Eléments biographiques, Témoignages, Études
ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES
TÉMOIGNAGES
ÉTUDES
Opus
« Madame
Guyon »
Quinze ouvrages
Madame Guyon Oeuvres
mystiques choisies
I
Vie par elle-même I &
II. – Témoignages de
jeunesse.
II
Explication choisies des Écritures.
III Oeuvres mystiques (Opuscules spirituels choisis).
IV Correspondance I. Madame Guyon dirigée par Bertot puis Directrice de Fénelon.
V Correspondance II. Autres directions - Lettres jusqu’à la fin juillet 1694.
VI Les Justifications. Clés 1 à 44.
VII Les Justifications. Clés 45 à 67 - Pères de l’Église.
VIII Vie par elle-même III. – Prisons – Compléments – pièces de procès.
IX Correspondance
III. Du
procès d’Issy aux prisons.
X Correspondance
IV. Chemins mystiques.
XI Années
d’épreuves – Emprisonnements et interrogatoires –
Décennie à Blois.
XII Discours
Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie
intérieure.
Éléments
biographiques, Témoignages, Etudes.
Indexes et Tables.
Madame Guyon (1648-1717) n’a rien inventé au niveau théologique : elle ne s’intéressait pas « aux idées » et conserva l’orthodoxie commune dans laquelle elle baignait depuis l’enfance. Elle suivit la tradition mystique bien établie des Ordres anciens rénovés avant 1650 puisque chacun d’eux lui apporta son aide : la parole d’un franciscain l’éveilla, elle fut soutenue par une bénédictine, elle correspondit avec un grand carme et elle fréquenta un simple prêtre, monsieur Bertot. Des influences italiennes qui s’exerçaient déjà dans le Dauphiné français chez la Mère Bon, lui furent probablement transmises par l’intermédiaire de son confesseur, le Père Lacombe, et renforcées par sa rencontre avec Malaval et par son voyage en Italie.
La Mère Granger qui se sent décliner, confie Mme Guyon à M. Bertot : une nouvelle génération arrive. Des liens très importants vont se tisser avec divers membres du cercle normand de l’Ermitage : avant même qu’elle ne rencontre M. Bertot, Archange Enguerrand, qu’elle appelle « le bon franciscain », l’ouvre à la vie intérieure ; or il a lui-même pour père spirituel Jean Aumont, disciple de Bernières : voilà une « chaîne secondaire » qui relie Mme Guyon à Bernières. Les dits de Marie des Vallées, voisine respectée de l’Ermitage, lui sont connus : lorsqu’elle rassemblera les écrits de Bertot pour qu’ils soient édités par le groupe de Poiret, elle y fera ajouter le beau mémoire sur Marie des Vallées1. Enfin elle fréquentera et appréciera Mectilde devenue la Mère fondatrice du Saint-Sacrement : elle la qualifiera de « sainte ». Certes, elle ne pouvait citer Bernières compte tenu de la condamnation post-mortem de ce dernier2, bien gênante puisqu’elle se produisit pendant ses années actives publiques parisiennes, mais nous verrons que Bernières restera dans la mémoire des cercles spirituels établis en Hollande, Écosse, Suisse3, Allemagne.
En dehors d’Enguerrand, les liens avec la mouvance franciscaine sont importants. Dans ses Justifications, Mme Guyon cite un autre franciscain contemporain qu’elle appelle « l’auteur du Jour mystique » : il s’agit du capucin Pierre de Poitiers, autre influence franciscaine, mais hors du Tiers Ordre du P. Chrysostome. Enfin, on voit que le groupe guyonien faisait confiance aux franciscains puisque les papiers de Bertot furent déposés au couvent franciscain de Nazareth, alors dirigé par Paulin d’Aumale, qui les fit parvenir à Mme Guyon.
On voit bien à son propos comment un réseau informel d’amitiés spirituelles permet à des mystiques de s’entraider dans la pratique de l’oraison : les relations entre personnes sont fondamentales. Les « aînés » sont au service des « novices » et le réseau d’amis s’active lorsqu’il s’agit d’aider une jeune « novice » et de lui trouver une bonne direction spirituelle : Archange Enguerrand éveille Mme Guyon à la vie intérieure4 et lui fait rencontrer la Mère Granger5. Celle-ci la prend en charge6 et la jeune femme a ainsi la chance d’être en contact avec une grande ancienne née en 1600 (Bernières est né en 1601). À son tour la supérieure du couvent de Montargis veille à ce que Mme Guyon rencontre le meilleur directeur de l’époque et la présente à M. Bertot. D’où cette séquence d’amis : Archange Enguerrand > Geneviève Granger > Jacques Bertot.
Rendre compte des événements vécus lors de la jeunesse et du mariage, de voyages hors de France, des honneurs de la Cour à la honte des interrogatoires policiers et des emprisonnements ? Il existe de bonnes introductions à la période « publique » et Louis Cognet avait l’espoir d’achever sa monographie. Ce qu’il a eu le temps de réaliser sous le titre de Crépuscule des mystiques ainsi qu'une entrée du Dictionaire de Spiritualité7 demeure inégalé8. J’ai assuré une suite pour éclairer la période des enfermements9. Quelques approches modernes sont recommandables10. Et la Vie écrite par elle-même s’est avérée la meilleure source vérifiée par des études modernes11. Elle témoigne d’une existence surmontant des résistances variées au prix de tourments qui laissèrent peu de place à une « quiétude » vue de l’extérieur. La timidité et le respect des conventions de la jeune femme avant et au début de son mariage laissent place à une volonté de fer et à un esprit de liberté qui affronte la coalition des structures civiles et religieuses de l’époque avec une intelligence dont témoignèrent amis et ennemis. Finalement, après la tempête, demeure chez la vieille dame une vision paisible et ample qui associe respect de la tradition et liberté des opinions.
La petite fille est confiée à quatre ans aux bons soins de religieuses. Éveillée, elle sait comment éviter le simulacre de martyre joué par ces dernières, en leur objectant : « Il ne m’est pas permis de mourir sans la permission de mon père ! 12» Livrée à elle-même lorsqu’elle retourne dans sa famille, elle va « dans la rue avec d’autres enfants jouer à des jeux qui n’avaient rien de conforme à sa naissance. » Sa demi-sœur religieuse du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle » — et qui savait le latin — l’éveille à la vie de l’esprit. Mais la jalousie de l’autre demi-sœur religieuse et les réprimandes de confesseurs assombrissent cette adolescence.
Elle est mariée à seize ans :
« mon mari avait vingt et deux ans de plus que moi, je voyais bien qu’il n’y avait pas d’apparence de changer… outrée de douleur, il n’y avait que six mois que j’étais mariée, je pris un couteau, étant seule, pour me couper la langue… J’eus quelque temps un faible que je ne pouvais vaincre qui était de pleurer… L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche… Je m’en plaignais quelquefois à la Mère Granger 13 qui me disait : “Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout” ? »
Elle a été initiée à la vie intérieure par deux mystiques : le franciscain Enguerrand14 et cette religieuse bénédictine. Après
« douze ans et quatre mois de mariage »
son mari meurt avec courage et reconnaissance :
« Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens… »
Le premier à aider Madame Guyon fut donc Archange Enguerrand15 : en 1668, il revenait d’un séjour au mont Alverne, le célèbre « désert » franciscain, quand il rencontra à Montargis Mme Guyon âgée seulement de vingt ans, et en pleine recherche spirituelle. Elle raconte ici avec quelle efficacité il l’introduisit à la vie intérieure :
De loin qu’il me vit, il demeura tout interdit, car il était fort exact à ne point voir de femmes, et une solitude de cinq années dont il sortait ne les lui avait pas rendues peu étrangères. Il fut donc fort surpris que je fusse la première qui se fut adressée à lui, ce que je lui dis augmenta sa surprise, ainsi qu’il me l’avoua depuis, m’assurant que mon extérieur et la manière de dire les choses l’avaient interdit, de sorte qu’il ne savait s’il rêvait. […] Il fut un grand temps sans me pouvoir parler. Je ne savais à quoi attribuer son silence. Je ne laissai pas de lui parler et de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l’oraison. Il me répliqua aussitôt : « C’est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre cœur et vous l’y trouverez.16 » En achevant ces paroles, il me quitta, disant qu’il allait chercher des écrits afin de me les donner. Il m’a dit depuis que c’était bien plutôt la surprise afin que je ne m’aperçusse pas de son interdiction.17
Le lendemain matin, il fut bien autrement étonné lorsque je fus le voir et que je lui dis l’effet que ses paroles avaient fait dans mon âme ; car il est vrai qu’elles furent pour moi un coup de flèche qui perçèrent mon cœur de part en part. Je sentis dans ce moment une plaie très profonde, autant délicieuse qu’amoureuse…18
Le « bon religieux fort intérieur de l’ordre de Saint François » resta probablement quelques mois au couvent de récollets de Montargis : c’est lui qui lui fit rencontrer la Mère Granger. Par la suite Mme Guyon le reverra de loin en loin : à Corbeil en 1681 ; au moment où elle décidera se rendre à Gex, il la préviendra judicieusement contre les Nouvelles Catholiques dans lesquelles elle comptait s’engager. Enfin, en 1696, elle le demandera en vain comme confesseur lors de son emprisonnement :
En cette extrémité, je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne. L’on me demanda qui je souhaitais ; je nommai le P. Archange Enguerrant [sic], récollet d’un grand mérite, ou bien un jésuite. Non seulement on ne voulut m’en faire venir aucun, mais on me fit un crime de cette demande.19
Gardien du couvent de Saint-Denis (1670-1672), prédicateur assez réputé en 1677, provincial en 1683 de la province couvrant Artois, Hainaut et Flandre française, il fut ensuite exilé dix ans à l’autre extrémité du royaume à Saint-Jean-de-Luz, à cause d’une affaire (inconnue) qui avait provoqué une intervention de la Cour. En 1694 il fut chargé d’une communauté de sœurs visitandines : « C’est à quoi je ne suis plus guère propre après dix ans d’exil ». Il mourut à Paris le 23 avril 169920.
Archange Enguerrand avait été formé par Jean Aumont21, et se rattachait donc par son intermédiaire au réseau d’amis de l’Ermitage. Il fut aussi en relation avec Le Gall du Querdu22. Il connaissait bien Mectilde, la Mère du Saint-Sacrement (que Mme Guyon fréquentera à Paris) : la réformatrice bénédictine pratiquait l’adoration perpétuelle, sujet du premier ouvrage imprimé d’Archange23.
Celui-ci eut la bonne idée de confier Mme Guyon à la Mère Granger, supérieure du couvent des bénédictines de Montargis24.
Dès qu’elle fut mariée, la jeune Madame Guyon fut en prise avec un vieux mari et une belle-mère difficile, qui étaient opposés à l’attirance de la jeune femme vers l’intériorité. Elle fut très heureuse de pouvoir se réfugier auprès de Geneviève Granger, qui va lui apporter un soutien « maternel » et la guider à partir de
1668. La Vie par elle-même25 fait le récit de cette bonne direction, qui savait joindre prudence, encouragement, incitation au retour intérieur, engagement et dépassement :
À mon retour, je fus trouver la mère Granger, à qui je contai toutes mes misères et mes échappées [infidélités, 1.14.1sv.]. Elle me remit, et m’encouragea à reprendre mon premier train ; elle me dit de couvrir entièrement ma gorge avec un mouchoir… [1.14.5.]
Sitôt que je vis la petite vérole au logis, je ne doutai point que je ne la dusse prendre. Je fus consulter la Mère Granger aux Bénédictines qui me dit de m’éloigner si je pouvais. [1.15.1]
Elle devait se cacher ou trouver des subterfuges pour la fréquenter : ;
[Mon Dieu,] Vous me faisiez trouver des providences toutes prêtes pour écrire à la Mère Granger lorsque j’étais le plus pressée de peines, et je sentais de forts instincts de sortir quelquefois jusqu’à la porte, où je trouvais un messager de sa part qui m’apportait une lettre qui n’aurait pu tomber entre mes mains sans cela. [1.17.5]
J’avais une extrême confiance à la Mère Granger. Je ne lui cachais rien, ni de mes péchés, ni de mes peines, je n’aurais pas fait la moindre chose sans la lui dire : je ne faisais d’austérités que celles qu’elle me voulait permettre. […] Mon confesseur et mon mari me défendirent de nouveau de la voir. Il m’était presque impossible d’obéir. […] Comme je l’aimais beaucoup, je ne pouvais m’empêcher de la justifier et d’en dire du bien ; et cela les mettait en telle colère qu’ils veillaient encore de plus près pour m’empêcher de l’aller voir […] Je prenais prétexte d’aller voir mon père et j’y courais, mais sitôt que cela était découvert, c’était des croix que je ne puis exprimer […] Ma belle-mère se mettait sur un certain petit vestibule, personne ne pouvait sortir du logis qu’elle ne les vît et qu’ils ne passassent auprès d’elle. Elle leur demandait où ils allaient, et ce qu’ils portaient : il fallait le lui dire, de sorte que quand elle savait que j’avais écrit à la Mère Granger, c’était un bruit terrible […] Je m’en plaignais quelquefois à la Mère Granger, qui me disait : « Comment les contenteriez-vous puisque, depuis plus de vingt ans, je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout ? » [1.17.6-7]
La Mère Granger pouvait réagir vivement :
Un jour que pénétrée vivement de cette pensée et de cette peine [l’absence de Dieu] je lui dis que je ne vous aimais plus, unique Objet de mon amour, elle me dit en me regardant : « Quoi ! vous n’aimez plus Dieu ? » Ce mot me fut plus pénétrant qu’une flèche ardente. Je sentais une peine si terrible et une interdiction si forte, que je ne pus lui répondre, parce que ce qui s’était caché dans le fond se fit d’autant plus paraître dans ce moment que je le croyais plus perdu. [1.23.3]
Elle lui fit signer un « contrat » le jour de la Madeleine :
La Mère Granger m’envoya un petit contrat tout dressé, je ne sais par quelle inspiration. Elle me manda de jeûner ce jour-là et de faire quelques aumônes extraordinaires, et le lendemain dès le matin, jour de la Madeleine, d’aller communier une bague dans mon doigt, et lorsque je serais revenue au logis, de monter dans mon cabinet où il y avait une image du Saint Enfant Jésus […] Le contrat était tel : « Je promets de prendre pour mon époux Notre Seigneur Enfant, et me donner à lui pour épouse, quoiqu’indigne. » [1.19.10.]
L’aide se poursuivit par delà la mort :
J’appris avant de m’en retourner que la Mère Granger était morte. J’avoue que ce coup me fut le plus sensible que j’eusse encore eu. […] Il me semblait que si j’avais été à sa mort, j’aurais pu lui parler et m’instruire de quelque chose […] Il est vrai que quelques mois avant sa mort, j’eus une vue que, quoique je ne la pusse voir qu’avec une extrême difficulté et sans souffrir, elle m’était encore un soutien. [1.20.4]
M. Bertot, quoiqu’à cent lieues du lieu où la Mère Granger mourut, eut connaissance de sa mort [le 5 octobre 1674] et de sa béatitude, et aussi un autre religieux. Elle mourut en léthargie, et comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit : « Je l’ai toujours aimée en Dieu » et ne parla plus depuis. Je n’eus aucun pressentiment de sa mort. [1.20.7]
À quelques années de là, la Mère Granger m’apparut en songe, et me dit : « Soyez assurée que Notre-Seigneur pour l’amour qu’il vous porte a délivré votre mari du purgatoire le jour de la Madeleine… » [1.22.7]
C’est lors d’une fête de la Madeleine que, six ans après la mort de la religieuse, Mme Guyon sera délivrée d’une longue nuit intérieure.
Geneviève Granger, se voyant vieillir, décida de confier Mme Guyon au mystique qu’elle estimait le plus : le successeur de Bernières, M. Bertot. Elle sera la plus grande de ses disciples.
Mme Guyon ne la connut pas, mais elle pensait que la Mère Bon prenait soin d’elle par delà la mort. Elle raconte dans sa Vie qu’elle l’avait vue en rêve :
Il se présenta à moi à quelque temps de là, la nuit en songe, une petite religieuse fort contrefaite, qui me paraissait pourtant et morte et bienheureuse. Elle me dit : « Ma sœur, je viens vous dire que Dieu vous veut à Genève. » Elle me dit encore quelque chose dont je ne me souviens plus. J’en fus extrêmement consolée, mais je ne savais pas ce que cela voulait dire. Selon le portrait de la mère Bon, que j’ai vu depuis, j’ai connu que c’était elle ; et le temps que je la vis se rapporte assez à celui de sa mort. 26
Si Mme Guyon n’a pas connu directement la Mère Bon, elle aimait lire son Catéchisme spirituel puisqu’on le trouve relié avec des copies des Torrents. On sait aussi que le P. La Combe l’admirait. Mme Guyon fut sûrement en contact avec les amis de la Mère Bon : on sait que celle-ci dirigea une comtesse piémontaise, qui fonda à Turin un couvent d’ursulines, or madame Guyon sera en relation avec une comtesse et son couvent lors de son séjour turinois.
La Mère Marie Bon, suspectée de quiétisme, n’a pas été reconnue à sa juste valeur malgré le livre du P. Maillard27. Ce n’est qu’à l’époque moderne que Bremond fera d’elle « la vivante réalisation de ce que les théoriciens de la mystique ont décrit de plus sublime. »28.
Elle donna sa vie à Dieu. Née d’un père avocat au Parlement de Grenoble, elle perdit sa mère à l’âge de deux ans. « Les religieuses ne voulaient pas la recevoir à cause de sa petite taille et de ses infirmités 29 ». Elle entra cependant en religion à vingt et un ans, le 20 décembre 1657. En 1661, une vision du Crucifié mit fin à une période de troubles intérieurs. Elle obtint de Dieu de cacher toute manifestation de ses grâces tandis qu’elle assurait l’enseignement des filles selon la vocation des ursulines.
Les religieuses « attribuaient ses faiblesses à la continuelle attention qu’elle apportait aux opérations de Dieu dans son cœur. Mais elle dit à l’une de ces religieuses que son mal venait au contraire de ce qu’elle ne s’appliquait pas assez à Dieu. Elle ajouta qu’elle puisait ses forces dans la contemplation [54] ». Un jour, elle eut la vision d’une « personne renfermée dans un globe de cristal », ce qui lui fut expliqué ainsi : Vous êtes dans Moi, Je vous environne de tous côtés : tout ce qui vous vient de la part des créatures passe par Moi [66].
Alors qu’elle était accoutumée
de former des intentions très pures au commencement de ses actions [86] […] [Dieu] lui montra qu’il y avait quelque amour propre […] la satisfaction d’être assurée qu’elle faisait ses actions pour Dieu. Afin de détruire ce défaut […] elle devait regarder Dieu seul, Lui abandonner ses propres intentions […] Le voir opérant dans elle comme dans un néant qui ne peut produire aucune chose ; qu’Il régnait ainsi dans l’âme, laquelle n’usait alors de sa liberté que selon les mouvements de la grâce, lui disant : « Sacrifiez-moi le désir que vous sentez [101] d’avoir de l’humilité, pour vous rendre conforme à ma volonté et ne considérez pas cette vertu en vous, parce que vous la perdrez lors que vous croirez la posséder […] vous devez suivre seulement la lumière que Je répands dans votre esprit, comme les israélites suivaient l’Ange. » »
Vers 1664, Courbon, vicaire de l’archevêque de Vienne, lui commandant d’écrire, elle adressa à son directeur l’exposé suivant :
Mon âme se trouve dans un simple regard de Dieu, ou pour mieux dire, dans une simple attention à la parole de Dieu dans mon [124] cœur, se tenant dans un profond respect et dans un silence semblable à celui que l’Amante Madeleine gardait aux pieds de son Sauveur. Car c’est ainsi qu’Il me l’a fait voir Lui-même…
Il n’y a de ma part dans cette divine opération que l’acquiescement […] Tout ce qui n’est pas Dieu éloigne l’âme de lui, et empêche le cours de [125] Sa grâce : laquelle exige de couler continuellement dans l’âme afin qu’elle s’y étende. Et de même que l’eau d’une vive source court promptement, lors qu’ayant été retenue elle trouve un passage libre par quelque canal bien net et bien préparé. Ainsi cette grâce ayant arrêté son cours par l’infidélité de l’âme, elle se répand à la même vitesse, quand cette âme retourne à sa première fidélité. C’est ce qui m’arrive quelquefois…30
L’assassinat de son père le 21 septembre 1664 la plongea dans une nuit spirituelle :
Lorsque vous êtes fortement poussée à vous jeter par la fenêtre, vous n’y consentez pas, car vous vous retirez promptement : sachez qu’il en est de même de vos autres tentations [163]. Elle reconnut que son amour propre lui faisait craindre de devenir folle…
Elle appliquait sa prière au soulagement des âmes du Purgatoire :
Je m’étonnais de ce qu’Il voulait se servir de moi pour sauver les âmes […] Ne sais-tu pas que tu es un néant et que c’est pour cela que Je t’ai choisie ? [245]
On lui ordonnait souvent de se mettre au parloir malgré ses infirmités. Dieu lui révélait les secrets des consciences. Les gens accouraient de tous côtés :
Elle disait avec une sainte liberté […] aux gens de qualité et aux autres, les défauts […] Ils n’avaient aucun repos de conscience qu’ils n’eussent exécuté ce qu’elle [250] les avait priés de faire. Il n’était pas nécessaire que chacun lui dit ses dispositions intérieures [251] pour lui déclarer son état : les lumières de la grâce les lui faisaient voir aussitôt qu’on commençait à lui parler.
Ceci lui attira des jalousies : son Traité de l’oraison la fit accuser d’hérésie, mais une traduction italienne fut approuvée.
Elle fut deux fois supérieure, avant une persécution qui dura sept ans :
[La nouvelle supérieure] lui ordonna de la lui demander [la communion], comme les novices le pratiquent, toutes les fois qu’elle voudrait s’approcher des saints mystères […] elle se soumit volontiers […] elle prenait le temps des assemblées de la Communauté et se mettait à genoux devant la Supérieure [279].
Cette persécution s’acheva dix-huit mois avant sa mort à l’âge de quarante-cinq ans.
Madame Guyon aimait lire son « catéchisme » qui traite des grands thèmes mystiques : Dieu seul, le chemin désintéressé, l’adhérence à la grâce. Il a été écrit sous forme d’un dialogue :
D. Que peut faire l’âme ainsi dénuée de tout plaisir, jugement volontaire et intérêts propres ? — M. Elle n’a jamais fait de si bonnes affaires qu’elle en fait pour lors, parce que jouissant de [662] Dieu d’une manière inconnue aux sens, elle opère par Lui, et Il opère en elle, de sorte que ses opérations sont toutes saintes et d’un mérite très grand. C’est pour lors […] qu’elle peut être appelée spirituelle ; parce qu’elle n’est plus que pour adhérer à l’esprit de la grâce […] pour lors elle peut dire avec vérité les paroles de St Paul : « je vis en moi, mais non plus moi, mais l’esprit de Jésus-Christ vit en moi ».
[668] M. L’anéantissement doit détruire toute présomption et donner la gloire à Dieu de toutes ses bonnes œuvres. Il faut de plus retrancher les paroles, je ne suis rien, je suis un grand pécheur et je ne fais que du mal, d’autres semblables, lesquelles ordinairement ne sont que compliment de l’amour propre.
[676] D. Ce que c’est qu’adhérer simplement à Dieu ? — M. Adhérer simplement à Dieu, c’est se soumettre à Sa volonté, sans raisonnement, par la connaissance qu’Il en donne ; ne pas prendre conseil avec soi-même pour savoir si on doit se soumettre ou non ; et enfin, faire la volonté de Dieu intérieurement et extérieurement sans perdre la vue de Dieu pour la faire, et sans s’occuper l’esprit […]
D. Pourquoi il faut ainsi nous détruire nous-mêmes pour agir simplement ? — M. Cette simplicité, pour être parfaite, demande ces anéantissements parce que son occupation est de regarder Dieu en tout temps et en tout lieu comme son unique objet et sa fin dernière sans permettre même à l’âme qui la pratique de considérer distinctement ce qu’elle fait en cette pratique et ce qu’elle y acquiert, non pas même de voir si Dieu est son unique objet par une application particulière [678] de sorte que l’on pourrait dire de l’âme qui agit simplement qu’elle agit purement, parce qu’elle est toute perdue en Dieu et n’agit que par Lui, c’est pour lors qu’elle est, parce qu’elle cesse d’être à elle-même pour être à Dieu.
M. [682] Le chemin que je veux vous montrer et que je souhaite que vous marchiez à grands pas, porte le nom de la Voie ou Chemin Désintéressé […] — D. Ayez la bonté de me conduire à cette porte. — M. Cette porte n’est autre que l’humble prière […] [683] qui se fait dans le cœur par adhérence aux mouvements de l’esprit de la grâce, lequel donne à un cœur qui lui est soumis, ce qu’il doit demander et la manière…
En analysant les difficultés rencontrées dans l’oraison, elle met en garde contre les pensées contrôlées par l’entendement et qui empêchent le vide nécessaire à l’opération divine. Elle sous-entend par là les méditations (considérations) sur un thème :
D. S’il arrivait de bonnes pensées dans l’imagination […] faudrait-il les détruire ? — M. Il n’y a pas de nécessité de détruire les pensées qui occupent l’imagination : il se peut même faire que l’imagination étant ainsi occupée sans que l’âme ait pris aucun soin, donnera à la volonté une plus grande facilité pour faire sa prière. [692]
D. Quelle différence mettez-vous entre la considération et la pensée qui vient de l’imagination ? — M. Ce qui fait cette différence, est que la volonté se porte délibérément à faire que l’entendement soit occupé dans une pensée ou sujet pour le considérer […] Si bien que [693] toute l’âme, ou du moins ses trois puissances, se trouvent toutes occupées et remplies de telle sorte qu’il n’y reste point de vide pour recevoir l’opération de Dieu, [mais] au contraire une opposition générale par l’attachement volontaire qu’elles ont au sujet qui les occupe.
Par contre, les pensées qui surgissent spontanément n’ont pas d’importance :
Cette opposition n’est pas dans la pensée qui se présente à l’imagination, parce que l’âme ne l’ayant pas choisie elle n’y a pas de volonté, ni par conséquent de propriété et d’attachement, et venant à s’en apercevoir, elle s’en défait ordinairement comme d’un sujet qui vient la séparer de celui qu’elle s’est choisi et auquel elle veut se tenir…
Elle insiste sur le libre don de Dieu à tous, montrant le même optimisme que Mme Guyon dans son Moyen court :
[700] M. Ceux qui disent que l’oraison est un don de Dieu, disent le vrai. Mais lorsqu’ils ajoutent qu’il ne le donne pas à tous, ils se trompent […] Il ne tient qu’à l’âme de faire oraison […] un peu d’amour pour Dieu ou pour elle-même la ferait profiter de l’esprit de prière et d’oraison qui est en elle […] on viendrait à connaître par expérience qu’il n’est pas difficile de suivre les divins mouvements pour prier.
Elle montre que l’obsession des vertus n’est qu’attachement à sa propre perfection :
La privation des effets sensibles de la grâce [a lieu] pour retrancher les dérèglements de l’amour propre […] il faut qu’elles [les âmes] se perdent si bien en Dieu qu’elles ne voient que Lui et non plus elles-mêmes…
[723] D. Il faut donc préférer l’attrait qui unit l’âme à Dieu à tous ceux que l’on a pour la pratique de la vertu ? — M. Oui, il le faut […] Combien de personnes s’éloignent de la perfection par le défaut de fidélité [724] sans néanmoins en manquer aux autres attraits qu’elles ont pour la pratique des vertus […] de sorte que regardant les dispositions que la présence de Dieu lui communique comme moyen de se rendre plus parfaite, elle s’y attache et s’en sert par intérêt propre et ne craint point de perdre la vue de Dieu pour celle qu’elle prend plaisir d’avoir en Ses dons ; de sorte que si la divine Bonté ne retirait pas Ses dons pour la remettre en son devoir, elle resterait dans son aveuglement. […] Pour tout avoir, il ne faut rien avoir…
Un acquiescement de volonté en silence à celle de Dieu par lequel l’esprit [739] agit ou n’agit pas suivant ce que cette divine Volonté ordonne, et cet acquiescement produit sans bruit […] [la] pure foi.
Si l’on est préoccupé par son imperfection, une seule solution :
[745] Dieu est ce grand miroir […] dans la glace duquel l’âme chrétienne aperçoit ses défauts, et la fidélité qu’elle a à s’y regarder, lui mérite la grâce de les détruire ; c’est là que les imperfections lui paraissent telles qu’elles sont, l’amour propre n’ayant [aucun] moyen de les couvrir du manteau de déguisement. L’âme qui veille à Dieu, Il a Lui-même la bonté de veiller pour elle sur elle-même ; de sorte qu’elle pourrait dire qu’elle se voit par les yeux de Dieu et non point autrement.
L’âme est abandonnée au divin :
[763] L’âme qui est à Dieu par l’abandon ou donation qu’elle lui fait d’elle-même et de tout ce qui la touche, demeure en repos et en silence auprès de Lui sans souci, sans dessein, sans volonté, éloignée de toute inquiétude parce qu’elle ne veut que la volonté de Dieu à laquelle elle adhère simplement, bien que l’amour-propre et la conduite humaine s’y opposent […]
La mère Bon récapitule ce que l’âme a traversé, en insistant sur la nécessité de la discrétion et d’une vie cachée :
[781] Par la connaissance de soi-même on se voit inhabile à la pratique du bien sans le secours de la grâce…
[793] l’âme dans cette vie de Dieu reçoit de sa bonté un nombre infini de bons sentiments qu’elle rend en même temps à son bienfaiteur […], mais comme elle n’a pas encore la pureté d’amour qui lui est nécessaire, elle reste dans ses élans et transports d’amour, par l’ardeur desquels elle se purifie et dépouille des sentiments naturels, des désirs des choses créées, des attachements qu’elle y a […]
[794] Ces transports et élans amoureux doivent être modérés en sorte qu’ils ne paraissent pas à l’extérieur […] cette grâce demande que celles qui l’ont reçue commencent à mener une vie cachée […] et pour cet effet elle doit taire tous ses bons sentiments, ne pas parler de Dieu ni de la vertu, quelque bonne intention qui la pousse.
La belle fin du Catéchisme décrit l’occupation de l’âme qui a tout quitté pour Dieu :
[802] L’occupation de l’âme dans cet état n’est autre qu’une cessation de toute occupation pour se laisser occuper de Dieu seul, un anéantissement continuel de ses puissances intérieures pour se [803] perdre en lui et en être possédé ; son oraison peut être appelée un silence intérieur par lequel elle prie […] contemplation infuse de la part de Dieu et passive de la sienne pour le recevoir.
[831] Aimer Dieu par lui-même c’est avoir anéanti toutes ses propres opérations, exceptée celle de la simple attention à Dieu par la foi et la simple adhérence […] il lui semble toutefois souvent qu’elle est sans amour parce qu’elle n’a plus de sentiment sensible ni d’affection dans le cœur qui l’en assure : comment pourrait-elle en avoir puisque pour aimer purement il faut de nécessité n’être plus.
[832] La vertu de simplicité […] est une émanation de l’être simple de Dieu […] elle fait que l’âme quitte la multiplicité pour se tenir dans l’unité, qu’elle quitte toutes pensées et même les lumières surnaturelles et les grâces reçues pour ne voir que Dieu.
D. L’âme n’acquiert-elle point d’autre bien […] ? — M. La connaissance expérimentale d’elle-même, par laquelle elle est en état de ne se fier plus à elle-même, et de ne s’attribuer jamais la gloire du bien qu’elle fera, mais à Dieu qu’elle voit en être l’auteur.
La plupart des spirituels estiment nécessaire de partir à l'écart du monde pour chercher l'expérience intérieure. Ils pensent que la nature humaine est trop faible pour se passer d’un cadre fort. Ils construisent des bâtiments prévus à cet effet et embrassent la vie monastique pour ne pas être distraits de la contemplation.
Les mystiques dont nous parlons ne nous ont laissé ni bâtiments ni règles, mais des lettres31. Par chance, sont parvenus jusqu’à nous trois vastes recueils épistolaires qui se relaient en formant une belle continuité : nous avons vu les lettres de Bernières qui couvrent les années ~ 1635 à 165932, celles de Bertot vont de 1660 à 168133, et les lettres de Guyon de ~1686 à 171734. C’est là l’extraordinaire édifice qu’ils nous ont laissé. En dehors de cette « École », on ne rencontre guère d’échanges complets de lettres entre spirituels, car la tradition religieuse privilégie souvent les écrits du saint fondateur, mis sur un piédestal, et néglige ses interlocuteurs et ses successeurs. Les correspondances passives ont souvent disparu.
Ce cas unique d’une « conspiration » réussie où le devoir de mémoire est accompli, n’est-il que la réponse typique d’une minorité persécutée ? Plutôt conscience de la valeur unique d’entretiens essentiellement mystiques — pas d’affaires d’intendances — et préservés « sans coupures » par omission de l’un ou de l’autre interlocuteur.
Chaque génération était très consciente de la valeur de ces lettres qui transmettaient toute une expérience. Ils ont pris soin de les sauver à tout prix. Ils voulaient éviter la disparition de ces témoignages de la vie mystique menée en commun.
L’histoire de ces sauvetages reste à faire et l’on peut la résumer ainsi : Mectilde a repêché avec difficulté des écrits de Chrysostome gardés par ses confrères du Tiers Ordre Régulier, et Jean de Bernières l’a préservé en l’éditant à ses frais à Caen ; puis sa sœur Jourdaine a sauvé son oeuvre du désastre de la réécriture opérée par le co-rédacteur du Chrétien intérieur. Mme Guyon a sauvé de même Bertot avec l’aide d’une amie car pendant ses emprisonnements elle a pu faire préserver par ses proches les lettres qu’elle-même avait reçues de son Directeur. L’admiration de Pierre Poiret a préservé entièrement les écrits de Mme Guyon malgré l’opposition de certains disciples qui se disputaient après sa mort sur l’opportunité de publier la Vie par elle-même. Enfin, les bénédictines « filles » de Mectilde ont sauvé cette dernière en recopiant durant trois siècles des milliers de fois les lettres et « dits » de leur fondatrice, y compris de précieuses lettres de Bernières, nous permettant d’authentifier ce qui nous en est parvenu.
La rencontre du maître et de la dirigée eut lieu le 21 septembre 1671.
Jeanne de la Motte-Guyon (1648-1717) a d'abord été une jeune fille de la riche bourgeoisie provinciale. Éduquée chez les bénédictines, elle eut la chance de rencontrer la Mère Geneviève Granger (1600-1674) dont la profondeur et le rayonnement l'attirèrent très jeune vers la vie contemplative. Elle menait donc de front la pratique de l’oraison et la vie traditionnelle d’une jeune fille : elle consacrait plusieurs heures par jour à la prière et faisait des retraites. Mais elle fut arrachée à ce cadre idéal quand on la maria au riche et vieux M. Guyon qui voulait qu'elle lui consacre tout son temps ! Sa belle-mère la surveillait et l'empêchait de prier. Ces contraintes la rendaient malade, engendraient chez elle une immense souffrance et un désir de solitude impossible à satisfaire.
Par bonheur, la Mère Geneviève Granger, qui se sentait vieillir, lui fait rencontrer l'un des plus grands mystiques de son temps, le prêtre Jacques Bertot (1620-1681), dont nous avons vu qu’il avait apporté à l’abbaye de Montmartre la spiritualité de l’Ermitage fondé à Caen par Jean de Bernières. Mme Guyon se plaça sous son autorité, ce qui nous vaut maintenant de lire leurs échanges. Elle lui confie combien elle souffre dans une belle famille où elle ne peut pas se consacrer à la recherche de Dieu.
Monsieur Bertot connaissait bien lui-même cette attirance vers la solitude où l’on pense trouver Dieu plus facilement. Voici la jolie lettre envoyée à Mme Guyon en 1674 où il avoue sa nostalgie35 :
L’air du monde non seulement est infecté en plusieurs manières, mais encore il n’a nul agrément, comparé à celui de la solitude où l’on goûte en vérité le printemps et une sérénité qui contient le goût de Dieu. Dieu seul est le printemps de la solitude et c’est là qu’on le goûte.
Il est vrai qu’avant que cela soit et que l’âme ait le calme, le désembarrassement et le reste que Dieu communique en solitude, il faut peiner et travailler, la nature se vidant d’un million de choses qui empêchent l’âme de goûter à loisir cet air doux et agréable d’une solitude calme et tranquille qui, à la suite, lui est vraiment Dieu : car qui fait cette solitude si belle, si sereine, si douce et si agréable, sinon Dieu, qui, se donnant à l’âme et l’âme l’ayant trouvé, elle le goûte et en jouit comme nous jouissons de l’air agréable du printemps, de la beauté des fleurs, de leur odeur plaisante et de tout le reste.
En vérité, les créatures, et le soi-même encore plus, sont un vrai hiver à l’âme qui y habite, et quand l’âme trouve Dieu, elle trouve le printemps en toute manière par la solitude et l’éloignement du créé, en repos et cessation de tout. Je vous avoue qu’un je ne sais quoi me fait soupirer, avec patience et sans désir, après l’entier dégagement de la manière que Dieu le voudra. »
Et pourtant, il refusa toujours de céder à ce désir, considérant qu'il fallait pratiquer l'oraison là où, selon son expression, « l’ordre de Dieu » l’avait placé. Jamais il n’encouragea Madame Guyon à fuir son environnement, mais au contraire il lui ordonna une pratique qui se révélera plus profonde, car elle transcende les contraires : l’oraison au milieu des contraintes domestiques. Leur échange de lettres montre une jeune femme qui obéit comme elle peut aux instructions de Bertot. Petit à petit, on la voit passer du dégoût d'avoir à veiller un vieux mari et du regret de ne pouvoir prier tranquillement dans sa chambre, à une acceptation paisible. Elle part d'un état où elle croit que toute occupation humaine est une perte de temps en comparaison de la vie en Dieu : ce serait tellement mieux si elle était ailleurs. Or, à sa grande surprise, elle va expérimenter tout le contraire :
Il m’est arrivé une fois ou deux, parce que je m'y trouvais fort recueillie, de me retirer pour m'en aller faire oraison, croyant aller faire merveille, et j'expérimentais tout le contraire : c'était une inquiétude et une dissipation qui me peinai [en] t beaucoup et je ne pouvais pas être là en repos, voyant que ce n’était pas l’ordre de Dieu36.
C'est donc dans la médiocrité du réel que se trouve la perfection, car là, à cet instant, Dieu se manifeste. Bertot approuve cette nouvelle expérience :
[…] dire que la soumission et la subordination à un mari et tout le reste d’une condition soit à une âme éclairée divinement un ordre si divin, il faut l'expérience pour le croire ; cependant cela est vrai. C'est pourquoi vous trouverez toujours, lorsque l'ordre divin demandera quelque chose de vous, que vous trouverez plus Dieu en son exécution qu'à faire oraison ou à vous employer dans les plus divins exercices, car l'un vous est Dieu et l'autre ne vous peut être tout au plus qu'une sainte et vertueuse pratique37.
Quand l’état de son mari empire, elle sait maintenant rester bien centrée au cœur de la grâce et ne désire plus rien d’autre que ce qu’elle est en train de vivre :
Depuis dix ou douze jours, M. N. [M. Guyon] a eu la goutte. J’ai cru qu'il était de l'ordre de Dieu de ne le pas quitter et de lui rendre tous les petits services que je pourrais. J'y suis demeurée, mais avec une telle paix et satisfaction que je n'en ai expérimenté de même. Quoique tous ces ajustements me soient insupportables, je ne puis désirer autre chose et j'y suis tellement contente que je ne me trouve pas ailleurs de même. Car quand je le quitte pour des moments pour faire quelques lectures ou prières, c’est avec inquiétude de ce que je n’y vois pas l’ordre de Dieu38.
En acceptant les difficultés comme étant d’origine divine, elle commence donc à ressentir la vie de la grâce, et Bertot en est tout heureux :
Je ne puis vous exprimer ma joie [en] remarquant que vous commencez de goûter les effets de cette eau vive et que, comme vous dites fort bien, ce qui vous aurait donné la mort et qui vous aurait été insupportable vous est présentement délicieux et que non seulement vous y trouvez la vie, mais une souveraine consolation39.
Bertot et Mme Guyon à sa suite vivent donc l'intériorité au milieu des tracas de la vie ordinaire et des circonstances où la Providence divine les met. On ne cherche pas à y échapper, on n’en change pas volontairement, car ce serait affirmer une volonté propre :
La vraie dévotion est de mourir à sa volonté et conduite propre par l’état que la divine Providence nous a choisi, nous laissant entre les mains de la divine Providence comme un morceau de bois en celle d’un sculpteur pour être taillé et sculpté selon son bon plaisir. Il faut bien savoir que cela s’exécute assurément par l’état de votre vocation : les ouvriers qui doivent travailler à faire cette statue sont monsieur votre mari, votre mère, vos enfants, votre ménage40.
Ce que Bertot pratique et enseigne là a été énoncé bien avant lui par Ruusbroec (1293-1381) sous le nom de « vie commune ». Chez lui, le mystique n’est pas accompli tant qu’il n’est pas capable de vivre en même temps sur les deux plans, accueillant les mouvements de la grâce divine tout en agissant sur le plan humain. Voici ce qu’il en dit à la fin de La Pierre brillante :
[…] il est un instrument de Dieu vivant et disponible, avec lequel Dieu opère ce qu’il veut et comme il veut ; et il ne s’attribue pas cela, mais il en donne à Dieu l’honneur ; et voilà pourquoi il reste disponible et prêt pour faire tout ce que Dieu commande, et fort et vaillant pour pâtir et supporter tout ce que Dieu établit sur lui. Et c’est pourquoi il mène une vie commune, parce qu’il est également prêt à contempler et à agir, et il est parfait dans les deux41.
