plaisir, et je ne puis penser à vous sans attendrissement. Après ces termes, je dois, ce me semble, laisser tous les autres, qui sentiraient la cérémonie. Je vous les dois. Mais je suis sûr, Monsieur, que vous m'en dispensez, et que vous vous contentez d'un coeur dévoué sans réserve.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
F. A. D. C.
773. A MICHEL CHAMILLART
[Sur l'abbaye Saint-André du Cateau-Cambrésis'.]
8 novembre 1701.
775.
A C[ambrai], 9 novembre 1701.
J'ai fait, Madame, une faute ridicule, en oubliant de faire ce que j'avais promis à Mad. la C. D.1 Il s'agissait d'avoir l'honneur de vous écrire. Jugez si cette omission peut venir d'ailleurs que d'un pur défaut de mémoire. Raccommodez-moi, s'il vous plaît, avec la personne à qui j'ai manqué'. Vous n'aurez pas grande peine, car elle me paie de mes fautes par des présents. Si ces lapins sont bons, je courrai risque d'être souvent de mauvaise mémoire. J'aurais à vous demander des nouvelles de M. le C[omte] de M[ontberon3], et des affaires d'Auvergne'. Je voudrais aussi vous dire combien les causes de votre absence m'affligent, et combien vous devez user librement de tout ce qui est à moi. Mais je n'ai que le temps de fermer cette lettre. 776. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
12 novembre 1701.
Je vous envoie une lettre pour notre ami affligé'. Dites-lui pour moi tout ce que les lettres ne peuvent dire. Je n'ai pas eu le temps de mettre le dessus. Suppléez, je vous prie.
Vous savez les honnêtetés de M.' [et] de Mad.' Voysin pour solliciter en faveur du bon abbé de Ch.' Ne pourriez-vous point les voir pour les remercier?
Mambrun est si mal que je ne crois pas qu'il soit en vie dans trois jours. Supposé même qu'il ne mourût point de ce mal, il ne pourrait de très long-
194 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 19 novembre 1701
temps se remettre au travail de la cuisine. Je vous conjure de faire chercher un cuisinier habile et réglé. Si Godin est libre, M. l'abbé de L[angeron] ne peut-il pas nous le prêter en attendant? Il ne faut point donner l'alarme à la femme de Mambrun 5. Nous écrirons demain. Mille fois tout à vous.
Comme ma lettre à l'ami affligé est cordiale, je vous prie de faire en sorte qu'il la brûle après l'avoir lue, et qu'elle ne paraisse point6.
777.
A C[ambrai], 19 novembre 1701.
Vous trouverez, mon cher neveu, que je ménage mal mes intérêts. Mais je crois devoir penser à ceux d'autrui plus qu'aux miens. Mambrun est beaucoup moins mal. Je sais à n'en pouvoir douter, que sa peine serait extrême, s'il arrivait ici un homme qui ressemblât à un successeur. Ce coup serait capable de le faire retomber dans l'extrémité, d'où il n'est encore sorti qu'à demi. Je vois bien qu'un cuisinier habile fidèle et réglé est un trésor, qu'on ne retrouve point. Je compte que je ne suis que le pis aller de Mambrun, et qu'il me quittera dès que sa belle-mère lui cédera sa boutique, ce qu'elle promet de faire l'été prochain '. Mais enfin quelle apparence d'accabler un homme qui revient à peine des portes de la mort ! Je crois qu'il consentirait sans peine à voir venir un aide. Mais l'homme que vous proposez doit être fort au-dessus de cette fonction. S'il était d'humeur de s'accommoder de ce nom, je le traiterais d'ailleurs aussi bien que vos amis le jugeraient convenable. Dans le fond je doute que la santé de Mambrun le laisse longtemps à mon service. D'ailleurs il a des promesses bien positives de sa belle-mère. Voyez bonnement ce que vous pouvez faire et abandonnez le reste à la Providence. Il me tarde bien de vous embrasser, mais non pas seul. Mes amitiés à votre soeur, et mes compliments à M. de Chevry. Tout à vous.
777 A. DOM ALEXANDRE DUVAL' A FÉNELON 20 novembre 1701
de Reims ne possède présentement aucun bien ni aucun domaine dans le Hainaut espagnol et ne peut être sujette à la taxe du clergé du Hainaut 2. Il est vrai qu'autrefois, nous avions un domaine à Cimai, mais il y a plus de vingt ans que nous en avons fait un échange avec les messieurs de l'abbaye de Bonne-Espérance, et il ne reste plus rien dans le Hainaut espagnol à l'abbaye de St-Nicaise. Il est bien vrai que nous avions un domaine de trois cents livres de rentes au villages de Pantelles, aux portes de Philipeville, mais Votre Grandeur sait que ce canton ayant été cédé à la France il y a déjà du temps, nous ne pouvons être intéressés en l'affaire dont elle me fait l'honneur de m'écrire. Ainsi je la supplie de me pardonner si je ne me rends pas à Cambray à ses ordres où mon inclination me porterait pour voir et entendre un prélat dont les grandes lumières jointes à une insigne piété font un très grand honneur et donnent une très grande gloire à toute l'Eglise.
Monseigneur, de Votre Grandeur le très humble et très obéissant serviteur,
F. ALEXANDRE DUVAL,
prieur de St-Nicaise de Reims.
778. A LA COMTESSE DE MONTBERON
[Peu avant le 20 novembre 1701].
... santé, dont la conservation est très importante. Quand vous l'aurez vu, et que vous entretiendrez M. votre fils, vous pourrez pénétrer de quoi il est question'. En attendant, il n'y a qu'à demeurer en paix. Dieu supplée à tout, ou en faisant au dehors ce que nous ne savons pas faire, ou en nous faisant mourir au dedans à toutes les choses, auxquelles il ne lui plaît pas de remédier au dehors.
Ayez bien soin de notre chère pendule'. C'est pour l'amour d'elle seule, que je vous pardonne d'être à Arras. La voie de pure et sèche foi est la plus crucifiante, mais c'est la plus sûre. Il n'y a qu'à ne s'y point décourager. Celle de l'amour sensible et jouissant est délicieuse, mais elle est moins sûre et moins parfaite. C'est à vous à la consoler, à la soutenir, et à lui fournir l'aliment.
Votre amie, qui était d'abord un peu vive sur le voyage de Paris, et sur la facilité de son mari', pour le lui laisser faire, s'est ralentie sans peine. J'en suis édifié. Tout tombe peu à peu. Il n'y a qu'à ne se presser pas, et à laisser faire Dieu.
Je serai dans un véritable embarras pour notre cuisine. Si vous pouviez trouver un fort bon aide, je le paierais et traiterais bien, en attendant ce que Mambrun deviendra.
TEXTE 195
Au MÊME
F. A. D. C.
A St-Nicaise de Reims, ce 19 novembre 1701.
Monseigneur,
Je me serais estimé le plus heureux des hommes si quelque domaine de notre abbaye dans le Hainaut espagnol m'avait donné entrée dans l'assemblée que Votre Grandeur me marque à Cambray le 25 de ce mois, où j'aurais eu l'honneur de recevoir sa bénédiction, de profiter de ses lumières et de travailler à la grande affaire des rentes du clergé'. Mais l'abbaye de St-Nicaise 779. A L'ABBÉ DE BEAUMONT
A C[ambrai], 20 novembre 1701.
Du Breuil' vous dira de nos nouvelles, mon très cher Panta. Mais j'espère qu'avant son retour, vous nous aurez rapporté vous-même des vôtres'. Il me tarde bien de vous embrasser, aussi bien que notre cher petit bonhomme', pour lequel ma tendresse croît chaque jour, quantum vere novo viridis se
196 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 20 novembre 1701
subjicit alnus'. O que j'aurai le coeur élargi, quand je me verrai entre vous deux.
N'oubliez, je vous conjure, ni La Mar.' ni le P. San. pour le péché p[hiloso]phique, ni même Clérembeau pour les tables généalogiques', ni le P. Lamie, encore moins d'autres articles plus importants de votre agenda. Pour un cuisinier, je vous ai mandé hier samedi notre état présent, et ma pensée. Il ne faut plus songer à Godin, puisqu'il est nécessaire ailleurs. Je l'eusse fort souhaité, soit pour chef et pour toujours au défaut de Mambrun, qui ne sera pas longtemps à moi, soit par emprunt passager en attendant que Mambrun et moi nous soyons dégagés l'un de l'autre. Mais encore une fois il n'y faut plus songer, puisque Godin doit être fixe à Paris9.
M. de S. Rémy, quand le verrons-nous? Je n'écris point à la bonne P. D.10 ni à notre petit abbé", n'ayant su le départ de Dubreuil que dans ce moment. Si vous laissez après vous en partant de Paris quelque chose à faire, chargez-l'en afin qu'il vous en rende compte en revenant ici dans une quinzaine de jours' . Faites que M. Ludon '3 se souvienne de faire retirer S. Clem. " et l'écrit qui [est] entre les mains du Gr. M.' Mille et mille amitiés à votre soeur '6 et à nos amis. Tout à vous.
F. A. D. C.
21 novembre 1701 TEXTE 197
Il n'y a rien que j'espère, ni que j'envisage avec complaisance. Mon état ne me pèse point, et je suis surmonté des moindres bagatelles. D'un autre côté les moindres bagatelles m'amusent, mais le coeur demeure sec et languissant. Dans le moment que j'écris ceci, il me paraît que je mens. Tout se brouille. Dans ces changements perpétuels, je ne sais quoi ne change point, ce me semble'.
Je ne sais', si l'on prend garde à Paris que sept mille livres de rente en belles terres d'Auvergne, portables bon an mal an à Paris9, valent plus de deux cent trente mille francs, et même deux cent cinquante mille". Si peu qu'on y joignît de pierreries et de meubles avec l'espérance très solide de l'entière succession, cela ne vaudrait-il pas mieux que Mlle de..., avec cent mille écus sujets à des recherches "? Les terres d'Auvergne s'estiment communément au denier quarante, et ne se vendent guère moins. Vous n'avez pas tant besoin de revenu que d'autres pendant la vie de M. le C. de M[ontberon] qui a de gros appointements de charges 12. Ce serait un engagement pour garder souvent votre belle-fille auprès de vous ". La mère est hors d'apparence d'avoir des enfants. Il est naturel que cette famille s'affectionne à la vôtre. Si le père et la mère vivent ensemble encore un peu de temps, ils verront des enfants qui les attacheront. Le péril diminuera tous les jours, et l'espérance augmentera. Sans ce péril, ces gens-là trouveraient les plus grands partis 14.
780. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai], 20 novembre 1701.
Je ne crois point, Madame, que vous deviez vous gêner pour aller chercher les compagnies, mais seulement qu'il ne vous convient point de reculer quand les gens vous cherchent. Pour vos habits je ne vous demande aucune attention forcée. Contentez-vous de suivre la médiocrité et la bienséance, quand les avis d'autrui ou vos propres vues vous font penser.
Il me tarde bien de savoir l'état présent de notre mariage. Je le souhaite autant que je puis souhaiter ce que je ne sais point s'il est de la volonté de Dieu. Mais je vous avoue que je m'affectionne pour notre beau-père'. S'il compte qu'au défaut des deux cent mille francs de... 2, il trouvera vos biens et ceux de M. le C. de M[ontberon 3] pour la sûreté du douaire, etc., je souhaite fort qu'on prenne des mesures justes, afin qu'il ne coure pas risque de se mécompter. Pour M...4, il ne peut être que très bien reçu. Si l'affaire réussit, il sera triomphant, et vous savez combien on est d'humeur d'applaudir à ceux qui triomphent. Si au contraire tout va mal, je me croirai en obligation de le consoler. Quoi qu'il arrive il mérite de grandes louanges. L'affaire est excellente, possible, bien conduite. Le coeur de M... s attendrit le mien. Le malheur ajoute au mérite' un nouveau lustre.
Je n'ai rien à vous dire aujourd'hui de moi. Je ne sais qu'en dire ni qu'en penser. Il me semble que j'aime Dieu jusqu'à la folie quand je ne cherche point cet amour. Si je le cherche, je ne le trouve plus. Ce qui me paraît vrai en le pensant d'une première vue, devient un mensonge dans ma bouche, quand je le veux dire. Je ne vois rien qui soulage mon coeur, et si vous me demandiez ce qu'il souffre, je ne saurais vous l'expliquer. Je ne désire rien.
A LA MÊME
A C[ambrail, 21 novembre 1701.
Je ne puis m'empêcher, Madame, de vous envoyer les deux lettres que j'ai reçues, l'une de M. le comte de Monbron, et l'autre de Mad. d'Oisy. Vous verrez dans l'une et dans l'autre une candeur et une bonté touchante. Je suis ravi que le mariage ne soit point rompu par un mécompte de la part de Madame votre soeur'. Le procédé de M. votre fils vaut cent fois mieux que toutes les fortunes les plus éclatantes'. Je ne comprends rien à celui de M. de Colombines'. Sa femme et lui sont-ils de concert pour vouloir chacun se remarier, en cas de mort de l'autre?