On vit donc comme tout le monde, on ne se réfugie nulle part. Si la solitude vient, c’est qu’elle est voulue par Dieu. Et elle n’est pas toujours agréable, comme les années de prison vécues par Madame Guyon. Toute la personne s’abandonne entre les mains de la grâce. Pour le faire comprendre, Bertot utilise la comparaison suivante :
N’avez-vous jamais pris garde, sur le bord de quelque rivière, comment elle entraîne à son gré par son mouvement propre quelque morceau de bois qui flotte dans l’eau : il ne fait rien et il fait tout, car il se laisse aller au gré de l’eau qui le porte insensiblement jusqu’au plus profond de la mer. Voilà l’exemple d’une âme qui correspond en simple abandon au vouloir divin dans le mal, lequel supplée et contient pour lors tout exercice, de telle manière que souvent même on les perd ; mais encore toutes les lumières, tous les goûts, et tout ce que l’on savait des voies de Dieu s’efface, devenant dénué de tout42.
La métaphore sera développée par Mme Guyon dans les Torrents43 :
Pour les âmes du troisième degré que dirons-nous sinon que ce sont comme des Torrents qui sortent des hautes montagnes ? Elles sortent de Dieu même, et elles n’ont pas un instant de repos qu’elles ne soient perdues en Lui. Rien ne les arrête. Aussi ne sont-elles chargées de rien. Elles sont toutes nues et vont avec une rapidité qui fait peur aux plus assurées. Ces torrents coulent sans ordre çà et là par tous les endroits qu’ils rencontrent propres à leur faire passage. Ils n’ont ni leurs lits réguliers, comme les autres, ni leur démarche dans l’ordre. […]
De tels textes susciteront l’indignation du clergé, car il y verra la permission de faire n’importe quoi. En réalité, même si ces gens vivaient au milieu de la société, ils menaient discrètement une vie très sérieuse. Témoin les vœux secrets de chasteté et de pauvreté que Mme Guyon confia au duc de Chevreuse, et qui la situent dans la mouvance du Tiers-Ordre franciscain44. Son troisième vœu nous intéresse directement :
[…] une obéissance aveugle à l’extérieur à toutes les providences ou à ce qui me serait marqué par mes supérieurs ou directeurs, et au-dedans d’une totale dépendance de la grâce.
Mme Guyon suit donc exactement la même voie que son père spirituel : un abandon qui nécessite d’instant en instant d’ouvrir sa vie aux impulsions divines. Cette ouverture ne nécessite même pas d’effort : elle n’est pas un acte, mais un état où l’on se perd en Dieu d’instant en instant :
Remarquez bien que, quand je vous dis que le moment de ce que vous avez à faire ou à souffrir devient Dieu et est Dieu à une telle âme […] j’entends que tout ce qu’elle a à faire ou à laisser, quelque petit ou naturel qu’il soit, comme le travail, la conversation, le boire, le manger, le dormir et le reste d’une vie sagement raisonnable, est Dieu à telle âme et qu’elle doit être et faire ces choses dans les mêmes dispositions sans dispositions, car c’est par état45.
Le monde entier devient alors signe de Dieu, chaque événement est divin :
[…] il n’y a rien de naturel pour les âmes qui sont assez heureuses de vivre en foi, et qu’encore que les choses arrivent naturellement, tout est divin et conduit par l’infiniment sage Providence. Si bien qu’il ne faut jamais rien regarder naturellement, mais divinement, soit les maladies ou le reste qui nous arrive, tout étant pour la perfection de l’état où nous sommes46.
Si l’on vit dans un monde où le divin est partout, on ne dépend pas d’un lieu pour trouver Dieu. Se retirer dans un lieu particulier n’a pas de sens. Bertot et Guyon ne veulent plus faire des allées et venues entre vie ordinaire et moments de contemplation : ils cherchent la grande unité, la plongée permanente dans le divin, tandis que l’extérieur est soumis aux aléas voulus par la Providence divine. Leur désir est de passer de la dualité extérieur/intérieur, de l’alternance contemplation/vie ordinaire à l’unité en Dieu sans interruption. C'est le but vers lequel Bertot guide la jeune Mme Guyon, là où Dieu disparaît en tant qu'objet à atteindre, pour devenir la Présence au sein de laquelle on vit :
[…] quand, par dénuement et simplicité, l’âme tombe en Dieu, elle devient sans objet, et ce qu’elle a à faire et à souffrir de moment en moment lui devient Dieu et véritablement lui est Dieu. Heureuse une âme qui est appelée de Sa Majesté pour cette grâce ! Car elle trouve le moyen de jouir de Dieu sans moyen [intermédiaire], par où Dieu peu à peu lui devient toutes choses, et toutes choses lui deviennent Dieu47.
Cette vie en Dieu a une contrepartie : une solitude tout intérieure, faite de nudité et d’éloignement du créé. C’est une sorte de désert, de mort, car l’on quitte intérieurement ce qui est humain pour vivre dans le divin :
[…] ainsi insensiblement en nous dérobant de la lumière humaine, nous trouvons la divine, et en nous enterrant en quelque façon tout vivant, nous trouvons la mort qui nous perd aux créatures, à nous-mêmes et à l’humain (comme le tombeau nous dérobent nos amis), pour nous trouver dans la vérité de la foi, qui a et renferme toute vérité48.
Malgré la sévérité de ce texte, il ne faut pas imaginer Bertot attiré par le grand modèle de l'époque qu'était la Trappe. S'il s'incline devant ces héros de la spiritualité, on sent qu'il a quelques doutes sur leur volontarisme et leur orgueil ascétique. Il préfère la modération et quand il analyse sa propre façon de vivre la solitude, c'est avec modestie et réalisme :
[…] en vérité il faut que cela soit bien modéré puisque, quand il y en a plus qu’il ne faut, cela fait toujours un autre tracas et embarras. Heureuses les âmes qui ont le don de la pauvreté absolue, car par là elles ont l’entière solitude sans aucune crainte. Mais c’est une chose que j’admire de loin, me contentant de ma petite grâce et de ma petite solitude. Car selon ce don de pauvreté, la solitude est grande. Pauvreté de biens, d’amis, de créatures : voilà la grande solitude, à laquelle je ne prends part que selon le don de Dieu à mon âme.
Il termine en appelant Mme Guyon à prendre conscience que tout est « bruit » en comparaison du grand silence intérieur :
Je prie Dieu de vous y donner et de vous faire bien entendre le grand bruit des créatures, du soi-même et généralement du créé49.
.
Lorsque Guyon a succédé à Bertot et pris la direction spirituelle de son groupe, la continuité a été totale. Contrairement à Fénelon qui tentait de convertir les gens, elle a toujours jugé sans intérêt de changer de lieu, d'état ou de religion, car l'essentiel est intérieur : s'abandonner à la volonté du Seigneur et accueillir sa grâce dans une solitude intérieure de plus en plus profonde.
À cause de son rayonnement intérieur exceptionnel, s'est formé autour d'elle un groupe extrêmement soudé, qui a résisté vaillamment aux attaques des pouvoirs ecclésiastique et royal. Ils n’étaient soumis à aucune règle, ils ne formaient pas un ordre, ils ne se sont pas réfugiés dans un bâtiment spécial et ne sont pas partis dans la montagne pour vivre l'oraison. Chacun reste là où Dieu l'a placé, et il se trouve qu'au début, ce lieu de vie fut paradoxalement la Cour de Versailles puisque Fénelon était précepteur du Dauphin et Chevreuse ministre de Louis XIV. Ils se réunissaient discrètement pour pratiquer l'oraison dans les appartements des uns ou des autres50 : Fénelon vivait à trente mètres des Chevreuse ! Mme Guyon venait quand le Roi était à Marly, pour ne pas attirer l’attention.
Mais leur rêve de convertir la Cour fut détruit par la disgrâce royale : Fénelon perdit son appartement, Mme Guyon fut enfermée à la Bastille pendant des années, supportant une solitude imposée. Fénelon subit les attaques de Bossuet et finit sa vie exilé à Cambrai où il recevait et dirigeait discrètement ses amis mystiques51 :
Vous me direz peut-être, ma bonne D[uchesse], que ce silence intérieur est difficile, quand on est dans la sécheresse, dans le vide de D [ieu] et dans l’insensibilité que vous m’avez dépeinte. Vous ajouterez peut-être que vous ne sauriez travailler activement à vous recueillir. Mais je ne vous demande point un recueillement actif, et d’industrie. […] Il suffit de laisser souvent tomber l’activité propre par une simple cessation ou repos qui nous fait rentrer sans aucun effort dans la dépendance de la grâce.
Il se forma à Cambrai un cercle spirituel parallèle à celui de Mme Guyon à Blois : en union avec elle, il pouvait transmettre la grâce en silence à ses visiteurs. Mais ne nous est parvenu qu’un témoignage sur la « vie commune » menée par de paisibles convives traités à égalité par l’Archevêque.
Mme Guyon fut libérée, mais comme elle était surveillée, la seule solution fut d'être accueillie à Blois près de son fils. Des amis de toutes nationalités, catholiques et protestants, vinrent y visiter « notre Mère ». La spiritualité y était très cachée : en apparence, une vieille dame recevait ses amis… Ils étaient forcés de vivre la quintessence de la mystique sans aucune forme extérieure. Dans la plus grande simplicité, la grâce faisait partie du quotidien, comme le raconte ce texte :
Plusieurs Anglais et Écossais protestants firent connaissance avec elle durant son exil à Blois. Ils avaient aussi vu M. de Cambrai et M. Poiret. Ils se rendirent chez elle et mangeaient à sa table […] Elle vivait avec ces Anglais comme une mère avec ses enfants […] Souvent ils se disputaient, se brouillaient ; dans ces occasions elle les ramenait par sa douceur et les engageait à céder ; elle ne leur interdisait aucun amusement permis, et quand ils s'en occupaient en sa présence, et lui en demandaient son avis, elle leur répondait : « Oui, mes enfants, comme vous voulez. » Alors ils s'amusaient de leurs jeux, et cette grande sainte restait pendant ce temps-là abîmée et perdue en Dieu. Bientôt ces jeux leur devenaient insipides, et ils se sentaient si attirés au-dedans que, laissant tout, ils demeuraient intérieurement recueillis en la présence de Dieu auprès d'elle.52
Voilà donc une expérience de la grâce au beau milieu de la vie ordinaire sans que « notre Mère » ait besoin de leur dire quoi que ce soit. S'ils menaient une vie retirée, c'était par nécessité, face aux menaces extérieures qui les contraignaient à se cacher. Le problème n'était pas pour eux de trouver la vie d'oraison grâce à la retraite hors du monde, mais de se soustraire à l'hostilité du monde envers la mystique.
La plongée mystique leur permettait de concilier les contraires, qu’ils fussent politiques (les Écossais contre les Anglais en 1715, dans le récit précédent), ou religieux à cause des règles d’exclusion observées entre catholiques et protestants. Les protestants restaient en compagnie de « notre Mère » même pendant la messe catholique en présence du prêtre catholique qu’envoyait Mgr Berthier, évêque de Blois et ami de Fénelon, moyennant un peu d’ingéniosité :
Quand on lui apportait le Saint Sacrement, ils se tenaient rassemblés dans son appartement, et à l’arrivée du prêtre, cachés derrière le rideau du lit, qu’on avait soin de fermer, pour qu’ils ne fussent pas vus parce qu’ils étaient protestants, ils s’agenouillaient et étaient dans un délectable et profond recueillement, chacun selon le degré de son avancement, souvent aussi dans des souffrances assorties à leur état.
Mme Guyon lui fut présentée le 21 septembre 1671 dans des circonstances qui resteront gravées dans sa mémoire. La Providence veillait visiblement à ce que cette rencontre se fasse :
[…] je dirai que la petite vérole m’avait si fort gâté un œil que je craignais de le perdre tout à fait, je demandai d’aller à Paris pour m’en faire traiter, bien moins cependant pour cela que pour voir M. B [ertot] que la M [ère] G[ranger] m’avait depuis peu donné pour directeur et qui était un homme d’une profonde lumière. Il faut que je rapporte par quelle providence je le connus la première fois. Il était venu pour la M [ère] G [ranger]. Elle souhaitait fort que je le visse ; sitôt qu’il fut arrivé, elle me le fit savoir, mais comme j’étais à la campagne, je ne trouvais nul moyen d’y aller. Tout à coup mon mari me dit d’aller coucher à la ville pour quérir quelque chose et donner quelque ordre. Il devait m’envoyer quérir le lendemain, mais ces effroyables vents de la St Matthieu vinrent cette nuit-là de sorte que le dommage qu’ils causèrent [attesté et daté dans le journal d’un Montargeois] m’empêcha de retourner de trois jours. Comme j’entendis la nuit l’impétuosité de ce vent, je jugeai qu’il me serait impossible d’aller aux Bénédictines ce jour-là et que je ne verrais point M. Bertot. Lorsqu’il fut temps d’aller, le vent s’apaisa tout à coup, et il m’arriva encore une providence qui me le fit voir une seconde fois53.
Les instructions de Bertot furent plus simples que les trente points de Chrysostome adressés à Mectilde. Un décalogue fut suffisant, qui allait droit à l’essentiel dans un style incisif et remarquablement clair. Loin de l’ascétisme courant à l’époque, tout y est intérieur ; loin de toute exaltation, on est dans le réel et la simplicité. Bertot connaît le redoutable inconvénient des scrupules d’un Bernières ou de l’ascétisme de Port-Royal : être obsédé par la perfection de soi-même. Plein d’amour et de douceur, il n’impose donc aucune culpabilité, ce qui est rare. Par contre, il met son interlocutrice devant l’exigence fondamentale de la mystique, ne s’arrêter à rien qui ne soit Dieu :
Vous avez vécu jusqu’ici en enfant avec bien des ferveurs et lumières.
Lisez et relisez souvent ceci ; car c’est le fondement de ce que Dieu demande de vous. […]
1. […] Si le bon Dieu vous donne des lumières […] vous pouvez vous y appliquer par simple vue et recevoir de sa bonté ce qu’il lui plaira de vous donner ; et si votre âme n’a aucun désir de cette application, il ne faut que continuer votre simple occupation.
2. Continuez votre oraison, quoiqu’obscure et insipide. Dieu n’est pas selon nos lumières et ne peut tomber sous nos sens.
3. Conservez doucement ce je ne sais quoi qui est imperceptible et que l’on ne sait comment nommer, que vous expérimentez dans le fond de votre âme ; c’est assez qu’elle soit abandonnée et paisible sans savoir ce que c’est.
4. Quand vous êtes tombée dans quelque infidélité, ne vous arrêtez pas à la discerner et à y réfléchir par scrupule ; mais souffrez la peine qu’elle vous cause, que vous dites fort bien être un feu dévorant, qui ne doit cesser que le défaut ne soit purifié et remédié.
5. Pour la douceur et la patience, elles doivent être sans bornes ni mesures. […]
6. Pour les pénitences, la meilleure que vous puissiez faire est de les quitter […]
7. Soyez fort silencieuse, mais néanmoins selon votre état […] en observant ce que vous devez à un mari, à vos enfants […]
8. Ce que vous me dites est très vrai que vous êtes bien éloignée du but […] Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement.
9. Vous expérimenterez très assurément que plus vous travaillerez de cette manière, plus vous vous simplifierez et demeurerez doucement et facilement auprès de Dieu durant le jour, quoique dans l’obscurité : au lieu de vous nuire, cela vous y servira.
10. Quand vous avez fait des fautes et que vous y avez remédié […] oubliez-les par retour simple à Dieu sans faire multiplicité d’actes […]54.
Avec amour et douceur, il va la pousser toujours plus loin, au repos en Dieu, ce qui signifie abandonner tout par amour pour Dieu :
Vous ne pouvez assez entrer dans le repos et dans la paix intérieure ; car c’est la voie pour arriver où Dieu vous appelle avec tant de miséricorde. Je vous dis que c’est la voie, et non pas votre centre : car vous ne devez pas vous y reposer ni y jouir ; mais passer doucement plus loin en Dieu et dans le néant ; c’est-à-dire qu’il ne faut plus vous arrêter à rien quoiqu’il faille que vous soyez en repos partout. Sachez que Dieu est le repos essentiel et l’acte très pur en même temps et en toutes choses au-dedans et au-dehors de Sa divine essence, Il agit toujours, et Se repose toujours. De même vous devez vous reposer sans cesse et agir néanmoins doucement et paisiblement, quoique fortement, pour tendre toujours à Dieu et au néant dans la simplicité et unité. Ce repos ne doit point interrompre cette action, ni l’action votre repos : c’est là dormir et veiller, agir et se reposer ; et c’est ce que Dieu demande de vous.
Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu : si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. Soutenez-vous en Dieu nuement et simplement, seule et une, c’est-à-dire dépouillée de toutes choses, simplement toute telle que vous êtes, seule sans idée, et ramassée dans l’unité d’une seule chose, d’une seule pensée, d’une seule affaire : une à un Dieu, une en Dieu, enfin un Dieu, et après cela plus rien, ni de vous, ni des créatures, mais Dieu seul, Dieu seul en qui tout doit être perdu et abîmé pour le temps et pour l’éternité. N’ayez donc plus d’idées, de pensées, de sentiments de vous-même, non plus que d’une chose qui n’a jamais été et ne sera jamais. Qu’il en soit de même de tout ce qui n’est point Dieu seul55.
Il lui écrit parfois non seulement sur le plan personnel, mais pour lui transmettre son expérience de la voie en général. Par exemple, il décrit ici la découverte du centre de l’âme et la joie qui en découle. S’il appelle sans cesse à dépasser les états du début, on va voir qu’il en connaît fort bien les joies :
Il est à remarquer que Dieu est le centre de notre âme de telle manière, qu’en quelque lieu qu’elle soit, et à quoi qu’elle puisse être occupée hors de là, elle ne peut trouver son centre. Qui dit centre de l’âme, dit son lieu de repos véritablement naturel, et pour lequel elle est créée : si bien que qui dit le centre, dit son repos, sa joie, sa liberté, et véritablement une dilatation d’âme, qui fait bien juger que ce que l’on a, et où l’on est, est son centre véritable, et que tout autre lieu, toute autre situation, et généralement tout ce que l’on peut avoir, n’est qu’étranger à l’âme. Elle peut bien de fois à autre y trouver quelque petite satisfaction passagère : car n’y ayant rien dans la terre qui ne soit créé de Dieu, il n’y peut rien avoir par conséquent [424] où l’âme ne trouve quelques vestiges de Sa beauté ; mais passagèrement, car n’étant pas créée pour ces miettes et pour ces parcelles, mais bien pour Dieu lui-même, elle n’y peut trouver que des plaisirs fort médiocres et fort passagers. […]
Cela donc supposé, il est certain que Dieu étant le centre de toute notre âme, l’âme arrivera à Lui par la mort et par conséquent par l’éloignement des créatures, pour peu que cela [425] soit, commence à y trouver une joie qu’elle a cherchée sans pouvoir la rencontrer ; mais qu’elle commence à trouver non passagèrement, comme j’ai dit, que l’on en trouve dans les bonnes et saintes créatures, mais avec quelque permanence. Ce qui donne beaucoup de satisfaction, d’autant que l’on sait bien que l’on a de la joie solidement ; mais sans savoir d’où elle vient ni comme elle vient. On que c’est seulement que tout donne de la joie, et que pour être en oraison, et pour être bien, il suffit à l’âme d’être en joie et en satisfaction.
De là naît une certaine dilatation de cœur qui met l’âme bien plus au large, la rend plus étendue et bien plus maîtresse qu’elle ne l’avait jamais été. Et enfin le particulier s’ôte, et le général est donné, où l’âme trouve bien plus de plaisir et de satisfaction qu’elle n’a jamais trouvée dans tout ce qu’elle pouvait faire, quelque grand qu’il fût. L’âme ne se plaît ici qu’au général, et le particulier et le distinct lui est une grande peine.
Cependant et très souvent se voyant si générale, si dilatée, si libre et si en repos, il lui passe des peines en l’esprit, que tout cela ne soit trop naturel et même le naturel et qu’ainsi elle ne fasse pas oraison. Qu’elle ne s’embarrasse pas, car Dieu étant le centre de notre âme, Il est vraiment son lieu naturel ; et si ce petit commencement de jouissance de Dieu dans son centre paraît naturel, il l’est vraiment ; d’autant qu’il n’y a rien de plus naturel à notre âme que Dieu comme centre. Il ne l’est pas, comme l’on appelle les choses naturelles pour s’y reposer comme créature et en faire sa fin ; car cette joie, cette dilatation et ce général [426] qui commence à l’arrivée du centre sont en l’âme pour la faire sortir d’elle-même et la faire toujours aller en repos et en perte, pour trouver Dieu plus amplement ; ce qu’elle fait en se quittant soi-même par l’augmentation de cette joie, de cette dilatation et de ce général qui n’a non plus de fin dans l’âme que Dieu en peut avoir.
[…] plus elle sera et plus longtemps dans ce général et cette dilatation, quoiqu’elle n’y voit pas de particulier ni tant de mouvement, elle y expérimentera pourtant une fécondité qui la nourrira tout autrement qu’elle n’a fait autrefois ; et ce n’est proprement que par là que commencent la fécondité et la nourriture en l’âme. Car n’étant créée que pour Dieu, il n’y a que ces choses générales en joie et dilatation où elle trouve du pâturage et le solide véritables ; ce qui est un commencement de foi tout autre, tout contraire et tout différent de [427] la manière de la créature corrompue et rejetée de Dieu parmi les créatures, où elle ne se peut nourrir, et où elle ne trouve que le particulier, le distinct, et ainsi est contrainte de faire comme les poules, lesquelles prenant une petite gorgée d’eau, lèvent la tête pour l’avaler et de cette manière réitèrent selon la nécessité.
[…] il semble que ce soit fainéantise ; et cependant c’est un travail solide, auquel il faut par nécessité parvenir pour rencontrer Dieu dans son centre.
Comme ce commencement d’expérience du centre change beaucoup l’âme et son opération pour ce qui est de l’intérieur et à l’égard de Dieu, il le change encore autant pour ce qui est du dehors, et pour l’emploi auquel Il nous appelle. Car il est certain que l’âme mourant à soi, sent peu à peu qu’elle est soulagée dans ces croix, dans ces emplois, et dans tout le reste qu’elle a à ménager, et que son intérieur étant plus en joie, plus dilaté et plus général, elle est aussi plus en liberté, plus forte, et généralement commence à être changée, pour mieux faire ce qu’elle doit dans son état ; ses défauts se minent insensiblement, et elle trouve ouverture pour s’en défaire, mais cela à l’aise et avec facilité ; et enfin elle se voit commencer une autre capacité pour aimer et pour converser ; ce qu’elle n’avait [428] autrefois qu’avec embarras ; elle voit enfin que n’ayant rien ou qu’une seule chose, elle se trouve améliorée et changée pour tout.
Où l’âme commence à comprendre que Dieu venant en elle, et elle s’écoulant vers son centre en mourant à soi, elle commence à trouver tout bien, tant intérieurement qu’extérieurement. Car il n’est pas concevable, sinon par expérience, comment […] toutes choses s’ajustent et s’arrangent merveilleusement bien […]56
Cette voie est exigeante : il faut savoir ce que l’on veut. Si l’on fait le choix de Dieu, on sacrifie tout, y compris soi-même, par amour de Lui. Cette mort à soi-même s’accomplit au milieu de la vie :
Vous avez observé une chose de grande conséquence que, dans l’état où vous êtes, l’oraison et la solitude, soit intérieure soit extérieure, ne vous sont qu’une aide pour vous approcher de plus en plus de Dieu, mais que les occasions où vous avez à mourir, à vous rabaisser et à vous écraser sont l’essentiel et le plus nécessaire que vous devez cultiver et rechercher de tout votre cœur. […] Cette vraie mort de soi par toutes les petites rencontres de son état est une vraie fonte où l’on prend toutes les figures, et en vérité je puis dire que par ce moyen divin de mort on peut faire plus en un jour que l’on en fait en plusieurs années57.
Il ne faut pas perdre son temps : Bertot secoue les disciples qui s’enlisent dans un état, car, par expérience, il sait qu’il y a tellement mieux ! La marque personnelle de Bertot est sa soif inextinguible de Dieu : ce qu’il veut, c’est le face à face avec Dieu et en être dévoré. Il tend toujours plus loin avec une hardiesse impressionnante et ne se satisfait de rien moins que l’infini :
[…] je ne crois pas que nous ne devons jamais nous borner ni nous arrêter à quoi que ce soit. C’est pourquoi, afin d’être plus infini, il faut toujours passer au-delà de toute vue, de tout sentiment et de tous dons, car l’âme qui s’arrête à quelque chose, quelque sainte et divine qu’elle puisse être, s’arrête toujours à quelque chose de créé et par conséquent borné et fini, au lieu que l’infini doit être notre fin.
Ah que pour aller au-delà de tout, il faut bien dire : rien, rien ! C’est à force de n’être rien que l’on trouve l’infini puisque l’on trouve Dieu : car je passe au-delà de tout ce que je pense, même de Dieu et de tout ce que les savants en ont dit. Au-delà de tout ce qui est concevable, alors je tombe dans une négation de tout le créé et de tout le créable. Et où suis-je pour lors ? En Dieu. Mais je ne sens, je ne vois rien ? Si vous sentiez et conceviez quelque chose de Dieu, vous seriez dans le créé et non pas dans l’incréé, dans le fini et non pas dans l’infini.
Allons donc au-delà de tout, à force d’être néant et vide de tout ce qui n’est pas Dieu seul. Ne faisons pas même cas des pensées et des beaux sentiments que nous avons de Dieu, parce que tout cela n’est pas Dieu. Tout ce qui est en nous est moins que rien. Il y a bien de la différence entre ce qui est de Dieu et ce qui est Dieu en Dieu. Tout ce qui est en Dieu est Dieu, mais en nous ce qui est de Dieu n’est pas Dieu. Allons donc au-delà de tout ce qui est de Dieu en nous-mêmes, pour entrer en Dieu Lui-même58.
Certaines phrases sont mystérieuses. Que veut-il dire quand il lui écrit dans son décalogue : Pourvu que vous soyez fidèle, je ne vous manquerai pas au besoin, pour vous aider à vous approcher de Dieu promptement, et dans la lettre 75 que nous avons citée : « Je vous en dis infiniment davantage intérieurement et en présence de Dieu : si vous y êtes attentive, vous l’entendrez. ?
Bertot semble être le premier dans cette voie à avoir compris que la grâce passait à travers lui. Il en parle ouvertement, en tous cas à Mme Guyon, son interlocutrice privilégiée. Bernières avait peut-être expérimenté cette union avec ses amis à l’Ermitage, mais ce n’est jamais dit explicitement. Tandis que Bertot a pris conscience que la grâce passe à travers lui, qu’il peut porter ses amis et disciples dans ses prières, et leur permettre ainsi d’aller vers Dieu plus rapidement (« promptement ») que par leurs propres moyens. Il sait qu’il peut faire partager son propre état spirituel, plus avancé, et les faire plonger en Dieu en unité avec lui. C’est cela qu’il révèle à Mme Guyon à la fin de la lettre 75 :
Demeurons ainsi, j’y veux demeurer avec vous et je vais commencer aujourd’hui à la sainte messe. Je suis sûr que si je suis une fois élevé à l’autel, c’est-à-dire que si j’entre dans cette unité divine [249], je vous attirerai59, vous et bien d’autres qui ne font qu’attendre. Et tous ensemble, n’étant qu’un en sentiment, en pensée, en amour, en conduite et en disposition, nous tomberons heureusement en Dieu seul, unis à Son Unité, ou plutôt n’étant qu’une unité en Lui seul, par Lui et pour Lui. Adieu en Dieu60.
Il avait déjà offert à Mme Guyon de transformer leur relation en moments de silence où il pourrait lui communiquer la grâce de cœur à cœur. Il lui apprend comment faire :
[240] Puisque vous voulez bien que je vous nomme ma Fille, que vous l’êtes en effet devant Dieu qui l’a ainsi disposé, vous souffrirez que je vous traite en cette qualité, vous donnant ce que j’estime le plus, qui est un profond silence. Ainsi lorsque vous avez peut-être pensé que je vous oublierais, c’était pour lorsque je pensais le plus à votre perfection. Mais je vous parlerai toujours très peu : je crois que le temps de vous parler est passé, et que celui de vous entretenir en paix et en silence est arrivé. Demeurez donc paisible, contente devant Dieu ou plutôt en Dieu dans un profond silence. Et pour lors vous entendrez ce Dieu parlant profondément et intimement au fond de votre âme.
Là Dieu ne parlera en vous que comme Il parle en Lui-même, et Il ne vous dira que ce qu’Il se dit à soi-même. Il se dit : « Dieu » ; Dieu le Père en se connaissant dit : « Dieu », et c’est la génération du Verbe ; le Père et le Fils, se disant une parole d’amour, en produisent l’Amour qui est Dieu, et c’est la production du Saint-Esprit. Dieu a proféré de toute éternité dans Soi-même « Dieu, Dieu », et c’est ce Dieu que Dieu veut exprimer et imprimer en vous. Et comme je ne suis que l’écho de Dieu, je ne puis vous répéter autre chose, et dans le temps et dans l’éternité, que : Dieu61.
On constate dans la Vie qu’à cette époque la jeune femme n’a pas compris cette relation silencieuse et aurait désiré se raconter davantage :
Je vis M. Bertot, qui ne me servit pas autant qu’il aurait fait si j’avais eu alors le don de m’expliquer […] Sitôt que je lui parlais, tout m’était ôté de l’esprit, en sorte que je ne pouvais me souvenir de rien que de quelques défauts que je lui disais. Ma disposition du dedans était trop simple pour en pouvoir dire quelque chose, et comme je le voyais très rarement, que rien n’arrêtait dans mon esprit, et que je ne lisais rien qui fût conforme à ce que j’éprouvais, je ne savais comment m’en expliquer. (Vie, 1, 19, 2)
Gageons qu’au contraire Bertot était satisfait de ce silence forcé, dû à la force de la grâce qui s’écoulait de lui.
Cette union spirituelle transcende l’espace :
Je vous assure, Madame, que mon âme vous trouve beaucoup en Dieu, et qu’encore que vous soyez fort éloignée, nous sommes cependant fort proches, n’ayant fait nulle différence de votre présence et de votre absence, départ et éloignement. Les âmes unies de cette manière peuvent être et sont toujours ensemble autant qu’elles demeurent et qu’elles vivent dans l’unique nécessaire : là, elles se servent et se consolent aussi efficacement, pour le moins, que si elles étaient présentes et la présence corporelle ne fait que suppléer au défaut de notre demeure et perte en Dieu62.
Étant à la fois anéanti en Dieu et en union spirituelle avec elle, il peut porter à sa place tous les obstacles qui sont en elle et l’en soulager en les abandonnant au feu divin :
Je veux bien satisfaire à toutes vos obligations et payer ce que vous devez à Dieu : j’ai de quoi fournir abondamment pour vous et pour beaucoup d’autres. J’ai en moi un trésor caché : c’est un fond inépuisable qui n’est autre que mon néant. C’est là que tout est, c’est là que je trouve de quoi satisfaire à vos obligations. Ce trésor est caché. Car on croit que je suis quelque chose ! C’est qu’on ne me connaît pas. Ce fond est un trésor, car c’est toute ma richesse, c’est mon bien et mon héritage, c’est mon tout. Et s’il est dit que là où est le trésor, le cœur y est aussi, je vous assure que mon néant est mon trésor, car mon cœur y est et je l’aime tendrement. Il est inépuisable, car Dieu en peut tirer tout ce qu’Il veut. Voyez ce qu’Il a tiré du néant en la Création, et jugez ce qu’Il peut faire du nôtre en la sanctification.
[244] Il faut laisser ce néant entre Ses mains : Il en fera tout ce qu’Il voudra. Si bien qu’en laissant ce néant à la volonté de Dieu, je donnerai tout pour vous. Et après cela, ne me demandez plus rien. Je donne tout d’un seul coup, et je suis ravi de n’être et de n’avoir plus rien. Je vous soutiendrai que Dieu ne peut épuiser notre néant, comme Il ne peut épuiser Son tout63.
Ce charisme fut probablement la cause du respect qui entourait Bertot. Cette possibilité merveilleuse, Mme Guyon l’appellera plus tard « état apostolique », aboutissement de la vie mystique qu’elle décrira dans ses lettres beaucoup plus explicitement que son père spirituel. Cette expérience de transmission de la grâce sera centrale pour tous ceux qui fréquenteront Mme Guyon et Fénelon : son évidence sera le ciment qui liera tous les membres de ce groupe spirituel.
Cette relation avec M. Bertot fut centrale, mais ne fut pas la seule : Mme Guyon se lia également avec les grands carmes par la correspondance qu’elle entretint avec Maur de l’Enfant-Jésus à l’époque de sa rencontre avec Bertot.
Nous avons présenté ces deux grands carmes si fervents dans le tome II des Expériences et dans nos éditions64. Dans le choix de textes mystiques des Justifications rassemblées en 1695 avec l’aide de Fénelon, Mme Guyon témoigne de son admiration pour Jean de Saint-Samson, maître spirituel de la réforme des grands carmes, en lui donnant une place prioritaire.
C’est avec son disciple, Maur de l’Enfant-Jésus, qu’elle eut un échange de correspondance : il vivait dans la région de Bordeaux, tout en s’employant à établir un ermitage à Fontainebleau. Elle recourut à lui alors qu’elle n’avait que vingt-deux ans et se sentait perdue au milieu d’un « désert intérieur ». Nous possédons vingt et une lettres que Maur lui adressa entre 1670 et 167565, parce que Mme Guyon les considérait comme assez importantes pour les intégrer au Directeur mystique. On notera le respect avec lequel il écrit à Madame Guyon dont il mesurait le destin. Voici sa réponse à propos du « désert » dont elle se plaint :
Il faudra y entrer plus avant et le traverser, si vous voulez atteindre à la jouissance du Bien souverain qui vous a touché le cœur dès votre enfance. N’y pensez pas trouver de route, ni des sentiers où vous puissiez avoir quelque assurance de votre voie. (Lettre 1)
[…] regardez Sa volonté en toutes choses, tâchant que la vôtre passe tellement en celle de Dieu qu’elle devienne comme une même chose avec elle. (Lettre 2)
Il l’appelait vers ce qui est au-delà de tout état :
[…] l’on ne voit plus ni perte, ni abandon, ni dépouillement, ni ravissement, ni extase, ni présent, ni éternité, mais la créature expérimente que tout est Dieu. (Lettre 1)
[…] L’abandon et le néant ne nous paraissent plus, lorsque nous y sommes consommés et abîmés. Nous y vivons et demeurons comme nous voyons les poissons vivre et se mouvoir en l’eau. (Lettre 4)
Dans sa dernière lettre, il lui lança :
Hé bien ! Ne vous accrochez donc plus à rien. (Lettre 21)
Un peu plus âgé que Mme Guyon, ce simple prêtre barnabite fut le compagnon de ses débuts, son confesseur et son disciple66. C’est ensemble qu’ils ont découvert la transmission de la grâce de cœur à cœur. Il est resté dans l’ombre lorsqu’il ne fut pas simplement, sommairement et fort bassement mis en cause. Pour le connaître, nous disposons de ses lettres et d’opuscules. Notre première source d’information reste la Vie par elle-même de Mme Guyon où elle décrit leurs relations67. La Combe (le nom s’orthographie aussi Lacombe) s’y révèle comme un excellent directeur mystique. Lorsqu’il sera définitivement mis au secret des prisons, seul Fénelon l’emportera en confiance et en estime.
François La Combe avait des dons brillants, mais ne bénéficia pas d’appuis particuliers : né à Thonon en 1640, il reçut l’habit des barnabites à quinze ans ; il est ordonné à vingt-trois ans, enseigne avec succès au collège d’Annecy, prêche et collabore aux missions du Chablais. Consulteur du Provincial à Paris à vingt-sept ans, il enseigne, de trente et un ans à trente-quatre ans, la théologie à Bologne et à Rome. Supérieur à Thonon, de trente-sept à quarante-trois ans, il jouit d’une excellente réputation.
Il est nommé par M. de Genève directeur de Mme Guyon à Gex en 1681, année de la mort de Bertot. Mais jalousé par le demi-frère de Mme Guyon, qui répand des calomnies, il est arrêté en 1687, lors de la première période de prison de Mme Guyon. Abandonné par son Ordre, donc sans protection, le père barnabite ne fut jamais libéré. Il resta vingt-sept années en prison : pendant les deux premières, il fut transféré de la Bastille à l’île d’Oléron, puis à l’île de Ré, ensuite à la citadelle d’Amiens ; ensuite, de 1689 à 1698 au château de Lourdes, où il eut la joie de reconstituer un groupe de prière où se vivait la transmission de la grâce.
Malheureusement, son exaltation lui fit commettre des imprudences énormes dans ses lettres à Mme Guyon. Il y appelait ce groupe « la petite Église » :
Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment constamment, principalement ceux qui sont comme les colonnes de la petite Église68.
Le terme fort mal choisi va scandaliser les juges de Mme Guyon et alimenter ses interrogatoires. Imprudence c’était effectivement le pb
Voici ce qu’en dit le rapport inquiet de La Reynie :
« … il y a certainement un nombre de personnes que le père de La Combe a séduites, qui font ensemble, selon qu’il l’a écrit, une petite Église en ce lieu et qu’il dit être de l’étroite confidence, et il en désigne même les personnes qui sont les plus considérables, en les appelant les colonnes de la petite Église. Mme Guyon est aussi qualifiée du titre de mère de la petite Église, et il y a sur les lieux une femme, entre autres, connue à Lourdes sous le nom de Jeannette, qui a été inspirée, instruite ou dressée sur le modèle de Mme Guyon qui, s’il peut être permis de le dire, paraît être une sainte de la petite Église. Mme Guyon ne fait aucune difficulté de dire que Dieu a donné réciproquement à Jeannette et à elle de grandes connaissances l’une de l’autre, sans qu’elles se soient jamais vues. Le sieur de La Sherous, prêtre et aumônier du château de Lourdes, […] assure Mme Guyon qu’il soutiendra partout sa doctrine et qu’il n’en rougira jamais. […] D’un autre côté on croit que le Gouverneur ou Commandant du château est aussi tellement prévenu et rempli du père de La Combe, qu’on peut douter à cet égard qu’il soit autant exact qu’il pourrait être désiré69 »
La Combe fut traité comme un dangereux comploteur ayant embrigadé dans sa secte un aumônier et un gouverneur : il sera transféré à Vincennes au moment où Mme Guyon subit le plus dur de l’épreuve des prisons. À soixante-douze ans, un rapport de police le déclare fou : peut-être atteint de sénilité, il est transféré à Charenton où il meurt trois années plus tard, le 29 juin 1715. Ce « petit prêtre » qui avait été lâché par son Ordre, sera vénéré comme martyr par les membres du groupe guyonien de Morges-Lausanne. Son sort fut pire que celui de Mme Guyon qui, après huit années d’emprisonnements, fut partiellement protégée de par son origine et ses fréquentations à la Cour : sans doute délivrée par l’intervention cachée d’amis puissants, elle eut le temps d’accomplir sa tâche de directrice mystique.
Sur le plan spirituel, La Combe doit beaucoup à la Mère Bon. Sa doctrine est très simple. Les grands thèmes en sont : la contemplation, indissociable de l’amour, suppose l’abandon de la volonté propre ; nous ne pouvons comprendre l’Immense qui nous contient, mais pouvons acquiescer à son bon vouloir (comme Moïse dans la nuée) ; l’appel de Dieu est notre seule fin et il s’adresse à tous.
Le style de son Traité70 contient bien des expressions heureuses. Voici comment il précise le passage de l’oraison mentale à la contemplation :
1. L’oraison contemplative est le regard fixe, simple et libre, porté sur Dieu […] imposant silence aux puissances, elle s’attache à Dieu par une simple vue, l’embrasse par un acte continuel de foi et d’amour et se repose en lui par une jouissance tranquille […]
6. […] L’oraison moins parfaite qui avait été discursive, fait place à une plus parfaite qui est simple, c’est-à-dire lorsque l’intelligence de celui qui pense devient la contemplation de celui qui aime ; ce qui est sortir de la méditation par la méditation même, et par elle passer à la contemplation. Presque tous les saints ont éprouvé cette dernière, et ont souhaité ardemment que chacun en fît l’expérience.
9 De la part de l’homme, le but et la fin de l’oraison sont doubles ; la première d’élever l’homme à Dieu, la seconde de l’unir à Dieu. De la part de Dieu, la première condition nécessaire, c’est que l’Esprit saint préside à l’oraison et qu’il l’inspire puisque celui qui sonde les cœurs, sait ce que l’Esprit désire, parce qu’il le demande pour les saints selon Dieu71. […] un des plus grands obstacles à l’Oraison, surtout quand elle est avancée, est une sorte de dureté et d’attache au propre esprit, qui l’assujettit à certaines règles, qui le lient comme de chaînes, ou qui l’occupent de vains scrupules, ou lui imposant des pratiques d’obligation, ou l’engageant à se les imposer à lui-même, afin qu’il ne puisse s’élever librement à Dieu, ou qu’il se resserre par des actes multipliés, singuliers, imaginaires ou sensibles, dans lesquels il s’entortille et se fatigue, de manière qu’il ne puisse point s’unir à Dieu, qui est très simple, très tranquille et très unissant.
11. […] qu’au contraire [de la méditation], il se sente doucement entraîné à la contemplation, et au repos en soi, en admiration et en amour de Dieu, dont il sent intimement la présence ; alors il est clair qu’il faut laisser la méditation et embrasser la contemplation, alors il est commandé à cette personne de rechercher des dons plus excellents72 et de monter plus haut ; c’est-à-dire, au pied de son amour qu’elle a trouvé pour son souverain bonheur et de s’y reposer. Et personne ne doit regarder cela comme une témérité ou une arrogance, ce serait bientôt une orgueilleuse opiniâtreté de résister à l’appel de Dieu puisque nous avons surtout été créés pour cette fin, pour jouir du souverain bien, ce qui ne peut pas avoir lieu sans cette intime et tranquille union.
Le divin est inconcevable par l’esprit humain :
[2e cahier :]
14. […] ce cœur est pur qui présente à Dieu sa mémoire vide de toute forme et de toute espèce, prêt à recevoir tous les rayons du Soleil lui-même, qui peut l’éclairer : le poète Prudence73 a bien dit : « Le Dieu éternel est une chose inestimable ; il n’est renfermé ni dans la pensée ni dans la vue. Il surpasse toute la conception de l’esprit humain, il ne peut tomber sous nos sens, il remplit tout en nous et hors de nous, et il se répand encore au-delà. »
C’était une chose incontestable parmi les anciens Pères du désert. La plus pure qualité de l’oraison, disaient-ils, est celle qui non seulement ne se forme aucune image de la divinité, et qui dans sa supplication ne lui donne aucune figure corporelle (ce qu’on ne peut faire sans crime), mais qui même ne reçoit dans son esprit aucun souvenir de parole, ni aucune espèce d’action ou forme de quelque caractère. […]
Enfin, cela arrive par la manifestation de Dieu dans l’âme, et l’affluence immense de la divine lumière de la pure contemplation, qui surpassant et absorbant entièrement les forces naturelles de l’esprit, ne peut jamais tomber sous sa conception.
16. L’homme pâtit [est passif devant] les choses divines, il est plutôt mû de Dieu qu’il ne se meut lui-même, car immédiatement après que l’Esprit du Seigneur s’est emparé de quelqu’un, il est changé en un autre homme accordant à l’opération divine un consentement aussi simple que paisible ; et cependant l’amour du Créateur se joue en lui selon son bon plaisir et fait ce dont celui qui opère a seul l’intelligence. Et il en est de ce genre dans l’Église un plus grand nombre qu’on ne pense communément, ce don sublime ne consistant pas seulement dans les signes merveilleux qui frappent les yeux des mortels, mais bien plus dans la déiformité de l’esprit, dans le plus intime de l’homme, qui le plus souvent sous l’apparence d’une pauvreté méprisée mène une vie cachée avec Jésus-Christ en Dieu.
La contemplation est faite pour tout le monde :
17. […] Il n’y a aucun état des fidèles qui puisse exclure de la grâce de la contemplation ; quiconque a un cœur peut être éclairé de la lumière de la contemplation. […] Quel dommage il arrive aux âmes par la défiance qu’elles ont presque toutes de parvenir à la contemplation et le désespoir de pouvoir y atteindre ! Si ceux-là seulement doivent désespérer d’obtenir cette grâce qui n’ont point de cœur ; ceux au contraire dont il est bien disposé pour les choses intérieures, peuvent certainement y arriver […] comme il arrive […] dans les femmes et les filles, dans les gens doux et les humbles…
19. Si donc la plupart des objets naturels sont connus par la simple appréhension, pourquoi serons-nous surpris que plusieurs objets surnaturels le soient aussi par le simple regard ? […] [par] simple acquiescement. […] Car comment pourrait-il arriver que celui qui nous exhorte partout et nous presse partout dans l’Écriture74 à prier sans cesse, à s’occuper uniquement de lui, à s’attacher uniquement à lui, à marcher toujours en sa présence, à se le proposer dans toutes nos voies, et à contempler les vérités éternelles, sachant75 que nous ne pouvons rien faire sans lui ; comment76, dis-je, nous refuserait-il les secours nécessaires pour faire ces choses ?
Il appelle à la contemplation passive perpétuelle, où l’on se donne à Dieu de tout son être :
24. […] Les marques de la contemplation passive sont un souvenir perpétuel de Dieu, l’attention continuelle du même Dieu très présent partout et surtout dans le cœur, un état d’oraison perpétuel indistinct, uniforme, très étendu […] l’affranchissement de tout mode, de tout temps, de tout exercice, de tout lieu, de toute méthode, de tout moyen, par lesquels on acquiesce à Dieu seul au-dessus de toute conception ; car ici l’âme se trouve comme établie et enlevée du temps présent dans l’éternité, et contemple en elle-même Dieu d’une manière qui lui est inconnue. Les dons singuliers de Dieu sont, la continuité de l’oraison sans fatigue, un merveilleux rassasiement, avec une perpétuelle soif d’oraison, la vue et le sentiment très intime de Dieu en toutes choses et de toutes choses en Dieu ; ce qui fait que celui qui a pénétré ce secret s’écrie avec raison « Toutes choses me sont Dieu et Dieu m’est toute chose. »
Enfin lorsque cette manière d’oraison aura été forte avancée, elle produit en l’homme la sortie de lui-même, et de toutes les créatures ; ensuite il demeure libre en toutes choses, et étant heureusement mort dans le Seigneur, il rentre dans le repos de son Seigneur. Il est surpris d’être fait une même chose avec Dieu et cependant il ne doute point qu’il ne soit distinct de Dieu. Il est réduit à l’anéantissement et ne se voit plus. Enfin par l’émulation de sa patrie céleste [Saint-Augustin] lorsqu’il a reçu cette joie ineffable, l’esprit humain disparaît en quelque façon et est divinisé […] Il est recoulé comme dans son origine, d’où il est passé en Dieu. […] Or dans cette parfaite abnégation et soumission, tout se consomme ; et quiconque voudra éprouver ces merveilleuses et grandes choses, doit commencer par devenir très petit et très abject à ses propres yeux, et se renoncer toujours et en toutes choses.
Lorsque quelqu’un aura cherché le Seigneur son Dieu, il le trouvera, si cependant il a cherché dans toute l’angoisse de son âme77. Voilà la seule chose que nous devons chercher, voilà le chemin le plus sûr de le chercher, celui qui cherche Dieu seul et qui le cherche de tout son cœur ; celui qui le cherche dans toute l’angoisse, son âme le trouvera certainement et sûrement.
Madame Guyon commence ses voyages peu après la disparition de Bertot : elle va participer à l’établissement des Nouvelles Catholiques connues de ce dernier78 près de Genève. Mais elle découvre vite l’ambiguïté de la situation des converties.
La jeune Jeanne-Marie Guyon perd ses premiers guides sur le chemin intérieur : la supérieure du couvent de Montargis Geneviève Granger en octobre 1674, puis le confesseur au couvent de Montmartre Jacques Bertot en mars 1681. Elle se tourne vers le Carmel dont elle apprécie des vocations mystiques (elle connaît bien les écrits de Jean de la Croix et ceux de Jean de Saint-Samson, et aura tout lu des mystiques reconnus à son époque). Vers 1674, elle entre en correspondance avec le grand carme Maur de l’Enfant Jésus qui mène une existence retirée à Bordeaux.
Devenue veuve en juillet 1676, elle acquiert sa liberté, confortée par une pleine autonomie financière, par sa solide culture et ses dons d’organisation. Elle cherche alors une vie active auprès des Missions étrangères et consulte Dom Martin, le fils de Marie de l’Incarnation du Canada. On lui propose de contribuer à l’apostolat des Nouvelles Catholiques : elle arrive à Gex près de Genève en juillet 1681.
Je donnai dès Paris… tout l’argent que j’avais… Je n’avais ni cassette fermante à clef ni bourse. » À Gex « l’on me proposa l’engagement et la supériorité » des Nouvelles Catholiques. Mais « certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas ».
L’ambiguïté de leur action auprès de petites protestantes enlevées à leur famille l’en écarte vite : elle refuse d’être supérieure et perd ainsi la sécurité qui eut découlé d’un rattachement à une fondation religieuse (elle se brouille avec l’évêque in partibus de Genève ce qui aggravera son cas par la suite). Il faut ici rappeler la figure et l’influence probable post-mortem de la mère Bon, dauphinoise et en liaison avec l’Italie. Alors elle quitte Gex pour Thonon en Savoie-Piémont.
Dépouillée de tout, sans assurance et sans aucun papiers, sans peine et sans aucun souci de l’avenir », elle y rédige les Torrents : « Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n’étais pas encore accoutumée à cette manière d’écrire… je passais quelquefois les jours sans qu’il me fût possible de prononcer une parole…
Mais elle découvre “une autre manière de converser”, un échange de grâce en union avec le P. Lacombe :
J’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait… Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu’en silence.
Suivent deux séjours fructueux en Italie (à Turin et Verceil) pendant près d’une année, puis à Grenoble. Enfin elle revient à Paris :
Un accident le rendit aveugle dans son plus jeune âge. Devenu malgré cela docteur en théologie et très cultivé, il fut en relation avec le français Gassendi comme avec le cardinal italien Bona. Il rencontra Madame Guyon en 1685 et appréciait son Moyen court79 qu’il défendit contre les disciples de Saint-Cyran. Mais sa propre Pratique facile pour élever l’âme à l’oraison (1670) fut accusée de quiétisme et mise à l’index en 1688. Condamné au silence, il poursuivit ses activités charitables, et mourut en renom de sainteté, très apprécié de ses concitoyens qui lui firent des funérailles magnifiques.
Dans la tradition des mystiques rhénans, il soulignait “fortement l’impuissance de la raison à connaître Dieu tel qu’il est, comme celle du langage humain, y compris de l’Écriture80” :
Il n’y a que Dieu qui s’explique à l’âme d’une manière ineffable, qui ne tient ni de la parole, ni de la pensée humaine, qui, sans se faire comprendre, nous fait au moins sentir qu’il est incompréhensible […] C’est une lumière qui provient de la foi, ou pour mieux dire, c’est la foi même qui devient lumineuse. » (1ere partie de la Pratique).
La contemplation est une ignorance, parce que c’est une abnégation de toutes les connaissances humaines, un silence des sens et de la raison ; mais cette ignorance est docte parce qu’en niant tout ce que Dieu n’est pas, elle renferme tout ce qu’il est. (12e Entretien).
Il a influencé directement le confesseur de Catherine de Bar, Épiphane Louys, ainsi que son disciple Michel La Ronde.
Elle a trente-huit ans et arrive à Paris peu avant la condamnation de Molinos (1687). Des religieux jaloux « firent entendre à Sa Majesté que le père Lacombe était ami de Molinos… [le roi] ordonna… [qu’il] ne sortirait point de son couvent… ils résolurent de cacher cet ordre au Père… » qui est finalement arrêté (il ne sortira jamais plus de prison). Quant à elle : « l’on me signifia que l’on ne voulait pas me donner ma fille ni personne pour me servir ; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre… au mois de juillet dans une chambre surchauffée. » On veut en fait marier sa fille au neveu dissolu de l’archevêque de Paris, lui-même peu recommandable. Elle se défend lorsque l’official lui reproche de prendre Dieu à témoin : « Je lui dis que rien au monde n’était capable de m’empêcher de recourir à Dieu. »
Délivrée suite à l’intervention de sa cousine Marie-Sylvie de la Maisonfort et de Mme de Maintenon, elle retrouve le cercle créé par Bertot. Elle « était, disait-il, la fille aînée, et la plus avancée81 » : elle va en assurer la direction mystique. Sur le plan de la vie intérieure, elle atteste d’une transmission de la grâce de personne à personne qui ne dépend que de Dieu seul et qui s’effectue en silence dans le recueillement :
Vous m’avez demandé comment se faisait l’union du cœur ? Je vous dirai que l’âme étant entièrement affranchie de tout penchant, de toute inclination et de toute amitié naturelle, Dieu remue le cœur comme il Lui plaît ; et saisissant l’âme par un plus fort recueillement, Il fait pencher le cœur vers une personne. Si cette personne est disposée, elle doit aussi éprouver au-dedans d’elle-même une espèce de recueillement et quelque chose qui incline son cœur. On discerne alors fort bien qu’on éprouve quelque chose au-dedans de soi-même que l’on n’éprouvait pas auparavant, mais pour ce temps-là seulement […] Cela ne dépend point de notre volonté : mais Dieu seul l’opère dans l’âme, quand et comme il Lui plaît, et souvent lorsqu’on y pense le moins. Tous nos efforts ne pourraient nous donner cette disposition ; au contraire notre activité ne servirait qu’à l’empêcher82. »
Les textes où se trouvent décrites les modalités de cette transmission figurent dans les Discours spirituels, dans la Vie par elle-même83, dans les Explications des deux Testaments. Elle commente ainsi le célèbre verset « … lorsqu’il y a en quelque lieu deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je suis là au milieu d’elles »84 :
Ils se parlent plus du cœur que de la bouche ; et l’éloignement des lieux n’empêche point cette conversation intérieure. Dieu unit ordinairement deux ou trois personnes […] dans une si grande unité, qu’ils se trouvent perdus en Dieu […] l’esprit demeurant aussi dégagé et aussi vide d’image que s’il n’y en avait point. […]Dieu fait aussi des unions de filiations, liant certaines âmes à d’autres comme à leurs parents de grâce.
Madame Guyon affirme un lien intérieur avec Fénelon, qu’elle considère comme son fils spirituel le plus proche :
… j’ai cette confiance que si vous voulez bien rester uni à mon cœur, vous me trouverez toujours en Dieu et dans votre besoin85.
Fénelon répond :
Si vous veniez à manquer, de qui prendrais-je avis ? ou bien serais-je à l’avenir sans guide ? Vous savez ce que je ne sais point et les états où je puis passer […] Je puis me trouver dans l’embarras ou de reculer sur la voie que vous m’avez ouverte, ou de m’y égarer faute d’expérience et de soutien. Je me jette tête première et les yeux bandés dans l’abîme impénétrable des volontés de Dieu. Lui seul sait ce que vous m’êtes en Lui et je vois bien que je ne le sais pas moi-même, mais je vous perds en Lui comme je m’y perds86.
Madame Guyon le considérera comme son successeur :
Je vous laisse l’esprit directeur que Dieu m’a donné. […] Je laisse aussi cette Vie que vous m’avez défendu de brûler, quoiqu’il y ait bien des choses inutiles87.
Mais il meurt avant elle.
Nous avons omis le récit d’événements publics qui se limite à moins de dix années (1686-1695), car la « querelle du quiétisme » a été largement commentée (mais rarement étudiée dans la profondeur du vécu dans la quiétude mystique) : on se reportera aux études citées dont se détache le Crépuscule des mystiques de Cognet ; on lira la Vie par elle-même puis la Correspondance88.
Libérée, elle quitte le couvent-prison de la Visitation pour habiter « une petite maison éloignée du monde. » Elle est active auprès d’un cercle de disciples et à Saint-Cyr où « Madame de Maintenon me marquait alors beaucoup de bontés ; et pendant trois ou quatre années que cela a duré j’en ai reçu toute sorte de marques d’estime et de confiance. » Le duc de Chevreuse lui fait connaître Bossuet, auquel on communique la Vie écrite par elle-même que ce dernier « trouva si bonne qu’il lui écrivît qu’il y trouvait une onction qu’il ne trouvait point ailleurs, qu’il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu. » Mais tombé sous influence et cédant à la pression exercée par Madame de Maintenon d’amie devenue persécutrice, Bossuet participera « à une chasse » : elle a quarante-sept ans lorsque commence sa seconde période d’épreuve en prisons, dont la Bastille.
Si j’ai passé sur les péripéties de la période publique, ne rappelant que ce qui porte à la vie intérieure, la reprise du cercle fondé par Bertot et la rencontre mystique avec Fénelon, j’insiste en livrant ses détails sur la suite d’épreuves qui « teste » expérimentalement une valeur mystique89. Elle couvre les années « oubliées » 1696 à 1703 : Une vie mystique
Le fond de cet état [mystique] est un anéantissement profond, ne trouvant rien en moi de nominable. Tout ce que je sais, c’est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux ; qu’il renferme en soi tous les biens, et moi toutes les misères. Je ne vois rien au-dessous de moi, ni rien de plus indigne que moi. Je reconnais que Dieu m’a fait des grâces capables de sauver un monde, et que peut-être j’ai tout payé d’ingratitude. Je dis peut-être, car rien ne subsiste en moi, ni bien, ni mal. Le bien est en Dieu, je n’ai pour partage que le rien. Que puis-je dire d’un état toujours le même, sans vue ni variation ? Car la sécheresse, si j’en ai, est égale pour moi à l’état le plus satisfaisant. Tout est perdu dans l’immense, et je ne puis ni vouloir, ni penser. Si l’on croit quelque bien en moi, l’on se trompe, et l’on fait tort à Dieu. Tout bien est en lui et pour lui. Si je pouvais avoir un contentement, c’est de ce qu’il est et qu’il sera toujours. S’il me sauve, ce sera gratuitement, car je n’ai ni mérite ni dignité90.
Madame Guyon fut une personnalité exceptionnelle à plusieurs titres : elle habitait les sommets de la mystique, sa vie étant totalement imprégnée et gouvernée par la grâce. Elle a reçu le don très rare de transmettre la grâce en silence et de porter ses disciples par sa prière. Enfin elle a eu le don d’écriture qui lui a permis de parler de cette vie mystique : bien souvent les spirituels ne savent pas parler de leur expérience, mais cette contemporaine de Racine a su l’analyser finement.
Nous la connaissons bien par ses livres, ses lettres et de nombreux témoignages conservés en partie « grâce » au procès dont elle fut victime. Puis la vénération de son entourage était telle que le moindre de ses écrits a été recopié et que son œuvre complète a été éditée après sa mort par Poiret à Amsterdam.
Plus que d’autres, elle est proche de nous, car, tout en étant mystique, elle a mené une vie laïque de femme mariée et de mère, gérant ses biens et refusant de devenir religieuse, sort habituel des veuves au XVIIe siècle. Elle n’était pas protégée par les murs d’un couvent, mais elle a vécu au beau milieu de la Cour et des troubles de l’époque. Elle a subi des interrogatoires, un procès, un emprisonnement à la Bastille. Après avoir fréquenté les appartements des proches du Roi91 en l’aile gauche du château de Versailles, elle connaît les enfermements religieux puis civils.
Intérieurement la profondeur de son expérience l’a fait transcender les querelles entre catholiques et protestants au point de les recevoir ensemble à Blois à la fin de sa vie. Elle n’encouragea ni Fénelon dans sa tentative de conversion de Poiret, ni la conversion catholique de Ramsay, mais sans pour cela relâcher sa vie sacramentelle personnelle.
C’est pourquoi, selon les auteurs, elle apparaît sous des aspects divers : soit comme une mystique arrivant trop tard à l’époque d’une normalisation centralisatrice despotique (pour Brémond, Cognet), soit comme une veuve libre et décidée, un modèle féministe avant l’heure (pour Mallet-Joris, Bruneau), soit comme laïque religieuse sans Église d’accueil (pour Kolakovsky, Gondal), soit comme précurseur d’une union entre catholiques et protestants. Quelle interprétation choisir ?
Toutes ces facettes existent, mais ne l’auraient pas du tout intéressée, car le centre de sa vie était la grâce divine : tous ses actes s’y réfèrent et l’important pour elle était d’obéir à ses incitations. C’est en restant à l’écoute de ce Centre que Mme Guyon répond à ses juges et supporte les épreuves.
Mais la grâce ne concernait pas seulement sa personne. Ses lettres et sa Vie par elle-même92témoignent de la découverte émerveillée du don qui lui avait été donné : communiquer la grâce cœur à cœur en silence à ceux qui venaient la voir. Ses amis et disciples ressentaient ce flot de grâce qui passait à travers elle : c’est cette expérience intérieure qui a été la cause de leur fidélité sans faille. Elle considérait que sa mission était de mettre l’oraison à portée de tous. Mais le contexte était défavorable après la condamnation déjà prononcée de Molinos et de « pré-quiétistes » (même Bernières post-mortem !) par les Inquisitions italienne et espagnole.
Le désastre fut complet, bien prévisible compte tenu de la disparité des forces en présence. Plus de dix années après la condamnation romaine de Molinos en 1687, l’atmosphère était à la vérification de l’orthodoxie des âmes. Mme Guyon fut réduite au silence, mise à l’isolement dans l’une des huit tours de la Bastille.
Il ne s’agissait pas tant d’une querelle d’idées que du trouble créé par une femme dans un ordre social masculin : simple laïque, elle refusait de devenir religieuse, mais dirigeait des religieux ; bourgeoise, elle détournait les grandes familles du « couvent de la Cour » (Saint-Simon). Prétendre vivre sous l’impulsion de la grâce et la transmettre indépendamment de toute autorisation ecclésiastique, suscitait le scandale chez les clercs et la méfiance du pouvoir royal habitué à maîtriser les libertés.
Bossuet, au début, sembla sous le charme, mais, soucieux de sa carrière, il se fit l’exécuteur de l’épouse du roi inquiète de voir l’engouement pour l’oraison se répandre à Saint-Cyr et devenir objet de conversation à la Cour. Fénelon voudra concilier les extrêmes et tentera en vain d’expliquer combien leur expérience mystique était connue de toute antiquité ; acculé, il restera fidèle à l’expérience intérieure révélée. D’autres adopteront un profil bas.
Pour comprendre ces crises et leur conclusion, il faut tenir compte des conditions concrètes de l’existence et de la mentalité de l’époque : l’adhésion au catholicisme, religion unique après la révocation de l’Édit de Nantes, et l’obéissance à un roi absolu, oint de Dieu, sont des évidences pour tous les Français. Le concept de liberté individuelle n’existe pas. Chacun est soumis à un système d’inquisition dans sa version « douce » : celle du confesseur, obligatoire pour tout catholique depuis le concile de Trente, et qui a le droit de connaître le fond des consciences.
Par ailleurs, l’état mystique de Mme Guyon la rendait incapable de mentir ou de biaiser par omission (ce à quoi étaient forcés les libertins un demi-siècle plus tôt93). En outre, elle considérait chaque événement et chaque personne comme envoyés de Dieu, d’où l’obligation torturante d’obéir au confesseur qui lui était imposé.
Le statut féminin de l’époque la poussait à remplir sa mission hors cadre : cette discrétion fut ressentie comme une résistance plus ou moins secrète, donc suspecte au pouvoir, et comme une concurrence vis-à-vis de la médiation assurée par les clercs par les sacrements. Même les moins combatifs étaient agacés par cette « Dame directrice » qui leur répondait au nom de son expérience. Cette fermeté n’était en rien orgueilleuse : son origine était toute intérieure, dans l’évidence de la présence de la grâce en elle à laquelle elle se soumettait consciemment et entièrement quelles qu’en soient les conséquences. C’est là le sens profond de l’oraison dite passive. Il faut se laisser entièrement conduire par la grâce divine : dans chaque action, dans chaque état de la vie de tous les jours, chez un être imprégné de grâce, il « suffit » de s’ouvrir à son action. La Cour qui ne croyait à rien se moquera de la naïveté du bon duc de Chevreuse qui en fera état.
Fait aggravant pour le pouvoir : Mme Guyon avait découvert que le grâce pouvait se transmettre par son intermédiaire, lui faisant partager la souffrance d’autrui par compassion. Cette union intime avec la grâce, loin d’être un état immobile, engendrait une dynamique active orientée vers les autres, une nouvelle vie féconde au service de la motion divine. Elle l’appelait « état apostolique ».
Il ne faut pas confondre le « prophétique » et « l’inspiration » (selon la distinction donnée par Dutoit, un disciple de la fin du XVIIIe siècle, conscient qu’une telle faiblesse pouvait lui arriver). Le prophétisme s’est traduit historiquement par des débordements (revivals, évangélismes…) à la mesure de la sclérose des structures : loin de la véritable intériorité, l’activisme prend alors le pas sur la passiveté, la sensation l’emporte sur l’union, les effets sont privilégiés au détriment de la source. La pierre de touche de l’inspiration réellement donnée par la grâce est la paix : de la quiétude centrale jaillit l’efficience invisible de la prière.
Madame Guyon tenta d’échapper au « Roi Très-Chrétien » en se terrant, espérant contre toute probabilité se faire oublier. Mais les puissants aiment pousser leur avantage jusqu’au bout lorsque l’exercer demeure sans risque. L’attente d’un Deus ex machina qui prendrait la forme d’un événement imprévu favorable, fut vaine. Le jeu du chat et de la souris couvrit cependant tout le second semestre 1695. Finalement repérée par la police et saisie les derniers jours de décembre, elle devenait une « matière » à modeler, meneuse dont il fallait obtenir la déconsidération complète pour l’emporter sans discussion dans une querelle du quiétisme aux prolongements théologiques problématiques. Cela avait été accompli pour Molinos accusé de toutes les turpitudes. Dans tout procès d’Inquisition, la déviation théologique est censée découler d’une déviation morale et le policier qui n’est pas bon théologien doit exercer son talent ailleurs : elle fut donc attaquée sur le plan des mœurs.
Dans le cas présent, on avait saisi des lettres qui semblaient assez bien s’accorder au bruit qui courait d’une relation trop étroite entre madame Guyon et le père Lacombe, son confesseur. Pratiquant surtout le latin ou l’italien, il ne parvint jamais à dominer notre langue et ses lettres décrivent leur lien spirituel dans un style hyperbolique d’un lyrisme transalpin qui ne s’accorde sûrement pas avec l’esprit clair, mais sans humour de la Reynie, le chargé des interrogatoires de la « Dame directrice ».
Fait plus grave, il relatait l’éclosion d’un cercle spirituel de quiétistes parallèle au cercle parisien. Car un cercle mystique s’était développé autour de lui au sein même de la prison royale de Lourdes, avec la participation du confesseur en titre du lieu, le sieur de Lasherous ! Ce qui démontre la force morale de son animateur : Lacombe n’était pas un médiocre. Loin d’être considéré comme naïf et illuminé, il apparaît comme l’inspirateur de madame Guyon pour l’habile La Reynie. Il sera plus tard vénéré comme un martyr par des cercles guyoniens. Ses écrits spirituels sont raisonnables, mais il accumule dans sa correspondance saisie les bourdes qui feront le supplice de la prévenue lors de ses interrogatoires.
Brutalement résumé, on avait expliqué aux policiers qu’elle dirigeait une secte et qu’elle avait couché avec son confesseur : ainsi le médiocre M. de Junca « ne savait rien sinon qu’il me croyait une hérétique outrée et une infâme » (Vie, 4,6). La Reynie, interrogateur intelligent et droit, fit un résumé plus équilibré du cas : cette femme croit être divinement inspirée, elle écrit des livres et elle dirige des gens, quel orgueil ! alors même que tout ce qu’elle fait est contre le bon sens : quitter sa famille et son grand bien pour partir sur les routes !
Elle suscite donc sa pitié ; il ne trouve pas grand-chose d’intéressant chez elle, mais il obéit au Roi. On trouve beaucoup de logique chez lui ; elle a du mal à y échapper et en désespoir de cause demandera que l’on interroge son confesseur. Elle voyageait avec ce dernier dans des conditions qui pouvaient être équivoques94 et ne pouvaient qu’alimenter les soupçons de relations plus intimes. Plus généralement les expressions de « petite Église » et d’« enfants du Petit Maître » que l’on trouve dans les lettres saisies s’avéreront catastrophiques, car, outre l’indice sectaire, elles suggèrent un communautarisme contraire à la pratique des clercs dans le monde catholique comme à l’autorité royale qui en est le modèle, mais proche des pratiques de certaines assemblées protestantes. Les derniers interrogatoires par la Reynie sont particulièrement éclairants et importants, où le Roi est « protecteur de la vraie et seule Église catholique95 », ce qu’elle reconnaît elle-même.
La chasse illustre de manière exemplaire et parfois comique l’alliance entre la justice civile et la hiérarchie religieuse. Cette réunion « du sabre et du goupillon » est illustrée par l’épisode du transfert en secret de la prison de Vincennes au « couvent » de Vaugirard : ordonné de très haut, il est assuré incognito par le tandem policier et confesseur96. Les deux sources d’autorité civile et religieuse, sous la direction affirmée du Grand Roi, — en pratique de celle de son épouse, — vont se repasser la responsabilité de faire plier une prisonnière récalcitrante et n’y parviendront pas.
Le déroulement de l’épreuve subie avant même sa mise au secret à la Bastille est exemplaire d’une police bien rodée : on commença par « chauffer » la prévenue par un interrogatoire qui eut lieu le dernier jour de l’année 1695, donc très peu de temps après la saisie (27 décembre). Ce changement de situation brusque, de la liberté même confinée dans la maison de Popaincourt où elle s’était réfugiée en dernier lieu pour échapper à la police royale à l’internement dans la tour de Vincennes, pouvait en effet induire une faiblesse momentanée chez la prévenue.
On prépara ensuite ses interrogatoires futurs grâce aux réponses données par les personnages assez secondaires arrêtés en même temps qu’elle97. En même temps, on confirma l’origine des livres et des pièces écrites qui avaient été saisies. Ces prises matérielles se seraient avérées anecdotiques, compte tenu de précautions prises par l’inculpée et fort regrettées par l’interrogateur, s’il n’y avait eu la saisie des lettres malencontreuses de La Combe et Lasherous, dont la dernière arriva à la maison de Popaincourt après les arrestations. Ces lettres seront les éléments principaux qui inspireront l’enquête. Cette première phase de préparation dura presque trois semaines.
Suivit le « coup de massue » délivré sous la forme de cinq interrogatoires concentrés sur treize jours (du deuxième, le 19 janvier, au sixième, le 1er février). Tout tournait autour de l’existence possible d’une secte qui serait à réprimer dans le royaume de France avant qu’il ne soit trop tard, celle d’une « petite Église » quiétiste en phase d’incubation appelée encore « des enfants du petit maître ». La charge d’atteinte aux mœurs était abandonnée pour l’instant par La Reynie ; elle sera reprise plus tard par l’archevêque de Paris armé de la célèbre lettre forgée supposée écrite par La Combe. L’accusée se défendit bien et des échos de cette résistance sans faille majeure parviendront à la Cour : « On dit qu’elle se défend avec beaucoup d’esprit et de fermeté », rapporte le chroniqueur Dangeau.
Les enquêteurs étaient maintenant perplexes devant ce statu quo, ce que traduit le va-et-vient des pièces à charge entre l’autorité civile, c’est-à-dire La Reynie, dirigée par le ministre Pontchartrain, et l’autorité religieuse, représentée par l’archevêque de Paris Noailles qui mettra bientôt la main à la tâche. Ces deux autorités, entièrement soumises au Roi et à son épouse, collaboreront étroitement. Pour l’instant, en l’absence de nouveaux éléments à introduire dans la procédure, on laissa La Reynie, qui de toute façon était le mieux préparé et le meilleur connaisseur de l’accusée, terminer son travail. Cette période de flottement aura duré exactement deux mois, du 1er février au 1er avril.
Le deuxième assaut fut donné sous la forme de trois interrogatoires menés en quatre jours (du 1er avril au 4 avril). Pour bien comprendre l’impact d’un tel interrogatoire, il faut s’imaginer le lieu et son déroulement. Un étage entier de la tour de Vincennes a été spécialement aménagé pour elle. Madame Guyon est en présence de La Reynie, lieutenant général de police de Paris, ainsi que du greffier chargé d’établir des actes les plus officiels possibles pour leur utilisation éventuelle. Elle doit se confronter activement durant presque une journée avec un homme connu pour sa compétence. Il lui faut répondre à des questions préparées soigneusement si l’on en juge par les traces écrites qui nous sont parvenues : les comptes-rendus des interrogatoires préliminaires de personnages secondaires comportent des soulignements de passages importants de leurs déclarations, parfois des notes sur les questions à poser. L’accusée sortit épuisée de ce second assaut. En témoignent ses deux lettres écrites avec du sang en l’absence d’encre (elles se placent entre le 5 et le 12 avril) : geste de défi ou marque de désespoir ?
En tout cas le résultat ne fut pas atteint : il consistait à obtenir une preuve, signée, de la culpabilité de l’accusée. On abandonna alors la pression policière pour y substituer une pression plus subtile, exercée cette fois par voie religieuse. Le docteur de la Sorbonne Pirot fut imposé comme confesseur : il avait bien connu l’accusée en exerçant ses talents huit années auparavant lors du premier enfermement à Saint-Antoine, et il va appliquer toute la pression dont il est capable.
L’accusée, acculée, appelle au secours ! Elle s’adresse au seul ecclésiastique qui méritait confiance. Au-dessus de tout soupçon, M. Tronson, le directeur de Saint-Sulpice qui avait participé aux entretiens d’Issy, avait une réputation de grande honnêteté. Malade et âgé, il intervient pourtant par un échange assez fourni de lettres, puis sous sa direction, une Soumission est préparée au début du mois d’août 1696 par Fénelon (dans sa jeunesse, ce dernier fut dirigé par Tronson au séminaire de Saint-Sulpice). Signée à la fin du mois par madame Guyon, cette Soumission va-t-elle enfin permettre sa sortie de prison ?
Fausse sortie. Car le soi-disant « couvent » de Vaugirard constitué pour la circonstance où elle est secrètement menée, dûment escortée par le policier Desgrez en compagnie du confesseur imposé, s’avère une autre prison, et circonstance aggravante, une prison inconnue de tous, où tout peut donc arriver. « Monsieur le curé » responsable de la direction locale est tout à la fois le confesseur et de madame Guyon et des trois religieuses bretonnes affectées à la garde. Ses insinuations sont infirmées par le récit qu’elle en fera plus tardivement, mais surtout par la correspondance qu’elle put maintenir avec la duchesse de Mortemart. Des lettres témoignent de l’intensité du vécu carcéral : a-t-elle échappé à un empoisonnement ? Va-t-elle disparaître à jamais ?
En fait, le « dossier Guyon » est repris en haut lieu, car l’on ne désespère pas d’arriver à prouver une culpabilité, au moins formellement. De nombreux interrogatoires seront pratiqués ultérieurement par le terrible d’Argenson ; au total elle subira trente-huit interrogatoires, outre des confrontations. Malheureusement, nous ne connaissons aucune pièce officielle sous forme d’enregistrement par un greffier, mais seulement le témoignage du « récit de prison » qu’elle rédigea en 1707 sur la demande de ses proches.
Menaces et usage successif de deux dénonciatrices ou « moutons » ne mènent à rien sinon à la conversion de la seconde au contact de la prisonnière. Le fond de l’abîme est atteint et l’accusée est entrée maintenant en dépression. Son récit se situe ici très loin de l’hagiographie, aux confins d’une mort attendue comme une délivrance, décrivant entre autres le suicide tenté par un condamné voisin. Ce texte (qui n’est pas hagiographique !) n’a été publié que récemment, car nous sommes devenus bons lecteurs de tels témoignages extrêmes depuis l’impact des récits d’incarcérés dans les régimes totalitaires du XXe siècle.
Enfin un dernier essai de prise en main aura lieu en 1700 au moment même où (parce que ?) l’Assemblée des évêques, dirigée par un Bossuet qui va bientôt disparaître, lève toute accusation morale. Apparemment, on ne tira alors rien de Famille, la fidèle servante dont le surnom avait été un temps ambigu aux yeux du premier inquisiteur. Elle fut confrontée peut-être à Rouxel, un prêtre du diocèse de Besançon où un cercle hétérodoxe (quiétiste ?) venait d’être démantelé à Dijon. Enfin l’Archevêque de Paris eut-il « de très grands remords de me laisser mourir en prison » ? Devenue inoffensive sur le plan de la politique religieuse après la condamnation du quiétisme par le bref papal de 1699, Madame Guyon quitta la Bastille en 1703.
Voici sous forme d’une liste sèche la séquence des enfermements ponctués par trente-huit (ou trente-neuf) interrogatoires auxquels s’ajoutent de nombreuses entrevues orageuses. Cinq détentions d’une durée totale de presque huit années et demie se succédèrent dont voici, brièvement rappelés, les dates et lieux de détention, la durée et le nombre d’interrogatoires, les officiants :
1/Du 29 janvier 1688 au 13 septembre 1688, à la Visitation Saint-Antoine : sept mois et demi ; quatre interrogatoires (peut-être neuf ou dix98) par l’Official Chéron accompagné de Pirot.
2/ Du 13 janvier 1695 au 9 juillet 1695, à la Visitation de Meaux : près de six mois durant lesquels « elle y fut considérée comme prisonnière » (Cm, p. 329). Sept (?) entrevues souvent orageuses avec Bossuet, évêque de Meaux.
3/ Du 26 décembre 1695 au 6 octobre 1696, un peu moins de dix mois et demi au donjon de Vincennes dont un niveau avait été spécialement aménagé. Neuf ou dix interrogatoires (31 décembre 1695 au 4 avril 1696) sont assurés par La Reynie « de six, sept et huit heures quelquefois » ; leurs soigneux procès-verbaux nous sont parvenus. Leur succèdent des entrevues orageuses avec de nouveau Pirot : « Il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit… »
4/ Du 7 octobre 1696 au 3 juin 1698, vingt mois à Vaugirard, dans un « couvent » formé pour l’occasion avec la contribution de trois sœurs bretonnes.
5/ Du 4 juin 1698 au 24 mars 1703, à la Bastille : quatre années et près de neuf mois, dont une longue période d’isolement (en 1700 ses amis la supposent morte) n’auront pas raison de la santé psychique de la prisonnière. Fin 1698, durant « trois mois » ont lieu vingt interrogatoires par le terrible d’Argenson. Enfin quelques interrogatoires ont lieu en 1700 « d’Argenson est de retour ».
Quant aux périodes de liberté, elles couvrent une « période d’installation à Paris » de six mois (du 21 juillet 1686 au 29 janvier 1688) ; une « période publique » de six ans et cinq mois (du 13 septembre 1688 au 13 janvier 1695) ; une « période cachée » de six mois (du 9 juillet 1695 au 26 décembre de la même année). Soit sept ans et cinq mois — contre huit années et demie d’enfermements.
Madame Guyon âgée de cinquante-quatre ans quitte donc la Bastille en 1703, sur un brancard, pour vivre en résidence surveillée chez son fils. Vers 1706 elle achètera une maison située tout à côté du château royal de Blois, et elle terminera son œuvre de « dame directrice » auprès d’un cercle de disciples d’une nouvelle génération, élargi à l’Europe entière, mêlant protestants et catholiques : une particularité très en avance sur son temps ! Nous pouvons toujours aujourd’hui tirer bénéfice de la lecture de ses écrits, forgés dans la douleur99.
Nous retrouverons les principaux membres du cercle de Blois aux chapitres suivants. Dans les dernières années de sa vie, madame Guyon réunissait à Blois ces disciples, qui se voyaient aussi entre eux, indépendamment. On dispose de séries de lettres adressées au marquis de Fénelon, le neveu de l’archevêque, au baron de Metternich, diplomate de la cour de Prusse, à Poiret et à son groupe d’amis, à des Écossais.100 Les lettres circulaient. Eux-mêmes voyageaient entre Blois, Paris, Cambrai, la Hollande, l’Écosse proche de celle-ci par mer…
De pieux disciples rapportent la plongée spontanée dans l’intériorité qui s’effectue auprès d’elle, sans nulle suggestion orale ni rappel de sa part :
Elle vivait avec ces Anglais [des Écossais, dont quatre assisteront à sa dernière maladie] comme une mère avec ses enfants…
Elle meurt en paix à soixante-neuf ans.
La vie et l’œuvre en quelques dates
1648 : naissance.
1664 : mariage.
1674 : décès de sa mère spirituelle Geneviève Granger suivie d’une nuit profonde.
1676 : cinquième enfant ; décès de son mari.
1680 : délivrance intérieure.
1681 : décès de son directeur mystique Monsieur Bertot suivi du départ hors de France.
1682 : communications intérieures avec le Père La Combe, à Thonon. Première rédaction de la Vie commandée par ce dernier ; les Torrents.
1684 : Activités apostoliques à Turin et Grenoble. Le Moyen Court ; Explications de l’Ancien et du Nouveau Testament.
1686 : retour à Paris.
1688 : courte période de captivité. Suite de la rédaction de la Vie. Sa sortie au bout de 8 mois est suivie de son activité à la cour et à Saint-Cyr. Correspondances avec Fénelon, le duc de Chevreuse, la duchesse de Mortemart.
1694 : Perte de la faveur de Madame de Maintenon ; Les Justifications ; Examens d’Issy.
1696 : début de la longue période des prisons. Reprise de la rédaction de la Vie.
1703 : sortie de la Bastille.
1705 : achat d’une maison à Blois.
1709 : Fin de la rédaction de la Vie et du récit des prisons. Activité apostolique et Correspondances avec les disciples français et étrangers.
1717 : décès.
Biographie chronologique
Cette chronologie constitue un canevas se prêtant à une lecture suivie. Il veut permettre le repérage précis des événements tels qu’ils sont racontés dans la Vie. Seuls les événements personnels sont rapportés. Insérer des événements d’une portée plus générale, tels que les étapes du procès fait aux quiétistes, pour lesquelles on se reportera à nos bibliographies101, eût grossi démesurément l’outil. Nous avons dû faire des hypothèses dans un tel travail, en particulier pour la partie couvrant la période des voyages. La documentation reste à ce jour lacunaire pour l’enfance, pour les années 1690 à 1692, 1704 à 1717102.
13 avril 1648 à Montargis : naissance à 8 mois (1.2.1103). Le 24 mai, baptême ; évanouissements (1.2.3-4).
1650 : On me mit à deux ans et demi aux Ursulines, où je restais quelque temps (2.2.5).
1651 : La Duchesse de Montbazon vint aux Bénédictines… J’avais alors quatre ans, j’étais continuellement malade… j’aimais… d’être habillée en religieuse ; rêve de l’enfer (2.2.6). Dans sa famille l’éducation est laissée aux domestiques ; préférence de la mère pour le frère ; elle joue dans la rue (2.2.8, 12-13104).
1655 : J’avais alors près de sept ans. Il y avait là [aux Ursulines] deux de mes sœurs religieuses (1.3.1).
1656 : Chute dans un cloaque profond (1.3.4) ; Sa sœur paternelle l’instruisit si bien qu’elle intéresse Henriette de France veuve de Charles Ier, de passage en exil (1.3.2).
1657 : Jalousie de sa sœur maternelle, mauvais traitements, culpabilité vis-à-vis de sa sœur paternelle dont l’accès lui est interdit ; vomissement de sang ; double langueur de corps et d’esprit (1.3.6).
1658 : Elle passe très peu de temps chez mon père (1.3.6-7) et séjourne chez les Sœurs de St Dominique : une fille… avait de l’esprit et deux fois mon âge… [elle] me fit faire un péché ; petite vérole volante ; persécutions des grandes pensionnaires (1.3.7-8 Var B105).
1659 : Après avoir été environ huit mois dans cette maison… ma mère me prit auprès d’elle… elle m’aimait un peu plus, parce qu’elle me trouvait à son gré (1.4.1).
13 avril 1659 (jour anniversaire de ses onze ans) aux Ursulines, entre les mains de ma très chère sœur… communion à Pâques… l’on me laissa jusqu’à la Pentecôte (1.4.4). - Il se présenta quantité de partis… j’aimais fort la lecture (1.4-5). Rencontre de M. Chamesson-Foissy, missionnaire à la Cochinchine… Tout ce que je voyais écris dans la vie de Madame de Chantal me charmait… je n’avais pas encore douze ans, je prenais néanmoins la discipline (1.4.4-8).
1660 : Je ne pensais plus qu’à me faire religieuse et j’allais très souvent à la Visitation (1.4.9) ; elle sert son père malade (1.5.1) ; fièvre double-tierce de quatre mois (1.5.5).