Mandez-moi votre pensée sur ce voyage de Mad. d'Oisy à Paris. Je ne le goûte point. Il n'est pas nécessaire pour remercier. Elle n'a que trop son excuse. L'affaire même est trop incertaine et trop partagée, pour mériter tant de pas. S'il lui en revient quelque bonne somme, c'est ce qu'on ne pourra savoir de longtemps. Les frais du voyage seraient réels et grands; les profits petits et incertains°. Elle doit épargner les frais de son voyage à ses créanciers. Ce voyage pourrait réveiller les mauvais rapports, et les ombrages de M. d'Oisy. Je craindrais même que ce voyage ne facilitât la prétention d'entrer chez Madame'. Tout cela ne me plaît point. Mais il me semble qu'on peut lui conseiller d'attendre de voir clair dans le revenant bon6, et en attendant de ne parler plus d'aller remercier. Je laisserais le reste à la Providence, et j'attendrais que la grâce la disposât peu à peu à laisser tomber cette pensée. Ayez soin de notre excellente pendule'. C'est à vous à la monter. Le coeur est droit et réglé, mais sec. Il faut lui donner un peu d'onction au dedans.
781.
198 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
novembre 1701 TEXTE 199
[novembre 1701]
781 A.
DOM G. GERBERON A FÉNELON
[novembre 1701].
Monseigneur,
Un inconnu se donna l'honneur, il y a deux ou trois ans ', d'écrire à votre Grandeur, pour lui marquer d'une part avec quelle joie il voyait qu'elle soutenait le pur amour de Dieu avec une fermeté inébranlable; et de l'autre, avec quelle douleur il remarquait dans ses écrits des principes extrêmement opposés à ceux de saint Augustin, à qui les papes nous renvoient pour apprendre de lui quelle est la doctrine de l'Eglise Romaine touchant le mystère de la grâce'. Lorsque le foudre' du Vatican eut écrasé son premier ouvrage, sans avoir touché ceux où l'auteur s'était expliqué d'une manière très claire et très irréprochable': le même inconnu prit encore la liberté de suggérer à V.G. les moyens d'empêcher l'effet de ce foudre s, et qui l'auraient détourné immanquablement, dans un autre temps que celui où la France oubliait toutes ses libertés et ses privilèges, lorsqu'il s'agissait ou des Jansénistes ou de M. de Cambrai, contre qui tout était reçu. Un théologien à qui il est parfaitement uni de sentiments, et avec qui il a une étroite liaison', publia en même temps une Lettre adressée à M. de Meaux', dans laquelle il démontrait que V.G. n'a point tenu les erreurs ni les fausses maximes qu'on lui a imputées, et que ce n'est point au sens qu'elle a soutenu, qu'on a condamné son livre et les vingt-trois propositions que l'on prétend en avoir été tirées. Mais il a quelque crainte de n'avoir pas été heureux à distinguer votre véritable sens d'avec celui qui a été condamné; et la raison de sa crainte est qu'on lui a dit que V.G. ne témoignait pas approuver cette démonstration, puisqu'elle abandonnait cette Lettre et n'en faisait point chercher d'exemplaires'.
C'est le même inconnu, Monseigneur, qui après avoir reçu votre bénédiction dans une occasion imprévue' vient encore aujourd'hui se présenter à vous pour se plaindre de la liberté avec laquelle il voit que l'on continue de vous imposer les erreurs, les impiétés, et les extravagances qui ont été condamnées dans les vingt-trois propositions. Il vient de lire les six lettres des délibérations de la Sorbonne contre Confucius, et il y a trouvé que l'on y fait passer dans une ce qui a été condamné dans ces propositions, pour les erreurs de M. de Cambrai". Il a encore lu cette année un nouveau livre intitulé: Le Chrétien philosophe", qui est une satire contre le pur amour et contre ce prélat que l'on fait passer pour un fanatique, et un Quiétiste séduit et qui séduit les autres. Il a lu aussi les résultats des assemblées synodales des évêques de France au sujet de la censure de votre livre. Et il y remarque que l'on n'y loue la soumission avec laquelle V.G. a déclaré qu'elle la recevait, que comme une confession et une rétractation publique des erreurs qui sont condamnées dans les vingt-trois propositions, et comme un aveu solennel que vous les avez tenues et enseignées. Il est vrai qu'il trouve que vous avez déclaré très positivement dans votre assemblée, que votre conscience ne vous permettait pas de croire, ni par conséquent d'avouer, que vous ayez jamais tenu aucune erreur. Cette déclaration a donné à votre inconnu plus de joie qu'on ne le peut dire. Mais, Monseigneur, y a-t-on fait la moindre attention dans les assemblées suivantes? N'y a-t-on pas continué, malgré elle, de vous attribuer les erreurs à la condamnation desquelles vous aviez déclaré que vous vous soumettiez sincèrement et sans réserve? Ceux qui vous honorent, Mon- seigneur, et qui aiment la vérité, auraient souhaité que vous n'eussiez jamais déclaré votre soumission à la censure, sans protester qu'elle ne tombait point sur vos sentiments, comme vous les aviez expliqués au Saint Siège, qui n'y a rien trouvé qui méritât d'être condamné. Ils souhaitent encore aujourd'hui que vous fassiez retentir cette protestation partout où l'on a fait éclater cette censure'. C'est ce qu'ils croient que V.G. doit indispensablement à la vérité, à l'Eglise, et au rang qu'elle y tient. Vous pouvez être insensible à ce qui ne regarde que la réputation de votre personne particulière: mais il n'y a point de Pères ni de théologiens qui ne fassent à tous les chrétiens, et surtout aux prélats, dont la foi et la religion doivent affermir celles des fidèles, une obligation indispensable d'en rendre témoignage, et de ne souffrir jamais qu'on flétrisse leur réputation par un endroit qui leur doit être si sensible, et en quoi consiste la véritable gloire d'un disciple du Fils de Dieu. Il est sûr, Monseigneur, que si vous ne protestez hautement, vous et vos amis, que vous n'avez tenu ni enseigné aucune des erreurs ni des fausses maximes qui ont été condamnées dans les vingt-trois propositions, et que la censure qu'on en a faite, à laquelle vous vous soumettez, ne tombe nullement sur le sens auquel vous les avez avancées et soutenues, et que vous avez expliqué, mais sur le sens auquel les dénonciateurs les ont déférées et qu'ils leur ont donné '3, tous les fidèles croiront et tous les auteurs écriront que M. de Fénelon a été un fanatique et un chef des Quiétistes, dont l'Eglise a condamné les erreurs, qu'il a lui-même reconnues. Et V.G. peut le faire sans s'embarrasser en de nouvelles contestations, ne prétendant point donner d'autre preuve de la pureté de vos sentiments et de la sainteté des maximes que vous avez enseignées, que les écrits où vous vous en êtes expliqué au Saint Siège. C'est où V.G. se doit retrancher contre tout ce que ses adversaires pourraient dire ou écrire contre ses protestations' 4.
Le théologien qui a donné au public trois Lettres adressées à M. de Meaux" pour la défense du pur amour et des sentiments de V.G., a entre ses mains diverses pièces qui en sont une entière apologie. Et il les aurait déjà publiées; mais comme les libraires ne s'en veulent pas charger, parce que, disent-ils, ces disputes étant passées, ils craignent de n'en avoir pas le débit; et que d'ailleurs ce théologien n'a pas autant d'argent qu'il a de zèle; je 16 me suis engagé d'écrire à V.G. que, si quelqu'un voulait avoir la bonté de faire remettre à quelque marchand de Hollande ou à M. Frix '', que l'on dit qui a l'honneur d'être connu d'elle'', la somme de quatre cents florins pour celui qui lui ferait mettre entre les mains toutes ces pièces, on les ferait imprimer incessamment, sans que personne puisse jamais savoir que V.G. y ait eu aucune part et en ait eu aucune connaissance ". Néanmoins, afin qu'elle sache ce que l'on traite dans ces pièces, V.G. en trouvera ici les titres et la liste". V.G. doit être assurée que, dans tous ces écrits, on ne dit rien contre Rome, ni contre la censure; on soutient seulement qu'elle ne tombe point sur ses sentiments. Et si elle souhaite de voir tous ces écrits, on se fera un plaisir de les lui envoyer, et de lui en laisser la disposition.
Votre inconnu qui est persuadé que V.G. a conçu de l'amour pour saint Augustin, dans lequel on trouve la doctrine catholique de la grâce et la morale chrétienne, m'a chargé de faire tenir à V.O. deux petits écrits nouveaux où l'on montre évidemment que les vérités que ce saint docteur a défendues contre les Pélagiens sont des suites nécessaires des premiers princi-
200 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 3 décembre 1701
pes de la religion chrétienne, que personne ne conteste, et que nul fidèle ne saurait contester sans renoncer sa foi' ' ; et que loin que ces sentiments mènent au désespoir, ils fortifient la confiance que Dieu veut que nous ayons en sa miséricorde". Que V.G. ait la charité de la demander pour celui qui est, avec autant de respect que de sincérité, ce que lui doit être le moindre des prêtres et son plus attaché et fidèle serviteur.
Si V.G. a la bonté de me faire savoir sa disposition sur ce que j'ai pris la liberté de lui écrire, elle peut en faire adresser un billet à M. Frix à Brusselle pour le remettre à celui qui le lui fera demander.
782. A DOM G. GERBERON
3 décembre 1701.
J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire. Quoique je ne connaisse ni votre personne ni votre nom, je suis aussi sensible aux marques de votre amitié, que si je vous voyais tous les jours. Plus vous êtes inconnu à mon égard, plus je suis touché du désintéressement de votre zèle pour une personne avec qui vous n'avez nulle liaison humaine. Dieu sait combien je voudrais vous témoigner ma reconnaissance pour une action si louable. Venons au fond des choses.
Vous me proposez d'envoyer de l'argent pour l'impression d'un ouvrage fait pour justifier ma foi. Je suppose que cet ouvrage est tel que vous le dépeignez, qu'il traite solidement les véritables questions, qu'il ne justifie que mon sens, et qu'il ne défend ni directement ni indirectement celui de mon livre condamné. Vous pouvez croire que l'argent est ce qui me coûterait le moins, quand il s'agit d'une chose si importante. Mais autant j'ai eu d'application à écrire pour me défendre avant le jugement de Rome, autant suis-je attaché, depuis le jugement, à me taire, à souffrir en paix, et à abandonner ma réputation à la Providence.
Vous avez lu, sans doute, mes deux Lettres sur douze propositions' que beaucoup de docteurs de Paris avaient jugées dignes de censure. Je suppose que vous avez lu aussi le recueil de trente-deux Propositions que je tâchais de justifier par les autorités des saints'. Le véritable sens dans lequel j'ai eu intention d'écrire y est expliqué. Ces ouvrages, et mes autres écrits apologétiques, ont été vus à Rome, à Paris, et partout ailleurs. J'ai protesté devant Dieu, dans tous ces écrits, que je n'ai jamais rien cru au-delà de ce qu'ils contiennent, et que je n'ai voulu favoriser aucune des erreurs qu'on m'avait imputées. Depuis le jugement de Rome, j'ai répété la même déclaration solennelle dans le procès-verbal de notre assemblée provinciale, qui n'est pas moins public que les procès-verbaux des autres provinces, et que les actes mêmes de l'assemblée générale du clergé de France'. Que pourrais-je ajouter à tant d'éclaircissements, que des répétitions inutiles? Qu'y a-t-il d'équivoque dans cette conduite?
J'aimerais mieux mourir que de défendre directement ou indirectement un livre que j'ai condamné sans restriction et du fond du coeur par docilité pour le Saint Siège. Tout ce que j'écrirais sur mon sens personnel, en mettant à part le sens du texte, serait regardé comme une voie détournée pour rallu-
TEXTE 201
mer la guerre, et pour rentrer dans l'apologie de mon ouvrage. Il n'est ni juste ni édifiant qu'un auteur veuille perpétuellement occuper l'Eglise de ses contestations personnelles, et qu'il aime mieux continuer le trouble sans fin, que de porter humblement sa croix. Quand on n'écoute point un évêque sur ses propres intentions, qu'il a tant de fois expliquées par écrit, à quel propos parlerait-il encore? Il n'y a plus pour lui ni édification à donner, ni dignité à soutenir, que dans un profond silence. Je sais trop ce que l'Eglise souffre du scandale de telles disputes', pour vouloir les renouveler par une délicatesse de réputation. Dieu aura soin de l'honneur de son ministre', s'il daigne s'en servir pour le fruit du ministère dans ce diocèse. Il me semble même que les gens neutres et équitables sont édifiés de mon silence, et ne doutent point de ma bonne foi dans toute cette affaire. Nul écrit ne persuaderait ceux qui ne voudraient pas être persuadés.
Vous comprenez bien, Monsieur, qu'il y aurait une duplicité indigne d'un chrétien, à ne vouloir plus écrire moi-même, et à être en secret de concert avec un étranger qui écrirait pour moi. Ainsi j'espère que vous ne serez ni peiné, ni surpris de la résolution que j'ai prise de ne prendre aucune part ni directe ni indirecte à aucun ouvrage sur cette matière. Je n'ai pas moins de sensibilité' pour vos offres, que si je les acceptais.
Au reste, personne n'aime et ne révère plus que moi la doctrine de saint Augustin. Je puis, comme vous le croyez, l'avoir mal entendue. Si je voyais que je me fusse écarté de ses sentiments, je crois que je ne chercherais qu'à réparer ma faute; mais après avoir lu et relu, avec toute l'application dont je suis capable, les ouvrages de ce Père auxquels vous voulez me ramener, je ne me suis pas aperçu que je les aie contredits en rien. Je me borne à faire, pour le texte de saint Augustin, comme pour celui de l'Ecriture: c'est lui rendre le plus grand respect. Je ne veux point l'expliquer par mon propre sens: je l'explique, dans tous les endroits contestés, par les décisions formelles de l'Eglise'. Je suis, etc.
783. Au DUC DE CHEVREUSE
A C[ambrai] 3 décembre 1701.
J'ai reçu avec joie, mon bon et très cher Duc, vos deux lettres. On ne peut être plus persuadé que je le suis du progrès de l'impiété et du pressant besoin de quelque remède pour arrêter les esprits. Mais rien n'est plus difficile que de donner au public un ouvrage proportionné aux différents caractères des hommes. Pendant que vous vous proportionnerez aux impies pour les ramener ', vous scandaliserez les dévots' ou blesserez les théologiens critiques. Un ouvrage si étendu, si difficile, si délicat, qui demande tant de preuves de divers genres mérite un long travail et d'exactes corrections. Ma situation convient à cette lenteur. Il ne me convient point d'imprimer et de me donner en spectacle. Le besoin pressant ne doit pas décider tout seul. Il faut attendre les ouvertures de Providence, qui sont les dernières marques de vocation'. Cependant je puis préparer peu à peu les choses et les faire d'autant mieux
3 décembre 1701
202 CORRESPONDANCE DE FÉNELON [entre le 8 et le 15 décembre 1701]
que je les presserai moins. J'ai un engagement inévitable qui m'occupera cet hiver', outre diverses courses que je serai contraint de faire en divers endroits pour les besoins de mon diocèses, et qui interrompront mon travail. Je veux bien écrire, mais il ne me convient pas d'imprimer. Pour les matières de la grâce, je ne songe à rien donner au public, mais je crois que je ne puis trop approfondir l'examen de cette matière. Ce n'est pas ce qui m'occupe actuellement. Plus on examine la grâce, plus on est étonné de tout ce qu'on lit. Je serai ravi de vous entretenir. D[ieu] sait quelle consolation ce sera pour moi. Mais je ne veux point que vous fassiez aucun pas précipité. Vous savez que le lien qui nous unit nous arrête là-dessus. Comme on ne s'aime qu'en D[ieu] on ne veut se voir qu'autant qu'il arrange les choses pour se voir dans son ordre. Ne faites donc rien ni par générosité naturelle, ni par bienséance, ni par goût, ni par empressement d'amitié. Ne venez que quand D[ieu] vous mènera, et que les hommes ne vous arrêteront point'. Je demeure intimement uni à vous, mon très cher Duc, et je vous souhaite tout ce que D[ieu] donne quand on a le coeur pleinement ouvert pour recevoir sans mesure.
F. A. D. C.
Si le mariage dont il s'agit vous convient pour le bien et pour la personne, indépendamment de l'espérance du duché', j'en serai ravi. Vous avez un homme titré, qui a passé devant, pour vous aplanir le chemin'. Le prétendu beau-père a de fort bonnes choses9 que sa faveur ne doit pas empêcher de voir i°, mais prenez garde de bien près à la jeune personne qu'on vous donnera.
J'enverrai au plus tôt un écrit du temps passé que j'ai retouché et augmenté ". Il me paraît propre pour P. P. '2, en attendant autre chose. Les principales vérités de la philosophie mixte s'y trouvent avec celles de métaphysique qui regardent le pur esprit sans imagination' .
784. A LA COMTESSE DE MONTBERON
[entre le 8 et le 15 décembre 1701]
Je me réjouis, Madame, de l'heureux accouchement de Madame la comtesse de Souastre', et j'en remercie Dieu de tout mon coeur. Mais je ne cesse point d'être en peine de votre santé. Vous avouez qu'il vous reste une petite fièvre. Elle ne peut être que dangereuse dans un état d'épuisement et de langueur. Vous ne dites rien des eaux de Spa, que M. Bourdon' vous conseillait. Je vous conjure de suivre ses conseils et de ne rien négliger pour le rétablissement de votre santé. Pour Madame la comtesse de Souastre, je lui souhaite après sa couche assez de santé et de calme pour pouvoir s'accoutumer un peu à suspendre les occupations extérieures, et à ne s'occuper que de Dieu dans des temps réglés. Elle sentira combien l'oraison nourrit le coeur, détache du monde, et prépare à faire en paix toutes les choses extérieures, qui sont dans l'ordre de la Providence. Vous la persuaderez mieux que personne, en lui racontant vos expériences.
Je souhaite fort pour Mad. d'Oisy, qu'elle puisse aller au plus tôt vous voir. C'est lui souhaiter consolation et profit. De plus j'espérerais qu'elle
TEXTE 203
prendrait soin de vous bien gouverner pendant que Mad. [votre fille] ne peut le faire. J'espère que nous verrons avant la fête' Monsieur le comte de Monbron. Je prie l'amour qui s'est incarné d'opérer son mystère en vous dans cette fête d'anéantissement, d'enfance, et de vie toute cachée.
785. A MAIGNART DE BERNIÈRES
A Cambray, 9 décembre 1701.
J'ai reçu, Monsieur, une lettre de M. de Chamillart à peu près semblable à la vôtre. Ma réponse se réduit à lui représenter, que notre clergé du département de M. de Bagnols a offert dès le mois d'octobre 30.000 livres', et que lui M. de Chamillart, a eu la bonté de les accepter au nom du Roi, que le clergé après cet engagement n'a pas cru qu'il lui restât aucune démarche à faire, et que je lui promets qu'il n'entendra parler de nous, que pour savoir que nous payons bien.
Pour la manière de lever cette capitation', notre assemblée de Cambray m'a fait, Monsieur, les dernières instances, afin que nous ne nous livrassions jamais à aucun receveur laïque. Vous comprenez mieux que moi les dangereuses conséquences de cet engagement, et vous ne serez pas étonné que notre clergé alarmé cherche de grandes précautions à cet égard. Dans cet esprit notre assemblée a réglé les choses de manière qu'il ne paraît aucun receveur général en titre, mais que les divers corps conviennent entre eux de celui qui lèvera les taxes communes, et qui m'en rendra compte. Cet ordre ne me paraît pas mal établi de ce côté-ci, et je prends la liberté de vous proposer pour le vôtre à peu près la même règle, pour garder l'uniformité convenable.
Vous n'avez que trois abbés et les Dames de Maubeuge, qui soient des têtes considérables'. Ces quatre têtes paient bien*. Ils n'ont qu'à convenir entre eux de celui qui aura soin de donner la somme commune à l'homme que vous aurez chargé du recouvrement pour le Roi, et qui aura pouvoir de donner quittance. Vos deux doyens de Maubeuge et d'Avesnes5 lèveront facilement le reste, chacun dans son district, et paieront de même à l'homme que vous désignerez. Mais il serait fort à désirer, Monsieur, qu'on pût suivre le conseil que vous m'aviez fait la grâce de me donner pour éviter les non-valeurs. Ce serait de mettre le total des sommes un peu au-dessus de celle qu'on a promise au Roi. L'excédant servirait à donner une petite gratification aux deux doyens pour leur peine de la levée, pour les ports de lettres, pour les frais de poursuites, qu'on peut être contraint de faire, et pour des pertes qui peuvent arriver sur des particuliers qui meurent sans bien pour payer. Si vous voulez bien, Monsieur, régler sur chaque article une petite augmentation par proportion au tout, et me faire l'honneur de me l'envoyer, je signerai et arrêterai l'état avec vous. Alors on ne pourra plus varier, et l'ordre sera établi, afin que le Roi soit bien payé sans crainte de mécompte ni de retardement. En même temps notre clergé n'aura rien à craindre pour les conséquences, par rapport à des établissements de receveur.
Je compte de m'approcher de vous dans peu de jours. Mais il ne convient pas que j'aie l'honneur de vous voir dans cette occasion°. C'est de quoi je
9 décembre 1701
204 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 15 décembre 1701
suis véritablement fâché. Mais j'espère m'en dédommager dans la suite. Je ne saurais vous exprimer, Monsieur, avec quels sentiments je vous honore, ni avec quel zèle je suis, pour toute ma vie, votre très humble, et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
786. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai] 15 décembre 1701.
Je vous envoie, Madame, la lettre que je viens de recevoir. Vous y verrez de très bons sentiments, et un triste état. Mais Dieu sait mettre tout à profit. Mad. d'Oisy' eût été ravie d'aller faire la cérémonie pour Mad. la maréchale de Boufflers', par rapport à vous et à Madame la comtesse de Souastre; mais vous savez combien elle est en tutelle'. Il y a des moments où sa patience paraît à bout; mais son naturel courageux et un sentiment de religion la soutiennent. On va encore bien loin, dit le proverbe, depuis qu'on est las. Pour moi je suis fort content des nouvelles que M. Bourdon me donne de votre santé. Il assure que votre mal est fini, et que vous êtes en très bon chemin. Dieu le veuille! mais je me défie un peu de vous. Ce n'est pas sans fondement. Vous avez, par scrupule et par délicatesse, des réserves, des duplicités, des indocilités, comme d'autres en ont par intérêt. Si vous deveniez ingénue et simple sur vos besoins, je croirais que vous auriez plus sacrifié à D[ieu] que si vous aviez souffert cent martyres. Tournez votre scrupule contre le retardement d'un sacrifice qui ferait tant de plaisir au coeur de Dieu. Le vrai amour hésite-t-il, quand il s'agit de plaire au bien-aimé? Vous ne lui voulez donner que des privations de soulagements dont vous avez un vrai besoin, et qu'il ne veut point recevoir. Mais pour le sacrifice de vos réflexions superflues, de vos raisonnements subtils, de vos délicatesses d'amour-propre, de vos pratiques de propre volonté, vous savez bien que c'est ce qu'il demande, et vous le lui refusez toujours sur de beaux prétextes. Je vous demande sérieusement et absolument que vous ayez soin de vous, comme vous auriez soin de Mad. la C[omtesse] de Souastre. On dit qu'elle se porte bien, et j'en ai une sensible joie. Je prie pour elle, et je désire fort sa sanctification aussi bien que la vôtre.
Monseigneur,
Votre conduite cadre si bien avec la sagesse, et il y reluit aussi tant de bonté, que quoiqu'il s'y rencontre de certaines circonstances que je souhaiterais qui n'y fussent pas, j'aime mieux penser à ce que vous jugez bien qui m'en plaît, et vous en remercier très humblement comme je fais de tout mon coeur, que de vous entretenir ennuyeusement du chagrin que je sens de la résolution que vous prenez de garder avec moi un éternel silence. J'ai reçu cette triste déclaration dès le matin du premier jour de ce mois de décembre.
TEXTE 205
Ainsi elle n'a été que 5 ou 6 jours en chemin. Elle est venue assez tôt pour me faire résoudre à ne plus chercher de moyens de vous montrer ce que vous m'assurez que vous ne pourriez voir sans quelque douleur; car il n'y a rien que j'appréhende tant que de vous en causer, mon cher Monseigneur ! Mais comme il y a présentement de cet ouvrage que vous ne voulez pas voir trois ou quatre manuscrits de mon écriture sans les copies que l'on en a tirées à mon insu qui se feuillettent en divers lieux', je vous demande par avance très humblement pardon s'il arrive que vous les entendiez quelque jour louer à Cambray. J'aurais pris des précautions pour vous préserver de cette affliction, si j'avais su plus tôt que ce vous en serait une. Je ne pouvais pas deviner cela. Et je ne comprends pas encore ce qui peut vous affliger dans la communication que je fais de cet innocent ouvrage, qui ne s'écarte en rien ni de la vérité ni de la charité divine, ni de la concorde fraternelle, ni des limites de l'obéissance soit divine, soit humaine. Si vous croyez que si, que je m'écarte sur son sujet de l'obéissance humaine, rendez-vous s'il vous plaît attentif à ce que je m'en vais vous dire pour vous ôter cette opinion et vous guérir de ce scrupule si vous l'avez.