1661 : Un gentilhomme vertueux fit entendre à son père que je ne le désagréerais pas… j’avais alors treize ans et demi… si grande et… l’esprit si avancée que je surpassais beaucoup mon âge (1.5.6).
1662 : Ce jeune gentilhomme… disait tous les jours l’Office, je le disais avec lui (1.5.7 VarB). Je péchai deux fois avec une fille (1.5.9-10 VarB).
1663 : à Paris, chez son frère ; un jeune homme passionné se tenait toute la nuit à me conter des extravagances, et quoi qu’il fut nu en chemise… je ne croyais pas… qu’il y eut du mal d’être cause que d’autres vous offensassent (1.6.1 VarB).
1664 : à Montargis, le 28 janvier, elle est fiancée à Jacques Guyon, héritier d’une grosse fortune. Elle n’a pas encore 16 ans, il a 38 ans et la voit deux jours avant le mariage (1.6.3). Le 18 février, signature du contrat de mariage. Celui-ci est célébré quelques jours plus tard. Désillusions : leur manière de vivre était très différente… c’était changer du blanc au noir. Opposition de sa belle-mère, mari lointain (malgré sa passion), timidité, solitude (1.6.5 VarB, 1.6.6).
Le 17 mars, mort de sa demi-sœur paternelle Marie de Ste Cécile qui l’instruisit si bien ; retour à Dieu ; mari malade.
1665 : Le 21 janvier, naissance de son premier enfant, Armand-Jacques (il vivra jusqu’en 1720) ; Jacques Guyon part à Paris chez la duchesse de Longueville en vue de régler ses difficultés financières. Je n’avais qu’à peine 19 ans (en fait 17 ans !) ; faiblesse, abcès, maux de tête ; pertes financières dont sa belle-mère est inconsolable (1.7.2 ; 1.7.6)
1666 : à Paris : Mme de Longueville… me témoigna beaucoup de joie de me voir. Mon mari fut fort content de cela, car dans le fond il m’aimait beaucoup (1.7.8). Grave maladie : L’on m’apporta le saint Viatique à minuit… Il n’y avait que moi à qui la mort était indifférente (1.7.10).
1667 : Retour à Montargis au printemps, sa mère meurt en juillet. Elle rencontre Madame de Charost106 : Je voyais sur son visage quelque chose qui me marquait une fort grande présence de Dieu… Elle, me voyant si multipliée, me disait souvent quelque chose, mais il n’était pas temps (1.8.2).
Deuxième passage du missionnaire : Il aurait bien voulu me donner une autre méthode d’oraison… Je crois que ses prières furent plus efficaces (1.8.3-4). Enfin Dieu permit qu’un bon religieux fort intérieur de l’ordre de Saint-François [Archange Enguerrand] passa : « C’est Madame que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans » (1.8.5-10). Entrée dans l’oraison de foi savoureuse (1,9), bien au-dessus des extases… état très épuré, très ferme et très solide (1,11). Descriptions107 de ces états (1.19.1-10)
1668 : Le 8 janvier 1668 naissance d’Armand-Claude (meurt en 1670) ; austérités et mortifications excessives (épisode du crachat).
Plaie amoureuse à la date de la Madeleine, en juillet ; le père fit trois sermons admirables… je ne pouvais presque entendre les paroles… mon Dieu… votre parole faisait une impression sur mon cœur directement ; fête de Notre Dame de la Portioncule dans le couvent où était ce bon père… trait de pur amour… ; description de ces états (1.12-7, 9-12) et de la purification, un purgatoire amoureux et tout ensemble rigoureux (1,11).
Épreuves. Ce bon père [Enguerrand]… me donna la connaissance de… Geneviève Granger, qui était une des plus grandes servantes de Dieu de son temps tandis que confesseur et famille s’élèvent contre elle (1,12). Il se faisait en moi sans bruit de paroles une prière continuelle… j’allais quelquefois voir la mère Granger… lorsqu’on savait que j’y avais été, c’était des querelles qui ne finissaient point (1.13.2-3). Suivent des sécheresses et des infidélités qui n’empêchent pas l’expérience continuelle de la présence divine (1.13.4-7) au prix d’un feu dévorant qui ne cessait pas que le défaut ne fut purifié… [et d’un] exil de mon fond (1.13.10).
Épisode du cadeau de nuit à Saint-Cloud ; rencontre d’un inconnu au pont Notre-Dame (1.13.12). Passion : je ne pouvais haïr ce qu’il y avait en moi qui la faisait naître ; voyage en Touraine ; la mère Granger… me remit et m'encouragea (1.14.5).
1669 : Le 2 juin, baptême de Marie-Anne (meurt en 1672) ; voyage à Paris.
1670 : Voyage à Orléans et en Touraine avec son mari. Pèlerinage aux Ardilliers à Saumur. À son retour, en septembre, ses trois enfants contractent la variole. Le 4 octobre elle contracte la variole, son fils cadet meurt le 20 octobre108 ; elle-même et son fils aîné restent défigurés (1.15.3 ss.), ce qui n’empêche pas la passion d’un gentilhomme et ses artifices habiles (1.15.10, Var B).
Tracasseries et révolte du fils : Il me disait : « ma grand-mère dit que vous avez été plus menteuse que moi. » Mari indifférent et lointain : je tremblais quelquefois lorsque je l’approchais. Belle-mère rude : j’étais si timide que je ne lui savais parler et mon silence la fâchait. (1.17.8-9 ; Var B).
1671 : En juin ou juillet première rencontre avec le P. la Combe envoyé par son demi-frère paternel Dominique de la Mothe : je lui dis des choses qui lui ouvrirent la voie de l’intérieur… j’étais bien éloignée de prévoir que je dusse jamais aller à un lieu où il serait (1.18.1-2).
Oraison continuelle : Tout ce qu’il y avait, c’est que je sentais un grand repos et grand goût de la présence de Dieu, qui me paraissait si intime qu’il était plus en moi que moi-même (1.18.2-8). Épreuve intérieure. Je commençai à éprouver que la vertu me devint… d’un poids insupportable, non que je ne l’aimasse extrêmement, mais c’est que je me trouvais impuissante de la pratiquer. Chasteté par protection visible et sensible et grâce à un amortissement entier de la vivacité du sentiment (1.18.8 Var B & P ajout109).
Le 21 septembre 1671, rencontre avec M. Bertot aux Bénédictines110 par l’intermédiaire de la mère Granger, puis à Paris (1.19.1-2).
1672 : En mai-juin, mort de son père et de sa fille111 : Je me résolus, après avoir vu M. Bertot… d’aller passer les dix jours de l’Ascension à la Pentecôte dans une abbaye à quatre lieues de Paris. Le séjour est interrompu par la mort pressentie de son père ; sa fille morte, il ne lui reste plus qu’un fils : malade à la mort, Dieu le rendit aux prières de la mère Granger (1.19.3-9). La veille de la Madeleine… la mère Granger m’envoya un petit contrat : mariage spirituel le 22 juillet (1.19.10-11).
1673 : En juillet, pèlerinage à Alise Sainte Reine près de Semur-en-Auxois112. Le jour de l’Assomption : O. si M. Bertot savait ce que je souffre ! Il lui écrit ce même jour (1.19.13). Conversion d’une dame : elle me dit « votre silence… me parlait jusque dans le fond de l’âme » (1.22).
1674 : Le 31 mai, naissance de son quatrième enfant, Jean-Baptiste-Denys (qui vivra jusqu’en 1752)113. Nouveau pèlerinage à Ste Reine et à St Edme de Bourgogne au tombeau de St Edmont de Cantorbéry à Pontigny.
Le 5 octobre, mort de la mère Granger : M. Bertot quoiqu’à cent lieues… eut connaissance de sa mort et béatitude… comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit : « Je l’ai toujours aimée en Dieu » et ne parla plus depuis (1.26-7).
Le 25 novembre, elle assiste au mariage de son frère Jacques à Orléans. Monsieur Bertot lui envoie un précepteur pour son fils et elle apprend le latin sous sa direction. Opposition de son frère vis-à-vis d’elle-même et de son mari, engagement du frère vis-à-vis du frère du roi pour deux cent mille livres ramené à… cent cinquante livres par son intervention (1.28-10).
Je commençais à vous perdre… quant au sentiment perceptible, car il ne s’agissait depuis longtemps ni du sensible ni du distinct ; description de la voie de mort et de foi (1.21.2-5).
1675 : Inclination pour un ecclésiastique janséniste : cette liaison dura deux ans et demi (1.21.1, 6-9).
Nuit intérieure : Je croyais être perdue… M. Bertot ne me donna plus de secours… il n’y avait plus qu’un juge rigoureux… Je ne pouvais plus aller voir les pauvres… [ni] rester un moment à l’église… promptitudes extérieures… sentiment de tous les péchés (1.21.9-12).
1676 : Le 21 mars, naissance de Jeanne-Marie, son cinquième enfant114. Le 21 juillet, mort de son mari après trois semaines de souffrances, la veille de la Madeleine ; certitude de son salut et songe de la mère Granger (1.22.1-7). Elle reste veuve avec des revenus considérables de plus de 7000 livres annuelles. Belle-mère intéressée ; règlement de procès (1.22.8-11).
Description de la nuit mystique qui durera sept années et surtout cinq ans sans un instant de consolation (1,23).
1677 : Voyage à Paris pour faire retraite. M. Bertot l’ignore et cela me faisait encore plus croire que j’étais déchue de ma grâce ; mais il lui attache un ecclésiastique et je lui servais beaucoup pour son intérieur ; réciproquement il lui fut d’une très grande utilité (1.24.1-3 et Var B).
Cabale janséniste et persécutions de ce Monsieur avec lequel j’avais rompu. Nuit, une expérience de misère et un sentiment inconcevable de ma bassesse (1.24.5-8). Description (1,25).
1678 : Elle achète une maison contigüe à celle de sa belle-mère et devient indépendante115
1679 : Elle se trouve mise en rapport fortuitement avec le P. la Combe, devenu en 1678 supérieur d’une maison barnabite à Thonon. Épreuves extérieures parallèles à celles de la nuit intérieure : abandon de tous, accusations contre l’ecclésiastique maintenu par Bertot : il me fallut boire la double confusion qui me venait de lui et de moi (1,26).
1680 :
Rupture avec l’ex-belle-mère : je me vis réduite à sortir au fort de l’hiver avec mes enfants et la nourrice de ma fille, sans savoir que devenir (1,26).
Retour sur les épreuves et sur la nuit à son stade final : une folie si étrange de mon imagination qu’elle ne me donnait aucun repos… plus aucun espoir de sortir jamais d’un état si pénible… Mon froid me parut un froid de mort (1.27.1 à 6). Elle écrit au P. La Combe. Genève me venait dans l’esprit, aussi elle craint l’apostasie. Songe de la mère Bon encore vivante à ce moment-là, mais qu’elle ne connaissait pas, dont elle fut extrêmement consolée. Elle écrit de nouveau au P. la Combe (1.27.7-8).
En juillet : Ce fut ce jour heureux de la Madeleine que mon âme fut parfaitement délivrée : liberté, béatitude, netteté de l’esprit, pureté du cœur. Comme je fus longtemps à la campagne et que le bas âge de mes enfants ne requérait pas trop mon application… je donnai lieu à l’amour de me consumer… dans une entière paix (1.28).
À Paris, je parlai moi-même à M. de Genève… je fus voir la supérieure des Nouvelles Catholiques… J’allai consulter le père Claude Martin, fils de la mère de l’Incarnation du Canada ; M. Bertot me dit que mon dessein était de Dieu ; lettres du P. la Combe (1.29.3 à 11).
1681 :
Peine de quitter ses petits enfants de 4 et 6 ans (1.29.1). Amitiés de sa belle-mère et d’une fille au moment de leur séparation ! (1.31-2). L’année que je partis… l’hiver de devant fut un des plus longs et des plus rudes… C’était en 1680116. Hésitations envers les Nouvelles Catholiques (1,35). En mars, mort de Jacques Bertot.
Voyage : Elle quitte Montargis pour Paris où elle confie à Denis Huguet, conseiller au Parlement et cousin de son mari, le soin de gérer les biens de ses enfants, se réservant pour elle et pour sa fille 15 000 livres de rente ; puis elle part secrètement avec sa fille : je partis après la Visitation de la Vierge. À Corbeil elle voit Enguerrand qui la prévient contre les Nouvelles Catholiques. Nous arrivâmes à Annecy la veille de la Madeleine 1681 (2.1.1, 6, 9).
Arrivée à Gex le lendemain de la Madeleine 22 juillet où nous ne trouvâmes que les quatre murailles. Angoisses pour sa fille (2.1.10). Le P. la Combe vient la voir. Description de la communication intérieure (2.2.1-5)
En septembre elle mène à Thonon sa fille qu’elle confie aux Ursulines117 et rencontre un ermite qui a des visions prémonitoires (2.2.6-8, 9 Var B).
De retour à Gex elle est critiquée en France en particulier par son frère le P. La Mothe, mais soutenue par M. de Genève qui lui donne le P. La Combe comme directeur (2.3.1-6). Maladie, indifférence des sœurs, guérison par le P. la Combe, abandon à la volonté divine (2.3.7-11)
À Thonon en décembre elle fait une retraite de douze jours sous la conduite du P. la Combe puis rentre à Gex par Genève. Grave chute de cheval suivie de visions (hallucinations ?) attribuées au démon (2.4.9 à 2.5.3). Sa famille tente de la faire revenir à Paris.
1682 :
Le 3 février, elle abandonne la tutelle de ses enfants à sa belle-mère. Le 11 février, retraite aux Ursulines de Thonon118. Description de son état de joie dans une largeur immense ; tout est nu et net ; l’âme par la mort à elle-même passe en son divin objet (2.4.1-9). Le 3 mars elle renonce à ses biens personnels en échange d’une pension. Ses proches ne font plus d’instances pour son retour, mais demandent une procuration : Je me défis donc de mon bien… chose dont je n’ai jamais eu ni repentir ni chagrin.
M. de Genève est circonvenu : sachant qu’elle refuserait l’on me proposa l’engagement et la supériorité [des Nouvelles Catholiques] ; le P. la Combe qui refuse de faire pression est décrié ; prémonition d’un prêtre âgé (2,6). Lettres interceptées ; calomnies mettant en cause ses rapports avec le P. la Combe (2.7.1-3).
Description de son état nu et perdu, songe des deux gouttes d’eau, l’une claire, l’autre pleine de petites fibres, images des voies de la foi et de lumières ; confirmation de sa maternité spirituelle vis-à-vis du P. le Combe et de bien d’autres (2.7.5 à 11).
Description de l’âme bien abandonnée, inébranlable, passive : ce qui fait la perfection d’un état fait toujours l’imperfection et le commencement de l’état qui suit… la conduite de la providence suivie à l’aveugle fait toute sa voie et sa vie… elle voit bien que lors qu’elle préfère le vertueux au défectueux elle commet une faute… Jusqu’à ce qu’on en soit là, l’on est peu propre pour le prochain (2.8.1 à 14).
Pendant le carême elle est atteinte d’un abcès à la tête, sa fille est malade et mal éduquée, mais elle demeure en paix ; elle décrit son état fixe et ferme (2.9.10-13). Après Pâques, elle s’entretient avec le versatile M. de Genève (2.7.13). En mai, la variole de sa fille est guérie par le P. la Combe. En juillet sa sœur vient de Sens avec une bonne fille (2.9.1-9).
Elle fait retraite avec le P. la Combe, et écrit les Torrents119. Sitôt que le P. La Combe fut arrivé [de retour de Rome]120… je le priai de me permettre une retraite… je me laissai dévorer à l’amour… fort mouvement d’écrire (2.11.1-5).
Elle est plongée dans la foi nue (2.11.6-8). Direction d’une fille et de religieuses (2.12.1-5).
Du 14 septembre 1682 au 3 mai 1683, la « grande maladie121 » : À Noël abcès et fièvre jusqu’à la rêverie ; état de petite enfance et pouvoir sur les âmes (2.12.6 et Var B, 2.12.7). Union avec le P. la Combe, tourments lorsqu’il résistait à Dieu (2.13.1 Var B). Appréciations de Paris, estime à Gex ; fin de rédaction de la Vie en novembre 1682122.
1683 :
Pendant le carême, le P. La Combe porte une partie de sa maladie puis est remis en état de prêcher (2.13.4). Figure de la femme de l’Apocalypse, vision du dragon. Elle est guérie par le P. la Combe : mon cœur, reprenant un peu de vie, revint. (2.14.1-5). Fin des fièvres. Ce fut dans cette maladie… que vous m’aprîtes qu’il y avait une autre manière de converser avec les créatures qui sont tout à vous, que la parole (2.13.5-12).
Établissement d’un hôpital (2.14.5). Opposition de M. de Genève. Elle vit le début de l’été dans une petite maison éloignée du lac : Je pris ma fille avec moi… j’achetai quelques chaises de paille avec de la vaisselle de faïence, de terre et de bois. Jamais je n’ai goûté un pareil contentement (2.14.7 (15,1)
Bref aller-retour à Lausanne en traversant le lac123 (2.14.8).
À l’automne elle se rend à Turin chez la Marquise de Prunai Souffrance liée au P. la Combe (2,15) et à la purification de la fille qui l’accompagne ; comment porter la purification des âmes ; consommation dans l’unité (2,16 et 28 Var. B). Conversions de religieux (2.17.1-5).
1684 :
Le 2 avril, départ de Turin avec le P. La Combe. Elle s’arrête à Grenoble et reprend son apostolat qui s’étend à de nombreuses communautés : elle se heurte au général des Chartreux Le Masson dont les écrits lui feront par la suite un grand tort (2.17.6-9). État apostolique (2.18.1 à 8). Description de l’état du pécheur (2.19.1 à 11). Elle dirige des frères et des sœurs de monastères (2,20).
Elle rédige des Explications de l’Écriture sainte : il me fallait cesser et reprendre comme vous le vouliez… la main ne pouvait presque suivre l’esprit… J’écrivis le Cantique des cantiques en un jour et demi. Guérison d’un bon frère copiste (2,21). Communications en silence (2.22.4-7).
1685 :
Le 7 mars, publication du Moyen court, à l’initiative d’un conseiller au Parlement, Giraud.
L’évêque de Grenoble, Étienne le Camus124, fait prier Mme Guyon de quitter Grenoble. Elle laisse sa fille aux Ursulines. À Marseille, elle est appréciée de Malaval, mais supporte une cabale janséniste (2.23.2-6).
Après un voyage difficile sur mer (tempête) et sur terre (mauvais accueil des Génois bombardés peu de temps auparavant125 ; voleurs) elle arrive à Gênes le 18 avril (2.23.7-10).
Le 20 avril, le P. la Combe l’accueille fraîchement à Verceil L’évêque V.A. Ripa est plus chaleureux (2.24.1-9). Le 24 avril à Turin, elle est chez son amie la marquise de Prunai (2.25.3).
Elle écrit le 3 juin à J. d’Arenthon, évêque de Genève, qui lui refusera de s’installer dans son diocèse126. Le 16 juillet, Molinos est arrêté à Rome.
1686 :
Publication par V. A. Ripa de l’Oratione del cuore facilitata127.
Départ pour Turin. Le P. La Combe, nommé à Paris, l’accompagne ; ils croisent le P. La Mothe à Chambéry. Elle est malade quinze jours à Grenoble ; tout nous annonçait croix. Passage par Lyon et Dijon, rencontre de Claude Quillot qui sera condamné comme quiétiste (2.25.5-7).
Paris cloître Notre-Dame : J’arrivai à Paris la veille de la Madeleine 1686, justement cinq ans après mon départ ; intéressement du P. la Mothe et opposition de barnabites jaloux contre le P. La Combe applaudi pour ses sermons (3.1.3). Piège pour insinuer des attaches criminelles entre elle et le Père, qu’elle déjoue, refusant d’aller à Montargis accompagné de ce dernier. Calomnies sur le voyage de Turin à Paris (3.1.4-6. Enfermée dans ma chambre à genoux… je me trouvais lié de nouveau avec Jésus-Christ crucifié ; tentative de la brouiller avec le tuteur de ses enfants (3.1.7).
J’allai à la campagne chez Mme la duchesse de Charost… il me fut donné un fort instinct de me communiquer à eux en silence… on fut obligée de me délacer (3.1.9).
Manœuvres d’un couple contre le Père, calomnie sur un supposé comportement scandaleux à Marseille entre ce dernier et Madame Guyon, accusations de Molinosisme ; le P. la Mothe s’associe au Provincial et à l’Official (3.1.10-15). Il incite tantôt le P. La Combe tantôt Madame Guyon à s’enfuir ; lui-même et l’Official attaquent M. Bureau à l’aide de fausses lettres ; sa famille est prévenue contre elle, mais le tuteur rencontre l’Archevêque de Paris (3,2).
1687 :
Le 27 août, décret du Saint-Office contre Molinos. Condamnation confirmée le 20 novembre par le Bref « Coelestis Pastor. » ils firent entendre à Sa Majesté que le P. la Combe était ami de Molinos… sur le témoignage de l’écrivain [faussaire] et de sa femme, qu’il avait fait des crimes. Il est interdit de sortie de son couvent, mais on le lui cache et sa sortie pour une urgence permet de le faire passer pour rebelle. (3.3.1-2). On lui fait remettre des papiers qui auraient permis sa défense : on les supprima (3.3.4).
Le 3 octobre on le vint enlever pour le mettre aux Pères de la Doctrine Chrétienne. Durant ce temps, les ennemis faisaient faussetés sur faussetés… pour le mettre à la Bastille… sans le juger, on l’a enfermé dans une forteresse (3.3.5). Le P. la Mothe prit plus de soin que jamais de me porter à m’enfuir… l’on contrefit mon écriture… ce fut sur cette lettre supposée… que l’on donna ordre de m’emprisonner le 29 janvier 1688 (3.3.6-12)
Elle reçoit une attestation en faveur du Père, mais très malade elle se la laisse enlever par le P. la Mothe (3.4.1-4). Après une entrevue-piège avec l’Official on fit entendre que j’avais déclaré beaucoup de choses… ils se servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas… on m’apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du faubourg Saint-Antoine (3.4.5-6).
1688 :
Le 29 janvier, enfermée seule dans une chambre… l’on m’arracha ma fille… l’on eut la dureté de défendre que l’on me dit nulle nouvelle d’elle… pour la vouloir marier par force (3.5.1). Son confesseur effrayé ainsi que ses amis l’abandonnent. Elle est tourmentée par une gardienne et interrogée (3.5.3-15). Sa fille est entre les mains de la cousine du cavalier à qui l’on la voulait donner, de la famille intéressée de l’Archevêque de Paris, Harlay.
Elle ne peut parler à personne de sa famille ni même au tuteur ; la communauté prit pour moi une très grande affection ; à l’extérieur les calomnies redoublent ; chantage pour marier sa fille (3,6). La supérieure… leur représenta que la chambre où j’étais était petite seulement ouverte d’un côté où le soleil donne tout le jour et au mois de juillet… on la fermait avec un bâton en travers, comme l’on met les chiens au chenil ; lettres contrefaites ; tentative de trouver de faux témoins ; maladie (3.7.1 et Var B ; 3.7.3-4).
Mme de Miramion et une abbesse parente de Mme de Maintenon prennent sa défense : le roi… ordonna à Mgr l’Archevêque de me mettre en liberté ce qui… ne le fâcha pas peu. (3.8.10). Elle continue la rédaction de sa Vie chez Mme de Miramion ; elle serait sortie le 13 septembre128.
Quelques jours après ma sortie, je fus à B [eynes]… ayant ouï parler de M. [l’abbé de Fénelon], je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et douceur… je souffris huit jours entiers, après quoi je me trouvai unie à lui sans obstacles’ (3.9.9-10). La place particulière occupée par Fénelon129 (3.11-2).
1689 :
Elle est malade avec un abcès à l’œil trois mois chez les dames de Mme de Miramion qui découvre les calomnies du P. la Mothe (3.11.1-2).
Le 16 août, Fénelon est nommé précepteur du duc de Bourgogne. Le 25 août Armand-Jacques, fils aîné, est blessé à Valcourt. Le 26 août sa fille Jeanne-Marie épouse Louis-Nicolas Fouquet, comte de Vaux, frère cadet de la duchesse de Béthune : Ma fille fut mariée chez Madame de Miramion et je fus obligée, à cause de son extrême jeunesse, d’aller rester quelque temps avec elle. J’y restai deux ans et demi (3.11.3).
Le 29 novembre, mise à l’index du Moyen court.
1690 & 1691 :
Ayant quitté ma fille, je pris une petite maison éloignée du monde… j’avais continué d’aller à Saint-Cyr… [Mme de Maintenon] me marquait beaucoup de bontés… [ce qui dura] pendant trois ou quatre années (3.11.5).
Rencontres avec M. Boileau et M. Nicole (3.11.6-8). Maladie, c’était un poison fort violent qu’on m’avait donné ; elle prend les eaux à Bourbon [l’Archambaud] (3.11.9 Var P)130.
1692 & 1693 :
Histoire étrange d’une fille possédée (3.12.3-5)
La dévote de M. Boileau la décrie et entraîne ce dernier qui persuade l’évêque de Chartres ; Mme de Maintenon tint bon quelque temps… Elle se rendit… aux instances réitérées de Mgr l’évêque de Chartres (3.12.6 à 10). Le 2 mai, Mme de Maintenon prie Mme Guyon de ne plus venir à St Cyr (3,12).
Quelques personnes de mes amies jugèrent à propos que je visse Mgr l’évêque de Meaux [Bossuet] qu’elle rencontre le 1er août chez le duc de Chevreuse en sa présence. Elle lui remet tous ses écrits : il lut tout avec attention, il fit de grands extraits et se mit en état… d’écouter mes explications (3.13.1-4). Durant l’été, Mme Guyon fait examiner ses écrits par Pierre Nicole, Boileau « de l’Archevêché »131 et Bossuet.
1694 :
Le 30 janvier, entretien rue Cassette avec Bossuet : Ce n’était plus le même homme. Il avait apporté… un mémoire contenant plus de vingt articles (3.13.5-11)… prétendait qu’il n’y a que quatre ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d’oraison… il y en a plus de cent mille dans le monde (3.14.3 à 13).
Changement d’attitude de Bossuet : le 4 mars, lettre défavorable ; Jugement définitif condamnant la doctrine du pur amour et de l’état passif. Le 2 avril, Mme de Maintenon est nommée supérieure de Saint-Cyr.
Le 10 juin elle tente d’échapper par la retraite. Lettre à Mme de Maintenon demandant de justifier ses mœurs. Mort de M. Fouquet132 qui se manifeste à elle ; elle prie ses amis de me regarder comme une chose oubliée (3,15). On cherche les examinateurs : M. de Meaux, Mgr de Châlons et M. Tronson. Elle leur adresse une lettre ainsi que des ouvrages et les Justifications (3,16). De juillet à septembre, entretiens d’Issy.
Le 16 octobre, mandement de l’Archevêque de Paris Harlay condamnant le Moyen Court et le Commentaire des Cantiques. Pendant cette période… elle institue l’ordre des Associés de l’Enfant Jésus, plaisante les Christofflets et recommande les Michelins133. Elle est obligée de communiquer sa Vie aux examinateurs ; le duc de Chevreuse est écarté des entretiens d’Issy par Bossuet (3.17.1-2).
1695 :
Le 13 janvier elle est à Sainte Marie de Meaux : Je partis… dans le plus affreux hiver… j’en eus une maladie de six semaines de fièvre continue (3.18.1). Libelles, fausse lettre de M. de Grenoble et réponses qui la justifient du P. Richebrac et du cardinal Le Camus. Stratagème des fausses confessions (3.18.4-8).
Le 4 février, Fénelon est nommé Archevêque de Cambrai par Louis XIV.
Le 10 mars, signature par Bossuet, Tronson, Noailles et Fénelon des 34 articles d’Issy (publiés dans 3 instructions pastorales des 16 avril, 25 avril, 21 novembre), assortis d’une condamnation des écrits de Mme Guyon comme d’un opuscule du P. la Combe.
Le 12 avril, lettre du P de Richebrac. Ce même jour, puis les 14 et 15 avril, visites de Bossuet. Le jour de l’Annonciation, il me dit qu’il voulait que je signasse que je ne croyais pas au Verbe incarné… Je lui dis que je savais mourir, mais je ne savais point signer de faussetés (3.18.9-11). Je lui montrai ma soumission… il la prit… et me dit qu’il ne me donnerait rien, que je n’étais pas au bout… les bonnes filles qui voyaient une partie des violences, n’en pouvaient revenir (3.19.1-4).
Le 2 juillet, Bossuet lui remet une attestation d’orthodoxie. Attestation de la mère Picard et d’autres sœurs (juillet 1695). Le 9, Fénelon est sacré à St Cyr par Bossuet assisté par les évêques de Châlons et d’Amiens. Il quittera Paris le 31 pour arriver à Cambrai le 4 août.
Le 9 juillet comme il y avait six mois que j’étais à Meaux, où je ne m’étais engagée d’y rester que trois… deux dames vinrent donc me quérir… Il débita que j’avais sauté les murailles du couvent… je pris la résolution de ne point quitter Paris… Je restai de cette manière environ cinq à six mois (3.19.6-9).
Le 10 juillet, Godet-Desmarais va à Saint-Cyr où il se fait remettre les écrits de Mme Guyon et de Fénelon. Mme de la Maisonfort résiste et reçoit le 6 septembre une lettre de reproches de Mme de Maintenon.
Le 6 août, mort de Harlay. Madame Guyon se réfugie au Faubourg Saint-Antoine puis près de Saint-Germain l’Auxerrois. Fénelon vient à Paris. Le 14 (?), entretien avec Mme de Maintenon sur Mme Guyon. Le 21, ordonnance de Godet-Desmarets contre le quiétisme.
Le 30 novembre, Mme Guyon achète une petite maison à Popincourt. Retour de Fénelon à Cambrai le 11 décembre.
Elle est arrêtée le 27 décembre et après trois jours en séquestre chez Desgrez… on me mena à Vincennes (3.19.9).
1696 :
Je ne parlerai point de cette longue persécution…134 (3,20).
31 décembre au 5 avril : Enfin après neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, il [M. de la Reynie] jeta les lettres et les papiers sur la table et dit « … Voilà assez tourmenté une personne pour si peu de choses » (C 10)135. Pirot lui succède : il n’y a rien de plus violent que ce qu’il me fit… il voulut repasser… les interrogatoires… [d’] il y avait huit ou neuf ans (C 13-14) Je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne… le P. Archange Enguerrand… on me fit un crime de cette demande (C 15-16).
Le 9 juin, « Mgr de Cambrai, M. le duc de Chevreuse et M. le duc de Beauvilliers sont venus voir M.Tronson… ce n’a pas été sans parler de Mme Guyon » (Orcibal). Fénelon compose un projet de soumission, échanges de visites à Issy de Beauvilliers, Chevreuse, etc.
Vers la fin du temps que je passai à Vincennes, l’on me proposa de voir M. le Curé de Saint-Sulpice [la Chétardie]… se jetant à genoux sitôt qu’il fut entré… Ce début et cette affectation me firent une certaine impression de crainte… je le [M. Tronson] suppliai de me dresser une soumission qu’elle signe ; on lui en apporte une autre sans quoi on ne me donnerait pas les sacrements (C 17-18, 22-27).
Le 28 Août, M. Tronson reçoit la duchesse de Charost puis les jours suivant le P. le Valois, M. de la Chétardie avant et après sa visite à Vincennes à Mme Guyon, et finalement Fénelon. Parallèlement il rend compte à l’Archevêque de Paris Noailles et louvoie… Ce dernier obtient enfin de Mme Guyon une soumission.
Le 24 septembre, Mme de Maintenon écrit à Noailles : J’ai vu notre ami [Fénelon]. Nous avons bien disputé, mais fort doucement… rien ne l’entame sur son amie.
Le 7 octobre, Noailles ordonne le transfert de Mme Guyon dans une maison de Vaugirard voisine de la maison de La Reynie et dépendant de la communauté des sœurs de St Thomas de Villeneuve : on aurait bien voulu me laisser à Vincennes… mais on n’osait pas… l’on fit en un moment une communauté [de deux ou trois sœurs de Basse-Bretagne]… M. le Curé m’avait proposé avant d’être mise à l’Hôpital Général… mais ils n’osèrent à cause de ma famille (C 30-31). Le 16 octobre, on me mit dans une chambre… je pensai me rompre une jambe au travers du plancher… on avait encore bouché une petite fenêtre qui donnait de l’air… Cette fille qui me gardait… venait m’insulter, me mettre le poing contre le menton. Récit des tourments (C 34-57).
1697 :
Le 27 janvier, parution des Maximes des Saints de Fénelon ; Bossuet répondra le 25 février par l’Instruction sur les états d’Oraison, suivie le 26 juin de sa Relation sur le quiétisme. Fénelon répliquera par sa Réponse du 26 juillet.
Pendant ce temps on exerce sur Madame Guyon des méthodes brutales incluant une tentative d’empoisonnement (C 58-61) : Je perdis presque la vue dans ce temps-là (C 63). La servante de la sœur qui la garde épouvantée de voir tout ce que l’on me faisait… ne put s’empêcher de le dire à son confesseur qui lui rend service autant qu’il le peut (C 80).
La Chétardie rencontre à son retour de Vaugirard le duc de Chevreuse à la porte d’Issy. Le 12 février, Mme de Maintenon écrivit à Noailles : du moins Beauvilliers devra condamner Mme Guyon sans restriction. Ce qu’il fera, suivant le conseil de Tronson136.
Le 1er août, Fénelon reçoit l’ordre du roi de se retirer dans son diocèse.
1698 :
Après avoir été environ vingt mois dans cette maison, je reçus une grande lettre de M. le Curé qu’elle reproduit ; pressions exercées sur ses gardiennes (C 80 à 106).
Le 20 mars, Bossuet transmet des lettres du P. La Combe à Rome. Le 26 avril, transfert du P. La Combe de Lourdes à Vincennes.
Le 14 mai, visite de M. de Paris qui lui montre une (fausse) lettre attribuée au P. La Combe et la menace en présence de M. le Curé (C 107 à 123).
Le 4 juin transfert à la Bastille ; Visite de Degrez, gêné (C 125-128) : Je fus donc mise seule à la Bastille dans une chambre nue… mais cela ne dura pas, car on me donna une demoiselle qui… espérait faire fortune… si elle pouvait trouver quelque chose contre moi (C 130-131) ; humidité du lieu… très grande maladie… On croyait que j’allais mourir (C 132-133).
M. d’Argenson vint m’interroger. Il… avait tant de fureur que je n’avais jamais rien vu de pareil… plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures ; on l’interroge sur ses rapports avec le P. la Combe, Fénelon… cet interrogatoire… dura près de trois mois (C 135-143). On place près d’elle une pauvre femme qui meurt se croyant damnée (C 144-152).
1699 :
On place près d’elle une jeune filleule à laquelle M. du Junca promet mariage ; elle reste 3 ans puis meurt quinze jours après son départ, étique ; … elle soutenait la vérité avec un courage qui n’était pas d’une personne de son âge (C 155 à 168). Suicide (raté) d’un prisonnier voisin : il arrive souvent de ces choses (C 169-171).
Le 12 mars, Bref Cum Alias condamnant en termes nuancés les Explications sur les Maximes des Saints.
1700 :
M.d’Argenson… revint au bout de deux ans… je souffris trente-cinq ou quarante jours que durât cet interrogatoire des déchirements d’entrailles que je ne puis exprimer… sans manger ni dormir. Dernier interrogatoire après l’Assemblée du Clergé de juillet 1700, présidée par Bossuet ; déclaration officielle qui marque le terme de l’affaire du « quiétisme » (C 171-180).
1701 :
En mai, on songe à la libérer, aucun délit réel ne justifiant son incarcération. Bossuet s’y oppose… selon le témoignage de Mme de Maintenon. Pendant ce temps je crus que les choses n’étant fondées que sur le mensonge, on me ferait peut-être mourir, cette pensée me donna tant de joie… (C 179).
1702 :
M. d’Argenson me dit :… « Vous voulez goûter de la Conciergerie, vous en goûterez » et autres menaces ; on veut l’empoisonner, mais le médecin me dit à l’oreille de n’en point prendre (C 183-185). Deux songes : le P. la Combe livide ; le feu dans l’eau (C 186). Je fus plus d’un an seule… mal aux yeux… je ne pouvais ni lire ni travailler… très délaissée au dedans je me contentais sans contentement de la volonté de Dieu. (C 187).
1703 :
En janvier ses enfants sont autorisés à la voir. Sept ou huit mois de maladie (C 189). M. de Paris eut de très grands remords ; M. de Blois (Berthier, ami de Fénelon) intervient ; opposition de son fils ; Berthier réécrit à M. de Pontchartrain et reçut un nouvel ordre… de me laisser aller à une maison que j’avais louée de concert avec le prélat (C 193-194).
Le 24 mars, elle part en litière avec son fils Armand-Jacques pour le château de Diziers à St Martin de Suèvres. J’y demeurai trois ans (C 194). Le 9 septembre, permission de six mois renouvelée puis rendue définitive.
1704 : Le 12 avril, mort de Bossuet
1705 : Mme Guyon passe trois mois à Forges, près de Suèvres puis M. de Blois fit agréer que j’irais demeurer à la ville (C 194) ; elle se fixe à Blois, dans une petite maison qu’elle a achetée près de l’église Saint-Nicolas137.
1706, 1707 & 1708 : Aucun événement notable durant ces années : la vie publique est terminée. Madame Guyon se consacre discrètement à la formation de disciples.
1709 : En décembre, fin de la rédaction de la Vie et du récit des prisons.
1710 : Témoignage des liens avec Fénelon (lettre à deux colonnes comportant les réponses de Madame Guyon).
1711 : Aucun événement notable.
1712 : Le 18 février, mort du grand Dauphin. Le 5 novembre, mort du duc de Chevreuse.
1713 : Arrivée à Blois de Ramsay. Le 8 septembre, Bulle « Unigenitus ».
1714 : Le 31 janvier, mort du duc de Beauvilliers. Correspondance avec Gabriel-Jacques, marquis de Fénelon ainsi qu’avec de nombreux disciples étrangers (voir notre introduction).
1715 : Le 6 janvier, mort de Fénelon. Le 29 juin, mort du P. la Combe.
1716 : Abondante correspondance avec des disciples « cis » et « trans ».
1717 : En mars, elle tombe gravement malade, mais survit trois mois avec à son chevet le marquis de Fénelon, Ramsay, trois amis écossais…
En juin, elle rédige son testament où elle affirme son orthodoxie. Elle meurt le 9 juin et est enterrée dans le cloître des Récollets à Blois138.
Ce tableau facilite la reconnaissance des liens par le sang. Il donne les généalogies des familles de la Mothe (parents) et Guyon (mari), les apparentements des familles de certains membres du cercle (Fouquet Charost, Colbert Beauvillier Chevreuse Mortemart, Gramont), un aperçu de la famille de Fénelon.
Claude BOUVIER de la MOTHE, maître des requêtes ordinaires d’Anne d’Autriche (1640)
X 1°) le 5/2/1622 Marie Ozon, fille de Michel et Edmée GUYON
dont :
1 Marie-Cécile B. (15 mai 1624 - 7 mars 1664) ursuline (Marie de Ste Cécile), appréciée de Jeanne-Marie,
2 Dominique B. de La M. (1625 - 25 novembre 1701) provincial et visiteur des barnabites,
3 Grégoire B., (- février 1698) chartreuse de Gaillon,
4 Michel B., docteur en théologie, aumônier du Roi, prieur de Saint-Nicolas de Marle, puis curé de Saint-Saturnin de Tours.
X 2°) le 8/1/1645 Jeanne LE MAISTRE de LA MAISONFORT (v. Famille LE M. de LA M.)
dont :
5 Jeanne-Marie BOUVIER de la MOTHE
6 Jacques B. de La Motte Bouron
x le 25 novembre 1674, Jeanne fille de Nicolas TOURTIER, trésorier général des finances à Orléans et de Marie JOPITRE
Denis LE MAISTRE, Sgr du Buisson, des Brosses, des Coudreaux, cons. secrétaire ordinaire de François frère d’Henri III ; calviniste
X c.4/5/1576 Marie LE NOIR demoiselle de Renée de France duchesse de Ferrare, fille de Pierre lieut-gral de Gien et de Jeanne BUATIER
dont :
1 Pierre Sgr des Brosses ; se fit catholique
2 Paul LE MAISTRE de LA MAISONFORT trésorier de l’extraordinaire des guerres ; se fit catholique
3 Denis II Sgr des Coudreaux
§§
Paul LE MAISTRE de LA MAISONFORT
X 1°) Jeanne de CHAZERAY
dont :
Jeanne LE MAISTRE de LA MAISONFORT, veuve d’Étienne RAVAULT, maître des requêtes ordinaires de la Reine et frère de Jeanne RAVAULT (1626 – 3 juin 1690) ursuline (peu appréciée de Jeanne-Marie), remariée et mère de Jeanne-Marie (v. Famille BOUVIER de la M.)
X 2°) c. 23/5/1632 Marie des JARDINS
dont :
Antonin-Paul LE M. de LA M., Sgr de la Planche, gentilhomme ordin. de la chambre du Roi
X c.30/4/1631, Marie-Anne d’AUNEUX fille de François Sgr de la Motte, Vienne, Courcelle, la Haye et de Marie de GUYTOIS
dont :
1 Antonin-Paul II capit. de vaisseau
2 François-Paul lieut. de vaisseau
3 Religieuse à Saint Denis
4 Marie-Françoise-Silvine LE M. de LA M. reçue chanoinesse de POURFAS le 20/4/1676 à Saint Cyr (la cousine quiétiste de Madame Guyon)
Jacques GUYON (? — 1642)
X Anne de TROYES, fille de Jacques de TROYES, seigneur de Montizeaux (apparenté : Denis HUGUET, le tuteur des enfants de Jeanne-Marie, né de Simon HUGUET et d" Élisabeth ou Isabelle de TROYES)
dont :
1 Geneviève, fille bénédictine au couvent Notre-Dame-des-Anges de Montargis
2 Jeanne, fille bénédictine au même couvent
3 Jacques GUYON du CHESNOY
§§
Jacques GUYON du CHESNOY
X Jeanne-Marie BOUVIER de la MOTHE
dont :
1 Armand-Jacques (21 mai 1665 - 1720 ou 1721)
X 1692 Marie de BEAUXONCLES, fille d’Alexis de Beauxoncles et d’Anne THOYNARD
dont :
1 Jeanne Marie Joséphine (née le 20 nov 1693) x Anne Gabriel de GUENAC ;
2 Armand Jacques GUYON (né le 21 mars 1695) x Marie de ROGRES-LUSIGNAN de Champignelles (descendants : familles GUYON de MONTLIVAULT et GUYON de GUERCHEVILLE).
2 Armand-Claude (8 janvier 1668 — automne 1670) variole ;
3 Marie-Anne (bapt. le 6 février 1669 — milieu de 1672) en même temps que le père de Mme Guyon ;
4 Jean-Baptiste-Denys (31 mai 1674 – 21 février 1752) connu sous le nom de GUYON de SARDIERE, grand bibliophile, célibataire ;
5 Jeanne-Marie (21 mars 1676, bapt. le 29 avril — 31 oct. 1736)
x 1°) le 25/8/1691 Louis-Nicolas FOUQUET comte de VAUX, veuve en 1705
x 2°) le 14/2/1719 Maximilien Henri de BÉTHUNE, duc de SULLY, mort sans descendance.
Un des cinq frères du surintendant (dont deux évêques) est disciple de J. BERTOT et ami de Madame GUYON ;
Le surintendant des Finances Nicolas FOUQUET (1615-1680)
X 1°) le 24/1/1640 Louise FOURCHé de QUéHILLAC (28/10/1619 - 21/8/1641)
dont :
Marie FOUQUET (1641 — 14 avril 1716) « la grande âme du petit troupeau »
X le 12 février 1657 Louis Armand duc de CHAROST puis de BÉTHUNE (1640-1er avril 1717)
X 2°) le 4/2/1651 Marie-Madeleine de CASTILLE (1636 — 1716)
dont :
François FOUQUET V (1652-1656) ;
Louis-Nicolas FOUQUET (1654 ?-1705) ;
X 1689 Jeanne-Marie, fille de Madame GUYON ;
trois autres enfants
Jean-Baptiste COLBERT, marquis de Seignelay, ministre et secrétaire d’État (+1683)
X Marie CHARRON (ou Charon) de Ménars (+1687)
dont :
1 Jeanne Marie Thérèse COLBERT (décédée 26 juin 1732)
X (3 février 1667) Charles-Honoré d’Albert, duc de Luynes, duc de CHEVREUSE (6 ou 7 octobre 1646 — 5 novembre 1712), deuxième fils de Louis-Charles d’Albert et de Louise Marie Séguier, marquise d’O. ; surnommé « le tuteur » par Madam Guyon.
2 Henriette Louise COLBERT (décédée 19 septembre 1733)
X (21 janvier1671) Paul, duc de Saint-Aignan, dit de BEAUVILLIER (château de Saint-Aignan, 24 octobre 1648 ?-31 août 1714), troisième fils de François de Beauvillier (ou Beauvilliers) et de sa première épouse, Antoinette Servien de Montigny (décédée 22 janvier 1680)
3 Marie Anne COLBERT (17 octobre 1665 - 13 février 1750), surnommée « la petite duchesse » par Madame Guyon.
X (14 février 1679) Louis de Rochechouart, duc de MORTEMART, pair de France (1663-3 avril 1688)
Pons de SALIGNAC marquis de la MOTHE-FéNELON
X 1°) Isabeau d’ESPARBèS de LUSSAN
dont :
Pons de S. m. de la M.F.
X Anne du LAC, dame de la PARèDE
dont :
François de S. m. de la M.F. (+12/1/1742)
X Élisabeth de BEAUPOIL-SAINTE-AULAIRE
dont :
Gabriel-Jacques de S. m. de FéNELON (25/7/1688–11/10/1748)
X 12/1721 Louise-Françoise LE PELLETIER, neveu du grand Fénelon. Surnommé « Le marquis » ou « cher boiteux » par Madame Guyon.
X 2°) c.1/10/1647 Louise de LA CROPTE de CHANTéRAC
dont :
François (1651 – 1715) Archevêque de Cambrai
Ce résumé analytique facilite la recherche d’événements, de personnes et de lieux. On a donc privilégié les faits précis ou les dits saillants.
Il sert aussi de table de correspondance entre les éditions imprimées au XVIII° siècle par Poiret puis par Dutoit (qui ont été les seuls moyens d’accès pendant trois siècles), et l’édition critique Champion 2001 réimpr. 2014 qui suit la leçon du ms. d’Oxford (O) tout en incluant les ajouts longs des ms. de Saint-Brieuc (B) et de Chantilly/Lyon (C).
Nous utilisons de préférence des expressions proches ou extraites du texte même de la Vie et indiquons le découpage en paragraphes numérotés de l’édition Poiret (lorsque cela s’avère possible ; sinon il donne l’origine du passage manuscrit et son résumé entre parenthèses). En italiques figurent les/ajouts de B/ainsi que des indications facilitant la recherche de sections déplacées. Les titres de chapitres sont de notre fait : la table courte limitée à de tels titres synthétiques fait ressortir les intentions profondes de l’auteur.
1. LA VIE PAR ELLE-MÊME : JEUNESSE
1.1 FAIRE COMPRENDRE LA BONTÉ DE DIEU : 1. Écriture par obéissance et sous la condition du secret, en exemple de ce que Dieu détruit pour édifier. 2. La Sagesse ignorée des savants se révèle dans la perdition et mort à soi-même. 3. Les justes propriétaires sont rejetés, les pécheurs reconnaissants sont accueillis. 4. Amour et foi tiennent lieu de justice. 5. Dieu renverse et détruit la justice humaine pour établir la sienne, mais son législateur meurt sur un gibet ! 6. Il se sert des choses faibles pour confondre les fortes.
1.2 NAISSANCE PÉRILLEUSE ET COUVENTS : 1. Naissance périlleuse avant terme, le 13 avril 1648. 2. « Vous vouliez que je ne fusse redevable qu'à vous-même de vous avoir connu et aimé ». 3. Cette alternance entre vie et mort était un présage du combat à venir. 4. Un abcès provoquait « ces apparentes morts » ou évanouissements. 5. Aux Ursulines, à deux ans et demi ; éducation négligée/avec les valets/. 6. À quatre ans aux Bénédictines, appréciée de Madame de Montbazon, elle aimait être habillée en religieuse. Songe de l’enfer dont elle doutait, simulacre de martyre par les religieuses, évité par une intelligente objection : « Il ne m'est pas permis de mourir sans la permission de mon père ! » 7. Jalousie de grandes filles, maladies qui provoquent son retour à la maison. 8. Elle est alors laissée à la charge de domestiques. Sections 1.2.9 à1. 2.11 absentes en cet endroit de O et de B, mais présentes par la suite dans O en 1.4.3 12. Toujours éloignée de sa mère, elle allait « dans la rue avec d'autres enfants jouer à des jeux qui n'avaient rien de conforme à ma naissance ». Son père la mène alors aux Ursulines.
1.3 SES DEUX SŒURS RELIGIEUSES : 1. Elle a près de sept ans lorsqu’elle est confiée à sa demi-sœur religieuse du côté de son père, « si habile qu’il n’y avait guère de prédicateurs qui composât mieux des sermons qu’elle »/et qui savait le latin/. « Cette bonne fille employait tout son temps à m'instruire. » 2. Elle a « près de huit ans » quand l’ancienne reine d’Angleterre l’apprécie et voudrait l’attacher à sa fille : son père s’y oppose. 3. Elle perd sa première innocence, mais l’effet bénéfique de sa demi-sœur perdure. 4. dévotion enfantine ; elle est sauvée d’une chute dans un cloaque. 5. Elle a neuf ans et est souvent malade. 6. Jalousie de sa demi-sœur religieuse du côté maternel. Mauvais traitements et coups. Elle a dix ans lorsque son père la retire. 7. Bref passage chez les Dominicaines. /Désordres sous l’influence d’une fille qui « avait de l’esprit et deux fois mon âge. »/8. Maladie de trois semaines ; elle lit la Bible « du matin jusqu’au soir ».
1.4 VOCATION RELIGIEUSE : 1. Après huit mois elle retourne chez sa mère, qui préfère son frère. Ce dernier la maltraite. 2. « Je fermais toutes les avenues de mon cœur pour n’entendre point votre voix secrète qui m’appelait ». 3. (Déplacé par Poiret) 1.2.9. Les mères dévotes contraignent leurs filles contre nature et les dégoûtent de toute religion… ou les abandonnent ; une bonne mère « les traite en sœurs et non pas en esclaves’ 1.2.1 Eviter les injustes préférences d’où naissent les désunions. 1.2.11. On ne songerait plus à mettre des enfants en Religion par force. 3fin. Les rigueurs l’aigrissent. 4. Aux Ursulines pour préparer et faire avec ferveur sa communion à onze ans sous sa demi-sœur paternelle. 5. « Fort grande pour son âge », sa mère la produit, nombreux partis ; elle n’a pas douze ans. /un confesseur lui prend « avec hardiesse le menton », elle cache un péché, culpabilité à sa communion qu’elle croit être sacrilège/. 6. Le regret d’avoir manqué la visite d’un missionnaire, M. de Chamesson-Foissi, la convertit. 7. « Je devins si changée que je n'étais pas reconnaissable ».
(Développement spirituel) « une âme bien anéantie ne peut plus trouver chez elle de colère ». 8. « Je lus en ce temps les Oeuvres de saint Francois de Sales et la Vie de Madame de Chantal ». Elle prend la discipline et imite les ascèses de sa lecture. Elle n’a pas encore douze ans. 9. Elle veut être religieuse. Son confesseur « ne me voulut pas absoudre disant que j'allais à la Visitation seule et par des rues détournées… je crus avoir fait un crime épouvantable ».
1.5 AMOURS ET DÉLAISSEMENT DE L’ORAISON : 1. Infirmière de son père malade ; « Mon cœur se nourrissait insensiblement de votre amour… Je m’unissais à tout le bien qui se faisait au monde ». 2. Elle est très attachée à sa cousine qui la traite avec douceur. 3. Sa mère était charitable et vertueuse, « il ne lui manquait qu’un directeur qui la fit entrer dans l’intérieur ». 4. Sa mère lui faisait trop confiance en la laissant à elle-même. 5. Facilité à pardonner les offenses. Fièvre de quatre mois. 6. Rencontre d’un « jeune gentilhomme très sage », mais sa présomption provoque son opposition et elle renvoie ses lettres : il tombe malade. Elle a treize ans et demi. 7. Elle abandonne l’oraison, « mon confesseur, qui était très facile et qui n’était pas homme d’oraison, y consentit pour ma perte ». 8. « Il faudrait apprendre aux enfants la nécessité de l'oraison ». “L'expérience instruit mieux que le raisonnement. 9. /« Je trouvai deux personnes différentes qui m’apprirent des péchés que j’avais ignorés jusqu’alors »/. L’ordre de O diffère de P qui suit de près B : P disposait donc d’une copie proche de B ; P et O censurent tous deux B, jugé trop intime et compromettant, mais dans des ordres différents. Nous suivons l’ordre O, car celui de B, lui-même peu satisfaisant, ne justifie pas de contaminer notre édition ; et renvoyer le lecteur de O aux variantes B puis à une annexe B1-B5 est très incommodant. 12. Réprimandes. 13. Cela lui a donné la compassion des pécheurs. « Le diable a faussement persuadé aux docteurs et sages du siècle qu'il faut être parfaitement converti pour faire oraison », on persécute les âmes d’oraison. 14. ‘J'étais quelquefois à l'église à pleurer et à prier la Sainte Vierge d'obtenir ma conversion,/« ce qui est de plus étrange est que je faisais violence à la nature, et à mon tempérament pour faire le mal, cependant je ne pouvais m’empêcher de le faire. »/« J'étais fort charitable, j'aimais les pauvres. » 11. « J’aimais si éperdument la lecture que j’y employais le jour et la nuit ». 1 ‘ Vous vous retiriez peu à peu d’un cœur qui vous quittait »/« Je péchai deux fois avec une fille par des immodesties croyant qu’il n’y avait pas de péché énormes que ceux qui se faisaient avec des hommes » ; elle est tiraillée entre l’estime de soi-même et les appels divins/ ; ‘hélas que cette funeste expérience… retour au § 13 ci-dessus.
1.6 MARIAGE ET DÉSILLUSION : 1. « Les affaires étant finies, nous nous en retournâmes. »/Elle apprend la philosophie morale avec un pauvre gentilhomme qui devient follement amoureux/2. ‘Les grands biens de cette personne joint à ce qu’il était gentilhomme, portèrent mon père malgré toutes ses répugnances et celles de ma mère, à m'accorder… sans m'en parler, la veille de St François de Sales, le 28 janvier 1664’. 3. Suivi du mariage, courant sa seizième année, avec un mari âgé. « Ma belle-mère, qui était veuve depuis très longtemps, ne songeait qu’à ménager, au lieu que chez mon père l’on y vivait d’une manière extrêmement noble ». 4. Désillusion, querelles : « si je parlais bien, ils disaient que c’était pour leur faire leçon ». 5. Son mari est soumis à une belle-mère difficile qui la déprécie en public 6. Les filles et serviteurs se sentant tout permis l’insultent et ils ont ordre de l’espionner. Son mari est pourtant amoureux et elle ne refuse pas ses caresses. 7. Poursuivie par un « homme de considération », « mon mari connut mon innocence et la fausseté de ce que ma belle-mère lui voulait imprimer ». 8. Retour à Dieu. Après une confession générale, elle quitte les romans ! 9. Persécutions : « Un jour, outrée de douleur, il n’y avait que six mois que j’étais mariée, je pris un couteau étant seule pour me couper la langue ». 1 Mari goutteux. Quelques mois de relâche à la campagne sans la belle-mère. 11. « J'ai vu dans la suite que cette conduite m'était absolument nécessaire pour me faire mourir à mon naturel vain et hautain ».
1.7 PREMIER ENFANT — CHAGRINS DOMESTIQUES : 1. « J'avais soin d'aller voir les pauvres, je faisais ce que je pouvais pour vaincre mon humeur, et surtout en des choses qui faisaient crever mon orgueil, je faisais beaucoup d'aumônes, j'étais exacte à mon oraison. » 2. Premier enfant à dix-neuf ans. 3. Petites vanités. 4. Pertes financières. 5. Excuses sur ce qu’elle dit de sa belle-mère et de son mari. 6. « Nous continuions à perdre de toutes manières… » 7. Lectures de l’Imitation et de François de Sales ; sentiments de vanités et jalousie des autres femmes. 8. Elle rejoint son mari, qui lui témoigne de l’affection, chez Madame de Longueville, qui l’apprécie. 9. On l’applaudit « à cause de ce misérable extérieur » ; elle divertit son mari mélancolique. 1 Maladie dont elle faillit mourir par excès de saignées. Elle édifie son confesseur, un ami de François de Sales. Son mari est inconsolable et tombe malade à son tour, puis reprend son tempérament vif lorsque tout danger est écarté.
1.8 RENCONTRES — ÉVEIL INTÉRIEUR : 1. Sa mère meurt « comme un ange ». Elle s’occupe beaucoup des pauvres, les assistant dans leurs maladies. On lui reproche l’inégalité financière dont elle est victime au bénéfice de son frère. Grossesse. 2. Influence de Madame de Charost : « Je voyais sur son visage quelque chose qui me marquait une fort grande présence de Dieu ». 3. Passage du neveu missionnaire, ami de Madame de Charost et de la Mère Granger : « Ils avaient un même langage intérieur ». Il lui promet d’offrir son martyre — qui eût lieu — pour qu’elle découvre la vertu d’oraison. Elle n’a pas encore dix-huit ans. 4. « Vous me donnâtes en un moment par votre grâce et par votre seule bonté ce que je n’aurais pu me donner moi-même par tous mes efforts ». 5. Elle trouve son père « si changé, la langue si épaisse que je craignis fort pour lui ». Il lui fait rencontrer le « bon religieux fort intérieur de l'ordre de Saint François » [Archange Enguerrand]. 6. « Je ne laissai pas de lui parler, et de lui dire en peu de mots mes difficultés sur l'oraison. Il me répliqua aussitôt : C'est, Madame, que vous cherchez au-dehors ce que vous avez au-dedans. Accoutumez-vous à chercher Dieu dans votre cœur et vous l'y trouverez. » 7. « Elles furent pour moi un coup de flèche, qui percèrent mon cœur. » 8. « Je ne dormis point de toute cette nuit parce que votre amour était… comme un feu dévorant. » 9. Le bon religieux hésite devant cette jeune femme de dix-neuf ans puis est inspiré de la conduire. 1 Oraisons faciles où « toutes distinctions se perdaient pour donner lieu à l'amour d'aimer avec plus d'étendue, sans motifs, ni raison d'aimer ».
1.9 L’ORAISON AU-DESSUS DES EXTASES : 1. « L'oraison qui me fut communiquée… est bien au-dessus des extases, et des ravissements, des visions, etc., parce que toutes ces grâces sont bien moins pures. » 2-3. Les visions « empêchent de courir au seul inconnu. » 4-5. L’extase est une « sensualité spirituelle » ; les paroles intérieures distinctes sont « sujettes à l’illusion. » 6. La parole de Dieu immédiate « qui n'a aucun son ni articulation… a une efficace admirable. » 7. ‘Les révélations de l'avenir sont aussi fort dangereuses… nous ne comprenons pas ce qu'elles signifient… [elles] empêchent de vivre dans l'abandon total à la divine providence.’ 8. « La révélation de Jésus-Christ… il s'exprime lui-même en nous. » 9. « Les ravissements… un défaut dans la créature. » 1 ‘ Le véritable ravissement et l’extase parfaite s’opèrent par l’anéantissement total, où l’âme perdant toute propriété, passe en Dieu sans effort et sans violence comme dans le lieu qui lui est propre et naturel. » 11. Elle est mise « dans un état très épuré, très ferme et très solide » où Dieu prend possession de sa volonté.
1.10 AUSTÉRITÉS, AMOUR DIVIN, UNION EN CHARITÉ : 1. En relation épistolaire avec le bon père religieux. Austérités excessives, elle se déchire de ronces et d’orties à n’en pouvoir dormir. 2-3. Épisodes du crachat et du pus, sans complaisance : « Sitôt que le cœur ne répugnait plus… je n'y songeais plus depuis, car je ne faisais rien de moi-même. » 4. « En moins d'un an, mes sens furent assujettis. » 5. Plaie amoureuse à la Madeleine 1668 où les trois sermons du bon père « me faisaient d'abord impression sur le cœur, et m'absorbaient si fort en Dieu, que je ne pouvais ni ouvrir les yeux, ni entendre. » 6. « Je ne pouvais plus voir les saints ni la Sainte Vierge hors de Dieu. » 7. Prières vocales impossibles. Ce qu’elle écrit au bon père est repris dans un de ses sermons. 8. Désir de solitude où prend place une « infusion autant divine que continuelle. » 9. Anéantissement des puissances où l’âme docile « se trouve peu à peu vide de toute volonté propre », ce qui ne se produit jamais par l’exercice de notre volonté. 1 ‘ La foi s’empare si fort de l’entendement, qu’elle le fait défaillir à tout raisonnement. » 11. Comparaison de la lumière solaire qui révèle l’ensemble aux petites lumières distinctes, mais trompeuses. 12. La mémoire est « absorbée par l'espérance ; et enfin tout se perd peu à peu dans la pure charité », « cette réunion qui se fait alors s'appelle unité, union centrale. »
1.11 PURIFICATION
1. Nécessité de la mortification non par de grandes austérités, mais en refusant sans relâche les satisfactions. 2. Il faut ensuite entrer « dans un travail plus utile, qui est la mortification du propre esprit et de la propre volonté ». 3. La providence la conduit, ôte tout regard sur elle-même, « appliquée à mon unique objet, qui n'avait plus d'objet pour moi distinct, mais une généralité et vastitude entière. J'étais comme plongée dans un fleuve de paix. » 4. Elle ne peut se retourner sur elle-même pour préparer une confession. « Je demeurais là si pleine d'amour, que je ne pouvais même penser à mes péchés pour en avoir de la douleur. » 5. Dieu est amour rigoureux qui purifie par un feu secret. 6. « Vous m'appreniez qu'il ne fallait point faire de pénitences ni se confesser que vous ne fussiez satisfait vous-même. » 7-8. « Ce feu de la justice exacte est le même que celui du purgatoire. » Rien ne paraît de sa purification.
1.12 EPREUVES DOMESTIQUES.
1. je ne répondais que par mon silence. … Je ne laissai pas de leur demander pardon. 2. Fille insolente. Comme il [son mari] ne pouvait marcher sans bâton … il me le jeta avec force. 3. le confesseur aveugle de la fille dévote ; un ‘bon Père’ confesseur trop attaché. 4. ‘on voit bien que vous ne perdez pint la présence de Dieu’. 5. attrait spirituel incompris du monde. 6. ‘Je me levais dès quatre heures pour prier’. 7. le ‘bon Père’ lui fait rencontrer Geneviève Granger ‘une des plus grandes sevante de Dieu de son temps’. 8-10. Pressions du confesseur, du mari, de la belle-mère pour quitter l’oraison. 11.’Je jouais souvent au piquet.. le feu s’allumait de tout ce que l’on faisait pour l’éteindre’ [l’oraison]. 12-14. ‘je n’avais lu que le Combat spirituel qui ne dit rien de ces choses. ‘amour des croix’.
1.13 DIEU PRÉSENT, DIEU ABSENT.
1. Instinct d’immolation. 2. Impuissance des prières distinctes. Silence profond et paix,/« enfoncement en Dieu que je sentais présent » ; l’estime de soi dans les commencements, les sécheresses dûes aux infidélités ; divers états de l’âme, « l’âme donnée à l’oraison ne sent rien qu’un fort grand vide et nudité… jugeant par ce qu’elle sent elle quitte l’oraison pour l’action à son grand dommage »/3. « J'allais quelquefois voir la Mère Granger, et elle m'aidait », « Mon divertissement était d'aller voir quelques pauvres malades. » 4. L’oraison lui devient pénible. « Pour me soulager et faire diversion, je m'emplissais tout le corps d'orties. » 5. « C'était la douceur de cet amour après mes chutes qui faisait mon plus véritable tourment… O mon Dieu, est-il possible que vous soyez ainsi mon pis-aller ». 6. Confesseurs parisiens étonnés de sa pureté de conscience. « Que les autres attribuent leurs victoires à leur fidélité, pour moi je ne les attribuerai qu'à votre soin paternel ; j'ai trop éprouvé ma faiblesse. » 7. « Je fus occasion de péché, car je savais l'extrême passion que certaines personnes avaient pour moi et je souffrais qu'ils me la témoignassent. » 8. Parole médiate et parole substantielle qui cause onction de grâce, d’âme à âme, comme de Marie à Élisabeth. 9. Toute infidélité cause un feu dévorant, un exil du fond. 1 Une infidélité au cours d’un « cadeau de nuit à Saint-Cloud » la sépare trois mois de sa Source. 11. Elle ne peut étouffer le martyre du dedans. 12. Rencontre du crocheteur : « Dieu veut bien autre chose de vous ».
1.14 INFIDÉLITÉS — SOUTIEN DE LA MÈRE GRANGER
1. Voyage à Orléans et en Touraine. « Je vis bien la folie des hommes qui se laissent prendre à une vaine beauté ». 2. Confesseurs trop complaisants. /Première apparition du vieil homme passionné/. 3. Effroi en carrosse sur un chemin miné. 4. Mauvais confesseur qui tente de la culpabiliser et de la brouiller avec son mari. 5. La Mère Granger l’encourage. « La vanité me tirait au-dehors, et l'amour au-dedans. » 6. « Que mon cœur est reconnaissant, qu'il a de joie de vous devoir tout. » 7. « L’on voudrait être consumée et punie. »
1.15 LA VARIOLE
1. En rentrant au logis, elle trouve son fils aîné défiguré par la variole. La mère Granger la pousse à partir, mais sa belle-mère s’y oppose. 2. Elle en informe la Mère Granger et demeure en abandon et sacrifice 3. “Le jour de saint François (d’Assise) le quatrième d’octobre de l’année 1670, âgée de vingt et deux ans et quelques mois, étant allée à la messe, je me trouvai si mal…” Sa belle-mère s’oppose au chirurgien. 4. Résignation. 5. Un habile chirurgien intervient. 6. Le mal se porte aux yeux. 7. « De me réjouir de la liberté intérieure que je recevais par là… l'on m'en fit un crime. » 8. Mort de son cadet. 9. Son aîné est défiguré. 1 Elle s’expose à la vue de tous. /Le vieux gentilhomme reste amoureux d’elle, il lui écrit une lettre à double sens, spirituelle, se lie avec son mari, utilise un habile subterfuge l’obligeant à lire ses lettres passionnées ; son mari prête moins d’attention à la femme défigurée et plus aux critiques. /
1.16 HUMILIATIONS DOMESTIQUES
1. Une fille épiait « tous les jours que je communiais. » 2-3. « J'eus quelque temps un faible que je ne pouvais vaincre… qui était de pleurer, de sorte que cela me rendait la fable. » « L’on me tourmentait quelquefois plusieurs jours de suite sans me donner aucune relâche. » 4. Son père lui reproche de se laisser faire puis se rend à ses raisons. 5. On dit du mal de son père. « Sitôt qu'on se déclarait de mes amis, l’on n'était plus le bienvenu. » 6. Elle réconcilie sa belle-mère et son mari, quoi qu’il lui en coûte. 7. « Mon mari regardait à sa montre si j'étais plus d'une demi-heure à prier. »
1.17 PEINES ET CONFIANCE EN LA MÈRE GRANGER
1. « Nous allâmes à la campagne, où je fis bien des fautes, me laissant trop aller à mon attrait intérieur ». 2. « J'étais étonnée d'éprouver que je ne pouvais rien désirer ni rien craindre. Tout était mon lieu propre, partout je trouvais mon centre, parce que partout je trouvais Dieu. » 3. « Je me levais dès quatre heures, et restais sur mon lit. On croyait que je dormais. » 4. La providence lui facilite ses sorties pour assister à la messe et communier. 5. Providences pour écrire à la Mère Granger. 6. L’extrême confiance envers elle provoque des colères ; « ceux qui me suivaient avaient ordre de dire par tout où j’allais, s’ils y avaient manqué, ils en étaient châtiés ou renvoyés ». 7. « Je m’en plaignais quelquefois à la mère Granger, qui me disait : “Comment les contenteriez-vous, puisque depuis plus de vingt ans je fais ce que je peux pour cela sans en pouvoir venir à bout ?” » 8. On inspire à son fils le mépris à son égard. « Il me disait : “Ma grand-mère dit que vous avez été plus menteuse que moi.” » 9. Son mari « n'avait que du rebut pour tout ce qui venait de moi. Je tremblais quelquefois lorsque je l'approchais… »
1.18 LE P. LA COMBE — PROMPTITUDES ET CHARITÉ
1. Rencontre du P. La Combe après « huit ou neuf mois que j'avais eu la petite vérole ». « Dieu lui fit tant de grâces par ce misérable canal qu'il m'a avoué depuis qu'il s'en alla changé en un autre homme. » 2. Oraison continuelle, alternances du goût de la présence et de la peine de l’absence. 3-5. Croix désirées, mais sensibles ! 6. Promptitudes. 7. Grandes charités/pour les pauvres et malades. /8. La vertu lui devient pesante/« dès la seconde année de mon mariage, Dieu éloigna… mon cœur de tous les plaisirs sensuels. »/
1.19 M. BERTOT — MORT DE SON PÈRE
1. Elle rencontre M. Bertot par l’intermédiaire de la Mère Granger, le lendemain des « effroyables vents de la St Matthieu » [le 21 septembre 1671]. 2. Elle va à Paris, quittant son père malade et sa fille « unique autant aimée qu'elle était aimable. » Elle voit M. Bertot, mais ne peut communiquer facilement avec lui : « Ma disposition du dedans était trop simple pour en pouvoir dire quelque chose. » 3. « Dix jours de l'Ascension à la Pentecôte dans une abbaye à quatre lieues de Paris. » 4. « Vive impression que mon père était mort. » 5. « Si j'avais une volonté, il me paraissait qu'elle était avec la vôtre comme deux luths bien d'accord. » 6-7. Averti par lettre, elle part immédiatement en carrosse. 8-9. Son père est déjà enterré et sa fille meurt. 1 Contrat de mariage spirituel dressé par la Mère Granger, la veille de la Madeleine. 11. « Il me semble que vous fîtes alors de moi votre temple vivant. » 12. « Depuis ce temps les croix ne me furent pas épargnées. » 13. « Le jour de l’Assomption de la Vierge de la même année 1672’, en grande détresse elle pense à M. Bertot qui lui écrit ce même jour. 14. Soutiens et destructions divines.
1.20 UN SILENCE EFFICACE, PÈLERINAGE, MORT DE LA MÈRE GRANGER, HABILETÉ EN AFFAIRES
1. La femme du gouverneur de Montargis est touchée de Dieu. 2. Une dame en « parlait scientifiquement », mais « votre silence avait quelque chose qui me parlait jusque dans le fond de l'âme et je ne pouvais goûter ce qu'elle me disait. » Grandes épreuves de cette même femme dans lesquelles « Dieu lui donnait par mon moyen tout ce qui lui était nécessaire. » 3. Petit voyage. Péril en carrosse. 4. Pèlerinage à Sainte-Reine, passage à Saint-Edmé, second fils, mort de la Mère Granger. 7. “M. Bertot, quoiqu’à cent lieues… eut connaissance de sa mort et de sa béatitude et aussi un autre religieux. Elle mourut en léthargie, et comme on lui parlait de moi à dessein de la réveiller, elle dit : « Je l’ai toujours aimée en Dieu ».” Heureuse grossesse. 8. Mariage et hostilité de son frère. Elle parle trop de son état intérieur. 9. Son frère manifeste son hostilité en méprisant son fils. 1 La légèreté du même frère risque de ruiner son mari. Elle va trouver les juges : tout se règle au mieux.
1.21 LES ÉPREUVES DE L’AMOUR JANSÉNISTE
1. Liaison avec un ecclésiastique janséniste qu’elle pense gagner à la vérité. 2. Elle perd tout sentiment perceptible de Dieu. 3. Elle « ne se trouve rempli que d'un amour tout opposé à son Dieu. » 4. Les fêtes sont l’occasion de sécheresses, car la grâce est plus abondante et opère alors selon cette voie de foi. 5. « Tout notre bonheur spirituel, temporel et éternel, consiste à nous abandonner à Dieu. » 6. « Mon cœur était pris… Ce qui me faisait moins défier est qu’il était très honnête… Je sentais mon inclination croître chaque jour. » 8. « Il tomba bien malade… je sentais en moi que l'envie de le perdre… Il guérit cependant et nous fûmes plus unis et plus divisés que jamais. » 9. « Je voulais rompre et il renouait, il m'écrivait et je lui répondais. » « Je croyais être perdue… M. Bertot ne me donna plus de secours. » 10-11. « Le ciel était fermé » ; « il n’y avait plus qu’un juge rigoureux. » 12. M. Bertot « me défendit toutes sortes de pénitences. » 13. « Il me semblait… que l'enfer s'allait ouvrir pour m'engloutir. »
1.22 MORT DE SON MARI
1. « Comme mon mari approchait de sa fin, son mal devint sans relâche… l'on ne faisait que l'aigrir. » Sa belle-mère ne garde plus de mesure à son égard. 2. Saisissement de cinq heures. / La manière dont Dieu se servit pour toucher un religieux. / 3. Ermitages dans la campagne, elle plante des croix. 4. Grosse de sa fille. / Dans mes maladies… je faisais une retraite particulière. / 5-7. Après « douze ans et quatre mois dans les croix du mariage » son mari meurt avec grand courage “le matin du 21 juillet 1676’. « Il me donna des avis sur ce que je devais faire après sa mort pour ne pas dépendre des gens dont je dépends à présent. » ; ‘À quelques années de là, la Mère Granger m'apparut en songe, et me dit : « Soyez assurée que Notre Seigneur pour l'amour qu'il vous porte a délivré votre mari du purgatoire le jour de la Madeleine ».’ 8-9. Elle ne peut exprimer de peine. Elle lui fait un enterrement magnifique. / J’ai oublié de dire qu’après la mort de mon père j’eus bien à souffrir… des différents entre frère et mari. / 1 Elle règle avec succès un ensemble de procès. 11. On lui conseille de se séparer de sa belle-mère et de la mauvaise fille, ce qu’elle ne fait pas.
1.23 LA NUIT DE LA COLÈRE DE DIEU
1. « Je vais décrire de suite les peines par où j’ai passé pendant sept années ». 2-3. ‘Vous commençâtes, à vous retirer de moi… Je m'en plaignis à la Mère Granger… je lui dis que je ne vous aimais plus… elle me dit en me regardant : « Quoi ! vous n'aimez plus Dieu ? » Ce mot me fut plus pénétrant qu'une flèche ardente.’ 4. « Je ne connaissais pas alors ce que c'était que la perte de notre propre force pour entrer dans la force de Dieu. » 5-6. Vers l’état de mort. 7. « Il ne me restait plus rien de vous… que la douleur de votre perte, qui me paraissait réelle. Je perdis encore cette douleur pour entrer dans le froid de la mort. Il ne me restait qu'une assurance de ma perte. » 8. Promptitudes, réveil des appétits. 9. ‘Le poids de la colère de Dieu m'était continuel. Je me couchais sur un tapis… et je criais de toutes mes forces lorsque je ne pouvais être entendue, dans le sentiment où j’étais du péché, et dans la pente que je croyais avoir pour le commettre : « Damnez-moi, et que je ne pèche pas ».’ 1 ‘ M. Bertot m’abandonna. » 11. Elle accouche quand même de sa fille [née après la mort de son mari]. 12-14. Description de la nuit portée « sept années, et surtout cinq ans, sans un instant de consolation. »
1.24 AIDE DU PRÉCEPTEUR, VENGEANCE DU JANSÉNISTE
1. Patience vis-à-vis d’une fille alcoolique. 2. À Paris, en deux mois elle parle deux fois brièvement à M. Bertot. Il lui trouve un prêtre précepteur pour son fils. 3. Il veut la « remettre dans les considérations ». Épisode de la lettre qui lui avait autrefois été adressée. « Sans ce procédé, j'aurais toujours subsisté dans quelque chose. » Persécutions de l’ecclésiastique janséniste. Elle est utile intérieurement au prêtre précepteur. /Récit des persécutions du janséniste et de ses amis. Il s’allie à la belle-mère et tente de la discréditer par une supposée liaison avec le précepteur. /5. Le janséniste prêche publiquement contre elle comme d’une « personne qui après avoir été l'exemple d'une ville en était devenue le scandale. » 6-7. Sa réputation se perd. 8. M. Bertot refuse qu’elle se défasse de l’ecclésiastique. « Je ne croyais pas qu'il y eût au monde une personne plus mauvaise que moi. »
1.25 TOUJOURS LA NUIT
1. Le sensible lui est définitivement ôté pour « cette personne » comme pour toute autre. 2. Impuissante pour toute œuvre. Elle est recherchée par plusieurs. « Je n'osais pas désirer de jouir de vous, ô mon Dieu, mais je désirais seulement de ne pas vous offenser. » 3. « Je ne pouvais ne vouloir pas mourir. » 4. « Tout me paraissait plein de défauts : mes charités, mes aumônes, mes prières, mes pénitences… » 5. « J'entrai dans une secrète complaisance de ne voir en moi aucun bien sur quoi m'appuyer. » 6. « J'avais de la joie de ce que ce corps de péché allait bientôt être pourri et détruit. » 7. « Je ne mangeais pas en quatre jours ce qu'il me faut en un seul repas médiocre. » 8. « Je voyais ma peine comme péché. » « Ce qui me consolait… était que vous n'en étiez pas moins grand, mon Dieu. » 9. « Vous purifiâtes… le mal réel par un mal apparent. »
1.26 ÉPREUVES ET DÉSOLATION
1. Elle est abandonnée du « premier religieux » [Enguerrand] : « Il m'était alors tellement indifférent d'être condamnée de tout le monde et des plus grands saints, que je n'en avais nulle peine. » 2. « Mes maladies me devinrent des temps de plus grande impuissance et désolation. » 3. On accuse faussement le précepteur « de sorte qu’il me fallut boire la double confusion qui me venait de lui et de moi. » 4. « Enfin je me vis réduite à sortir au fort de l'hiver avec mes enfants et la nourrice de ma fille. » 5. Elle essaye sans succès de s’entendre avec sa belle-mère. 6. Elle n’est pas maître de choisir ses domestiques. 7. Explication avec témoin. 8. Retournement : « Ce monsieur lui-même fut accusé des mêmes choses dont il m'avait accusée et d'autres bien plus fortes. »
1.27 LA FIN DE LA NUIT — LE PÈRE LA COMBE
1. Avant la mort de son mari elle avait eu l’intention de s’expliquer à un homme de mérite, mais cela provoqua un reproche intérieur intense : « Vous avez été, ô mon Dieu, mon fidèle conducteur, même dans mes misères. » 2. L’âme « se trouve au sortir de sa boue… revêtue de toutes les inclinations de Jésus-Christ. » 3. « Elle a aussi pour le prochain une charité immense. » « J’oubliais presque toutes les menues choses… j’allais en un jour plus de dix fois au jardin pour y voir quelque chose pour le rapporter à mon mari et je l’oubliai… je ne comprenais ni entendais plus les nouvelles qui se disaient devant moi. » 4. « Une des choses qui m'a fait le plus de peine dans les sept ans dont j'ai parlé, surtout les cinq dernières, c'était une folie si étrange de mon imagination qu'elle ne me donnait aucun repos. » 5. « Il me semblait, ô mon Dieu, que j'étais pour jamais effacée de votre cœur et de celui de toutes les créatures. » 6. Elle écrit au P. La Combe qu’elle est « déchue de la grâce de mon Dieu », « Il me répondit… que mon état était de grâce. » 7. ‘Genève me venait dans l'esprit… Je me disais à moi-même : « Quoi ! pour comble d'abandon, irai-je jusqu'à ces excès d'impiété que de quitter la foi par une apostasie ? ». Elle se sent unie au P. La Combe ; elle rêve de la mère Bon [qu’elle identifiera plus tard]. 8. ‘Huit ou dix jours avant la Madeleine de l'an 1680’ elle écrit au P. La Combe qui célèbre la messe pour elle : ‘il lui fut dit par trois fois avec beaucoup d’impétuosité : “Vous demeurerez dans un même lieu”.’
1.28 LA PAIX-DIEU
1. ‘Ce fut ce jour heureux de la Madeleine que mon âme fut parfaitement délivrée de toutes ces peines… Je me trouvais étonnée de cette nouvelle liberté… Ce que je possédais était si simple, si immense… la paix-Dieu.’ 2. ‘J'étais bien éloignée alors de m'élever.’ 3. ‘Toute facilité pour le bien me fut rendue bien plus grande qu'auparavant.’ 4. ‘Plus j'avançais, plus la liberté devenait grande… J'étais étonnée de la netteté de mon esprit, et de la pureté de mon cœur.’ 5. ‘… trouvant partout dans une immensité et vastitude très grande celui que je ne possédais plus, mais qui m'avait abîmée en lui.’ 6. ‘En perdant Dieu en moi, je le trouvai en lui dans l'immuable pour ne le plus perdre.’ 7. ‘Quel bonheur ne goûtais-je pas dans ma petite solitude.’ 8. ‘Vous me traitâtes comme votre serviteur Job’… ‘une autre volonté avait pris la place… volonté toute divine, qui lui était cependant si propre et si naturelle qu'elle se trouvait infiniment plus libre dans cette volonté qu'elle ne l'avait été dans la sienne propre.’ 9. ‘Ces dispositions, que je décris comme dans un temps passé afin de ne rien confondre, ont toujours subsisté et se sont même toujours plus affermies et perfectionnées jusqu'à l'heure présente.’ 1 ‘ Union d'unité… heureuse perte… goutte d'eau jetée dans la mer.’
1.29 GENÈVE ?
1. Un confesseur de rencontre lui déclare : ‘Je me sens un fort mouvement intérieur de vous dire que vous fassiez ce que Notre Seigneur vous a fait connaître qu'il voulait.’ 2. Songe de la croix qui vient à sa rencontre. 3. Rencontre de M. de Genève de passage à Paris. 4. Il lui parle des Nouvelles Catholiques de Gex. 5. Elle voit la Supérieure de Paris… Comme c'est une grande servante de Dieu, cela me confirma.’ Elle consulte dom Claude Martin, le fils de la Mère de l'Incarnation du Canada.’ 6. M. Bertot « me dit que mon dessein était de Dieu et qu'il y avait déjà quelque temps que Dieu lui avait fait connaître qu'il voulait quelque chose de moi. » 7. Rêve d’un animal : « Je trouvai qu'il avait empli mes doigts comme d'aiguilles… » 8. « L’on s'étonnera sans doute que, faisant si peu de cas de tout l'extraordinaire, je rapporte des songes… » 9. Rêve qui annonce des opprobres d’une religieuse des Bénédictines. 1 Encouragements de nombreuses personnes, dont Claude Martin. 11. « Je mettais ordre peu à peu, sans empressement, ne voulant pas faire la moindre chose ni pour faire différer l'affaire, ni pour l'avancer, ni pour la faire réussir. La Providence était ma seule conduite. »
1.30 REGRETS À SON DÉPART, HÉSITATIONS
1. Sa belle-mère est transformée : « vous lui ouvrîtes les yeux et vous changeâtes sa rigueur en tendresse. »/[Dans le passé] sa mère voulut avantager son frère ce qui lui occasionna des croix de son mari et de sa belle-mère. /2. De même la fille « qui jusqu'alors avait été mon fléau. » 3-4. Madame Guyon porte le purgatoire d’un prêtre et d’une religieuse. 5. « L'année que je partis pour m'en aller… La nécessité devint extrême… les charités secrètes étaient plus fortes. J'avais des filles en métier et de petits garçons. Tout cela fut cause que ma sortie fût bien plus blâmée. » Elle soigne un pauvre soldat. 6. “Ce qui me faisait encore plus de peine [de partir] était la tendresse que j’avais pour mes enfants.” 7. « Je ne désire point que ma prison finisse… j'ose dire avec mon Apôtre : Je ne vis plus moi, mais Jésus-Christ vit en moi. » 8-9. “Cet institut [des Nouvelles Catholiques] était opposé à mon esprit et à mon cœur.” Hésitations. 10-11. Rencontre incognito avec la sœur Garnier. 12. « Elle me dit que je ne devais point me lier avec elle et que ce n'était pas votre dessein. » 13. « M. Bertot… était mort quatre mois avant mon départ… il m'a semblé qu'il me fit part de son esprit pour aider ses enfants. » 14. Elle fait préparer un contrat par crainte d’une ruse de la nature qui ne veut point se détacher.