Il y a deux raisons qui me disculpent de toute désobéissance dans la manufacture de mon parallèle. La première, c'est qu'il était fait et prêté avant les mandements. La seconde, c'est que je suis encore en droit de prétendre cause d'ignorance d'eux. Je me souviens que j'ai mandé une fois à Votre Grandeur, je pense que ce fut au mois d'avril ou de mars que vers le commencement du carême de cette année 1701, il était arrivé ici un certain événement, etc.
Cet événement fut une distribution de quelques papiers que M. notre évêque après s'en être longtemps laissé solliciter par des personnes qu'il ne put enfin contredire, se résolut il y a près d'un an de faire dans son diocèse. Mais par bonheur pour moi le nombre de ces feuilles imprimées fut si succinct, qu'il ne s'en trouva point de reste pour nous et on ne nous en envoya point. Personne ne s'est avisé chez nous de se plaindre de cette chicheté comme on s'en serait plaint s'il eût été question d'une Bulle de jubilé, ni de demander d'avoir part à un présent si extraordinaire plus appauvrissant qu'enrichissant. Si quelque jour quelqu'un parlait de cette omission à M. d'Evreux, il pourrait répondre en riant que nous ne sommes pas dans la réputation d'être si spirituelles ni d'une si sublime dévotion qu'il ait cru que nous eussions besoin de telles précautions. De quelque cause qu'ait procédé cet oubli que je n'ai fait remarquer, et dont je n'ai témoigné ma joie qu'à vous, Monseigneur : et à une autre personne qui se chargeait de mes écrits: je le regarde comme un effet très obligeant de la providence de Dieu envers moi, qui a voulu épargner à ma faiblesse l'obligation d'obéir, et la tentation de désobéir à des commandements désagréables, lesquels Dieu merci ne m'ont point été envoyés ni signifiés ecclésiastiquement, et dont je pense que mon prélat ne se soucie guère que je sois instruite.
Je ne sais s'il a lu mon traité sur l'amour désintéressé, comme il en a un peu lu d'autres, mais au moins il sait bien que j'ai fait aussi celui-là et que je le communique: on en a quelquefois parlé tout haut à sa table, et il n'en fait semblant de rien. Il y a quelquefois loué par occasion ma probité et mon exactitude à nos observances, en excusant la douceur de la morale qui se rencontre dans mes traités sur l'état monastique, qui n'est pas à la vérité si rigoureuse que celle des trappistes; de laquelle l'effroi que j'en eus me fit prendre
16 décembre 1701
786 A. ANTOINETTE JAMET A FÉNELON
Le 16 décembre 1701.
206 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 16 décembre 1701
la plume il y a environ quinze ans pour me prémunir par de bons raisonnements contre la tentation que leur rigide doctrine me suggérait de détester la profession religieuse. Mon Abbesse d'aujourd'hui ne me dit ni bien ni mal de mes livres. Mais la défunte faisait plus. Car aimant beaucoup la lecture elle les a tous lus et approuvés : et même celui que j'ai composé sur l'obéissance , quoique je n'y accorde point aux supérieurs le pouvoir de faire à leur gré des commandements sous peine de péché mortel. Cette dame d'un grand esprit naturel et d'une grande érudition acquise goûta mes raisons, et ne me sut point mauvais gré de les avoir écrites. Elle n'a pu voir que le commencement de mon dernier manuscrit qui n'était pas achevé lorsqu'elle mourut le 22 octobre 1698. Elle me conseilla bonnement de changer dans l'avertissement deux ou trois mots qui lui semblaient trop tendres pour une novice qui ne se doit pas montrer plus partiale d'un côté que de l'autre; et elle approuva tout le reste.
Je ne cache à personne l'estime singulière et l'affection toute sainte que je vous porte, Monseigneur! Je l'ai déclarée même tout ouvertement au père Mabillon qui passa il y a quelque temps par Evreux2, et qui me fit l'honneur de me venir voir quoiqu'il y eût plus d'un an que je fusse avertie qu'il n'était pas des plus cambrésiens d'entre nos pères. Personne n'ignore ici le grand cas que j'ai toujours fait de vos livres: le plaisir que j'ai pris à lire tous ceux que j'ai pu attraper : mon application à écrire votre Apologie. Car après en avoir préparé les brouillons dans ma chambre entre les intervalles de mes six heures d'assiduité au choeur, j'étais contrainte bien souvent de les aller transcrire correctement dans la chambre du tour, où je suis obligée par ma charge de passer 3 heures par jour en la compagnie de deux ou trois autres de mes compagnes, et de je ne sais combien d'autres gens au dehors tant pauvres que riches qui vont et viennent sans cesse, et à qui il faut continuellement parler par deux grilles qui y sont. Tous ces gens-là me voyaient écrire en leur répondant, et celles qui tournaient autour de moi, jetant les yeux sur mon papier y apercevaient votre nom en divers endroits et reconnaissaient bien à cette marque jointe à d'autres que c'était à des réflexions sur votre mérite que je m'occupais. Il n'y a que la liberté que j'ai prise, Monseigneur, de vous écrire des lettres à vous-même, et le bonheur que j'ai eu d'en recevoir deux de votre part dont je fais un secret ici à tout le monde, de peur comme je vous l'ai déjà mandé, que l'éclat que cette correspondance connue me donnerait, n'excitât des voleurs à me la ravir; en arrêtant peut-être toutes mes lettres jusqu'à ce qu'ils en eussent attrapé des nôtres, pour en troublant notre correspondance la faire ainsi finir. Depraedari ergo desiderat, qui thesaurum publice portat in via. Cette crainte et le motif qui me fait cacher comme un trésor les secrets entretiens que nous avons ensemble, n'a rien de désobligeant pour Votre Grandeur. Au contraire c'est à cause que vous êtes grand que l'on serait plus curieux de voir vos lettres, et assez envieux pour me les dérober : de quoi les plus malins ne seront point tentés tant qu'ils ne soupçonneront point que nous nous écrivons.
Ce que j'ai entrevu et remarqué de la générosité de votre coeur dans tout ce que je sais de vous me fait très facilement ajouter foi à ce que vous avez eu la bonté de me faire écrire; que si vous étiez à portée de me rendre quelque petit service vous le feriez avec joie. Mon esprit n'agit point académiquement sur cette proposition. Je ne refuse point de croire vraie au premier mot cette
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charitable disposition de votre volonté à mon égard que je désire tant qui le soit vraie à cause seulement de la cause qui la produit qui est votre bonté,
et non pas pour aucun effet que j'en attende. Dieu me fait la grâce d'avoir suffisamment tout ce qui est nécessaire à une personne de ma sorte, et il me fait aussi celle de n'avoir plus guère de désirs réels et véritables. Pour des imaginations et des velléités je n'en ai encore que trop. Mais elles ne me servent ordinairement que de divertissement et non pas de tourment comme font la plupart des vrais et obstinés désirs. Que si vous avez quelque envie de voir un peu clair dans mes imaginations et mes velléités, je veux bien, Monseigneur, vous en confesser deux.
Si je n'avais que 20 ans, ou si étant plus âgée j'avais sur les deniers du Roi ou sur ceux de ma famille une pension suffisante pour me fournir de pain et d'habits sans être à charge à personne en quelque lieu que je me retirasse: je roulerais encore plus souvent et plus vivement que je ne fais dans mon imagination l'idée du bonheur que ce me serait de dépenser sobrement cette pension avec mon Amie, une servante, et des livres dans un ermitage contigu à votre chapelle; où après avoir psalmodié matines, laudes, primes et tierce je pourrais par un trou grillé vous regarder dire la messe, et y recevoir votre bénédiction au travers de ma grille, laquelle en d'autres heures me servirait encore de parloir pour vous entretenir tête à tête de mes petits secrets en vous parlant tout bas comme à mon supérieur et à mon directeur. Que si cette prison érémitique se trouvait assez ample pour y contenir quelque pensionnaire de votre choix, d'une humeur aussi solitaire et aussi propre à se passer de tout le monde que je le suis, elle ne se trouverait peut-être pas mal d'y demeurer recluse avec moi: car je puis dire sans mensonge si ce n'est pas sans vanité que je suis d'une humeur commode, et ce n'est point par l'impossibilité de compatir aux faiblesses des autres et de supporter les imperfections du prochain que j'ai toujours aimé la solitude et soupiré dès l'âge de neuf ans après un ermitage. Je sais socratiquement souffrir tous les désagrements domestiques autant patiemment qu'aucun autre philosophe imitateur de Socrates, pour ne me pas comparer à de plus grands saints! quoique je ne désavoue toutefois pas que l'exemption de telles importunités me plairait davantage que ne fait leur souffrance. J'en patis cependant partout où je me trouve un peu moins que bien d'autres, parce que je ne m'étonne point d'elles, et que je ne m'y applique guère; ne m'étant jamais vue en place ni en obligation de contredire personne ni de rien réformer; obligation de laquelle je ne voudrais pas me charger pour cent mille livres de rente; ni préférer l'opulence et tous les honneurs d'une crosse à la demie solitude que je me suis ménagée au prix de quelques reproches que m'en font souvent mes compagnes dans notre monastère abbatial où il se rencontre toujours assez d'improbateurs qu'on laisse dire, mais peu de maîtres qu'on soit obligé d'écouter : et je ne pourrais pas me résoudre à quitter le poste tranquille où je vis ici, pour toute autre chose que pour un ermitage, bâti pourtant dans une ville à peu près comme celui qui est dans la petite ville de Laigle à huit ou dix lieues d'Evreux proche des boulangers et des blanchisseuses afin de n'être point obligée ni d'envoyer loin chercher mes nécessités ni de défrayer les allants et venants comme on est contraint de le faire dans les campagnes et les déserts.
208 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 16 décembre 1701
16 décembre 1701 TEXTE 209
Pardonnez, Monseigneur, tous ces petits contes à la fille d'un médecin, qui ayant été un peu instruite par son père des dogmes de la médecine sait que toutes nos facultés tant les spirituelles que les corporelles ont besoin de quelque relâche: et recevez de sa main à guise d'un remède anodin contre les lassitudes ces chimères volantes qu'elle vous envoie enfermées dans sa lettre comme dans une cage pour la même intention pour laquelle vous savez que saint Jean l'évangéliste s'amusait quelquefois à jouer avec un petit oiseau.
Une autre de mes velléités qui sans miracle pourrait facilement devenir d'une imagination une réalité, c'est, Monseigneur, que si Votre Grandeur ne demeurait point si loin de Paris, je la prierais que la première fois qu'il lui faudra une portière, ou une lingère, ou quelque autre semblable officière, elle prît pour lui en servir Mademoiselle Forestier qui loge dans la maison de Mademoiselle Chollart dans la rue Neuve-Saint-Etienne faubourg Saint-Marceau à Paris. Cette chère Amie, qui n'a pas commencé si jeune que moi à aimer la solitude, la goûte présentement qu'elle y est presque autant que je fais. Mais le contentement qu'elle y prend est troublé par la crainte que n'ayant point de fonds assuré pour sa subsistance, son petit trésor qu'elle a mis en main tierce à cause de la variation des monnaies, et qui ne consiste qu'en 7 ou 8 cents livres, qu'elle a amassé en élevant de jeunes demoiselles chez leurs mères à commencer par Mademoiselle de Nointel de Bechamel, ne se trouve enfin totalement consumé nonobstant sa sobriété, avant la fin de sa vie. Cette crainte fait qu'elle se remue un peu maintenant pour tâcher à se remettre en service à ce qu'elle m'a mandé dans sa dernière lettre. Mais son âge avancé qui lui a été un obstacle qui l'a empêchée depuis peu d'entrer dans la maison de Mme la chancelière où on lui avait fait espérer quelque emploi, la pourra bien encore empêcher d'entrer dans toute autre. Si cet obstacle pouvait être surmonté à votre recommandation, non pas pour entrer chez Mme la chancelière, mais pour être admise au service de quelque autre dame de votre connaissance, j'en aurais une triple satisfaction 1° parce que cette pauvre demoiselle serait placée. 2° parce que ce serait par votre faveur. 3° parce que ce serait dans une maison d'où je pourrais apprendre quelquefois de vos nouvelles que je ne puis pas espérer apprendre de vous-même puisque vous m'avez déclaré que vous ne m'écrirez point. Elle ne saura rien de la requête que je vous fais aujourd'hui pour elle s'il n'arrive quelque chose qui m'oblige de lui en parler. Mademoiselle Pigeon qui demeure chez Monsieur de Bechamel en qualité de sa gardeuse de meubles au Palais Royal était déjà domestique de Madame de Bechamel lorsque cette dame choisit pour avoir soin de sa petite fille de Nointel mon amie Forestier. Madame du Mens chez Madame la comtesse de Novion proche S. Sulpice connaît aussi et aime mon amie depuis plus de 30 ans. On se peut là informer d'elle. On pourrait même la voir et lui parler facilement comme par rencontre afin de juger si l'on s'en accommoderait sans qu'elle se doutât de rien: et entrer en discours avec elle en lui demandant comment je me porte et s'il y a longtemps qu'elle n'a eu de mes nouvelles, qu'on lui demande cela parce qu'on a entendu quelquefois parler de moi en bonne part à des Bénédictins. J'en connais en effet plusieurs et entre les autres les R. Pères Dom Antoine Beaugendre à Saint-Germain-des-Prés, et Dom François Lamy à Saint-Denis : nous nous sommes écrit quelques lettres les uns aux autres. Cependant, Monseigneur, si vous ne pouvez ou ne voulez vous mêler en aucune manière de recommander cette pauvre personne, je ne vous en saurai point mauvais gré; je n'attribuerai point cela à aucun défaut de votre volonté, mais à quelques autres causes et particulièrement à la détermination de celle de Dieu dont je demeurerai contente. J'ai expérimenté tant de fois et en moi, et en d'autres, la vérité de ces paroles de saint Paul aux Romains, 8. 26. nam quid oremus, sicut oportet, nescimus, que je n'oserais quasi plus ni désirer expressément, ni demander positivement soit à Dieu soit aux hommes quoi que ce soit : ne pouvant pas assez prévoir si ce que j'en aurais obtenu par mes prières ne me tournerait point un jour à déplaisir et à dommage.