LA VIE PAR ELLE-MÊME : II VOYAGES
2.1 LE VOYAGE DE MELUN A GEX
1. Elle ne signe pas le contrat d’engagement. 2. Elle a la grâce de mettre ses affaires « en un très grand ordre » ; « ce fut en ce temps qu'il me fut donné d'écrire par l'esprit intérieur. » 3-4. « Je menai avec moi ma fille et deux filles… Nous partîmes sur l'eau quoique j'eusse pris la diligence pour moi afin que, si l'on me cherchait, on ne me trouvât pas. Je fus l'attendre à Melun. … ma fille, sans savoir ce qu'elle faisait, ne pouvait s'empêcher de faire des croix. » 5. Une religieuse « vit mon cœur entouré d'un si grand nombre d'épines qu'il en était tout couvert. » 6. « À Corbeil… je vis le Père dont Dieu s'était servi le premier pour m'attirer si fortement à son amour… il crut que je ne pourrais pas m'accoutumer avec les Nouvelles Catholiques ». (Déplacement P :) 8. Voyage en diligence à partir de Melun. « La gaieté extérieure que j'avais, même au milieu des plus grands périls, les rassurait. » 7. « Je donnai dès Paris… tout l'argent que j'avais… Je n'avais ni cassette fermant à clef ni bourse. » 9. « Nous arrivâmes à Annecy la veille de la Madeleine 1681 ; et le jour de la Madeleine, M. de Genève nous dit la messe au tombeau de saint François de Sales. » 1 Le lendemain soir elle arrive à Gex où elle ne trouve que quatre murs. « Je voyais ma fille fondre et maigrir. »
2.2 COMMUNICATION & PRÉSAGES
1. « Sitôt que je vis le père La Combe, je fus surprise de sentir une grâce intérieure que je peux appeler communication. » 2. Elle craint la voie de lumières de ce dernier. 3-5. Deux nuits, « avec un fort écoulement de grâce, ces paroles [me furent] mises dans l’esprit : Il est écrit de moi que je ferai votre volonté. /Tu es Pierre et sur cette pierre j'établirai mon Église. /6-8. Rencontre d’un ermite qui voit des épreuves à venir pour elle et le père qui « fut dépouillé de ses habits et revêtu de l'habit blanc et du manteau rouge » ; « nous abreuvions des peuples innombrables. » 9. Elle éprouve de grandes angoisses pour sa fille.
2.3 ÉTAT APOSTOLIQUE —A THONON
1. « Le père La Mothe… me mandait… que ma belle-mère, en qui je me fiais pour le bien de mes enfants et pour le cadet, était devenue en enfance, et que j'en étais cause : cela était cependant très faux… je commençais alors à porter les peines en manière divine,… l'âme pouvait… sans nul sentiment être en même temps et très heureuse et très douloureuse. » 2. Critiques, lettre de son cadet. 3. Problèmes de sommeil et de nourriture. 4. « Ceux qui me voyaient disaient que j'avais un esprit prodigieux. Je savais bien que je n'avais que peu d'esprit, mais qu'en Dieu mon esprit avait pris une qualité qu'il n'eut jamais auparavant. » 5-6. Visite de M. de Genève qui lui ouvre son cœur. Il lui donne le père La Combe pour directeur. 7. Maladie, négligence des sœurs. Elle est guérie par le père. À Thonon chez les Ursulines. 8. Vœux perpétuels. 9-1 État d’enfance. 11. « J'ai été quelques années que je n'avais que comme un demi-sommeil. »
2.4 ÉTAT DE VASTITUDE
1-2. Description de son état de « vastitude ». 3. « Ma tête se sentait comme élevée avec violence. » 4. Vol de l’esprit. 5. « Dieu peu à peu la perd en soi, et lui communique ses qualités, la tirant de ce qu'elle a de propre. » 6. « Tout entre-deux se perdit. » 7. Abîmée pendant trois jours, « la joie c’est qu'il paraît à l'âme qu'elle ne lui sera plus ôtée. » 8. « L'âme connaît alors que tous les états des visions, révélations, assurances, sont plutôt des obstacles… parce que l'âme accoutumée aux soutiens a de la peine à les perdre… Alors toute intelligence est donnée sans autre vue que la foi nue. » 9. Elle retourne à Gex. Chute de cheval. 1 On l’estime à Paris, dont Mlle de Lamoignon.
2.5 COMBATS
1. Elle se défait de son bien, signant tout ce que veut sa famille. 2-3. Elle sait que les croix viennent de Jésus-Christ. Manifestations démoniaques. 4. Elle empêche la liaison d’une très belle fille avec un ecclésiastique. 5-6. Celui-ci médit sur elle et gagne une religieuse. 7-8. Heureuse veille de trois jours ; M. de Genève lui envoie un Enfant Jésus distribuant des croix. 9. « Je vis la nuit en songe… le Père La Combe attaché à une grande croix. » 1 L’ecclésiastique gagne la fille et la supérieure.
2.6 REFUS DU SUPÉRIORITÉ, DÉPART DU P. LA COMBE
1. L’ecclésiastique fait entendre à M. de Genève « qu'il fallait, pour m'assurer à cette maison, m'obliger d'y donner le peu de fonds que je m'étais réservé, et de m'y engager en me faisant supérieure. » 2. Le même intercepte le courrier. 3. « L’on me proposa l'engagement et la supériorité », “Je lui [la supérieure] témoignai encore que certaines abjurations et certains détours ne me plaisaient pas.” 4. Elle s’oppose à ce que la supérieure s’engage à obéir au père La Combe. 5-6. « Le principal caractère du père La Combe est la simplicité et la droiture ». On lui tend des pièges. L’ecclésiastique envoie à Rome sans succès huit propositions litigieuses tirées d’un sermon du père. 7-8. On oppose le père à M. de Genève qui lui demande de faire pression sur elle. Dans sa droiture le père refuse. 9. Les sœurs la poursuivent. 1 L’ecclésiastique et un de ses amis décrient le père. Celui-ci part en Italie. 11. Vision prémonitoire alarmante d’un prêtre.
2.7 PERSÉCUTIONS. LES DEUX GOUTTES D’EAU
1. Persécution. Vingt-deux lettres interceptées. Relations entre le P. La Motte et M. de Genève. 2. Comment se disculper de maltraiter une personne qui a donné tout son bien. 3. Inventions sur ses relations avec le père La Combe. 4. Dans un couvent, très au repos avec sa fille. 5. État simple nu et perdu. 6-7. Il lui faut devenir « souple comme une feuille ». 8. “L’on s'abandonne à des hommes qui ne sont rien… et si l'on parle d'une âme qui s'abandonne toute à son Dieu… on dit hautement : « Cette personne est trompée avec son abandon ».” 9. « En songe deux voies… sous la figure de deux gouttes d'eau. L'une me paraissait d'une clarté, d'une beauté et netteté sans pareille, l'autre me paraissait avoir aussi de la clarté, mais elle était toute pleine de petites fibres ou filets de bourbe. » 1 Voie de foi et voie de lumières. Un songe lui fait connaître que le père La Combe lui a été donné pour passer à la voie de foi. 11. « Ma difficulté c’était de le dire à ce père. » Elle lui déclare qu’elle est sa mère de grâce et il en est intérieurement confirmé. 12. L’ecclésiastique tourmente la belle fille, qui demeure ferme. 13. « Après Pâques de l'année 1682, M. de Genève vint à Thonon. » Il convient de la sainteté du père.
2.8 ENSEIGNEMENT
1. « Mon âme était ainsi que je l'ai dit, dans un abandon entier et dans un très grand contentement au milieu de si fortes tempêtes. » 2. « Cette âme n'a aucune douceur ni saveur spirituelle : cela n'est plus de saison, elle demeure telle qu'elle est, dans son rien pour elle-même et c'est sa place ; et dans le tout pour Dieu. » « Ce que j’ai marqué était déjà écrit en mai 1682. » 3. « l'âme demeure inébranlable, immobile, portant sans mouvement la peine que lui cause sa faute, sans action pour simple qu'elle soit. » 4. « Ses plus grandes fautes sont ses réflexions, qui lui sont alors très dommageables, voulant se regarder sous prétexte même de dire son état… La vue propre est comme celle du basilic qui tue. » 5. « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans l’infirmité ». 6. « L’âme est inébranlable pour laisser aller et venir la grâce » ; « Rien ne remplit un certain vide qui n'est plus pénible. » 7. « Se laisser perdre, sans avoir pitié d'elle-même, sans regarder à rien ni s'appuyer sur rien. » 8. « Elle a tout ce qu'il lui faut, quoique tout lui manque. » 9. « Bien loin de l'orgueil, ne se pouvant attribuer que le néant et le péché ; et elles sont si unes en Dieu qu’elles ne voient plus que lui. » 1 ‘ Elle ne connaît plus ses vertus comme vertus, mais elle les a toutes en Dieu comme de Dieu, sans retour ni rapport à elle-même. » 11-12. « Il nous fait entrer dans la liberté de ses enfants adoptés. » 13. « La conduite de la providence suivie à l'aveugle fait toute sa voie et sa vie, se faisant tout à tous, son cœur devenant tous les jours plus vaste pour porter le prochain. » 14. « C'est où commence la vie apostolique. … Dieu les dépouille, les affaiblit, les dénue tant et tant que, leur ôtant tout appui et tout espoir, elles sont obligées de se perdre en lui. Elles n'ont rien de grand qui paraisse. »
2.9 L’ÉTAT FIXE N’EXCLUT PAS DES SOUCIS
1-4. Les orages s’amoncellent. Calomnies. 5. Le Père est estimé à Rome. Souci pour sa fille. 6. « Ma sœur vint me trouver avec cette bonne fille au mois de juillet 1682. » 7. La porte étroite : l’humilité importe plus que les lumières ! 8. Retour du Père, sa nuit : « La première chose qu'il me dit, ce fut que toutes ses lumières étaient tromperies. » 9. « M. de Genève écrivit au Père La Mothe pour l'engager à me faire retourner. Le père La Mothe me le manda. Je me voyais dépouillée de tout, sans assurance et sans aucun papiers, sans peine et sans aucun souci de l’avenir. » 1 ‘ Le premier carême que je passai aux Ursulines » : mal des yeux, enflure à la tête, fille à la mort. 11. Soucis pour l’éducation de sa fille. 12. L’état fixe n’exclut pas des soucis, comme d’un or purifié qu’il faut nettoyer en surface. 13. Peine donnée de Dieu.
2.10 LA DIRECTION DES ÂMES
1-2. Suite de l’exposé des soucis pour sa fille. 3. Souffrances pour les âmes, fermeté pour des défauts subtils. 4. « Avec les âmes de grâce… je ne puis souffrir les conversations longues et fréquentes… notre penchant corrompant tout. » 5-6. « Une âme qui se laisse conduire par la providence dans tous les moments trouve que sans y penser elle fait tout bien. » 7. « Ardeur pour le martyre… Tout cela est très excellent, mais celui qui se contente du moment divin, quoiqu’exempt de tous ces désirs, est infiniment plus content et glorifie Dieu davantage. » 8-9. Instinct foncier de retourner au centre. 1 « S’amusant à tous les objets créés fait diversion, et ôte l'attention de l'âme, en sorte qu'elle ne sent cette vertu attirante du centre. »/Fin de l’an 1682 add.marg. /
2.11 LES TORRENTS. UNION AU P. LA COMBE.
1. Le père La Combe de retour à Rome est mis dans la voie de foi nue, ce qui le fait douter. Les lumières sont véritables, mais l’interprétation qu’on leur donne est douteuse. 2. « J’éprouvais le soin que vous preniez de toutes mes affaires ». Épisode du ballot retrouvé. 3. M. de Genève la persécute en sous-main. “Il écrivit même contre moi aux ursulines… le supérieur de la maison… et la supérieure, aussi bien que la communauté, se trouvèrent si indignés de cela, qu’ils ne purent s’empêcher de le témoigner à lui-même, qui s’excusait toujours… sur un « je ne l’entendais pas de cette sorte ».” 4. Retraite avec le Père. « Ce fut là où je sentis la qualité de mère. » 5. « Cela coulait comme du fond et ne passait point par ma tête. Je n'étais pas encore accoutumée à cette manière d'écrire ; cependant j'écrivis un traité entier de toute la voie intérieure sous la comparaison des rivières et des fleuves. » 6. « Dieu me faisait sentir et payer avec une extrême rigueur toutes ses résistances » ; « je passais quelquefois les jours sans qu'il me fût possible de prononcer une parole » ; « Tout ce que j'avais écrit autrefois… fut condamné au feu par l'amour examinateur. » 7. Union avec le père La Combe. « Il me fallait dire toutes mes pensées, il me semblait que par là je rentrais dans l’occupation de moi-même. » 8. « Je lui disais avec beaucoup de fidélité tout ce que Dieu me donnait à connaître qu'il désirait de lui, et ce fut là l'endroit fort à passer. »
2.12 POUVOIR SUR LES ÂMES
1. Obéissance au Père. 2-3. Elle a puissance d’ôter les démons qui tourmentent la fille que sa sœur avait amenée et de la guérir. 4. « Lorsque cette vertu n'était pas reçue dans le sujet faute de correspondance, je la sentais suspendue dans sa source, et cela me faisait une espèce de peine. » 5. Elle reprend une sœur méprisante de la tentation d’une compagne. Cette sœur, à son tour, entre dans un terrible état. 6. Maladie de septembre à mai. Fièvre, abcès à l’œil. État de petit enfant. 7. Elle éprouve en même temps un pouvoir sur les âmes.
2.13 LA COMMUNICATION INTÉRIEURE
1. Épreuve : « Il fallait, à quelque extrémité que je pusse être, que j'écoutasse leurs différends. » 2-3. « Le père me défendit de me réjouir de mourir. » 4. Échange de maladie. 5. « Vous m'apprîtes qu'il y avait une autre manière de converser. » Union avec le Père. « J’apprenais son état tel que je le ressentais, puis incontinent je sentais qu’il était rentré dans l’état où Dieu le voulait. » « Peu à peu je fus réduite à ne lui parler qu'en silence. » 6-7. « Cette communication est Dieu même, qui se communique à tous les bienheureux en flux et reflux personnel. » 8. « Tous ceux qui sont mes véritables enfants ont d'abord tendance à demeurer en silence auprès de moi, et j'ai même l'instinct de leur communiquer en silence ce que Dieu me donne pour eux. Dans ce silence je découvre leurs besoins et leurs manquements. » 9. « il ne m'a point éclairée par des illustrations et connaissances, mais en me faisant expérimenter les choses. » 10-12. « O communications admirables que celles qui se passèrent entre Marie et Saint Jean ! » « Quelquefois Notre Seigneur me faisait comme arrêter court au milieu de mes occupations, et j’éprouvais qu’il se faisait un écoulement de grâce. »
2.14 AUX PORTES DE LA MORT
1-3. « Vous me montrâtes à moi-même sous la figure de cette femme de l’Apocalypse… [J’ai] confiance que, malgré la tempête et l’orage, tout ce que vous m’avez fait dire ou écrire sera conservé. » 4. « J’aperçus, non sous aucune figure, le dragon… la mort s’approchait toujours de mon cœur… [le Père] dit à la mort de ne passer pas outre. » 5. Établissement d’un hôpital. 6. « La supérieure eut de fortes croix à mon occasion… après y avoir été deux ans et demi ou environ, elles furent plus en repos. » 7. Le Père la quitte pour aller chez M. de Verceil. Elle sort des Ursulines et trouve une petite maison : « Jamais je n'ai goûté un pareil contentement. » 8. Voyage périlleux à Lausanne.
2.15 EN PIÉMONT
1. Heureuse dans sa petite maison. 2. « La marquise de Prunai, sœur du premier secrétaire d’État de Son Altesse Royale… Lorsqu’elle sut que j’avais été obligée de quitter les Ursulines… elle obtint une lettre de cachet pour obliger le père La Combe d’aller à Turin… et de me mener avec lui. » 3. « Il fut conclu que j'irais à Turin et que le Père La Combe m'y conduirait et de là irait à Verceil. Je pris encore un religieux de mérite. » Calomnies répandues par le P. La Mothe. 4. « Le père La Combe se rendit à Verceil, et je restai à Turin chez la Marquise de Prunai » (5 déplacé) 6. M. de Verceil « désirait extrêmement de m'avoir. C'était madame sa sœur, religieuse de la Visitation de Turin, qui est fort de mes amies, qui lui avait écrit de moi… mais un certain honneur, un respect humain me retenait. » 7. Le Père est encore intérieurement divisé, source de souffrance. 5. Invitation de l’évêque d’Aoste, au début de son séjour à Turin. 8. Le Père est ébloui par une pénitente en lumières. Lettre. 9. Il pense qu’elle est orgueilleuse. Essayant d’accepter ce reproche elle défaille, il est « éclairé dans ce moment du peu de pouvoir que j'avais en ces choses. »
2.16 DOULEURS ET RÊVES, LE MONT LIBAN
1. Souffrances pour purifier la fille qui l’accompagne. 2. Effets physiques : « Elle me prit le bras. La violence de la douleur fut si excessive… je me mordis. » 3. « Songe… de plusieurs animaux qui sortaient de son corps. » 4. « Elle entra extérieurement dans un état qui aurait pû passer pour folie. » 5. Depuis ce temps elle connaît les âmes par le fond. 6. M. de Genève la poursuit de ses lettres adressées à la Cour de Piémont. 7. Rêve du mont Liban et des deux lits. 8. État immobile de bonheur inaltérable.
2.17 COMMUNICATION CONSCIENTE
1. Elle convertit un religieux, 2. sait qu’il abandonnera. 3. Elle sent un an plus tard son abandon. « Infidèles, je sentais qu'ils m'étaient ôtés et qu'ils ne m'étaient plus rien, ceux que Notre Seigneur ne m'ôtait pas et qui étaient chancelants ou infidèles pour un temps, il me faisait souffrir pour eux. » 4. Conversion d’un violent. 5. Rêve des oiseaux. Le plus beau n’est pas encore venu. 6. Le Père lui ordonne de retourner à Paris. 7. Elle demeure un temps à Grenoble. État apostolique : « Il venait du monde de tous côtés, de loin et de près. » Le père retourne à Verceil. 9. Suite de l’état apostolique.
2.18 COMMUNICATION ET MATERNITÉ SPIRITUELLE
1. Différence entre de simples âmes de passage et ses enfants. Pour ces derniers elle pouvait éprouver « un mal violent à l'endroit du cœur, qui était cependant spirituel… il me faisait crier de toutes mes forces, et me réduisait au lit. » 2. « Deux heures de cette souffrance me changeaient plus que plusieurs jours de fièvre. » 3. Mauvais religieux. 4. De saintes filles et femmes de pauvre condition sont en butte aux persécutions de mauvais religieux. 5-6. Bons religieux du même ordre. 7. Tous l’appellent « mère » sans savoir pourquoi. 8. Notre Seigneur donne toujours ce qu’il faut pour nourrir les âmes. 9. Maternité spirituelle.
2.19 COMMUNICATION, SÉPARATION DU PÊCHEUR
1. Direction d’une fille qui, éloignée, éprouve de l’aversion. 2. « O ma mère, que j'ai bien senti ce que Dieu est en vous ! » 3. Ses démons sont chassés. 4. « Plus elle me cachait les choses, plus Notre Seigneur me les faisait connaître et plus il la rejetait de mon fond. » 5. Ce n’est pas Dieu qui rejette le pécheur, mais lui-même. 6. « Il cesse d'être pécheur sitôt qu'il cesse de vouloir l'être. » 7. « La mort fixe pour toujours la disposition de l'âme. » 8. « Sa peine du dam et du sens tout ensemble ne vient que de son impureté et dissemblance. » 9. « Il les purifie non seulement de l’effet du péché, mais de la cause. » 1 ‘ Cette fille fut rejetée de mon fond. La cause était subsistante en elle et non dans ma volonté. » 11. En Piémont, rêve d’une dame : « Ils étaient tous enfants et petits… portant sur leurs habits les marques de leur candeur et innocence. Elle crut que je venais là pour me charger des enfants de l'hôpital. »
2.20 COMMUNICATIONS EFFICACES
1. Un bon frère reçoit la grâce par son intermédiaire. 2. « Il lui était donné de communiquer avec moi en silence. » 3. « Ô hiérarchie admirable, qui commence dès cette vie pour continuer dans toute l'éternité. » 4. « Pour la communication en silence, ceux qui sont en état de la recevoir ne sont pas pour cela en état de la communiquer. Il y a un grand chemin à faire auparavant. » 5. Des compagnons sont convertis. 6. Transformation d’un novice. 7. Finalement le Père maître et le supérieur sont convaincus. 8-9. Autres enfants spirituels. 1 Une sœur est délivrée de sa peine.
2.21 EXPLICATIONS, CANTIQUE, MOYEN COURT
1-2. Elle lit et écrit des Explications de l’Écriture sainte. 3. « Vous me faisiez écrire avec tant de pureté, qu'il me fallait cesser et reprendre comme vous le vouliez. » 4-5. « Il me semble, ô mon Dieu, que vous faites de vos plus chers amis comme la mer fait de ses vagues. » 6. « Tout est pour Dieu, sans retour ni relation à elles-mêmes. » 7. Jalousies. 8. « L'écrivain ne pouvait, quelque diligence qu'il fît, copier en cinq jours ce que j'écrivais en une nuit. » 9. « J’écrivis le Cantique des Cantiques en un jour et demi ». 1 Moyen court et facile de faire oraison édité par un ami conseiller du Parlement. 11. Elle guérit le bon frère quêteur, son copiste. 12. Le démon maltraite ses amies.
2.22 COMMUNICATIONS ET SOUFFRANCE POUR LE P. LA COMBE
1. Rêve prémonitoire d’une fille. 2. Crucifige. 3. « J'avais la même union et la même communication avec le père La Combe quoiqu'il fût si éloigné… Souvent la plénitude trop grande m'ôtait la liberté d'écrire. » 4. « Avant que d'écrire sur le livre des Rois de tout ce qui regarde David, je fus mise dans une si étroite union avec ce saint patriarche… » 5. Conversation : « Cet amour pur ne souffrait aucune superfluité ni amusement. » « Il y en avait d'autres, comme j'ai dit, auxquelles je ne pouvais me communiquer qu'en silence, mais silence autant ineffable qu'efficace. » 6. Communications. « Saint Augustin… se plaint qu'il en faut revenir aux paroles à cause de notre faiblesse. » 7. « Ce qui m'a le plus fait souffrir a été le père La Combe. » 8. /« Je souffrais à l’occasion de la fille qui était auprès de moi. Ce qu’elle me faisait souffrir égalait le tourment du purgatoire »/9. « La créature du monde peut-être de laquelle vous avez voulu une plus grande dépendance. »
2.23 MARSEILLE, GÊNES, ALEXANDRIE
1. « L’aumônier de Monsieur de Grenoble me persuada d'aller passer quelque temps à Marseille pour laisser apaiser la tempête. » 2. « Le câble cassa tout à coup et le bateau alla donner contre une roche. » 3. « Les soixante et douze disciples de Monsieur de Saint-Cyran… allèrent trouver M. de Marseille… Il envoya quérir M. de Malaval. » 4. « En huit jours que je fus à Marseille, j'y vis bien de bonnes âmes. » 5. « Elle allait de confesseurs à confesseurs dire la même chose afin de les animer contre moi. Le feu était allumé de toutes parts. » 6. « Partait le lendemain une petite chaloupe qui allait en un jour à Gênes. » 7. « Nous fûmes onze jours en chemin… Nous ne pûmes débarquer à Savone : il fallut aller jusqu'à Gênes. » 8. « Insultes des habitants, à cause du chagrin qu’ils avaient contre les Français pour les dégâts des bombes. » 9-1 Voyage périlleux, les voleurs « me saluèrent fort honnêtement ». 11. Alexandrie. Histoire de la logeuse effrayée par son fils.
2.24 SÉJOUR A VERCEIL
1. « À Verceil le soir du Vendredi saint. … Le père La Combe ne pouvait s'empêcher de me marquer sa mortification. » 2. L’évêque « ne laissa pas d'être fort satisfait de la conversation… La seconde visite acheva de le gagner entièrement. » 3. Il loue une maison pour fonder une communauté. 4. Maladie. 5. L’évêque vient souvent la visiter. 6. « Le Père La Combe était son théologal et son confesseur 7. « Les barnabites de Paris, ou plutôt le Père de La Mothe, s'avisa de le vouloir tirer de là pour le faire aller prêcher à Paris. » 8. Maladie. L’établissement de la congrégation n’a pas lieu. 9. « Ce fut là que j'écrivis l'Apocalypse. » 1 État d’enfance. Elle écrit à la duchesse de Charost.
2.25 TURIN, GRENOBLE
1. Elle retourne en France. 2. Le Père La Mothe laisse courir de faux bruits. 3. Elle passe douze jours chez son amie la Marquise de Prunai Établissement d’un hôpital. 4. Elle avait établi un hôpital près de Grenoble. /“[Le père] venait lorsque je suffoquais d’une oppression de poitrine, et il me commandait de guérir, et je guérissais”/. 5. Elle revient avec la prémonition de croix à venir. 6. Elle croise le Père La Mothe à Chambéry, « priant tous les jours avec des instances affectées le père La Combe de ne me point laisser, et de m'accompagner jusqu'à Paris. » 7. Elle retrouve ses amies à Grenoble.
3. LA VIE PAR ELLE-MÊME : PARIS
3.1 INTRIGUES À PARIS
1. Mauvais desseins du père La Mothe. 2. Union parfaite avec le père La Combe. 3. « J'arrivai à Paris la veille de Sainte-Madeleine 1686, justement cinq ans après mon départ. » Le Père La Mothe « me voulut loger à sa manière afin de se rendre maître absolu de ma conduite. » Il médit d’elle auprès de sa logeuse. Il est jaloux du succès des sermons du Père La Combe. Ses calomnies. 5. « J'avais donné une petite somme en dépôt au père La Combe avec la permission de ses supérieurs, que je destinais pour faire une fille religieuse. » 6. « Ils envoyèrent à confesse au père La Combe un homme et une femme qui sont unis pour faire impunément toutes sortes de malice. » 7. « Ces paroles me furent imprimées : il a été mis au rang des malfaiteurs. » On tente de la brouiller avec le tuteur de ses enfants. 8. Même le Père La Combe se rend compte des foudres à venir. 9. “J’allai à la campagne chez Madame la Duchesse de Charost… on fut obligé de me délacer… /Tout ce que je pus faire fut de me mettre sur le lit et me laisser consumer de cette plénitude/1 Le Père La Combe est circonvenu par une femme. 11. Son mari fabrique des libelles « auxquels ils attachaient les propositions de Molinos » et on les montre à l’Archevêque. 12. Calomnie sur le séjour à Marseille, mais le Père La Combe n’avait jamais été là-bas ! 13-14. Le Père La Mothe et le Provincial complotent avec l’Official. Intrigue de la femme. Le Père La Combe est dupe. 15. Une fille avertit Madame Guyon sur sa réelle nature.
3.2 INTRIGUES, SUITE
1. Le Père est détrompé. Calomnie sur une grossesse supposée. Changement de stratégie : on met en cause le Moyen facile de faire oraison. 2. « Le père La Mothe me vint trouver, disant qu'il y avait à l'archevêché des mémoires effroyables… » Elle découvre l’alliance ennemie. 3. Le Père La Combe par obéissance manque une occasion de se disculper. 4. Visite de M. l’abbé Gaumont et de M. Bureau. Ce dernier est attaqué, « l’on fit travailler l'écrivain… Mme de Miramion, amie de M. Bureau, en vérifia elle-même la fausseté. » 5. Le Père La Mothe suggère au Père La Combe de « se retirer, pour par là le faire passer pour coupable. » 6. Même tentative auprès d’elle : « leur dessein était de rendre le père La Combe criminel par ma fuite. » 7. Même tentative sur la sœur du tuteur : elle a un soupçon ? le Père La Mothe ajoute : « Il faut absolument la faire fuir et c'est le sentiment de Monseigneur l'archevêque. » 8. « Le lendemain le tuteur de mes enfants, ayant pris l'heure de Monseigneur l'archevêque, y alla. Il y trouva le père La Mothe qui y était allé pour le prévenir… » Le mensonge est ainsi dévoilé.
3.3 ARRESTATION DU PÈRE LA COMBE
1. ‘Ils firent entendre à Sa Majesté que le père La Combe était ami de Molinos… [S.M.] ordonna… que le père La Combe ne sortirait point de son couvent… Ils concertèrent de… le faire paraître réfractaire aux ordres… ils résolurent de cacher cet ordre au père La Combe.’ 2. Tromperies pour faire sortir le Père La Combe et établir des procès-verbaux. 3. Naïveté du Père toujours soucieux d’obéissance. 4. Le Père La Mothe obtient les précieuses attestations de la doctrine du Père La Combe et les fait disparaitre. 5. Le Père est arrêté le 3 octobre 1687. 6. Pressions du Père La Mothe et « il y eut même de mes amis assez faibles pour me conseiller de feindre de prendre sa direction. » 7. Tous ceux qui ne la connaissent pas crient contre elle. 8. « Je ne faisais pas un pas, me laissant à mon Dieu. » 9. Activité de l’écrivain Gautier. 1 Elle trouve des témoins qui connaissent la femme du faussaire ce qui peut démontrer l’innocence du Père La Combe, mais le Père La Mothe, supérieur des barnabites, « voulait bien se mêler de livrer son religieux, mais non pas de le défendre. » 11. « Un second Joseph vendu par ses frères. » 12. « Ce fut sur cette lettre supposée, que l’on fit voir à Sa Majesté, que l'on donna ordre de m'emprisonner. »
3.4 INFAMIE DU P. LA MOTHE
1. Maladie. 2. Le Père La Mothe extorque une pièce qui pouvait sauver le Père La Combe. 3. Puis « il ne garda plus de mesures à m'insulter. » 4. Accusations et abandon par tous. 5. « L’on me fit entendre qu'il fallait que je parlasse à M. le théologal. C’était un piège… deux jours après on fit entendre que j’avais… accusé bien des personnes, et ils se servirent de cela pour exiler tous les gens qui ne leur plaisaient pas… C’est ce qui m’a été le plus douloureux. » 6. « On m'apporta une lettre de cachet pour me rendre à la Visitation du faubourg Saint-Antoine. »
3.5 PREMIÈRE RÉCLUSION
1. « Le 29 Janvier 1688… il me fallut aller à la Visitation. Sitôt que j'y fus, l’on me signifia que l'on ne voulait pas me donner ma fille, ni personne pour me servir ; que je serais prisonnière, enfermée seule dans une chambre. … l’on se servait de ma détention pour la vouloir marier par force à des gens qui étaient sa perte. » 2. « C'est une maison où la foi est très pure et où Dieu est très bien servi ; c'est pourquoi l’on ne pouvait m'y voir de bon œil me croyant hérétique… » 3. Son confesseur la renie par peur. 4. Elle souffre par la fille geôlière. 5. Une infidélité : « je voulus m’observer. » 6. Songe d’une pluie de feu d’or. 7. Interrogatoire sur le Père La Combe par l’official et un docteur de Sorbonne. 8. Protestation écrite. 9. Interrogatoire sur le Moyen court. 1 Interrogatoire sur une lettre contrefaite à propos de supposées assemblées. 11. ‘« Vous voyez bien, Madame, qu'après une lettre comme celle-là, il y avait bien de quoi vous mettre en prison. » Je lui répondis : “Oui, Monsieur, si je l'avais écrite.”’ « L’on fut deux mois après la dernière interrogation sans me dire un mot, à exercer toujours la même rigueur envers moi, cette sœur me traitant plus mal que jamais. » 12. Aucune illusion sur le but poursuivi de la faire paraître coupable à tout prix. 13. Visite mal intentionnée de l’Official seul. 14. « Il dressa un procès-verbal. »/Lettre pour M. L’official, Lettre à M. L’archevêque/15. « L’on me fit savoir que mon affaire allait bien et que j'allais sortir à Pâques. »
3.6 PRESSIONS POUR MARIER SA FILLE
1. « Jusqu'alors j'avais été dans un contentement et une joie de souffrir et d'être captive inexplicable. » 2-3. Elle entre dans l’amertume. 4. « Jésus-Christ et les saints se crevaient-ils les yeux pour ne pas voir leurs persécuteurs ? Ils les voyaient : mais ils voyaient en même temps qu'ils n'auraient eu aucun pouvoir s'il ne leur avait été donné d'en haut. » 5. « L’on ne laissait pas de pousser continuellement ma fille de consentir à un mariage qui aurait été sa perte. » 6. « Le père La Mothe sut que l'on disait du bien de moi dans cette maison, il alla se persuader que l'on ne pouvait dire du bien de moi sans dire du mal de lui. » 7. « J'étais continuellement battue entre l'espérance et le désespoir. » 8. « L’on me vint annoncer tout à coup que le père La Mothe avait obtenu que l'on me mît dans une maison dont il est le maître. » 9. On prie « un père jésuite de sa connaissance de parler au père de La Chaise. Ce bon père le fit, mais il trouva le père de La Chaise fort prévenu. » Lettre au P. de la Chaise. 1 Elle a un effet contraire. « Le père de La Chaise parla de moi… Monseigneur l'archevêque assura que j'étais fort criminelle… un mois avant ce temps M. l'official me vint trouver avec le docteur, et me proposa en présence de la mère supérieure, que si je voulais consentir au mariage de ma fille, je sortirais de prison avant huit jours. »
3.7 LETTRES CONTREFAITES
1. On l’enferme au mois de juillet dans une chambre surchauffée — malgré la mère supérieure. 2. On l’accuse de « choses horribles », mais elle ne peut avoir de précision ! « Je lui répondis que Dieu était le témoin de tout. Il me dit que, dans ces sortes d'affaires, prendre Dieu à témoin était un crime. Je lui dis que rien au monde n'était capable de m'empêcher de recourir à Dieu. » 3. Le tuteur intervient auprès de l’Archevêque qui l’accuse sans preuve. 4. « Ce fut donc ces effroyables lettres contrefaites que l'on fit voir au père de La Chaise, pour lesquelles l’on me renferma. » 5. Témoignage de commandants favorables au Père La Combe. On le fait transférer de prison. 6. Faux témoignage demandé à une personne d’honneur. Madame de Maisonfort de Saint-Cyr parle pour elle à Madame de Maintenon, mais le roi est prévenu. 7. Maladie. 8-1 Martyrs du Saint-Esprit. 11-12. Ils renouvelleront la face de la terre.
3.8 COMMUNICATIONS ET MARTYRE
1. Ils voulaient tirer des rétractations pour se couvrir. 2. « Comment voulez-vous, dit-il, que nous la croyions innocente, moi qui sais que le père La Mothe, son propre frère,… a été obligé de porter des mémoires effroyables. » 3. « Quoique le père La Combe soit en prison, nous ne laissons pas de nous communiquer en Dieu d'une manière admirable. » 4. « J’éprouve deux états à présent tout ensemble : je porte Jésus-Christ crucifié et enfant. » « Fait ce 21 d'août 1688, âgée de quarante ans ; de ma prison. » 5. « Je sentais l'état des âmes qui m'approchaient et celui des personnes qui m'étaient données, quelque éloignées qu'elles fussent. » 6. « Le 21 d'août 1688. L’on croyait que j’allais sortir de prison et tout semblait disposé pour cela… Le 22e, je fus mise à mon réveil dans un état d’agonie. » Indifférence entière. 7. L’épouse obtient tout de l’époux. 8. “M. L’official vint avec le docteur, le tuteur de mes enfants et le père La Mothe pour me parler du mariage de ma fille. /« L’on me dit que si je voulais y donner les mains, que l’on me donnerait ma liberté dans huit jours »/9. « Ma cousine voulut parler en ma faveur à Mme de Maintenon, mais elle la trouva si prévenue contre moi par la calomnie… »
3.9 DÉLIVRANCE.
1-2. ‘M. l'Official vint le mercredi premier d'octobre 1688’. Il essaye de lui faire reconnaître des mémoires sans en définir le contenu. 3. « Il fallut passer par là, malgré toutes mes raisons, pour éviter leur violence et me tirer de leurs mains. » 4. Lettre de Falconi mis en cause à Rome. 6. Copie des papiers donnés à M. l'official, le 8 février 1688. 7. « Comme l'on vit que les religieuses disaient beaucoup de bien de moi, et témoignaient m'estimer, mes ennemis et quelques-uns de leurs amis leur vinrent dire que ce qu'elles avaient de l'estime pour moi faisait un grand tort à leur maison, que l'on disait que je les avais toutes corrompues et faites quiétistes. » 8. Délivrance. 9. « Ensuite j'allai voir Mme de Miramion. »/Lettre à Madame de Maintenon. /« J'allai à Saint-Cyr la saluer : elle me reçut parfaitement bien et d'une manière singulière. » Elle réside chez Madame de Miramion. ‘Si Dieu le veut, j'écrirai un jour la suite d'une vie qui n'est pas encore finie. Ce 20 septembre 1688. 1 ‘ Quelques jours après ma sortie, je fus à Beynes chez Madame de Charost… ayant ouï parler de M. l’abbé de Fénelon, je fus tout à coup occupée de lui avec une extrême force et douceur… »
3.10 FÉNELON — ÉTAT APOSTOLIQUE
1./B S Elle regarde Fénelon comme son fils : ‘Ce fut vers la St François du mois d’octobre 1688… il faut qu’il soit anéanti et étrangement rapetissé. Dieu travaillera surtout à détruire sa propre sagesse… dès 1680 que Dieu me le fit voir en songe… Quelque union que j’aie eu pour le père La Combe j’avoue que celle que j’aie pour M. L. est encore tout d’une autre nature. /2. « Il ne m'appelait point, comme l'on avait cru, à une propagation de l'extérieur de l'Église, qui consiste à gagner les hérétiques, mais à la propagation de son Esprit, qui n'est autre que l'esprit intérieur. » 3-4. Douleurs spirituelles : « L'une causée par leur infidélité actuelle, l'autre qui est pour les purifier et les faire avancer. » 5-6. La justice divine. 7. Plénitude. 8. « Rejaillissement d'un fond comblé et toujours plein pour toutes les âmes qui ont besoin. » 9. « Si les âmes qui sont conduites par ces personnes pouvaient pénétrer au travers de cet extérieur si faible la profondeur de leur grâce, elles les regarderaient avec trop de respect, et ne mourraient point à l'appui que leur ferait une telle conduite. » 1 Ces personnes sont des « paradoxes. » 11. « L'âme de cet état s'ignore soi-même. » 12. ‘Toutes les plus grandes croix viennent de cet état apostolique… l’enfer et tous les hommes se remuent pour empêcher le bien qui se fait dans les âmes. 13. « Saints qu'en lui et pour lui : ils sont saints à sa mode, et non à celle des hommes. » 14. « Aucun amour naturel, mais une charité infinie. » 15. Âmes de foi. 16. « Le resserrement de la personne à qui on parle qui fait la répugnance à dire. » « etc. jusqu’en fin 1688. »/les § en fin de B commençant par : « Je me suis oubliée de dire… » sont replacés dans leurs contextes/
3.11 DANS LA SOLITUDE — FRÉQUENTATION DE SAINT-CYR
1. Chez Madame de Miramion, qui lui montra les lettres du Père La Mothe. 2. Mal à l’œil ; il faut savoir se plaindre. 3. Elle reste deux ans et demi avec sa fille mariée. Elle voudrait se retirer chez les bénédictines de Montargis ce qui fut presque fait. 4. Ses conversations avec Fénelon. 5. « Ayant quitté ma fille, je pris une petite maison éloignée du monde. » À Saint-Cyr, Madame de Maintenon « me marquait alors beaucoup de bontés ; et pendant trois ou quatre années que cela a duré j'en ai reçu toute sorte de marques d'estime et de confiance. » Puis refroidissement. 6. Entretien avec M. Nicole. 7. Puis avec M. Boileau. 8. Elle rédige une Explication du Moyen court. 9. Les eaux à Bourbon-l’Archambaud. 1 Nicole rédige un livre contre elle sept ou huit mois après leur entretien. Dom F. Lamy le réfute.
3.12 DÉFAVEUR
1-2. Sa défaveur à Saint-Cyr « fait quelque bruit. » Elle tâche de disparaître à l’attention publique sans succès. 3-5. Histoire de la fille amoureuse qui s’est donnée au démon ; M. Fouquet la mène à M. Robert grand pénitencier. Morts suspectes de ce dernier et du Père Breton. 6. M. Boileau devient un zélé persécuteur sous l’influence d’une dévote. 7. On l’accuse d’avoir plagié Mlle de Vigneron, ce qui s’avère faux. 8-9. Suite de l’histoire de la dévote. 1 Un cercle autour de M. Boileau cherche à la déconsidérer aux yeux de Madame de Maintenon qui « tint bon quelque temps ».
3.13 BOSSUET
1. « Quelques personnes de mes amis jugèrent à propos que je visse Mgr l'évêque de Meaux. » 2. Le duc de Chevreuse lui amène Bossuet, qui dit avoir apprécié certains écrits. Mais ses discours « l’épouvantent. » On lui communique la Vie « qu’il trouva si bonne qu'il lui écrivit qu'il y trouvait une onction qu'il ne trouvait point ailleurs, qu'il avait été trois jours en la lisant sans perdre la présence de Dieu. » 3. Histoire de la religieuse mourante. Crédulité de Bossuet ? 4. Communication des Explications des Écritures comme de la Vie, sous le sceau du secret. 5. « Commencement de l'année 1694. » Conférence qui devait rester secrète. « Ce n’était plus le même homme… J'en fus malade plusieurs jours. » 6. Revue des difficultés qui furent soulevées : impossibilité d’actes discursifs, de désirer son propre bonheur… 7. « Pour désirer pour soi, il faut vouloir pour soi. Or tout le soin de Dieu étant d'abîmer la volonté de la créature dans la sienne, il absorbe aussi tout désir connu dans l'amour de sa divine volonté. » 8. Faim distincte du désir. 9. Disparition de la pente sensible ou même aperçue par « repos en Dieu même. » Comparaison de l’eau qui n’a aucune qualité particulière. 1 ‘ Les âmes ne sont propres qu’à peu de choses tant qu’elles conservent leur consistance propre. » Discussion sur ses livres. 11. « Je crois encore que ce qui fait que l'âme ne peut plus rien désirer, c'est que Dieu remplit sa capacité. »
3.14 LES ÉCLAIRCISSEMENTS EXIGES
3. « Il me parla de la femme de l'Apocalypse. » 4. « Pour l’écoulement de grâces, c’était une autre difficulté. » 5. Le manque d’expérience de Bossuet. « Il avait été frappé des choses extraordinaires… mais cette voie de foi simple… c’était un jargon. » 6. Sur « l’absence de grâce ». 7. Difficulté sur l’état Apostolique. 8. « La première fois que j'écrivis ma vie, elle était très courte… L’on me la fit brûler, et l’on me commanda absolument de ne rien omettre, et d'écrire sans retour. » 9. « Lier et délier ». 1 Retour sur les actes distincts. 11. « Se laisser mouvoir sans résistance. Qui n'admet pas ces actes secondaires, détruit toutes les opérations de la grâce comme premier principe et fait que Dieu n’est que secondaire, et ne fait qu'accompagner notre action. » 12. « Que je fisse des demandes ? mais que pouvais-je demander ? » ; « Il y a deux sortes d'âmes : les unes auxquelles Dieu laisse la liberté de penser à elles, et d'autres que Dieu invite à se donner à lui par un oubli si entier d'elles-mêmes, qu'il leur reproche les moindres retours. Ces âmes sont comme de petits enfants. » 13. « M. de Meaux prétendait qu'il n'y a que quatre ou cinq personnes dans tout le monde qui aient ces manières d'oraison et qui soient dans cette difficulté de faire des actes. Il y en a plus de cent mille dans le monde. »
3.15 MORT DE M. FOUQUET
1. « La vivacité de M. de Meaux, et les termes durs qu'il employait quelquefois, m'avaient persuadée qu'il me regardait comme une personne trompée et dans l'illusion… Il était prêt de me donner un certificat. » 2. « M. Fouquet fut le seul à qui je confiai le lieu de ma retraite. » Elle écrit une lettre à Mme de Maintenon qui refuse une enquête sur les mœurs, voulant se placer sur le terrain doctrinal. 3-4. « M. Fouquet, qui était tombé dans une maladie de langueur, mourut dans ce temps-là. » Elle se réjouit de son bonheur dont elle reçoit assurance. 5. « L’on craignait qu'on ne reconnût mon innocence. » 6. « Je ne puis point avouer avoir eu des pensées que je n'eus jamais. » 7. « Il y avait plus de quarante jours que j'avais la fièvre continue. »
3.16 JUSTIFICATIONS
1. ‘Je commençais à m'apercevoir qu'on en voulait à d'autres qu'à moi dans la persécution que l'on me suscitait. 2. “Comme [Mme de Maintenon] avait contribué à me tirer d'oppression quelques années auparavant, elle croyait devoir s'employer à m'accabler.” 3. “Je mandai que j'étais toujours prête de rendre raison de ma foi.” 4. Quels examinateurs ? M. de Paris l’aurait bien tiré d’affaire. 5. Trois examinateurs : ‘Il y a lieu de croire qu'il [Bossuet] promit tout ce que [Mme de Maintenon] souhaitait’ ; “Mgr l'évêque de Châlons, qui avait de la douceur et de la piété” ; M. Tronson. 6. Lettre à ces examinateurs. 7. Rédaction des Justifications.
3.17 ENTRETIENS D’ISSY
1. “Je m'aperçus bientôt du changement de M. de Meaux.” 2. Bossuet refuse la présence du duc de Chevreuse : “Il voulait faire une condamnation d'éclat.” 3. La supposition impossible ou sacrifice de l’éternité : 4. “Une personne qui tombe dans l'eau fait d'abord tous ses efforts pour se sauver et ne cesse son effort que lorsque sa faiblesse le rend inutile. Alors elle se sacrifie à une mort qui lui paraît inévitable.” 5. “Elle lui fait donc un sacrifice de tout ce qu'elle est, afin qu'il fasse d'elle et en elle tout ce qu'il lui plaira.” 6. “En cet état l'âme est si affligée et si tourmentée de l'expérience de ses misères et de la crainte, sans sentiment, d'offenser Dieu, qu'elle est ravie de mourir quoique sa perte lui paraisse certaine, afin de sortir de cet état, et de n'être plus au hasard d'offenser Dieu.” 7. “L’âme se voit dans la volonté de tous les maux et dans l’impuissance de les commettre.” 8. Réponse à la difficulté de M. de Meaux touchant le sacrifice de la pureté. 9. Bossuet se fixe dans ses idées. 1 Il l’accuse de présomption. 11. “On s'assembla chez M. de Meaux…” 12. “M. de Meaux, après s'être longtemps fait attendre, arriva sur le soir” et chasse le duc de Chevreuse. 13. Il “tâchait d'obscurcir et rendre galimatias tout ce que je disais.” 14. Il produit malignement une lettre. 15. “Cette conférence ne fut d'aucune utilité pour le fond des choses. Elle mit seulement M. de Meaux à portée de dire à Mme de Maintenon qu'il avait fait l'examen projeté.” 16. “M. de Meaux dans la chaleur de sa prévention m'injuriait sans vouloir m'entendre.” 17. M. Tronson est plus équitable.
3.18 À SAINTE-MARIE DE MEAUX
1. Elle se rend à Sainte-Marie de Meaux en janvier 1695. Voyage mouvementé dans la neige, suivi de six semaines de fièvres. 2. À l’accusation d’hypocrisie, elle répond : “Je suis assurément une mauvaise hypocrite et j'en ai mal appris le métier, puisque j'y ai si mal réussi.” Cherchant à ne plaire qu’à Dieu, “je compris alors que c'était la manière dont Jésus-Christ avait souffert.” 3. Elle est estimée de la mère Picard et des religieuses. 4. On fait courir une lettre attribuée à M. de Grenoble. Réponse du père de Richebrac. 5. M. de Grenoble indigné. Copie de deux de ses lettres. 6. Bossuet “se récria sur la noirceur de cette calomnie. Il avait de bons moments, qui étaient ensuite détruits par les personnes qui le poussaient contre moi et par son propre intérêt.” 7. Fable d’un curé. 8. ‘À confesse à tous les curés et confesseurs de Paris, une méchante femme prit le nom d'une de mes filles. C’était celui de Manon autrement (appelée) Famille.’ 9. Scènes de colère par l’impuissant Bossuet. 1 Témoignage de la mère Picard et de ses filles. 11. Bossuet à la mère Picard : “Je ne vois en elle, tout comme vous, que du bien, mais ses ennemis me tourmentent et veulent trouver du mal en elle.”
3.19 UN SURPRENANT CHANTAGE
1. Promesse d’un certificat. 2. Le chantage : “Il renferma le tout dans son portefeuille et me dit qu'il ne me donnerait rien… il s'enfuit. Les religieuses furent épouvantées d'un tour pareil.” 3-4. “Les bonnes filles qui voyaient une partie des violences et des emportements de M. de Meaux, n'en pouvaient revenir.” 5. “Enfin après avoir été six mois à Meaux, il me donna de lui-même un certificat.” 6. Il lui donne congé. 7. Bossuet change, car Madame de Maintenon “est peu contente de l’attestation.” 8. Copie de la première attestation. 9. “Il débita que j'avais sauté les murailles du couvent pour m'enfuir. Outre que je saute fort mal, c'est que toutes les religieuses étaient témoins du contraire.” 1 “Je pris la résolution de ne point quitter Paris… de me dérober généralement à la vue de tout le monde. Je restai de cette manière environ cinq ou six mois. Je passais les jours seule, à lire, à prier Dieu, à travailler. Mais sur la fin de l'année mille six cent quatre-vingt-quinze, je fus arrêtée… et conduite à Vincennes.”
3.20 POURQUOI M’AVEZ-VOUS ABANDONNÉE ?
1. “Je ne parlerai point ici de cette longue persécution qui a fait tant de bruit par une suite de dix années de prisons de toutes espèces, et d'un exil à peu près aussi long, et qui n'est pas encore fini.” 2. “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonnée ?” “Ce fut dans ce temps que je fus portée à me mettre du parti de Dieu contre moi-même, et à faire toutes les austérités dont je pus m'aviser.” 3. Elle a défendu l’oraison. 4. Elle justifie certaines relations qui paraissent secondaires. 5. Paix au début. 6. Infidélité de “préméditer un jour des réponses.” 7. Les choses sont portées “à de plus grandes extrémités.” Elle désespère.
3.21 DERNIÈRES PAGES DE LA VIE, L’ÉTAT SIMPLE ET INVARIABLE
1. Maladies. “Mon état est devenu simple, et invariable. Le fond de cet état est un anéantissement profond ne trouvant rien en soi de nominable. Tout ce que je sais c'est que Dieu est infiniment saint, juste, bon, heureux… rien ne subsiste en moi ni bien ni mal. Le bien est en Dieu. Je n'ai pour mon partage que le rien.” 2. “Pauvreté et nudité est mon partage. Je n'ai ni confiance ni défiance, enfin Rien, Rien.” 4. “Il est riche, je suis très pauvre… Je ne manque de rien, je ne sens de besoin sur rien. La mort, la vie, tout est égal. L’éternité, le temps, tout est éternité,… Dieu est amour et l'amour est Dieu” ; “Les pensées ne font que passer, rien n'arrête. … Ce que j'ai dit ou écrit est passé, je ne m'en souviens plus.” 5. “C'est un fanal vide, on peut y allumer un flambeau.” 3. “Si on disait quelque chose à mon avantage, je serais surprise, ne trouvant rien en moi.” “Il me donne un air libre, et me fait entretenir les gens, non selon mes dispositions, mais selon ce qu'ils sont, me donnant même de l'esprit naturel avec ceux qui en ont, et cela d'un air si libre qu'ils en sont contents.” Décembre 1709. Annexe sur l’état fixe et permanent.
4. LES PRISONS, RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE
Envoi.
4.1 VINCENNES
Alternative : “ou d’aller dans un couvent du diocèse de Meaux sous la conduite et la direction de ce prélat [Bossuet], ou d’être poussée à tout ce que l’autorité et la violence me pouvaient faite envisager de plus affreux.” Arrestation à Noël 1695 par Desgrez. À Vincennes, interrogatoire par l’honnête La Reynie sur des lettres saisies du Père La Combe, sur Famille, sur l’expression malheureuse La petite Église vous salue, illustre persécutée’. « Après neuf ou dix interrogatoires de six, sept et huit heures quelquefois, il jeta les lettres et les papiers sur la table… Il fit un dixième interrogatoire où il me demanda permission de rire. » État de grande paix ; une infidélité : préparer des réponses. « Je faisais des cantiques. » Succède le violent et aigri Pirot : « Les tourments que cet homme me faisait par ses ruses et par ses artifices me faisaient tomber malade toutes les fois qu'il venait. » ; « Je demandai un confesseur pour mourir en chrétienne. L’on me demanda qui je souhaitais ; je nommai le P. Archange Enguerrand, récollet d'un grand mérite, ou bien un jésuite. » Ce qui ne lui fut pas accordé. Elle eut le curé de Saint-Sulpice [La Chétardie]. Ses manœuvres.
4.2 VAUGIRARD
« Le 16 octobre 1696, Desgrez me vint prendre à Vincennes pour me mener à Vaugirard… On me mit dans une chambre percée à jour et prête à tomber… [Une fille] venait m'insulter, me dire des injures, me mettre le poing contre le menton, afin que je me misse en colère. » Elle est tourmentée ainsi que les filles à son service par le curé. Oppression et songes.
4.3 LES PREUVES ABSENTES
« Dix mois à Vincennes entre les mains de M. de La Reynie ». On tente de se débarrasser d’elle à l’aide d’un vin empoisonné. « M. le Curé me dit, un jour, un mot qui me parut effroyable… qui était qu'on ne me mettait pas en justice parce qu'il n'y avait pas de quoi me faire mourir » « … leur défendant, s'il me prenait quelque mal subit comme apoplexie ou autre de cette nature, de me faire venir un prêtre. » Lettre à M. de Paris de décembre 1697. Un confesseur lui rend service.
4.4 LE CONFESSEUR ACCUSE
Très longue lettre du curé : reproches, insinuations, etc. Il interroge la sœur qui la garde et une paysanne qui témoigne avoir vu le faussaire chez lui.
4.5 LA FAUSSE LETTRE
Visite de M. de Paris avec une lettre forgée du Père La Combe. « S'approchant [le Curé] me dit tout bas : “On vous perdra.” » Reproches de l’archevêque. Texte de la lettre. On la sépare de ses filles que l’on maltraitera. « Il y en a encore une dans la peine depuis dix ans pour avoir dit l'histoire du vin empoisonné devant le juge. [L’] autre dont l'esprit était plus faible le perdit par l'excès et la longueur de tant de souffrances, sans que dans sa folie on pût jamais tirer un mot d'elle contre moi. … elle vit présentement paisible et servant Dieu de tout son cœur. On me mena donc seule à la Bastille. »
4.6 LA BASTILLE
Le 4 juin 1698. « on me donna une demoiselle qui, étant de condition et sans biens, espérait faire fortune, comme on lui avait promis, si elle pouvait trouver quelque chose contre moi. » Humidité du lieu, défaillance de 24 heures. Le « P. Martineau me dit : “Je n'ai de pouvoir de vous confesser qu'en cas que vous alliez mourir tout à l'heure.”… M. d’Argenson vint m'interroger. Il était si prévenu et avait tant de fureur que je n'avais jamais rien vu de pareil. … plus de vingt interrogatoires, chacun de plusieurs heures. … Après cet interrogatoire si long qu'il dura près de trois mois, et qu'on (n'] en a jamais tant fait aux plus grands criminels, on prit deux ans, apparemment pour s'informer partout. » Elle s’occupe d’une pauvre femme qui se croit damnée et que l’on saigne à mort espérant tirer un témoignage chargeant Madame Guyon. Dureté du confesseur.
4.7 L’ABÎME
« J’avais donc auprès de moi la filleule de M. du Junca, avec la promesse qu'il lui avait faite de l'épouser. » Elle la convertit : « Elle comptait demeurer auprès de moi tant que j'aurais vécu, mais après qu'elle y [fut resté] trois ans, dans une même chambre, il fallut qu'elle s'en allât. Elle mourut quinze jours après. … Je restai seule un an et demi. J'eus un an la fièvre, sans en rien dire. » Tentative de suicide d’un prisonnier : « Il n'y a que l'amour de Dieu, l'abandon à sa volonté… sans quoi les duretés qu'on y éprouve sans consolation jettent dans le désespoir. » Déposition contre elle de Davant, un prêtre. « Quelquefois, en descendant, on me montrait une porte, et l'on me disait que c'était là qu'on donnait la question. D'autres fois on me montrait un cachot, je disais que je le trouvais fort joli. » « Ma vie me quittait. Je tâchai de gagner mon lit pour mourir dedans. » « J'avais toujours caché mon mal, si l'extrême maigreur, jointe à l'impuissance de me soutenir sur mes jambes, ne l'eût découvert. On envoya quérir le médecin qui était un très honnête homme. L’apothicaire me donna un opiat empoisonné. … Je le montrai au médecin qui me dit à l'oreille de n'en point prendre, que c'était du poison. » « Je fus plus d'un an seule, car la petite demoiselle dont j'ai parlé étant morte, je priai qu'on ne m'en donnât plus, et je pris prétexte qu'elles mouraient. »
4.8 LA DÉLIVRANCE
« M. de Paris eut de très grands remords de me laisser mourir en prison. » « Il est certain qu'on me laissait aller chez mon fils sans condition lorsque ma sortie eut été accordée. Dès qu'il fut arrivé, il me dit qu'il ne me recevrait chez lui qu'à [certaines] conditions qu'il voulait qu'on lui donnât par écrit. » « Ils écrivirent une lettre à M. de Pontchartrain — capable de me faire remettre à la Bastille si, pour s'informer de la vérité des faits qu'elle contenait, ce ministre ne l'eût renvoyée à M. l'évêque de Blois. »
5. TEXTES SECONDAIRES
5.1 TEXTES AUTOBIOGRAPHIQUES PARALLÈLES
Discours n° 11 (Correspondance tome V) : Douleurs intérieures et abandon — tout s'écoule sans cesse sans laisser aucune impression. « L’âme dans son rien ne peut rien… Il n'y a que l'Être créateur qui la rende propre à tout ce qu'il lui plaît. »
5.2 BLOIS TÉMOIGNAGES EN SUPPLÉMENTS A LA VIE
« Nous remonterons aux causes des changements de Mme de Maintenon à l’égard de Madame Guyon… et nous répondrons aux calomnies de la Beaumelle. Nous rassemblerons ensuite les faits détachés et épars que nous avons recueilli de sa vie privée durant son séjour à Blois et enfin nous éclaircirons une difficulté que ses ennemis ont élevée contre une prophétie qu’elle fit en 1689 dans une lettre à Fénelon. »
5.3 SEPT LETTRES ÉDITÉES AVEC LA VIE
Lettre 1 de Mme Guyon au Père La Combe, 1683 : épreuves à venir
Lettre 2 de Mme Guyon au Père La Combe, 1683 : union paisible ; tempête à venir ; la femme enceinte face au dragon.
Lettre 3 du P. La Combe à Madame Guyon, 1683 : prédiction de l’anéantissement extérieur qui atteindra celle-ci, accompagnant son anéantissement intérieur.
Lettre 4 du P. La Combe à Madame Guyon sur son état douloureux.
Lettre 5 du P. La Combe à Madame Guyon, 1693 : son état d'impuissance.
Lettre 6 d'une fille retenue en prison à son frère : elle partage la croix de Madame Guyon à laquelle elle demeure unie.
Lettre 7 de la même sur son abandon à Dieu.
5.4 QUATRE CANTIQUES ÉDITÉS AVEC LA VIE
Grand Dieu, pour ton plaisir/Je suis dans une cage.
Charmante solitude,/Cachot, aimable tour
On me tient en prison, ô mon cher petit Maître
Si c'est un crime que d'aimer…
5.5 DEUX CANTIQUES RÉDIGENT EN PRISON
Ô Dieu Père fils et Saint Esprit je suis orpheline…
Que mon cœur est content auprès de ce que j'aime !
Nous plaçons ici, par l’ordre alphabétique de leurs titres, des notices signalées dans la suite chronologique des lettres. Ces notices (avec l’index des noms) ont permis de limiter l’extension des notes associées aux lettres, en abordant quelques sujets récurrents :
Les mœurs de Mme Guyon (« Affaire Cateau Barbe »),
Le repérage de la correspondance guyanienne disséminée dans celle de Bossuet (« Correspondance éditée par Levesque »),
La description du contenu d’une source essentielle pour connaître Mme Guyon et négligée jusqu’ici (« Divers écrits de Mme Guyon, ms. 2057 »),
Quelques éléments autour d’œuvres de Fénelon qui influèrent sur la vie de Mme Guyon (« Fénelon, Explication des Maximes des saints [1697] »),
L’œuvre d’un contemporain appartenant à l’ordre des carmes, qui exerça une grande influence sur Mme Guyon par Jean de la Croix et Jean de Saint-Samson (« Laurent de la Résurrection et son œuvre »),
Des abréviations et surnoms rencontrés dans les lettres (« Liste d’abréviations et de surnoms »),
La description fine des manuscrits principaux des lettres en vue de faciliter leur repérage (« Manuscrits, descriptions complémentaires [de celles du premier volume] »),
Une liste des sources essentielles qui associées à l’ensemble des quatre volumes de la Vie et de la Correspondance forme le corpus biographique guyonnien (« Relations et autres pièces biographiques »),
Une approche du rapport avec Bossuet par Levesque (« Soumissions et attestations vues par Levesque »).
1. À propos de la lettre « DU CARDINAL LE CAMUS A L’ÉVÊQUE DE CHARTRES. 1697 », Levesque donne les précisions suivantes : « […] [selon] une lettre de M. Tronson, du 14 juillet 1697, au général des chartreux, “Mgr le cardinal Le Camus, dit M. Tronson, lui en a écrit [de Mme Guyon à M. de Chartres] une lettre fort considérable, dans laquelle il lui parle d’une jeune fille nommée Cateau Barbe, qu’elle emmena sans la participation de sa mère.
Je ne sais si cette fille est la même dont vous m’avez mandé l’histoire.” L’authenticité de la lettre de Le Camus a été niée par l’abbé de La Bletterie, de l’Académie des Inscriptions ; mais le témoignage de M. Tronson ne permet pas de douter qu’elle ait été écrite par l’évêque de Grenoble, sans toutefois nous garantir qu’elle n’a été ni altérée ni interpolée (Voir La Bletterie, Lettres à un ami au sujet de la Relation du quiétisme, Paris, 1733, in-8, reproduites dans la Correspondance de Fénelon, t. XI, p. 109-113 ; Mgr Bellet, Histoire du cardinal Le Camus, Paris, 1886, in-8, p. 197 ; Lettres du cardinal Le Camus, éd. lngold, p. 572 ; la discussion de M. L. Bertrand dans la Correspondance de M. Tronson, 1828, t. III, p. 566 à 569 ; l’Apologie du P. La Combe par lui-même, dans la Revue Fénelon, sept. et déc. 1910). Deforis croyait cette lettre écrite en 1696 ; les éditeurs de Versailles l’ont placée en 1695, et Mgr Bellet l’assigne à l’année 1694. Nous nous rangeons à l’avis de M. L. Bertrand, et nous suivons Ledieu, qui l’a datée de 1697. Il est intéressant de rapprocher cette lettre du cardinal Le Camus d’une autre, écrite par le même prélat, le 18 décembre 1695, au janséniste Maille, son correspondant à Rome : “Je n’ai jamais parlé qu’un instant au P. de La Combe, et il n’a demeuré que très peu de temps dans mon diocèse. Pour Mme Guyon, tant qu’elle s’est retranchée à recevoir les sacrements et à donner l’aumône, je l’ai estimée ; mais, depuis qu’elle a voulu dogmatiser et faire des conventicules pour semer la doctrine de Molinos, et qu’elle s’expliqua à un bénédictin de ce qui tendait à l’ordure, je n’en ai plus voulu entendre parler, que pour recommander à mon frère un procès qu’elle avait à Paris, où j’ai écrit de bonne foi, quand on me l’a demandé, ce qui s’était passé sur son compte dans ce diocèse. Je ne connais point et je n’ai aucun commerce avec le P. de Malleval [sic : Malaval]”. (Affaires étrangères, Rome, t. 374, f° 428). » [UL].
2. Un phénomène de contamination a pu avoir lieu si le récit de jeunesse de Vie 1.5.10, ajout du ms. de Saint-Brieuc, p. 155 de notre édition, « Je péchai deux fois avec une fille par des immodesties », est parvenu aux mains de contemporains.
3. En fait, « l’austère cardinal a pris avec les données objectives des libertés […] il subordonnait le sort de Mme Guyon à des intérêts majeurs », nous explique en conclusion Orcibal au terme de sa propre enquête (v. Etudes…, « Le cardinal Le Camus… », 799-817). On trouvera le détail des enquêtes menées dès 1695 par Tronson et aussi par le duc de Chevreuse auprès de Richebracque, ce dernier sous la pression de Bossuet, (Id., p. 812).
Nous avons relevé 53 lettres, témoignages, attestations, soumissions, réparties dans les vol. VI et VII de la Correspondance de Bossuet. Elles se distribuent entre une série principale de lettres et des annexes. L’intrication de ces dernières et l’intérêt d’un apparat critique très informé justifient la description de cette source à l’intention des chercheurs :
Dans la série principale : lettres à Bossuet : no. 921 du 6 octobre 1693, 933 du 22 octobre, 938 du 30 octobre, 986 du 25 janvier 1694, 992 du 29 janvier 1694, 993 du 30 janvier, 994 de février, 995 du 10 février, du 23 février 1694 (UL,VI, p. 159), 1007 du 8 (?) mars, 1083 au même et à Noailles du 25 juillet, 1112 à Bossuet du 3 octobre, 1152 vers le 21 décembre, 1155 du 23 décembre ; lettres de Bossuet : no. 1004 du 4 mars 1694, 1113 du 5 octobre.
Tome VI, app. III, « I, Lettres écrites par Mme Guyon » : renferme, p. 531-565 : 1° Lettre au R. P. de la Motte, son frère, 2° A son fils aîné, 3° A son fils cadet, 4° A son frère, 5° Au même, 6° Au P. La Combe, 7° A dom Grégoire Bouvier, son frère, 8° A d’Arenthon d’Alex, 9° A l’Official de Paris, 10° A l’Official, 11° A l’Archevêque de Paris, 12° A Mme de Maintenon, 13° Mémoire, 14° Au duc de Chevreuse, le 1er octobre 1694.
Tome VII, app. III, « II, Témoignages concernant Mme Guyon » : renferme « les témoignages de diverses personnes… », p. 485-505 : (A) Jean d’Arenthon d’Alex du 29 juin 1683, (B, 1°) Le cardinal Le Camus à d’Arenthon d’Alex du 18 avril 1685, (B, 2°) Le même au duc de Chevreuse du 18 janvier 1695, (B, 3°) Le même à dom Falgeyrat du 3 mai 1685, (B, 4°) Le même à l’évêque de Chartres (extraits) de 1697, (C, 1°) D. Richebracque au duc de Chevreuse du 14 avril 1695, (C, 2°) Le même à Mme Guyon à la même date, (C, 3°) Le duc de Chevreuse à D. Richebracque du 18 avril 1695, (C, 4°) D. Richebracque au duc de Chevreuse du 23 avril 1695, (D) Placet présenté au Roi en faveur de Mme Guyon, (E, 1°) Attestation donnée par les religieuses du la Visitation de Meaux à Mme Guyon, lorsqu’elle sortit de ce monastère le 7 juillet 1695, (E, 2°) La M. Le Picart à Mme Guyon le 9 (?) juillet 1695, (E, 3°) Les religieuses de la Visitation de Meaux à Mme Guyon, le 9 juillet 1695.
Tome VII, app. III, « III, Actes de soumission de Mme Guyon et attestations à elle données par Bossuet », p. 505-520, contient les soumissions A, B, et les attestations C, D. Nous les éditons, mais séparées, en respectant leur ordre chronologique, ordre adopté pour les autres documents de notre volume. L’étude par Levesque, qui forme le début (p. 505) et la fin (p. 516) de la section, est reproduite dans la notice : « Soumissions et attestations vues par Levesque. »
Tome VII, app. III, « IV, Protestation de Mme Guyon », p. 521-524, du 15 avril 1695. Pour la discussion de ces dernières pièces, selon un point de vue bossuétiste, on se reportera à l’annexe : « Soumissions et attestations vues par Levesque. »
Tome IX, App. II, « II, Lettres du P. La Combe », p. 480-488, 1° Le P. La Combe au Général des barnabites, 1er février 1689, 2° au même, pièce en latin.
Le manuscrit 2057 des A.S.-S., intitulé « Divers écrits de Madame Guyon » est un recueil de nombreuses pièces disjointes, de mains et de formats différents, paginées dans certains cas, souvent réduites à des feuillets numérotés.
De nombreux textes ont été écrits au cours des années 1674 et suivantes. Ils sont essentiels pour étudier l'évolution intérieure de la jeune femme. Monsieur Noye a noté que les feuillets 32 à 179 « ne concernaient pas Madame Guyon », abandonnant une attribution plausible à Marie Rousseau, l’inspiratrice d’Olier.
Le Traité du Purgatoire a été édité (par Madame Gondal), ainsi que les pages enlevées de la Vie concernant Fénelon (en premier lieu par Masson, puis intégrées dans notre édition de la Vie), et quelques poèmes de prison (dans notre édition de la Vie). Les autres textes, abondants, n’ont pas été étudiés jusqu'ici. C’est la raison pour laquelle nous donnerons, dans le troisième volume, de nombreux extraits qui éclairent d’une lumière vive la période de formation.
Les écrits de jeunesse sont souvent liés à des retraites, parfois à une tentative — encore maladroite — d’introspection. Il est remarquable de voir l’effort intense pour comprendre un état — traduisant une volonté d’appropriation qui, ne se limitant pas à l’écriture, est combattue par Bertot (v. les lettres de ce dernier dans le premier volume de la correspondance). En tout cas cet acharnement du compte-rendu, parfois monotone à lire, explique la précision admirable des descriptions ultérieures, par exemple de « l’état apostolique » : la formation d’écrivain commence tôt et explique la fluidité du texte des Torrents (1685).
Nous avons décomposé le manuscrit en sections (une analyse élaborée en augmenterait le nombre en divisant certaines d’entre elles, jugées moins intéressantes) :
1° (4 pages). « Conduite de Dieu envers une simple bergère. » 4 mars 1674. (Reproduit dans notre vol. III, section « Témoignages spirituels »).
2° (Autographe. Feuillets numérotés de 3 à 15). « Traité du Purgatoire. » (Ce traité figure dans le second volume des Opuscules spirituels, p. 279 de l’édition de 1720, reproduite chez Olms, 1978. Le texte du manuscrit, accompagné de deux textes plus brefs, est édité et présenté par M.-L. Gondal, Le purgatoire, Millon, 1998).
3° (f° 16 - 21). « Il me semble qu’il est aisé de concevoir qu’une personne qui met son bonheur en Dieu seul, ne peut plus désirer son propre bonheur… ». Il s’agit de la lettre n° 164 adressée à Bossuet vers le 10 février 1694 (la copie a une hauteur de 19 cm environ, hauteur plus réduite que celle de la majorité des autres feuillets ; elle est faite par Bourbon, secrétaire de Tronson).
4° (f° 22 - 28). « État apostolique ». (Très beau texte, repris dans les Discours spirituels, vol. 2, n° 65 : « État Apostolique. Appel à enseigner. » Il s’agirait d’une lettre adressée à Bossuet (car c’est la suite de la copie de hauteur 19 cm environ, faite par Bourbon, secrétaire de Tronson). La fin de la copie est marquée au dos par M. Tronson : « Estat Apostolique de MG ». Nous avons donc reproduit cette lettre à la suite de la précédente, comme ayant été adressée très probablement à Bossuet peu après le 10 février 1694.
5° (f° 32 - 179). Anonyme. [Ces feuillets de moyen format ne concernent pas Mme Guyon, selon I. Noye. Effectivement l’esprit ne correspond guère à ce que l’on peut attendre d’elle. S’agit-il du tout début de sa démarche vers l’intériorité ? L’attribution reste plausible à notre avis pour les feuillets 48 à 51 :
« Vue d’Esprit et de pure foi de Notre Seigneur au jardin des olives. » Mais une telle confirmation d’une partie pose le problème d’attribution pour l’ensemble ; nous avons omis ce long texte anonyme, qui devrait être divisé en plusieurs sections].
6° (f° 179). « Je vins à la fin de l’année 1696 sur la paroisse de Saint-Sulpice… » (L’attribution reste incertaine).
7° (f° 180 – 185) « Le jour de la Transfiguration… » [Ce texte est séparé du suivant par « autre », mais l’ensemble forme un manuscrit écrit de la même main ; reproduit dans « Témoignages spirituels »].
8° (f° 185 –187 v) « Mon état présent… » [« Témoignages spirituels »].
9° (f° 187v-190) « Un chemin fort aride… » [« Témoignages spirituels »].
10° (f° 190-193). « Ces paroles de Job… » [« Témoignages spirituels »].
11° (f° 193v-195v). « Je suis toujours dans le même état… » [« Témoignages spirituels »].
12° (f° 196-197v). « … Pour purifier… » [« Témoignages spirituels »].
13° (f° 197v-200v). « … Un abîme de misères… » [« Témoignages spirituels »].
14° (f° 200v-203). « … Il me semble que je ne suis que misères. » [« Témoignages spirituels »].
15° (f° 203v – 213). De la souffrance. [« Témoignages spirituels », début seul].
16° (f° 214-216). Pensées sur le Gloria Patris. [« Témoignages spirituels »].
17° (f° 216v-219v). « Différentes manières dont Dieu Se sert… » [« Témoignages spirituels »].
18° (f° 219v-223). « Différentes manières de voir en Esprit les choses… » [« Témoignages spirituels »].
19° (f° 223v-228). « La disposition de mon esprit… » [« Témoignages spirituels »].
20° (f° 228-232). « Faisant vers vous selon notre pouvoir… » [écrit adressé peut-être à Ramsay ; « Témoignages spirituels »].
21° (f° 233). « Je prends Monsieur la confiance de vous écrire… » (Lettre de M. G. à M. Tronson du 19 octobre 1696).
22° (f° 234-235). « Devoirs de la créature intelligente envers Dieu son créateur… » [« Témoignages spirituels », début seul].
23° (f° 236 à 239). « Jésus ayez pitié de moi… »[Tout petit format, de l’écriture d’une fille de Mme Guyon, celle de la lettre à M. Tronson. Nous avons reproduit des extraits de ces « cantiques rédigés en prison » dans notre édition de la Vie, p.1041-1042.]
24° (f° 253-260v, puis 240 à 241 de petit format de l’écriture d’une fille de Mme Guyon). « Outre le goût général que j’ai pour votre âme… » (Il s’agit de deux lettres adressées à Fénelon en novembre 1688 et le 2 décembre 1688, éditées dans notre premier volume de la Correspondance.)
25° (f° 242-243v). « Des trois points, savoir l’attention, l’intention et la fidélité… » [« Témoignages spirituels »].
26° (f° 244-260). Trois textes dévotionnels : « Pour la Circoncision, sainteté de Dieu, la mort d’un homme-Dieu. »
27° (f° 261-263). « J’ai tâché de me cacher à moi-même… » (Lettre de l’année 1691 sans destinataire connu. Il ne semble pas qu’elle puisse faire partie de la direction de Fénelon. Elle figure dans l’édition Dutoit, vol. II, lettre 36, p. 93, éditée dans notre troisième volume de la correspondance).
28° (f° 264-266v). « Moi qui suis petite avec vous… » Lettre adressée au cercle des disciples. [« Témoignages spirituels »].
29° (f° 267-268). Lettre : « 1691. Je viens tout présentement de recevoir votre lettre… » D.2.22 de Dutoit, voir notre volume III.
30° (f° 269). « Ne pouvant vous écrire je me sers de la main du premier et du dernier… (ajout : en janvier 1707). Lettre publiée dans notre vol. III.
31° (f° 270-271). « Le soir de la Pentecôte… » [« Témoignages spirituels »].
32° (272-273) Cantiques. « Venez petits oiseaux sous ce sombre bocage… »
33° (274 —) « S’il est vrai que mon cœur veut toujours… » repris par Masson comme étant de Fénelon : selon I. Noye, cette pièce assez pauvre ne serait pas de ce dernier. Nous l’avons cependant reprise comme pièce 313, 16e de Fénelon, dans notre premier volume.
34° (280 r° à 303, un ensemble de très petit format, écrit très serré, à partir du f° 286) Il comporte plusieurs cantiques : « Que ferais-je Seigneur pour éviter les coups… », (280 v°) « Laissez moi pleurer ma douleur… », (281 v°) « Vous me montrez Seigneur cette gloire future… », etc. Très intéressant recueil qui présente la « poésie » de Madame Guyon avant les retouches des éditeurs.)
35° (304 v° -305). « Le dernier de janvier en soupant le soir… » [« Témoignages spirituels »].
36° (305-307). [« Sur l’abandon à Dieu/Lettre de M. de la Verne à son directeur »]
37° (308-309). « Je suis sur la croix très volontairement quoique douloureusement. » (Copie d’une lettre écrite par la demoiselle Marc pendant sa prison…)
38° (310 —). « Abrégé de la vie de Mad. Guyon ». [Écriture de Chevreuse ; « Témoignages spirituels », début seul].
39° (314 à 318 v°, numéroté 739 à 747). “Quelques jours après ma sortie je fus à B [eynes]…” Extrait de la Vie (Ces folios, ont été détachés de la Vie lors de sa communication à Bossuet et rétablis dans notre édition critique, Vie 3.9.10, p. 75 Le cantique intercalé, numéroté 740 à 742, « Que mon cœur est content auprès de ce que j’aime ! », est reporté dans cette même édition à la page 1042.
40° Lettre : Mes Chers enfants (Le ms 2057 se termine sur cette lettre : « Je vous souhaite une bonne année ; elle sera toujours bonne, si nous nous renouvelons dans la charité… »).
La chronologie de la CF établie par Orcibal donne tout le détail des nombreuses allées et venues de Fénelon entre Cambrai et Paris, des pressions et des tractations à Rome, aboutissant à la condamnation de l’Explication des Maximes des Saints (1697) (à ne pas confondre avec l’Explication des articles d’Issy, inédit jusqu’en 1915). Le 13 décembre 1696 Fénelon quitte Versailles. Il revient le 9 février. Du 1er au 5 juin, il est à Versailles ; 18 juin : d'après A. Bossuet, « le Roi a parlé très fortement à M. de Cambrai contre son livre et son obstination » ; Bref papal le 30 juin : selon Bossuet « le nouveau bref lui donne de l'autorité par sa seule ambiguïté » ; 26 juillet : « Le Roi a écrit au pape en représentant vivement le danger que les propositions contenues dans le livre peuvent faire courir à ses sujets… ». 10 septembre : Bref du Pape. 30 décembre : “Il est raisonnable… d'attendre les réponses que fera le prélat [Fénelon] aux arguments qu'on lui a opposés… On n’en poursuit pas moins l’examen de la traduction latine du livre… à chaque audience Bouillon expose avec vivacité l’impatience royale…” ; 26 février 1698 : « Les affaires de Rome ne vont pas bien : elles s'allongent, et les suffrages sont présentement partagés, cinq contre cinq » (Beaufort à l'évêque de Châlons) ; 27 mars, l'évêque de Saintes à celui de Bazas : « L'affaire de M. de Cambrai est devenue quelque chose de fort subtil… Ces livres font aisément perdre l'envie de lire longtemps ».
On se reportera pour l’Explication des Maximes des Saints à son édition « définitive » fournie par J. Le Brun dans : Fénelon, Œuvres I, Bibl. de la Pléiade, 1983, p. 999-1095, ainsi qu’à sa « notice », p. 1530-1549. Par suite de sa condamnation papale, elle « ne figure pas dans les Œuvres complètes de Fénelon éditée aux XVIIIe et XIXe siècles », comme il est indiqué à la fin de la bibliographie donnée dans la « notice », p. 1546. On passe en effet des éditions de 1698, dont celle de Poiret, à l’édition de 1911 par Cherel. Une telle anomalie n’est-elle pas l’une des nombreuses causes de la relative obscurité qui entoura longtemps la querelle quiétiste ? On notera cependant que le texte fidèle de l’Explication… figure dans l’édition des « Œuvres de Fénelon », Didot, 1857, t. II, p. 1-39 : édition certainement « laïque », (reproduite de celle d’Aimé Martin de 1835), mais qui reprend aussi, fidèlement selon notre vérification faite sur les lettres, l’édition de 1820 à 1830 (1827-1828 pour les lettres), par Gosselin, dite « de Versailles ». On sait que, dans sa préface, celui-ci ne reconnaît pas la correspondance « secrète » avec Mme Guyon (respect de la mémoire de Fénelon oblige !), mais il prend activement, de manière toutefois cachée, la défense des quiétistes dans les abondantes « notices des personnages », imprimées en corps fort petit, tome 11, p. 279-374, dont nous nous sommes parfois inspirés. Par ailleurs nous avons vérifié que les lettres de cette excellente édition de Versailles sont, elles, également reprises à l’identique par l’édition de 1851-1852 dite de Paris ou « des quatre éditeurs » (cette dernière donne d’ailleurs leur numéro de 1835 entre parenthèses). L’édition de Paris demeure jusqu’à aujourd’hui la seule complète (sauf pour les lettres, dont l’édition est rendue caduque par celle qu’a procurée J. Orcibal, J. Le Brun, I. Noye) et donc la plus fréquemment référencée. V. aussi DS, art. « Fénelon » (par L. Cognet) fasc. 33, col. 169-170, pour une brève revue, incluant les inédits qui ont vu le jour après 185
On reconnaît aujourd’hui la grandeur de ce frère convers, l’une des rares figures mystiques majeures de la seconde moitié du XVIIe siècle. Mais son « œuvre » est particulièrement mince.
Le Carmel est le courant mystique auquel se réfère le « réseau quiétiste » constitué sur la durée du siècle autour de Jean Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon… Le carme déchaux Laurent est connu et apprécié de Fénelon comme de Mme Guyon ; le grand carme Maur de l’Enfant-Jésus est en relation avec la jeune Mme Guyon (v. les 21 lettres éditées dans notre précédent vol.) ; le carme aveugle Jean de Saint-Samson prend une place majeure dans les Justifications, auprès de Jean de la Croix.
Madame Guyon apporte sur l’œuvre du frère Laurent une information [probablement inexploitée, car demeurée jusqu’ici à l’état manuscrit ; il s’agit des deux « livres de lettres » de Dupuy et La Pialière], à la fin d’une des lettres de décembre 1697, adressées à la « petite duchesse » : “On a supprimé tous les livres du frère Laurent, et il n’y en a plus que six dans tout Paris, possédés par des particuliers. […] ils en ont fait imprimer un autre en la place, pour surprendre, qui n’a rien de ce qu’avait l’autre. En voici l’intitulé : Maximes spirituelles et utiles aux âmes pieuses pour acquérir la présence de Dieu, recueillies de quelques manuscrits de frère Laurent, etc., au Bon Pasteur.” Cet intitulé est-il celui de l’édition supprimée ou de l’« autre » ? Une édition « au Bon Pasteur », de 1692, à Paris, chez Edme Couterot, 188 pages, nous est parvenue ; suivront à Châlons, en 1694 les Mœurs et entretiens de 92 pages ; puis il faut attendre l’édition de Wettstein conseillé par Poiret, de 1699, enfin celle de Poiret seul, de 1710… qui reprennent les précédentes. (v. Conrad de Meester, Frère Laurent…, Paris, Cerf, 1996, p. 22-27).