Mon amie a présentement en sa garde deux de mes manuscrits dont l'un parle de Votre Grandeur : j'en envoyai un tout pareil vers la mi-novembre à un parisien qui m'a mandé qu'il l'a reçu, qu'il en aura grand soin, et qu'il m'en rendra bon compte. Ce parisien dans un voyage qu'il fit ici au mois de septembre me conta qu'il avait entendu dire à des gens qui vous ont vu à Cambray que vous y étiez toujours occupé à prêcher, catéchiser, confesser, faire les visites épiscopales, à pied le plus souvent comme un Apôtre; enfin qu'on vous adore presque dans votre diocèse tant vous vous y êtes acquis l'amour et la vénération de tous vos sujets. Vous pouvez juger si j'écoutais ce récit négligemment et sans attention, et si ce n'était pas plutôt avec une joie bien sensible que je m'applaudissais intérieurement d'avoir mis mon affection en une si sainte personne.
Au reste, Monseigneur, j'avertis Votre Grandeur qu'encore que ce soit moi qui vous ai prévenu de mon affection, je vous tiens déjà quitte de la reconnaissance qu'une telle prévention mérite. Vous m'en avez plus que suffisamment payée. Si ce n'est pas en la même monnaie, c'est en une autre plus précieuse que celle que je vous ai avancée en vous disant que je vous aime; puisque depuis que je me suis introduite dans votre connaissance et que je me suis procuré un peu de place en votre honorable souvenir vous avez eu la bonté de me servir d'appui et de protecteur auprès de la Divine miséricorde. J'attribue à vos charitables prières depuis un an que je m'y suis recommandée tous les bons sentiments et toutes les autres faveurs dont Dieu m'a gratifiée pendant mes douze derniers mois, et je pense vous en avoir une partie de l'obligation. Continuez, je vous en supplie très humblement, illustre pontife, à me rendre un si utile service, et favorisez-moi toujours auprès de Dieu de la grâce que je vous demande d'y être mon intercesseur. J'ajouterais si je suivais l'impétuosité de mon inclination: soyez aussi mon exhortateur à la vertu. Mais ce dernier emploi serait trop contraire à la résolution que vous avez prise de me plus rien dire. Je n'entreprends pas de vous la faire changer. J'essaie seulement à m'y soumettre aussi silencieusement que tristement sans en être moins que par le passé, Monseigneur, votre très humble et très obéissante servante.
Permettez-moi Monseigneur de remercier ici Monsieur Pinet de la peine qu'il prit pour moi le 25 novembre.
210 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 18 décembre 1701
787. A MAIGNART DE BERNIÉRES
A Cambray 18 décembre 1701.
Je mande, Monsieur, à nos Doyens de vous donner toutes les connaissances qui dépendent d'eux pour exécuter le plan que vous avez la bonté d'approuver'. Les cent écus me paraissent nécessaires, et c'est le moins qu'on puisse réserver, tant pour les petites gratifications pour ceux qui auront pris de la peine, que pour certains frais, comme des ports de lettres, et les non-valeurs qui viennent des morts de curés pauvres.
Vous comprenez, Monsieur, ce qui m'empêchera d'avoir l'honneur de vous voir avant ma visite de Liessies2. Mais je meurs d'envie de m'en dédommager après cette visite. Je partirai d'ici lundi 26 de ce mois, et j'arriverai à Liessies le lendemain mardi 27 avant midi. Je ne saurais dire combien ma visite durera, car j'y dépendrai des gens qui me parleront'. Mais ne pourriez-vous point avoir naturellement quelque fonction à remplir à Avesnes, quand j'y repasserai'. Au pis aller il est certain que la capitation demande que nous concertions plusieurs choses'. M. l'abbé de Liessies6 ne doit pas craindre que je veuille agir par préoccupation contre lui. J'écouterai, je pèserai toutes choses autant que je le pourrai, et je craindrai toujours encore plus d'opprimer l'innocence, que de flatter le relâchement'. Je suis, Monsieur, au-delà de toute expression, votre très humble et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
787 A. DOM FRANÇOIS LAMY A FÉNELON
[Novembre-décembre 1701].
Monseigneur,
Il n'y a pas moyen d'attendre le retour' de M. l'abbé de B[eaumont] pour donner à votre Grandeur de nouvelles assurances de mon respectueux attachement. Elles n'ont été quelque temps suspendues, que par la crainte de vous être incommode. Je me souviens bien que ma dernière lettre était trop chargée. Je prenais la liberté de vous y faire des questions, de vous demander des instructions, des éclaircissements sur la nature de la grâce', etc. Ne méritais-je pas bien qu'un juste silence me fît sentir cet excès, et me donnât de la retenue? Cependant, Monseigneur, il est certain que la violence que je me suis faite n'a servi qu'à me rendre votre idée plus présente et plus vive, et qu'à me donner plus d'application à profiter des occasions de parler au moins de vous. Une illustre personne' qui depuis quelques mois a fait en cette ville un séjour assez considérable, pourrait bien vous en rendre témoignage. Car comme elle vous honore fort, je n'ai point appréhendé de lui être incommode, en lui demandant de fréquentes audiences sur votre sujet. Je ne puis mieux commencer que par là à me rendre à l'ordre que vous me faites l'honneur de me donner de vous dire de mes nouvelles : car il est vrai que ces conférences m'ont fait un bien que je ne puis vous exprimer. C'est une per- [Novembre décembre 1701]
sonne qui a beaucoup de grâce, et qui est d'une simplicité, d'une droiture et d'une fermeté pour Dieu, qui se font sentir, et qu'on ne peut voir sans être
ravi, touché, édifié'. Dans le sentiment actuel de cette grâce, je vous avoue,
Monseigneur, que je n'avais pas grand mérite à sacrifier à l'oraison l'étude et les raisonnements; ils me paraissent alors fort insipides; et je conçois par-
faitement le sens de cette parole : Si dederit homo omnem substantiam suam pro dilectione, quasi nihil despiciet eam5. Mais le coeur humain, et surtout le mien, est sujet à de grandes alternatives; et les hivers sont chez lui bien plus longs que les étés. On y manque souvent de bois; et l'on est obligé de travailler pour s'échauffer, et quelquefois même de travailler sans s'échauffer. Voilà, Monseigneur, la plus ordinaire cause de mes griffonnages; et je vous assure que je les quitterais avec bien du plaisir, si vous vouliez m'obtenir la grâce de me soutenir pour Dieu dans la désoccupation, ou du moins de supporter tranquillement les retardements de Dieu. Il a pourtant fallu m'en faire une nécessité depuis près de six mois : car j'ai eu des étourdissements qui m'ont ôté la liberté de l'application d'esprit 6, et qui m'ont obligé de chercher quelque appui dans celle du coeur; me sentant encore trop faible pour me soutenir dans un dénuement universel.
Il y a cependant longtemps que, pour me servir de votre terme, j'ai sur le métier un Tiaité de l'amour de Dieu', qui a pour but de faire voir que la perfection de la vie spirituelle est comprise dans l'amour: mais je ne touche nullement la question du motif. Chacun s'en formera l'idée qu'il lui plairas.
Je le commence par un discours, où (pour donner une idée de Dieu qui ait rapport au traité) par quelques traits des moeurs des Chrétiens, je démontre l'existence d'un Dieu infiniment aimable: je le fais regarder comme le Dieu du coeur, et l'unique terme qui peut calmer tous ses mouvements. Mais il faudrait avoir l'honneur d'être auprès de vous, pour ne rien dire que de juste sur tout cela, et pour apprendre de vous à travailler à sa propre perfection, comme vous faites à celle de votre troupeau, malgré la stérilité apparente du champ que l'on cultive.
Que d'évêques se tiendraient heureux d'avoir la paix dans leurs diocèses, et d'y être autant honorés que vous êtes dans le vôtre ! Mais votre bon coeur ne se contente pas de cela; il s'afflige si Dieu n'est pas autant honoré qu'il le mérite. Heureux le troupeau dont le pasteur déplore l'insensibilité9! Au nom de Dieu, Monseigneur, que j'aie un peu de part à ce bonheur. Continuez, s'il vous plaît, à intercéder pour moi: puisque personne n'est plus de votre troupeau par les dispositions du coeur, et par le profond et tendre respect avec lequel je suis, Monseigneur, votre très humble et trés obéissant serviteur.
F. FRANÇOIS LAMY.
Je ne sais si vous savez que la demoiselle Rose" est enfin retournée en son pays, dans un bon carrosse que ses amis lui ont donné, après avoir perdu toute espérance de la garder en ce pays-ci; car, après l'ordre qu'elle reçut à Pâque, de sortir de Paris, madame de Vibrais l'ayant menée à Vibrais, au pays du Maine; M. du Mans a reçu ordre de la cour de la faire examiner. Il a donné cette commission à M. Thiers", curé de Vibrais, qui à ce qu'on dit l'a interrogée en forme. L'interrogatoire va paraître. Un des articles est
TEXTE 211
212 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 19 décembre 1701
qu'interrogée si elle avait été mariée, elle a répondu que non; et sur ce qu'on lui en a voulu donner des preuves, elle a répliqué, que si elle l'avait été, il y avait eu des protestations. Il y en a qui disent qu'elle s'est vantée d'aller à Rome pour faire condamner les idolâtries des missions chinoises.
787 B. LE MÊME AU MÊME
[19 décembre 1701].
Monseigneur,
Je n'ai reçu la dernière lettre dont votre Grandeur m'a honoré, qu'au départ de Mr l'abbé de Langeron pour son voyage '. Je suis confus de la bonté avec laquelle elle a bien voulu me faire l'honneur d'entrer dans mes difficultés et de les éclaircir. Je ressens infiniment cette grâce; et je ne diffère à vous le dire, que dans la crainte de vous donner, par ma réponse, nouvelle matière d'application; et ainsi, Monseigneur, je ne m'en acquitte aujourd'hui, qu'en vous priant très humblement de ne vous en embarrasser en nulle manière.
Rien n'est plus beau, ni plus vrai que ce que vous me faites l'honneur de me dire de l'incertitude où nous sommes sur nos dispositions surnaturelles; de l'utilité de la privation des douceurs sensibles; de la fidélité à ses devoirs dans les temps de sécheresse et d'épreuves et des caractères de la bonne oraison'. Il y a longtemps que je me dis, à moi et aux autres, une partie de tout cela; quoique pour moi, j'en profite peu, et que dans les temps de peines intérieures je sois toujours fort alarmé sur ma situation à l'égard de Dieu. Mais, Monseigneur, ce que j'avais particulièrement prétendu vous demander, regardait la nature de la grâce nécessaire pour chaque bonne action. Car comme on m'avait soutenu qu'il n'y en avait point d'autre que la lumière et le plaisir indélibéré3, j'avais maintenu au contraire, par toutes les bonnes oeuvres que les âmes fidèles font dans le temps des épreuves, qu'il fallait qu'il y eût une autre sorte de grâce; puisque en ces états elles ne goûtent aucune sorte de plaisir sensible; c'est-à-dire dont elles s'aperçoivent : car de vouloir admettre un plaisir qu'on ne sent point; il me paraît que c'est alléguer un plaisir qu'on n'a point. D'ailleurs, hors même les temps d'épreuves, on fait, par jour, quantité de bonnes oeuvres, dont chacune demande une grâce; et cependant on les fait, sans aucune délectation indélibérée. Il est vrai qu'on les fait volontiers: mais cette délectation de simple vouloir n'est pas la grâce nécessaire à chaque action: puisque cette délectation est commandée'.
Pour ce qui regarde l'oraison, je vous avoue que je suis aussi un peu embarrassé et pour moi et pour les autres : car quand une âme ne peut plus méditer, ni discourir; et qu'après avoir répandu, quelque temps avec facilité, son coeur devant Dieu s; elle demeure vide d'affections et de lumières, de sorte que malgré sa persévérance à frapper6 et à s'humilier non seulement on ne lui donne rien; mais qu'elle se sent même emporter dans des égarements d'esprit ; doit-elle continuer à demeurer en cet état ? et si son oraison est de deux heures par jour'; l'inutilité n'est-elle point à craindre pendant tout ce temps? S. Augustin remarque que les solitaires d'Egypte faisaient de fréquentes oraisons pendant la journée: mais toutes fort courtes et comme
TEXTE 213
autant de traits qu'ils lançaient vers le ciel: Brevissimas et raptim quodammodo jaculatas; et cela de peur qu'en les faisant plus longues leur attention ne se dissipât, et leur vivacité ne s'émoussât: ne illa vigilanter erecta, quae orant plurium necessaria est, per productiores moras evanescat atque hebetetur intentio. Il ajoute néanmoins que si l'ardeur de l'intention et de l'attention persévère, il ne faut pas l'interrompre: Si perduraverit, non cito esse rumpendam. Non desit multa precatio, si fervens perseverat intentio. Epis. ad probe. S. Benoît prescrit, en deux mots, la même chose dans sa règle. Il faut, dit-il, que l'oraison soit courte et pure; si ce n'est que le mouvement de l'esprit de Dieu nous porte à la faire plus longue. Brevis debet esse et pura oratio, nisi forte ex affectu inspirationis divinae gratiae protendatur, C. 20 Reg. : il ajoute même qu'en communauté, c'est-à-dire lorsqu'elle se fait en commun elle doit être très courte. In conventu tamen omnino brevietur oratio9. Par cette raison apparemment que dans une communauté l'attrait pour l'oraison est très différent; et que de les y laisser un temps considérable, c'est en exposer plusieurs à y demeurer dans l'oisiveté, ou dans la langueur; ce qu'il regardait aussi bien que S. Augustin, comme un grand inconvénient. Depuis cela, la méthode a changé et le moins qu'on donne présentement à cet exercice, dans les communautés, est une demie heure le matin et autant l'après-dîner; je ne sais s'il est avantageux de le prescrire ainsi à tout le monde: mais sans l'examiner, ce que je souhaiterais serait de savoir comment on en doit user à l'égard de certaines âmes, qui ayant quitté le degré de la méditation et du raisonnement et ayant même souvent goûté le don de Dieu dans une oraison plus simple, se trouvent ensuite dans les égarements d'esprit et les sécheresses de coeur que je viens de représenter, et qui au lieu de cette vivacité d'attention, de cette ferveur d'intention", et de ces touches de la grâce, qui, selon les saints, doivent porter à prolonger l'oraison; n'éprouvent plus que distraction, que tiédeur, que langueur, que dégoût? Elles vous disent d'ailleurs que ce ne sont point les douceurs, ou les consolations sensibles qu'elles cherchent, mais qu'elles voudraient bien au moins avoir quelque sorte d'assurance qu'elles ne perdent point leur temps en cet état; et qu'elles n'y offensent point Dieu. Voilà, Monseigneur, je vous l'avoue, sur quoi je suis assez embarrassé et pour les autres et pour moi-même. Je n'ose pourtant vous en demander l'éclaircissement, parce que, quoique je puisse vous répondre de ma retenue et de mon secret sur ce qu'il vous plaira me faire l'honneur de me confier, je respecte et votre temps que je sais être infiniment précieux et même votre délicatesse à laisser paraître quelque chose de vous. Je la respecte, dis-je, quoiqu'elle me mortifie infiniment. Au reste vous avez beau vous taire, la vérité trouvera, dans tous les temps des avocats qui parleront pour elle". Messieurs de l'Académie française viennent de faire imprimer les cinq discours qui ont été faits pour le prix sur ces paroles : qui modica speravit paulatim decidet". L'auteur du troisième fait extrêmement valoir le désintéressement de la charité. Je ne sais si c'est par là qu'il a su me charmer; mais j'avoue que je trouve sa pièce beaucoup plus solide, mieux prouvée, mieux soutenue et plus touchante que les quatre autres; quoique ce ne soit pas celle à qui Mrs de l'Académie ont adjugé le prix. Chacun, en ce monde, a son goût; mais je suis trompé si le reste du monde ne venge cet auteur de l'injustice qu'on lui a faite, de ne lui pas donner la préférence.
19 décembre 1701
214 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 22 décembre 1701
Il paraît un petit écrit de quelques circonstances fort édifiantes de la mort du feu roi d'Angleterre". Il est de la façon du Milord Perth '4. C'est une lettre qu'il écrit à l'abbé de la Priape", par ordre du roi qui vivait encore, et qui attendait à tous moments celui de sa délivrance. Si vous souhaitez cet écrit '6, j'aurai l'honneur de vous l'envoyer. Je n'ai point eu celui de voir M. l'ab. de B ''. Ç'aurait bien été à moi à le prévenir: mais je sors très peu présentement. Il y a un an que je n'ai mis le pied dans la grande ville. Si j'avais quelque chose à souhaiter, ce serait de le pouvoir mettre une seule fois dans la vôtre. Vous jugez bien ce qui m'y mènerait, mais je ne suis pas si heureux. Il faut se contenter de faire d'ici des voeux pour votre conservation, non seulement pour l'année où nous allons entrer, mais aussi pour un grand nombre d'autres, et de vous renouveler les assurances du respectueux attachement avec lequel je serai le reste de mes jours, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Ce 19 décemb.
F. FRANÇOIS LAMY.
787 C. LE DUC DE BOURGOGNE A FÉNELON
A Versailles, le 22 décembre 1701.
Enfin, mon cher Archevêque, je trouve une occasion favorable de rompre le silence où j'ai demeuré depuis quatre ans'. J'ai souffert bien des maux depuis; mais un des plus grands a été celui de ne pouvoir vous témoigner ce que je sentais pour vous pendant ce temps, et que mon amitié augmentait par vos malheurs, au lieu d'en être refroidie. Je pense avec un vrai plaisir au temps où je pourrai vous revoir; mais je crains que ce temps ne soit encore bien loin'. Il faut s'en remettre à la volonté de Dieu, de la miséricorde duquel je reçois toujours de nouvelles grâces. Je lui ai été plusieurs fois bien infidèle depuis que je ne vous ai vu3; mais il m'a fait toujours la grâce de me rappeler à lui; et je n'ai, Dieu merci, point été sourd à sa voix. Depuis quelque temps il me paraît que je me soutiens mieux dans le chemin de la vertu'. Demandez-lui la grâce de me confirmer dans mes bonnes résolutions, et de ne pas permettre que je redevienne son ennemi; mais de m'enseigner lui-même à suivre en tout sa sainte volonté. Je continue toujours à étudier tout seul, quoique je ne le fasse plus en forme depuis deux ans, et j'y ai plus de goût que jamais'; mais rien ne me fait plus de plaisir, que la métaphysique et la morale, et je ne saurais me lasser d'y travailler. J'en ai fait quelques petits ouvrages, que je voudrais bien être en état de vous envoyer, afin que vous les corrigeassiez6, comme vous faisiez autrefois mes thèmes. Tout ce que je vous dis ici n'est pas bien de suite; mais il n'importe guère. Je ne vous dirai point ici combien je suis révolté moi-même contre tout ce qu'on a fait à votre égard; mais il faut se soumettre à la volonté de Dieu, et croire que tout cela est arrivé pour notre bien. Ne montrez cette lettre à personne du monde, excepté à l'abbé de Langeron, s'il est actuellement à Cambray; car je suis sûr de son secret, et faites-lui mes compliments, l'assurant que l'absence ne diminue point mon amitié pour lui. Ne m'y faites point non plus de réponse, à 30 décembre 1701 TEXTE 215
moins que ce ne soit par quelque voie très sûre, et en mettant votre lettre dans le paquet de M. de Beauvilliers, comme je mets la mienne; car il est le seul que j'aie mis de la confidence, sachant combien il lui serait nuisible qu'on le sût. Adieu, mon cher archevêque; je vous embrasse de tout mon coeur, et ne trouverai peut-être de bien longtemps l'occasion de vous écrire. Je vous demande vos prières et votre bénédiction'.
LOUIS.
788. A MAIGNART DE BERNIÉRES
A Liessies, 30 décembre 1701.
Vous avez sans doute parfaitement compris d'abord, Monsieur, ce qui m'a fait souhaiter de n'avoir l'honneur de vous voir, qu'après que je serais parti d'ici. J'espère même que vous aurez la bonté d'approuver le motif, qui me faisait souhaiter ce ménagement '.
Mais après y avoir bien pensé, je crois vous devoir supplier de ne rien déranger dans votre retraite ordinaire de Liessies pour les derniers jours de l'année, et de ne retarder pas d'un quart d'heure votre arrivée ici. Puisque c'est aujourd'hui vendredi que vous y deviez venir naturellement, ayez la bonté d'y venir aujourd'hui même si vos affaires vous le permettent. Je crois que votre arrivée peut être fort utile aux affaires que je traite ici, et que vous pouvez contribuer beaucoup au bon ordre de cette maison. J'attends avec impatience, Monsieur, l'honneur de vous voir et de vous entretenir. Voici une occasion heureuse de passer deux jours auprès de vous, de profiter de vos lumières, et de vous témoigner avec quels sentiments je suis pour toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Recentes Eminentiœ vestrœ litteras hisce diebus accepi, hisque certior factus sum de illa constanti benevolentia, qua mihi quidquam jucundius esse nequit aut carius. In audiendis vero sanctissimi Patris laudibus, vix animus expleri potest. Illum enim et aspera totius Europœ negotia sensim mitigantem, et componendœ paci paterna patientia studentem ', et gregi invigilantem, et orationi instantem, et apostolica gravitate concionantem2, mihi videor videre, tacitusque admiror. Cui quidem sagacissimo et peritissimo Pontifici facile crediderim brevi exploratum fuisse ingenium hominis rimarum pleni 3. Factio autem, cui se totum devovit homo ille, indigno animo tulit quod summus Pontifex examini jampridem peracto adhœrere noluerit4, et iterata circiter per annum quœstionis discussione, nunc demum legatum mittat5, qui, trajecto immenso mari, et mature investigatis quœ Sinensium linguam, mores, ritusque attinent, nodum solvat. His artibus, inquiunt, eoque tardo molimine, impune abeunt apertœ et horrendœ idololatriœ patroni.
789. Au CARDINAL GABRIELLI
[Fin 1701].
Eminentissime Domine,
216 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
[Fin 1701]
At contra, quotquot sunt veri et recti amantes, œquissimo et sapientissimo decreto applaudunt. De dogmate, aiunt, nulla movetur quœstio. Quapropter de dogmate nullum judicium latum oportuit; siquidem, ex utraque parte, unanimi voce conclamatur nefas esse ullum Confucio aut parentum animabus religiosum cultum impendi. Tota igitur quœstio in solo facto posita est, nimirum, an cultus ille, ex mente, moribus rituque Sinensium, religiosus sit, an mere civilis. Quid autem aptius est ad elucidandam facti questionem, quam factum ipsum tutis oculis, fidisque auribus, cominus explorandum committere? Quid a tanta sapientia et œquitate magis alienum, quam ferre sententiam de facto cujus natura omnino pendet a lingua ignota, moribusque a nostris toto coelo distantibus? Quantum vero dedecus et scandalum metuendum esset, si lata quam impensissime flagitabant sententia, ex Sinensium testimoniis postea certissime constitisset hunc cultum mere esse civilem6, at piissimos fidei propagatores, ut idololatriœ patronos, immatura et iniqua censura fuisse damnatos?
Itaque quod olim de Salomonis judicio, hoc de Pontificis sententia dicere juvat : Audivit... omnis Israel judicium quod judicasset rex, et timuerunt regem, videntes sapientiam Dei esse in eo ad faciendum judicium7 . Et hœc libens adjecerim: Dedit quoque Deus sapientiam Salomoni, et prudentiam multam nimis, et latitudinem tordis quasi arenam quae est in littore maris... Et veniebant de cunctis populis ad audiendam sapientiam Salomonis, et ab universis regibus terrae, qui audiebant sapientiam ejus8.
Nunc autem liceat, quœso, uni vestrœ Eminentiœ clam dicere9, quanto cum religionis periculo per totum nostrum Belgium et Gallias late spargatur opus Lovanii nuper in lucem editum, cui titulus hic est : Via pacis, seu status controversiae inter theologos Lovanienses, etc. 1° Hœc autem est, ni fallor, non pacis, sed belli et dissensionis via. Neque enim cuiquam theologo catholico fas est hanc doctrinam tolerare. Duo autem, inter multa capita, hic enucleare est animus ".
Quod '2 autem maxime attendendum mihi videtur, Jansenii discipuli, hoc totum ab apostolica sede comprobatum jactitant, quod ipsa non condemnavit. Unde operœ pretium est, ut severissime condemnetur, quidquid ipsi contra sanœ doctrinœ temperamenta licentius scriptitant. Exempli causa, triumphum sibi ipsis decernunt, quod censuram omnem effugerint quinque Articuli ab ipsis olim Convenensi episcopo traditi, qui deinde Romam missi sunt '3. Eo tamen ipso in opere, qui Via Pacis inscribitur, quasi rata a summo pontifice nunc venditant, quœque Lovanii hisce annis scripta et excusa, ab apostolica sede damnata non sunt. Quin etiam scriptor ille confidentissimus, sanctissimum Patrem passim compellat ut singula vel confirmet vel respuat ; quasi ex silentio interpellati judicis arrogaturus sibi tacitam sui dogmatis confirmationem. Jam vero connivere et dissimulare quid esset, nisi effrenœ licentiœ blandiri? Absit, ut ad Cyprianum scribebat Ecclesia mater ac magistra, «absit ab Ecclesia Romana vigorem suum tam profana facilitate dimittere et nervos severitatis, eversa fidei majestate, dissolvere?»14
Quod autem tanta inter mala moerentem animum levat, hoc unum est, scilicet magnanimi pontificis sapientia, quœ singula loco et tempore agenda apprime novit's. Hœc omnia eo liberius quo tutius, tua perspecta prudentia, et erga me benevolentia, clam committo. Cœterum veniam oro, quod episto-
5 janvier 1702 TEXTE 217
lam, fusius ac propere scriptam, puriore charta non transcribam, manu jam defessa, neque secretario transcribendam credere velim. Perenni cum animi cultu, intima gratitudine, et singulari observantia ero, Eminentissime Domine, Eminentiœ vestrœ humillimus et obedientissimus servus.
FR. ARCH. DUX CAMERACENSIS.
790. A LA COMTESSE DE MONTBERON
A C[ambrai], 5 janvier 1702.
Je reviens, Madame, d'un voyage de huit jours', et je trouve ici de vos nouvelles moins mauvaises que celles des temps passés. Mais il s'en faut beaucoup que je ne sois rassuré sur votre santé. M. [Bourdon] va vous voir, et je vous conjure au nom de notre Seigneur de faire pour vous remettre, tout ce qu'il réglera. Si vous avez quelque confiance en moi vous ne hésiterez pas à lui obéir. C'est une des plus sensibles peines que je puisse avoir, que celle de vous trouver indocile. Vous feriez encore plus de mal à votre âme qu'à votre corps, et vous résisteriez encore plus à Dieu qu'à M. [Bourdon]. Vous prenez le change en cherchant à contre-temps les mortifications corporelles. Ce n'est point ce que D[ieu] demande de vous. C'est votre imagination trop vive et non pas votre corps qu'il faut affaiblir. La moindre docilité contre vos scrupules vous ferait plus mourir à vous-même, que toutes les austérités. Passer par-dessus vos vains scrupules, ce serait l'holocauste de votre coeur. Encore une fois si vous croyez que D[ieu] nous ait unis en lui, je vous demande par son amour d'avoir soin de vous et de croire le médecin.
On travaille à votre petit tableau de Moyse exposé. Il sera très joli, et le peintre réussit très bien. Je vois avec attendrissement et complaisance dans cet ouvrage l'amour jaloux qui pousse aux plus affreuses extrémités ceux qu'il veut sanctifier, et qui sacrifie en apparence celui dont il veut faire de si grandes choses. C'est ainsi qu'il traite ses favoris. Voilà le fondement de ses ouvrages 2.
J'écrirai au plus tôt à notre bonne et digne pendule'.
Je ferai volontiers tout ce que voudra votre amie'. Mais il faudra prendre un temps où vous serez en tiers. Autrement nous serions fort embarrassés. Je l'estime et l'aime en n[otre] S[eigneur] de plus en plus. Mon D[ieu], qu'il me tarde de vous voir ! Quand sera-ce?
A LA MÊME
A C[ambrail, 6 janvier 1702.
Je vous supplie, Madame, d'avoir la bonté de me renvoyer l'écrit que je vous ai donné pour Monsieur votre fils, où j'ai ramassé diverses preuves de la Divinité, tirées de l'art qui éclate dans toute la nature'. J'aurais besoin de le revoir. Vous n'en avez aucun besoin présentement. Monsieur le comte de Monbron pourra me l'apporter à son retour.
791.
218 CORRESPONDANCE DE FÉNELON
6 janvier 1702
[Vers le 6 janvier 1702] TEXTE 219
Au nom de Dieu ayez soin de vous. Je ne vous demande point des soins extraordinaires. Je souhaite seulement que vous ayez la pleine volonté de faire pour vous ce que vous feriez pour une autre, et de vous laisser sans réserve à la décision du médecin. Après quoi vous suivrez ce dessein sans vous gêner, suivant que vous en aurez la lumière en chaque occasion.
Je prie Dieu qu'il vous délivre d'un certain zèle qui n'est pas moins contraire à votre grâce qu'à votre faible santé.
792. A MAIGNART DE BERNIERES
A Cambray, 6 janvier 1702.
Je ne puis m'empêcher de vous dire, Monsieur, combien je suis pénétré et édifié de tout ce que j'ai trouvé en vous pendant notre séjour de Liessies. Vous y avez agi en évêque, et je ne l'oublierai jamais '. Pour toutes les marques d'amitié que vous m'avez données, elles m'attendrissent le coeur, et je ne saurais vous en parler avec aucun terme de compliment. Je ne puis vous dire autre chose, sinon que je suis à vous, Monsieur, du fond du coeur pour toute la vie. Oserai-je après vous avoir parlé si librement me plaindre des cérémonies avec lesquelles vous ne vous lassez point de me faire l'honneur de m'écrire. J'en suis honteux.
Je suppose que M. l'abbé de Liessies n'aura pas manqué de changer son prieur et son sacristain, et de nommer les trois custodes à la communauté' dès le jour de mon départ, comme il nous l'avait promis. Vous savez, Monsieur, que je ne fis que gronder la communauté en plein chapitre, et que leur donner de fortes leçons sur l'obéissance qu'ils doivent à leur abbé'. Si M. l'abbé ne s'est point hâté de leur adoucir un peu une conclusion si amère par l'exécution du changement des officiers', toute la communauté sera mise à une trop rude épreuve. Ils croiront que j'autorise l'abbé même dans les choses les plus irrégulières. Mais j'espère que M. l'abbé aura fait non seulement les changements promis, mais encore les avances d'honnêteté pour gagner
les coeurs.
Je ne puis m'empêcher de vous représenter, Monsieur, que j'ai appris, en passant aux portes de Landrecies que le sieur Renversé ne doit point être dans la place qu'il occupe. Il est aumônier d'un hôpital sans être approuvé, ni capable de mériter une approbation pour confesser. Il demeure à la ville, et l'hôpital est toutes les nuits sans secours, puisqu'aucun prêtre n'y couche, et que les portes de la ville ne pourraient s'ouvrir assez tôt pour secourir ceux qui meurent subitement. Puisqu'on paie un aumônier, il semble juste d'en choisir un qui puisse faire ses fonctions, et secourir les malades pour le spirituel. Il y a longtemps que je connais le sieur Renversé par des voies non suspectes. Il ne sait rien. Il n'étudie jamais. Il n'aime que le jeu et les compagnies libres'. Je vous serai sensiblement obligé si vous avez la bonté de faire mettre dans cet emploi un bon prêtre, qui puisse le remplir avec fruit. Ma conscience me presse de vous représenter l'extrême besoin d'un prompt changement. Je sais par expérience récente quel est votre zèle pour la religion. Personne ne peut surpasser celui avec lequel vous sera intimement dévoué toute sa vie, Monsieur, votre très humble, et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
793. A MICHEL CHAMILLART
[Vers le 6 janvier 1702].
Monsieur,
Quoique le Roi ne veuille point qu'on lui rende compte de l'affaire de l'abbé de Liessies', comme vous m'avez fait l'honneur de me le mander, je crois néanmoins devoir vous expliquer en gros ce que j'en ai connu, afin que si on retourne, comme on paraît le vouloir faire, vers Sa Majesté, pour renouveler les mêmes accusations, vous soyez en état de juger des choses'.
J'ai visité fort à loisir toute l'abbaye de Liessies. J'ai écouté tous les religieux en particulier. J'ai mis mot pour mot dans mon procès-verbal tout ce que chacun d'eux a voulu déposer contre l'abbé. Aucun d'eux n'a déclaré avoir vu aucune action impure, quoique plusieurs aient ramassé avec soin jusqu'aux choses les plus douteuses qu'ils croyaient pouvoir charger sa personne.
J'ai même entendu extrajudiciairement les témoins du dehors qu'on m'a indiqués, et je leur ai fait signer leurs dépositions pour m'assurer qu'ils ne varieraient point, et pour voir si j'aurais des choses assez fortes pour passer de la simple visite à une information criminelle. Mais je n'ai rien trouvé de concluant, et s'il était permis de déshonorer un abbé de soixante et treize ou quatorze ans, sur les choses que l'on m'a rapportées, il n'y aurait plus de saint prêtre au monde, qui ne pût être diffamé'.
Ainsi ne trouvant rien de proportionné aux preuves qu'on m'avait fait attendre, je n'ai pas cru devoir commencer l'information qui aurait causé un grand scandale, sans aucun fruit. J'avais appelé sur les lieux le sieur des Moulins de Mons', qui s'est rendu solliciteur contre l'abbé auprès de vous, Monsieur, et que vous avez vu à la suite de la cour. Il m'a avoué qu'il n'avait point de preuves plus fortes que celles que j'ai ramassées en sa présence, tant dans mon procès-verbal de visite à l'égard des religieux, que dans mon information extrajudiciaire et préparatoire à l'égard des témoins du dehors, et qu'il n'avait, au delà de ces preuves qui sont imaginaires, que des conjectures. La chose étant dans cet état j'ai cru faire beaucoup, en dressant un écrit que j'ai fait signer à l'abbé', où il s'est engagé à rétablir un ordre très exact pour le spirituel et pour le temporel de sa maison. Il y avait en effet quelques relâchements à réparer pour la discipline monastique', et l'autorité de l'abbé paraissait trop despotique pour le temporel. Il a exécuté d'une manière édifiante tout ce que j'ai voulu et a même changé d'abord plusieurs de ses officiers'. M. de Bernières intendant de la province a bien voulu à ma prière
220 CORRESPONDANCE DE FÉNELON Il janvier 1702 14 janvier 1702 TEXTE 221
être présent à la conclusion de cette affaire, et je dois dire pour lui faire justice qu'il s'y est comporté avec la prudence et le zèle non pas d'un magistrat, mais d'un bon évêque. Après ce règlement, j'ai imposé silence aux religieux', et j'ose dire que certaines gens qui veulent recommencer le scandale, ne méritent pas d'être écoutés.
Je suis avec le zèle le plus sincère, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
794. A MAIGNART DE BERNIÈRES
A Cambray, 11 janvier 1702.
Je ne savais pas, Monsieur, les choses que vous avez bien voulu me confier sur l'aumônier de Landrecy '. Je serais bien fâché d'entrer dans des desseins tels que ceux que vous me dépeignez'. Je m'arrête donc pour le présent, et je me contente d'attendre encore si le sieur Renversé pourra dans quelques mois se rendre capable d'entendre les confessions, et s'appliquer d'une manière édifiante. Je lui dirai avec une affection paternelle toutes ses vérités, et si vous avez la bonté de m'aider en cette occasion, comme vous avez fait en d'autres avec tant de succès 3, je ne désespère pas que nous n'ayons dans la suite sujet d'être plus contents que nous ne l'avons été jusqu'ici. Je suis ravi, Monsieur, de tout ce que vous avez fait depuis mon départ à Liessies, et plus encore de l'amitié que vous me promettez. Je suis à jamais sans réserve, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
795. A LA R. M. MARIE-JEANNE LAMELIN1
[12 janvier 1702].
Je ne puis plus différer, ma Révérende Mère, à vous écrire touchant la capitation: on me presse d'en faire faire au plus tôt le recouvrement, et on ne nous donne que le 8 du mois prochain pour tout délai ; j'espère que la Cour se contentera de la moitié de ce que nous devons payer pour l'année 1701. Ainsi je ne vous demande présentement que la somme de vingt livres qui est la moitié de votre cotisation; je vous prie de me la faire tenir avant le terme marqué ci-dessus ; vous savez aussi bien que moi combien il serait dangereux de différer ce paiement, par rapport aux exécutions rigoureuses qu'ordonnera M. l'Intendant contre ceux qui se trouveraient en défaut. Je n'ai donc point besoin de vous avertir qu'il n'y a pas d'autre parti à prendre
que celui de payer au plus tôt; c'est ce que j'attends de votre zèle pour le ser-
vice du Roi'. Je suis, ma Rde Mère, votre très affectionné serviteur.
Je ne puis plus m'empêcher de vous importuner pour une affaire que M. l'évêque de S. Orner a portée devant vous. Oserais-je vous supplier très humblement d'avoir la patience de lire les trois mémoires ci-joints, qui vous l'expliqueront'? Le premier est celui que je fis présenter au Roi, il y a environ deux ans, lorsque M. de S. Orner me demanda un official résidant en Artois. Le second est celui de ce prélat, auquel le mien fut communiqué et qui y répondit. Le troisième est la réponse que je fis à la sienne. Sa Majesté, après avoir vu mon dernier mémoire, ne jugea pas à propos de décider l'affaire. M. l'évêque de S. Orner la réveille maintenant. Il est vrai que la parfaite correspondance des deux couronnes de France et d'Espagne semble diminuer un peu la force des raisons dont je m'étais servi alors, par rapport aux intérêts du Roi'. Mais je me trouve heureux, Monsieur, de ce que vos vues ne se borneront ni à une interprétation littérale des ordonnances, qui n'ont été faites que pour les provinces de l'ancienne France, ni à la situation présente des Pays-Bas, qui peut changer un jour, et que vous étendrez votre prévoyance sur toutes les suites que pourrait avoir l'exemple de cette innovation dans un pays partagé entre deux puissantes nations. J'ose dire, Monsieur, que rien n'est plus digne de vos lumières supérieures aux règles communes, et de votre zèle pour l'Etat, qu'un peu d'attention à ces circonstances. Je n'ai pas cru devoir produire ces trois mémoires dans le procès, parce qu'ils n'ont été faits que pour Sa Majesté, et que c'est par son ordre exprès que M. de Barbezieux m'envoya celui de M. de S. Orner. Mais ce que je ne veux pas rendre public ne saurait être plus discrètement employé, Monsieur, qu'en le faisant passer dans vos mains. L'usage que vous en ferez ne pourra être que selon les règles, et vous pouvez compter qu'ils ont été tous trois fidèlement copiés. Il me reste à vous représenter, que les raisons pour lesquelles nos Rois ont ordonné en France la multiplication des officiaux ne peut (sic) avoir aucun lieu dans les Pays-Bas. Les évêques ne jugent point eux-mêmes en France, et comme le juge est différent de l'évêque, on peut vouloir multiplier le juge à proportion des ressorts de justice séculière. En ce pays notre possession est constante pour juger toutes les causes de nos officialités, même celles que nos officiaux ont commencées. Le Roi a eu la bonté de nous confirmer par une déclaration expresse dans tous les usages de notre officialité, et par conséquent dans celui-là en particulier'. En effet, je juge tous les jours des causes, surtout d'appellation. J'ai même jugé celle qui a fait naître notre contestation présente, et je jugerai pareillement en personne toutes celles qui me viendront
A Cambray le 12 de l'an 1702.
FR. ARCH. Duc DE CAMBRAY.
796. A ACHILLE III DE HARLAY'
[14 janvier 1702].
Monsieur,
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
222 CORRESPONDANCE DE FÉNELON Ce 14 de l'an 1702
de S. Orner. Ainsi nous sommes dans un cas entièrement singulier, et qui ne tire à conséquence pour aucune autre Eglise du royaume. Les ordonnances qui règlent la multiplication des officiaux à proportion des ressorts séculiers, sont manifestement fondées sur des raisons qui ne peuvent avoir aucun rapport à notre usage. M. l'évêque de S. Orner lui-même a reconnu ce droit dans son mémoire, et il y a déclaré, comme vous le verrez, Monsieur, qu'il offre de procéder au tribunal de Cambray, toutes les fois que je voudrai bien juger en personne des causes d'appel. C'est sur quoi je ne hésite point. Je juge toujours depuis longtemps moi-même, et je ne cesserai point de le faire. A quoi servirait donc un official métropolitain à S. Orner, puisque je jugerai ici toutes les causes et que je ne lui en laisserais jamais juger aucune? Quel fruit M. de S. Orner tirerait-il de l'établissement d'un official, qui ne le serait jamais que de nom? Cette innovation ne servirait qu'à donner un fâcheux exemple dont une domination étrangère ne manquerait pas de se prévaloir quelque jour contre nous'.
Je suis honteux d'une si longue lettre, et je me hâte de la finir en vous protestant que je serai toute ma vie avec le respect le plus sincère, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
A Cambray 14 janvier 1702.
FR. ARCH. DUC DE CAMBRAY.
796 A. LE MARQUIS DE DEYNSE' A FÉNELON
Bruxelles, ce 14 de l'an 1702.
J'ai eu un vrai chagrin de n'avoir pas pu avoir l'honneur de vous voir quand vous avez été à Bruxelles'. J'étais absent. J'espère que je serai plus heureux une autre fois. Je vous ai, Monseigneur, une infinité d'obligations de la manière dont vous voulez user à mon égard. Je vous assure aussi que c'est mon intention de finir l'affaire des dîmes de la manière que vous le jugerez convenir 3. Si vous le jugez à propos, Monseigneur, vous pourriez donner commission à quelqu'un de vos officiers ici et moi à un officier de cette terre sur laquelle est une prétention, lesquels après déjà parlé pourraient choisir deux ou quatre avocats ; enfin, Monseigneur, l'affaire se réglera comme vous l'ordonnerez, ne cherchant que les occasions de vous marquer avec combien de respect et de sincérité je suis, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Monseigneur,
Je me donne l'honneur de vous envoyer les deux sentences de Mons que Votre Grandeur a demandées, l'une du 5 octobre 1654 qui ordonne au clergé d'Haynaut la production des octrois, et l'autre du 9 janvier 1655 qui surseoit le paiement de nos taxes' jusques à ce que le clergé eût satisfait à cette sentence.
Je n'ai pas osé envoyer ces sentences, Monseigneur, à M. de Bagnols avant vous les avoir fait voir, parce que la première m'a paru ne point avoir été rendue directement sur la contestation de la validité ou invalidité des rentes en général, mais seulement à l'égard des forains' qui prétendaient que leurs personnes et biens n'étaient pas valablement chargés de ces rentes par le clergé comme n'étant nommés ni compris dans les octrois. J'ai joint à ces sentences un extrait d'un très gros avertissement qui a été servi par les forains dans leur procès, qui fait voir qu'ils contestaient la validité des rentes puisqu'il y est dit que les octrois ou plutôt les accords qu'avait le clergé d'Haynaut ne lui accordèrent point la faculté de lever en rentes les sommes demandées par Sa Majesté mais seulement de les répartir sur les supports du dit clergé pour être par eux payées de leurs revenus. Comme le clergé d'Haynaut n'est pas bien instruit de ses affaires, si Votre Grandeur jugeait à propos, on pourrait n'envoyer à M. de Bagnols que la sentence du 9 janvier 1655 qui fait assez mention de celle de l'an 1654 et de son contenu, et qui ne découvre point sur quelle conclusion celle de l'an 1654 a été rendue. Cela suffirait pour notre but, qui est de faire voir que le clergé a été obligé par sentence de produire ses octrois et qu'à faute de les produire nous avons obtenu une surséance de paiement de nos taxes.
Si Votre Grandeur aurait la bonté d'envoyer elle-même ces sentences à droiture à M. de Bagnols avec quelque petit mémoire sur icelles et sur la bonté de notre cause, je me persuade que cela ferait beaucoup plus d'impression sur son esprit que si je les enverrais moi-même. Je suis cependant prêt d'exécuter en tout vos ordres Monseigneur comme étant avec un très profond respect, de Votre Grandeur, le très humble et le très obéissant serviteur.
Tournay, 14 janvier 1702.
BAYART DENNEQUIN.
Depuis ma lettre écrite j'ai jugé à propos, Monseigneur, de vous envoyer avec les deux sentences de Mons, tous les écrits que nous avons produits et fait voir à MM. les commissaires, pour que Votre Grandeur juge s'il n'y a rien à changer, augmenter ou diminuer et pour que vous ayez plus à la main, Monseigneur, les titres sur lesquels notre bon droit est fondé, au cas que Votre Grandeur voulusse (sic) se donner la peine de faire un petit mémoire sur le tout.
14 janvier 1702
796 B. LE CHANOINE BAYART D'ENNEQUIN' A FÉNELON
[14 janvier 1702].
TEXTE 223
LE MARQUIS DE D'EYNSE.
224 CORRESPONDANCE DE FÉNELON 17 janvier 1702
17 janvier 1702 TEXTE 225
Après, Monseigneur, que vous les aurez examinés, Votre Grandeur pourrait les faire tenir à M. de Bagnols puisque ce sont tous nos titres et pièces sur lesquels MM. les commissaires doivent porter leur jugement et qu'il n'a pas souhaité de s'en charger lorsque j'étais à Bruxelles. Et si vous trouviez à propos, Monseigneur, que je les envoyasse moi-même je vous prie très humblement de me les renvoyer. Je suivrai en tout ce qu'il plaira à Votre Grandeur de me prescrire.
797. AU DUC DE BOURGOGNE
A C[ambrai] 17 janvier 1702'.
Jamais rien ne m'a tant consolé que la lettre que j'ai reçue2. J'en' rends grâces à celui qui peut seul faire dans les coeurs tout ce qu'il lui plaît, pour sa gloire. Il faut qu'il vous aime beaucoup, puisqu'il vous donne son amour au milieu de tout ce qui est capable de l'éteindre dans votre coeur. Aimez-le donc au-dessus de tout, et ne craignez que de ne l'aimer pas. Il sera lui seul votre lumière, votre force, votre vie, votre tout. O qu'un coeur est riche et puissant au milieu des croix, lorsqu'il porte ce trésor au dedans de soi ! C'est là que vous devez vous accoutumer à le chercher avec une simplicité d'enfant, avec une familiarité tendre, avec une confiance qui charme un si bon père.
Ne vous découragez point de vos faiblesses. Il y a une manière de les supporter sans les flatter, et de les corriger sans impatience. Dieu vous la fera trouver, cette manière paisible et efficace, si vous la cherchez avec une entière défiance de vous-même, et marchant toujours en sa présence comme Abraham.
Au nom de D[ieu] que l'oraison nourrisse votre coeur, comme les repas nourrissent votre corps. Que l'oraison de certains temps réglés soit une source de présence de D[ieu] dans la journée, et que la présence de D[ieu] devenant fréquente dans la journée soit un renouvellement d'oraison. Cette vue courte' et amoureuse de Dieu ranime tout l'homme, calme ses passions, porte avec soi la lumière et le conseil dans les occasions importantes, subjugue peu à peu l'humeur, fait qu'on possède son âme en patience, ou plutôt qu'on la laisse posséder à Dieu. Renovamini spiritu mentis vestrae5 . Ne faites point de longue oraison. Mais faites-en un peu au nom de D[ieu] tous les matins en quelque temps dérobé. Ce moment de provision vous nourrira toute la journée. Faites cette oraison, plus du coeur que de l'esprit, moins par raisonnement, que par simple affection. Peu de considérations arrangées, beaucoup de foi et d'amour.
Il faut lire aussi, mais des choses qui vous puissent recueillir, fortifier, et familiariser avec D[ieu]. Vous avez une personne qui peut vous indiquer les lectures qui vous conviennent'. Ne craignez point de fréquenter les sacrements selon votre besoin et votre attrait. Il ne faut pas que de vains égards vous privent du pain descendu du ciel, qui veut se donner à vous. Ne donnez jamais aucune démonstration inutile'. Mais aussi ne rougissez jamais de celui qui fera lui seul toute votre gloire.
Ce qui me donne de merveilleuses espérances, c'est que je vois par votre lettre que vous sentez vos faiblesses, et que vous les reconnaissez humblemen