Les Maximes spirituelles que nous possédons sont courtes (25 pages dans l’éd. de Conrad de M.). Nous sont parvenues aussi des Lettres, des Entretiens, la Pratique de l’exercice de la présence de Dieu, (au total 90 pages dans la même édition). Mais les Entretiens sont un « composite Laurent-Beaufort » et la Pratique un « condensé de la doctrine du frère Laurent », nous dit Conrad de Meester. On doit donc considérer l’« œuvre » qui nous est parvenue avec prudence, compte tenu de son éditeur, grand vicaire de M. de Châlons. Quoi qu’il en soit, elle n’en demeure pas moins un joyau mystique du siècle.
La liste qui suit est incomplète et parfois incertaine…
b., marquis, bon marquis = Le M. de Charost
B [on] pa [pa] = Louis XIV
Ba, bar, Baraquin = le diable
Ben = bénédictines.
c [omtesse], bonne c [omtesse], Lbc, (v. Col) = comtesse de Morstein.
C. de V. = Curé de Versailles (Hébert)
Cal.= L'abbé de Beaumont (v. panta) ? Pourrait aussi désigner L’Echelle ?
Chi. = le « chinois » (non identifié) ou le « chien ».
Christophlets = adeptes de l’effort, disciples de saint Christophe.
Col, la Col, Colom, Colombe = comtesse de Morstein.
D de Ch. = d [uchesse] de Ch [evreuse].
dom, dom al., al = père Alleaume.
doyenne des d [uchesses] = duchesse de Béthune ?
Enfants = disciples du petit maître.
Eud [oxie], (v. Mad. de M.) = Madame de Maintenon.
f [rère] le chantre
f [rère] paquebot
famille = Marie de Lavau, au service de Mme Guyon.
gros enfant, M. de pihal. = La Pialière, gentilhomme normand (et copiste).
l b c = la bonne comtesse : Mme de Morstein ?
le M. de C.
L’aumônier = L’abbé de Charost.
la bonne nonne = M. de Sassenage.
Le Bon, Lb, le B., le bd, mon b., M. de B. = duc de Beauvillier.
Le ch., le grand ch., le g. Ch. = La duchesse de Charost ?
Le petit ch. = fille du grand ch.
Le p. arch.
m p d, m b p d = ma bonne petite duchesse (de Mortemart, Marie-Anne).
b d = bonne duchesse (de Mortemart, Marie-Henriette).
mon bon : v. Le Bon
M d B, Madame de B, M l de B = Madame la duchesse de Béthune, Madame de Béthune.
M. f. = M. de F [îtes] ?
M. de Ch., M. de char. = M. l’évêque de Chartres.
M. de cha. = M. l’évêque de Châlons (Noailles).
M. de m., M. de M. = M. de Meaux (Bossuet).
M. de mors. = M. de Morstein.
M. de P. = M. de Paris (Harlay puis Noailles).
M. de V. = Hébert ?
M. des ch. = ecclésiastique qui demeure à Vaugirard.
M. le curé = curé de Versailles (Hébert) ou de Saint-Sulpice (La Chétardie à partir de 1696).
M. le Ch. = le chevalier de Gramont.
M. tron, M. tronçon = M. Tronson.
M. B., m. B., m. b. = M. Boileau et aussi : « mon bon », Beauvillier.
Ma B et Ch. = Ma bonne et chère [Comtesse].
Mad de B. = Madame de Beauvillier.
Mad de M. = Madame de Maintenon.
Mad de Mors. = Mad de Morstein.
Mad. de cha. = la duchesse de Charost.
Mad. de Mort. = Madame de Mortemart.
Mar. = La Marvalière ? (Il sera secrétaire des Michelins).
marc, petite marc = Françoise Marc, au service de Mme Guyon.
Michelins = les disciples de saint Michel.
Mr Thev = Thevenier.
N. S., n. s., ns, = Notre Seigneur
Nicolas = Nicolas de Béthune-Charost
No. = Noailles
p. p. ou pp. = petit prince
d. d. p. = dame du palais
p a de Ch = père Abbé de Charost (l’aumonier de l’ordre des Michelins)
p C = petite Comtesse
p d, la p d, petite d = la « petite duchesse » de Mortemart
p l c, p l C = père Lacombe (ou La Combe)
p m = petit Maître (très exceptionnellement : petite Marc)
p. de la m. = père de la Motte (Dominique)
panta [leon] = Pantaléon de Beaumont.
Put, p = Dupuy
py, M. Pyrot = M. Pirot
S B, St B., bi, bi bi, G., Général, père général, M. de C. = Fénelon
sœur de la croix = sœur Sainte-Croix, la dévote de M. Boileau = Marie Dalmeyrac = sœur Rose
T, Tut [eur] = duc de Chevreuse
Vin. = prison de Vincennes
Ces descriptions détaillées complètent les sources décrites au début du premier volume, éclairent l’histoire des livres de lettres, et pourraient s’avérer utiles par la suite pour localiser ces sources.
Les archives, en possession des A.S.-S. depuis 1802, contenues dans des « cartons », furent récemment mises en ordre, montées sous onglets et reliées en volumes. Chaque pièce fut numérotée : les numéros inférieurs à 6500 furent réservés au fonds « Fénelon », les numéros suivants 6500 furent réservés au fonds « quiétistes », les numéros suivant 7000 furent réservés au fonds « Guyon », etc. Les volumes sont repérés par les numéros de pièces indiqués sur leurs dos. Un numéro représente un manuscrit d’extension très variable, allant du billet au cahier de lettres.
Fonds Fénelon, volumes XI1 & 2.
Ces deux volumes de reliure verte comportent de nombreuses pièces relatives à Madame Guyon, dont une quinzaine d’autographes de cette dernière : elles ne furent pas négligées par l’éditeur de la Correspondance de Fénelon de 1827-1828 : on retrouve en effet, sur la majorité des pièces, en haut à droite, d’une forte encre noire, l’indication des numéros des lettres de la « Section VI. Correspondance sur l’affaire du quiétisme » commençant au tome septième de 1828. (On note que cette édition est soigneuse, mais omet [rarement] des paragraphes importants de lettres de Lacombe). Cette source nous était inconnue lors des descriptions fournies au début de notre premier volume. Quelques lettres isolées de Mme Guyon ont été retrouvées dans d’autres volumes du même « fonds Fénelon ».
Base informatisée :
Nous avons constitué une base de données (tenue disponible après accord des A.S.-S), couvrant la correspondance guyanienne conservée aux archives de Saint-Sulpice, soit les trois livres de lettres (Dupuy, La Pialière, le marquis de Fénelon) ainsi que l’ensemble des pièces séparées, autographes et copies du fonds « Guyon » (augmenté de pièces guyoniennes du fonds « Fénelon » dont en particulier celles des vol. XI 1 & 2).
Utilisation des Livres de lettres :
L’accord est excellent entre la copie de Dupuy et celle de La Pialière : nous avons relevé, sur le long texte adressé à la petite duchesse en mars 1697 (« je ne crains point que le prêtre me trahisse… »), une seule et légère correction par Dupuy, absente de La Pialière (v. la variante « b » à cette lettre). Aussi nous relevons souvent le texte sur La Pialière, ce que l’on observe par les numéros des pages donnés entre crochets, mais nous vérifions toujours les points obscurs sur Dupuy. Celui-ci est en effet plus sûr, mais son écriture est difficile. Il a vérifié La Pialière, ce que montrent quelques annotations portées sur le livre de ce dernier, outre la table finale des abréviations de sa main. Bien entendu Dupuy ou La Pialière ne sont utilisés qu’à défaut de source autographe ou qu’en cas de grande difficulté de lecture : Dupuy déchiffre mieux que nous les autographes de Madame Guyon… Enfin le livre du marquis de Fénelon se situe à part et malheureusement constitue souvent la seule source disponible. Son écriture « de militaire » est difficile et très serrée.
Livre des lettres de Dupuy : cartonné gris, titre de la tranche : « Lettres de M. Guyon au duc de Chevreuse » ; dos de couverture : « E. Levesque/6 rue du Regard » ; f° suivant : « À 3me série, n° 7 » ; f° suivant : « Lettres de Madame Guyon à Mr le duc de Chevreuse/Cette copie est de la main de M. Dupuy/Mme Giac » ; f° 2 : début de la première lettre « Il m'est venu fortement au cœur… » ; suivent les folios numérotés, à l’encre forte, en bas à droite : 3 à 229 (il existe aussi une numérotation des pages, au crayon fin, en haut à gauche, que nous n’avons pas utilisée ; nous signalons ici son existence, car une erreur de référence est possible) ; le f° 229v° se termine par une lettre interrompue : « … j'espère que le ». Il y a donc des folios manquants et le livre de La Pialière décrit ci-après va plus loin ; dernier f° : « Lettres de Me Guyon appart. à la succession de Me de Giac » qui eut lieu au milieu du XVIIIe s.
Livre des lettres de La Pialière : relié rouge, titre de la tranche : « Fonds Guyon, pièce 7233 » (c’est une grosse pièce) ; à l'intérieur, au crayon, en page de garde : « Ms. 2173 » ; en deuxième page de garde l’ancienne couverture : « 7e carton (cachet : 7233) 10bis/ Lettres de Mde Guyon au duc de Chevreuse 1693 et suiv. / (quelques mots biffés) Copie » ; ancienne page de garde : « (7233) (Quelques annotations sont de la main de Mr Dupuy, v. p. 1, 23, 114, 183, etc.) Copies pas très exactes. » ; feuillet suivant : « XVIe carton no. 18/ Lettres de Mad. Guyon a m. le duc de Chevreuse. années 1693, etc. / originaux » ; enfin première page « i » du premier feuillet : « Le 2. juillet 1693 (souligné)/ Il m’est venu fortement au cœur de vous prier M. [surmonté de l’addition par Dupuy : « Au tuteur ») d’éclaircir à fond l’affaire… » ; suivent les pages « ii » à 204 se terminant par la lettre de “may 1698 […] ce que j'ai fait.” ; la page 205 porte une utile liste des abréviations et de leur signification établie par Dupuy.
Livre des lettres du marquis de Fénelon : relié rouge, titre de la tranche : « Fonds Guyon pièce 7417 » ; « Ms. 2176 » au crayon en page de garde ; feuillet suivant : « 7e carton Lettres diverses de Mme Guyon » ; f. suiv. : « XVIe carton Lettres diverses… » ; f. suiv. : « Copies de lettres de quelques trans à la mère des enfants du p. m. avec des réponses de cette bonne mère. » ; écrits de la main du marquis : les folios 1 à 38, 65 à 75, 77 à 83 (pages de poèmes en deux colonnes d’une petite écriture), 89 poème de six vers, 93 à 195. Les autres folios sont vierges.
Plutôt que de donner une bibliographie extensive, nous signalons des sources venant en complément des matériaux biographiques livrés par nos éditions de la Vie et de la Correspondance. En se limitant à Madame Guyon seule — témoignages de ses relations directes, objections qu’elle aura le plus souvent lues — on peut se limiter à quelques textes d’époque.
Outre les Œuvres et les Correspondances de Fénelon et de Bossuet, on consultera (les références moins essentielles sont données entre parenthèses) :
Nicole, Réfutation des principales erreurs des quiétistes […], Paris, 1695.
(J. Grancolas, Le Quiétisme contraire à la doctrine des sacrements […], Paris, 1695.)
Bossuet, Relation sur le Quiétisme, Paris, 1698.
Le Masson, Éclaircissements sur la vie de Messire Jean d'Aranthon d'Alex…, Chambéry, 1699.
(La Bruyère, Dialogues […] sur le quiétisme, Paris, 1699.)
(Ramsay, Histoire de la vie de Messire François de Salignac de la Mothe-Fénelon […], La Haye, 1723.)/Phelipeaux, Relation…, Paris, 1732./Dupuy, Relation du différend entre Bossuet et Fénelon, A.S.-S., ms. 2046. /(Hébert, Mémoires…, Paris, 1927.)/Saint-Simon, Mémoires.
UL, tome VII, appendice III, section III, « Actes de soumission de Mme Guyon et attestations à elle données par Bossuet. » contiens les soumissions A, B, et les attestations C, D. Nous avons respecté leur ordre chronologique, ordre adopté pour les autres documents de notre volume (v. “Soumission « A ». 15 avril 1695.”, etc.). L’étude par Levesque, bossuétiste, érudit précis, est constituée du début (p. 505) et de la fin (p. 516) de sa section. Nous en donnons la plus grande partie, dont certaines de ses notes, placées ici entre crochets. Nos propres remarques et références aux n° de pièces sont placées entre tirets.
“Retirée à la Visitation de Meaux, Mme Guyon ne devait recouvrer la liberté qu’après avoir souscrit des actes témoignant de la pureté de sa foi, dont Bossuet avait été constitué juge. Ce n’est qu’au bout de six mois environ, qu’elle parvint à satisfaire le prélat. […]
“Au cours de sa réclusion à Meaux, il est question de six ou sept actes de soumission, dont quatre furent signés par elle et, comme tels, acceptés par son juge [note : Lettre du 6 juillet 1695 — n° 300 dans ce volume — Ms. Dupuy, f° 190, pour Levesque, qui utilise les numéros portés en haut à gauche du ms, — f° 146 pour nous qui utilisons les numéros portés en bas à droite du même ms. -]./ « Outre les trois actes de soumission, il y avait une déclaration du 15 avril, dont Phelipeaux (p. 163) nous a conservé le texte — n° 487 —. Cette déclaration, selon Mme Guyon, aurait été d’abord acceptée par Bossuet, et ensuite rejetée par lui. [note : Il y a, écrit Mme Guyon, un acte « dont j’envoyai la copie de ma main, et je ne l’ai plus : c’est celui où il me fait déclarer que je n’ai point vu M. de Grenoble avec le Prieur de Saint-Robert. Il ne veut plus à présent de cette déclaration » (Lettre du 11 juin 1695 — n° 285 du 2 juin selon nous —, Ms. Dupuy, f° 187 — f° 143 pour nous —)] ; cependant il en a inséré à peu près textuellement la plus grande partie dans celle qui porte la date du 1er juillet [note : Depuis les mots : « Je supplie ledit seigneur évêque de Meaux… » jusqu’à : « … jamais entré dans l’esprit. » Voici la partie qui fut laissée de côté, sans doute parce qu’il y est fait allusion à des choses dont on ne voulait plus tenir compte, ou qu’on avait renoncé à approfondir : ‘Je déclare en particulier que les lettres qui courent sous le nom d’un grand prélat (M. de Grenoble), ne peuvent être vraies, puisque je ne l’ai jamais vu avec le Prieur de Saint-Robert, qui y est nommé, et je suis prête à jurer sur le saint Évangile que je ne l’ai jamais vu en un même lieu, et affirmer sous pareil serment les autres choses contenues dans la présente déclaration. Fait à Meaux, au dit monastère de Sainte-Marie, ce 15 avril I695.’ Le même jour, Mme Guyon écrivit une longue protestation qui fut déposée chez un notaire — n° 485 —]
Enfin, il y avait une soumission que nous ne possédons plus en son entier, et que Mme Guyon, en mai 1695, avait souscrite au bas de l’Ordonnance et Instruction pastorale de l’évêque de Meaux, en date du 16 avril [note : ‘Il est venu, je lui ai témoigné tout le respect possible ; il m’a demandé de signer sa lettre pastorale, et d’avouer que j’ai eu des erreurs qui y sont condamnées… Il l’a prise (la soumission) ; mais, ne la pouvant lire, il me l’a rendue. Je la lui ai lue ; il m’a dit qu’il la trouvait assez bien ; puis, après l’avoir mise dans sa poche, il m’a dit : « Il ne s’agit pas de cela : tout cela ne dit point que vous êtes formellement hérétique, et je veux que vous le déclariez… » (Lettre de mai 1695, ms. Dupuy, f° 180, r° et v°) — n° 279 —]. Mal renseigné sur les circonstances dans lesquelles cet acte avait été donné, et croyant qu’il avait été, comme d’autres actes de Mme Guyon, dressé par Bossuet, Fénelon, bien qu’il ne fût pas revêtu de la signature de l’évêque de Meaux, en fit état dans sa Réponse à la Relation sur le quiétisme : ‘… M. de Meaux, dit-il, lui dicta encore ces paroles dans sa souscription à l’ordonnance où il censurait les livres de cette personne : “Je n’ai eu aucune des erreurs expliquées dans ladite lettre pastorale, ayant toujours eu l’intention d’écrire dans un sens très catholique, ne comprenant pas alors qu’on en pût donner un autre. Je suis dans la dernière douleur que mon ignorance et le peu de connaissance des termes m’en ait fait mettre de condamnables. “[note : Réponse à la Relation, ch. 1.] Bossuet, dans sa réplique [note : Remarques sur la Réponse, art. II, § v (Lachat, t. XX, p. 195).], déclara cet endroit ‘inventé d’un bout à l’autre “, insinuant que l’invention était de Fénelon lui-même. Pourtant ce prélat ne faisait que rapporter un acte dont Bossuet pouvait à bon droit nier l’autorité, puisqu’il ne l’avait pas agréé, mais dont il aurait pu se rappeler l’existence, puisque c’était un des projets de soumission que Mme Guyon lui avait présentés, et qu’il l’avait mis dans sa poche [note : Voir la riposte de Fénelon, Réponse aux Remarques, etc., VIII ; v. Bossuet, Dernicr éclaircissement, art. I (Lachat, t. XX, p. 448 et 449).].
‘Mais il y a des actes dont l’existence ni l’autorité n’ont été niées par personne ; ce sont ceux que nous allons reproduire. Ces documents ont été publiés d’abord, les trois premiers par Phelipeaux (t. l, p. 166 et suiv.), et le quatrième par Fénelon dans sa Réponse à la Relation de Bossuet (ch. I). Nous les donnons d’après le registre de Bossuet conservé à Saint-Sulpice, cahier in-4, de dix folios, recouvert d’une reliure du XVIIIe siècle — il s’agit du ms. 2134 —. Les quatre premiers folios et le recto du cinquième contiennent trente-trois des articles d’lssy. En haut du folio 5 v°, on lit le trente-quatrième article, avec la signature autographe de Bossuet ; puis, sans intervalle, commence la première soumission de Mme Guyon [note : Celle du 15 avril, contenant son adhésion aux articles d’Issy.], de la main d’un secrétaire, continuée au recto du folio 6, avec signature autographe. La soumission du 1er juillet, de la même main que la précédente, est contenue au folio 6, r° et v°. La première attestation, signée de Bossuet et de Mme Guyon, se lit au folio 7 r°, et d’une autre main que les documents précédents ; la seconde, signée de Bossuet et contresignée de Ledieu, est au folio 7 v°, et de la même main que la première. Les folios 8, 9 et 10 sont restés en blanc.
[suivent l’édition des pièces A, B, C, D, puis la « conclusion » suivante :]
Dans sa Vie (t. III, p. 226 à 229) — Vie, 3,19 —, Mme Guyon a raconté qu’après lui avoir donné une attestation qui la déchargeait, Bossuet lui en avait fait tenir une autre, en réclamant la première ; jugeant la seconde insuffisante, elle ne consentit pas à se dessaisir de la première. Ce point a été l’objet de discussions assez vives [note : Voir Crouslé, Fénelon et Bossuet, Paris, 1895, in-8, p. 64 et suivantes ; Ch. Urbain, dans la Revue d’histoire littéraire, 1895 ; H. Brémond, Apologie pour Fénelon, Paris, 1910, in-18, p. 138 à 148, et le compte-rendu de cet ouvrage fait par M. E. Levesque dans la Revue Bossuet, juin 1911], et, malgré tout, il est resté obscur. La raison en est que les témoignages sur lesquels on s’appuie, rendus parfois longtemps après l’événement, manquent de précision et doivent recéler quelque part d’erreur. Les documents officiels eux-mêmes ne portent pas leur date véritable, et celle-ci ne peut plus aujourd’hui être établie avec certitude. La Vie de Mme Guyon, du moins pour les faits qui nous occupent, a été écrite assez tard, et l’auteur, à distance, a pu faire des confusions qu’il serait injuste de taxer de mensonge. Bossuet (Relation, sect. III) dit que l’attestation délivrée par lui à Mme Guyon était du 1er juillet 1695, et qu’il partit le lendemain pour Paris, alors que sa présence à Meaux est constatée le 3, et qu’une de ses lettres, du 16 juillet, permet de conclure qu’il n’arriva à Paris que le 8 juillet. Le plus souvent, il parle de ‘l’attestation qu’il a donnée à Mme Guyon. [note omise]. Quant à Phelipeaux, il ne mérite pas une foi aveugle, bien que son récit, voisin des événements, ait reçu en 1701 l’approbation de Bossuet (Ledieu, t. II, p. 214 et suiv.). Ne dit-il pas (p. 165) que le sacre de Fénelon eut lieu le 10 juin, et que c’est seulement après cette cérémonie que Bossuet travailla à en finir avec Mme Guyon, alors que l’archevêque de Cambrai fut sacré le 10 juillet, et qu’à cette date, les soumissions de Mme Guyon avaient été acceptées par Bossuet ? À l’en croire, c’est par bonté d’âme que ce prélat, agissant en simplicité et sans défiance, donna l’attestation où sa signature précède celle de Mme Guyon (p. 512), et on a vu que la dame se plaignit qu’on lui eût fait signer cette nouvelle pièce. Il raconte que c’est le 11 juillet, que, sur la route de Paris, il rencontra les amies de Mme Guyon qui venaient la chercher à Meaux ; or Mme Guyon avait quitté la Visitation le 9 (v. p. 503).
‘A raisonner sur des documents si peu exacts, on doit craindre de n’arriver pas à la certitude sur tous les détails. Nous allons pourtant essayer d’y faire un peu plus de lumière. Pour cela, nous recourrons aux lettres écrites au jour le jour par Mme Guyon, avant que son imagination ait eu le temps de dénaturer les faits. Malheureusement la date de ces lettres n’est pas sûre : tantôt elles portent celle du jour où elles furent écrites, et tantôt celle de leur réception. Nous nous aiderons surtout des documents signalés par M. E. Levesque dans la Revue Bossuet, soit le registre de l’évêque de Meaux et, de plus, une copie du certificat corrigé, daté du 1er juillet 1695. Cette copie, conservée aussi à Saint-Sulpice, porte la signature autographe de Bossuet et le contreseing de Ledieu.
Pour faciliter la discussion, nous désignerons par C — n° 491 — l’attestation signée à la fois par Bossuet et par Mme Guyon (p. 512 et 513), par D — n° 490 — le certificat daté du 1er juillet, avant la rature, soit en premier état, et par D2 ce même certificat après la rature, ou en second état (p. 514 et 515).
On ne saurait douter qu’après avoir remis à Mme Guyon un certificat, soit D en son premier état, Bossuet ne l’ait réclamé en échange d’un autre. En effet, dès le 3 juillet, Mme Guyon écrivait : « Il m’est venu dans l’esprit qu’il ne fallait pas rendre à M. de Meaux un papier que le Petit Maître avait comme forcé M. de Meaux de me donner, et je vois que c’est aller contre sa volonté de le lui rendre ; car, si les autres ne voient pas la différence du dernier au premier, je la sens tout entière » (Ms. Dupuy, f° 165 v° — n° 315 —). Et le lendemain : ‘S’il n’a pas la décharge qu’il m’a donnée et qu’il veut ravoir, il n’y a sorte de persécutions qu’il ne me fasse pour la lui rendre. « (Ibid.) — n° 303 — ; et le 6 (?) : ‘M. de Meaux vient de venir quérir la décharge qu’il me donna hier, disant qu’il m’en apportait une autre’, etc. (f° 185 v°) — n° 300 —.
Mais quelle est la pièce que Bossuet voulut faire accepter à la place du certificat primitif ? Mme Guyon dit que ce fut C, et elle transcrit dans sa Vie ce document, sous le titre de seconde attestation, avec la seule signature de Bossuet, tandis que, dans le registre officiel, cette pièce est placée avant D et porte la signature de Mme Guyon au-dessous de celle du prélat, et il en est de même dans le récit de Phelipeaux.
Faut-il croire que c’est D2, ou le certificat en second état, après la rature ? Cette hypothèse, malgré sa simplicité, comporte trop de difficultés. D’abord, il faudrait expliquer comment Mme Guyon s’est méprise à ce point. D’un autre côté, Bossuet n’aurait pas laissé D2 entre les mains de Mme Guyon, puisqu’elle ne lui rendait pas D. Dès lors, que faut-il donc entendre par ‘les attestations’ qu’elle avait de lui et dont il envoyait copie à son neveu (lettre du 14 juillet 1698) ? Rien, sinon D et C ; d’ailleurs, Phelipeaux dit que ces deux actes furent remis à Mme Guyon.
D est un certificat pur et simple, et, comme tel, est signé de Bossuet seul ; C, au contraire, offre un double caractère : de la part de Mme Guyon, c’est une nouvelle déclaration de ses sentiments ; voilà pourquoi elle l’a signé de la part de Bossuet, c’est une sorte de certificat et c’est ce qui explique qu’il porte aussi la signature du prélat.
Or, voici comment les choses ont pu se passer. Bossuet, dans les derniers jours de juin, avait soumis à Mme Guyon le projet de la déclaration datée du 1er juillet. Lorsqu’il vint, le 2 juillet, chercher cette pièce qu’elle avait signée, il lui remit le certificat D (autrement, elle se serait plainte à ses amis, comme elle l’avait fait après la signature de sa première déclaration, voir page 509) ; mais, en même temps, il lui fit signer, après une simple lecture, la pièce C, qu’il avait préparée le 1er juillet, ainsi qu’il ressort de sa lettre du même jour à Mme d’Albert [note : ‘Vous en dites trop en assurant, sur le sujet de Mme Guyon, que mon discernement est à l’épreuve de toute dissimulation. C’est assez de dire que j’y prends garde, et que je tâcherai de prendre des précautions contre les dissimulations dont on pourrait user’ (plus haut, p. 147).]. Il lui en rapporta une copie quelques jours après : en effet, elle a eu en sa possession cette copie, puisque Phelipeaux le dit et qu’elle l’a insérée dans sa Vie, et pourtant, le jour où elle l’a signée, elle n’en avait pas le texte (Ms. Dupuy, f° 185).
Il faut donc croire que, malgré la date qu’il porte, C a été fait postérieurement à la déclaration précédente datée du 1er juillet ; car, s’il en était autrement, on ne comprendrait pas que, d’une part, tous les détails sur lesquels on exigeait la soumission de Mme Guyon, et, d’autre part, tous les points sur lesquels devait porter l’attestation donnée en échange, n’eussent pas été notés sur un seul et même acte. On ne comprendrait pas davantage pourquoi il y aurait du même jour deux actes de cette nature.
Et cette hypothèse est d’autant plus vraisemblable que le texte de C n’est pas de la même main que tout ce qui précède dans le registre, notamment les deux déclarations de Mme Guyon du 15 avril et du 1er juillet, textes évidemment transcrits à l’avance et non au moment même où Mme Guyon les signa. Si la déclaration datée du 1er juillet, et C (qui est plus court) sont en réalité du même jour, comment se fait-l qu’ils ne soient pas de la même main ?
On conçoit fort bien, du reste, que D (qui est de la même main que C) ait été transcrit sur le registre à la suite de C et hors de la présence de Mme Guyon, à qui il avait été délivré au moment où elle venait de signer cette dernière pièce.
Bien que D fût en réalité postérieur à C, Mme Guyon, à qui, dans cette hypothèse, il aurait été remis tout d’abord, a pu le qualifier de première décharge, et ainsi s’explique la place qu’elle lui a plus tard donnée dans sa Vie. Et voilà aussi pourquoi, dans cet ouvrage, C porte la seule signature de Bossuet : c’est que Mme Guyon transcrit purement et simplement la copie qui lui avait été remise par le prélat, et à laquelle elle n’avait point apposé sa signature.
Enfin on peut se demander pourquoi Bossuet a voulu faire accepter D2 en échange de D, et pourquoi, avant même que l’échange eût été consenti, il a pratiqué sur son registre une rature de cette importance. Faut-il voir là un scrupule de lettré désireux d’éviter la répétition des mots : ‘nous l’avons trouvée’ [v. le fac-similé, p. 514 [de UL]] ? On pourra dire aussi que Bossuet, s’étant vite repenti d’avoir donné à Mme Guyon un certificat si avantageux, a voulu en atténuer la portée. Car, outre que : ‘il ne nous a pas paru qu’elle fût impliqué’ est moins affirmatif que : ‘nous ne l’avons pas trouvée impliquée, les mots ‘en aucune sorte’ et ‘ou autres condamnées ailleurs’ retranchés en D2 rendaient cette dernière décharge moins favorable à Mme Guyon.
Quoi qu’il en soit, quand il parle du certificat donné à cette dame, Bossuet [note : Dans une lettre à M. Tronson, le 30 septembre 1695, où encore il fait en même temps allusion à la première formule : ‘Je déclare que je n’ai rien trouvé en elle sur les abominations de Molinos, qu’elle m’a toujours paru détester’. (plus haut p. 217)] fait à peine allusion à D2 ; c’est à D qu’il se réfère, soit qu’il le résume dans sa lettre à son neveu, du 14 juillet 1698, soit qu’il le cite dans sa Relation, art. III, en s’arrêtant, il est vrai, aux mots : ‘dans laquelle nous l’avons trouvée’, c’est-à-dire à l’endroit où D diffère de D2.
À telle fin que de raison : ‘à toutes fins utiles’ (1655).
Absorbement : rare, synonyme d’absorption pour ‘extase, ravissement’ chez Suso (trad. 1586).
Air : façon d’être, atmosphère propre à un lieu, à une activité, se retrouve dans l’air de la Cour, l’air du bureau (militaire, XVIIe s., Retz)
Apostume : Un abcès, une tumeur purulente. Au XVIIe siècle apparaît l’expression métaphorique crever, découvrir l’apostume qui signifie ‘mettre au jour ce qui était caché et honteux’.
Appéter : sens large de ‘désirer, rechercher’, ne s’employait plus au XVIIe siècle que dans un contexte didactique et scientifique, en parlant de choses.
Aucun : prend une forme négative en adjectif employé dans une phrase comportant ne.
Avérer : ‘faire reconnaître pour vrai’. Devenu archaïque.
Aveu : le sens d’autorisation’ est encore vivant au XVIIe s.
Boite : vin en boîte, vin bon à boire : ‘ce vin est trop vert, il ne sera dans sa boîte que dans trois mois’ Furetière.
Capable : emprunté au latin chrétien capabilis ‘qui peut contenir’, au sens figuré ‘qui peut comprendre.’
Caractère : mot repris du latin chrétien dans sa spécialisation ‘marque spirituelle et ineffaçable qu’impriment les sacrements’.
Carreaux : Les carreaux de la foudre, substance solide imaginaire qu’on croyait, au commencement du XVIIe s. lancée par la foudre, et qui tuait ainsi ceux qu’elle frappait comme un carreau d’abalète. Littré.
Compatir : ‘demeurer ensemble en même sujet sans se détruire l’un l’autre : l’eau et le vin se peuvent mêler et compatir ensemble. » Furetière.
Complice : le mot est dérivé de complecti « enlacer étroitement et de plectere “entrelacer”. Repris avec la spécialisation péjorative, le mot est resté plus rare avec le sens neutre de “compagnon, ami.”
Confus : “embarrassé, couvert de honte” dont la valeur tend à se dévaluer (1640), le mot entrant dans des formules de politesse ; aussi : confondre.
Considération : représente le latin consideratio “examen attentif.”
Consistance : d’abord synonyme de “matière”, est attesté depuis 1580 au sens d’“état de ce qui est ferme, solide”, d’abord avec la valeur d’ “immobilité, stabilité”, puis en parlant d’une chose abstraite.
Converser avec : le sens de “fréquenter quelqu’un” est attesté jusqu’au XVIIe s.
Coulpe : le mot demeure un terme de théologie désignant la faute.
Coureuse : une valeur correspond au sens galant du terme, péjoratif.
D’abord : Dès l’abord, tout de suite. “incontinent, aussitôt”.
D’abord, d’abord que : dès le début (1655) puis “en premier lieu” et “essentiellement”.
Débiter : (av. 1615) “raconter, détailler en récitant” : loin d’avoir la valeur péjorative actuelle, il était alors accompagné d’un adverbe de qualité avec le sens de “dire (bien ou mal) ce qu” on raconte, réciter (agréablement ou pas) ».
Déchet : premier sens de perte. Littré cite Bossuet : « Sans [la retraite], vous ne trouverez jamais que du déchet en votre âme, du désordre dans votre conscience… »
Désister : désister de, « renoncer à quelque chose » Archaïque : à la fin du XVIIe siècle, seul subsiste le pronominal se désister pour réaliser ce même sens « renoncer à, abandonner ».
Dévoiement : un vomissement, une indigestion (1538), la diarrhée (1680), acceptions médicales sorties d’usage.
Discipliner : a d’abord le sens de « châtier, mortifier corporellement » qui correspond à l’ancien emploi de discipline, et, dès la fin du XIIe s., le sens de maîtriser.
Echets : absent de Rey ou Littré mais la forme « eschès » pour échecs est attestée dans Renart le nouvel v.2489, éd. H. Roussel, 1961.
Ecrivain : seulement au XVIIIe s. un auteur qui se distingue par les qualités de son style.
Enlever : signifie aussi (1655) « priver de (quelque chose) » avec un complément nom de personne, et aussi « enthousiasmer ». Signer : par extension, signer s’emploie aussi pour « approuver ».
Ennui : s’est dit jusqu’à l’époque classique pour « tristesse profonde, dégoût », d’où ennui de vivre.
Ennuyer : « causer des tourments, être insupportable », sens dominant jusqu’à l’époque classique.
Entretenir : dans son premier emploi « se soutenir mutuellement », puis « tenir dans le même état, faire durer, maintenir »
Espèces : Furetière 6e entrée – sens général de « catégorie, sorte », d’où en philosophie espèces sensibles, espèces intelligibles. . Et par extension, représentation ; cf. latin classique, species « vue, regard ».
Etrange : épouvantable, terrible, scandaleux ; hors de la réalité habituelle
Exacteur : emprunté au latin exactor « celui qui exige une créance » Exercice : « peine, tourment » (1685) sorti d’usage.
Flatter : d’abord, au figuré, a signifié « chercher à tromper en déguisant la vérité » d’où à l’époque classique se flatter « se bercer d » illusions » (av. 1559), aujourd’hui flatter quelqu’un de quelque chose « laisser quelqu’un faussement espérer » (1669).
Fontanges : du nom de la duchesse de Fontanges qui noua ses cheveux d’un ruban au-dessus du front : la coiffure plut au roi.
Frénésie : maladie qui cause une perpétuelle rêverie avec fièvre (Furetière).
Friande : avide, ardent au plaisir.
Garde-noble : droit qu’avait le survivant de deux époux nobles, de jouir du bien des enfants, jusqu’à un certain âge de ceux-ci (Littré).
Grièveté : a été remplacé par « gravité ».
Grossièrement : d’abord « sans complication », signifie ensuite sommairement…
Harceler : s’emploie d’abord au sens de « provoquer, exciter (quelqu’un) pour l » excéder. »
Hôpital : En français classique, le contenu du mot est encore axé sur l’hébergement gratuit, même si l’établissement dispense des soins.
Hôpital : la distinction nette avec hospice ne se fait que dans la seconde moitié du XVIIe s.
Interdit : Censure ecclésiastique qui suspend les prêtres de leurs fonctions qui ôtent au peuple l’usage des sacrements et le service divin.
Jaculatoire : « jeté rapidement, caractérisé par un jaillissement ardent » (saint Augustin) ; prière courte et fervente par laquelle l’âme s’élance vers Dieu. .
Lier : Se lier, pronominal, s’emploie spécialement en parlant des personnes pour « contracter une relation, un lien d » amitié ».
Ménager : a d’abord signifié « vaquer au soin du ménage » puis (à partir de 1587) « gérer (un bien), administrer », « régler, prendre des dispositions » (1621). .
Mine : le verbe a pris dès le XIVe s. le sens figuré de « détruire, ronger progressivement » en parlant d’un sentiment, d’une situation. V. minable et son extension familière moderne.
Mouvement : au sens moral, « impulsion qui pousse à agir d’une certaine façon », également en emploi qualifié dans bon mouvement (1690).
Obséder : un emprunt (1613) au latin obsidere « assiéger, assaillir, envahir » ; « assiéger quelqu’un pour l’isoler » (1651), « importuner quelqu’un par des demandes incessantes » (1663), proches de l’étymologie, sont sortis de l’usage.
Observance : l’action d’observer une règle religieuse, par métonymie, la règle elle-même.
Observer : en langue classique, « veiller à » (1677).
Offuscation : le mot a perdu ses anciens sens concrets « affaiblissement de la vue » (1430), « action de se cacher, en parlant de la lumière du soleil » (1565), mais ce dernier se maintient dans une spécialisation en astronomie (1865).
Opérer : « agir, produire un effet conforme à sa nature » (1470), aujourd’hui archaïque sauf dans une acception religieuse, en parlant de la grâce.
Outrepasser : À eu le sens concret de « dépasser » (une ville), et sur le plan temporel « passer », sans y ajouter le sens abstrait de « transgresser (une limite). »
Plancher : Par métonymie a servi à désigner la face inférieure de l’ouvrage séparant deux étages, sens aujourd’hui réservé à plafond.
Poulmonique : pulmonique. Qui a les poumons affectés. On dit aussi poumonique.
Prêcher : le sens de « proclamer, faire connaître, parler publiquement » est sorti d’usage au cours du XVIIe s.
Procurer : le sens propre de « prendre soin de (quelqu’un, quelque chose) », éliminé par « soigner, s » occuper de, etc. », s" est éteint au XVIIe siècle.
Propriétaire : Les mots « propriétaires », « propriété » ont une grande importance pour Madame Guyon. Elle transpose l’ascèse en une remise totale à Dieu par désappropriation, selon une longue tradition dont la belle pétition suivante rend compte : « Vous m’avez particulièrement formé à votre image et ressemblance, que je puisse vouloir tout ce que vous pouvez vouloir … Je pourrai bien appliquer ma volonté sur quelque objet, mais c’est en tant que la vôtre s’y trouve, et non autrement. » Coton, Intérieure occupation…, 1608, réédition Pottier, 1933, page 57. Voir l'index du vocabulaire mystique utilisé dans la correspondance entre Madame Guyon et Fénelon, à la fin de Maurice MASSON, Fénelon et Mme Guyon. Documents nouveaux et inédits, Paris, 1907, et plus généralement : l’article de J. — L. Goré sur la désappropriation dans le Dictionnaire de spiritualité, t. III, 1957, col. 518-529.
Râpé : substantivé en parlant d’un vin fabriqué en faisant passer un vin faible dans un tonneau dont on a rempli un tiers de raisin nouveau. Par extension vin éclairci avec des copeaux ; également restes mélangés servis dans les cabarets.
Redonder : « être en excès, abonder » ; à peu près sorti d’usage.
Relâcher : a signifié « remettre (une punition), renoncer (à une action), pardonner (un péché) jusqu’ à l" époque classique.
Religion : monastère, maison religieuse, appelée aussi église de religion. Sens devenu rare vers la fin du XVIIe s.
Renoncer : emploi transitif sorti d’usage : « renier, désavouer ».
Reprise : Au sens de reprendre « récupérer », reprises matrimoniales (1694) s’est dit en droit des biens personnels que chaque époux a le droit de prélever avant partage sur les biens de la communauté, lorsqu’elle est dissoute.
Réprobation : d’abord employé dans le langage religieux, il désigne l’acte par lequel Dieu exclut un pécheur du bonheur éternel. Ce n’est que fin XVIIIe s. que le mot s’est répandu dans l’usage courant pour « blâme ».
Retirer : « faire aller dans une retraite » XVIe s. « délivrer quelqu’un d » un lieu où il était mal » (1553)
Rêverie : en ancien français « ébats tumultueux, réjouissance », et aussi jusqu’en langue classique « délire, perturbation d’esprit dûe à la fièvre »
Ruelle : Aux XVIIe et XVIIIe s., ruelle désigne par métonymie la partie de la chambre à coucher où les dames de qualité recevaient leurs visiteurs.
Se déporter : « renoncer », forme archaïque.
Solliciter : solliciter un procès, s’en occuper.
Souffrir : souffrir quelque chose à quelqu’un « le lui accorder », souffrir à qqun de « lui permettre de ».
Soutenir : se soutenir signifie « se maintenir » au figuré (v. 1639, se soutenir par les armes).
Subsister : apparais avec le sens de « demeurer en vigueur », plus généralement « continuer d’exister », « se maintenir en vie ». Ces acceptions ont disparu au bénéfice du sens moderne de « pourvoir à ses besoins. »
Supposer : le verbe a eu le sens de « poser comme un fait établi » XIIIe s.
Supposition : a repris un sens du latin, l’action de substituer une personne ou une chose à une autre. Le mot s’emploit en droit (1636) pour parler de la production d’une pièce fausse donnée pour authentique.
Supposition : terme de droit, a signifié « conjecture de l » esprit qui suppose sans juger ». « Fausses allégations et accusations » (Furetière).
Tache : chose impure, contraire à la religion : Agneau sans tache « Jésus-Christ », la tache originelle « le péché originel ».
Tour : armoire ronde et tournant sur pivot, posée dans l’épaisseur d’une muraille et servant à faire passer diverses choses ; par métonymie, la chambre d’un couvent où se trouvait ce dispositif.
Travail : exprime couramment jusqu’à l’époque classique les idées de tourment, de peine et de fatigue.
Travail : Jusqu’à l’époque classique, il exprime couramment les idées de tourment, de peine et de fatigue. Travail d’enfant.
Viande : au XVIIe siècle, viande conserve encore le sens général de nourriture mais l’emploi moderne spécialisé se développe. Le mot s’emploie aussi figurément au sens de « nourriture pour l » esprit ».
Vue : à l’époque classique, entrevue dans le cas de la rencontre entre deux personnes.
Vue, donner dans la —: « éblouir, signifiant au figuré (1636) « charmer, exciter les sentiments amoureux », puis seul (1658).
Je décris et propose l’accès aux écrits de Madame Guyon139. Ils sont présentés chronologiquement.
À réviser! µ
Titre abrégés rédaction édition
Torrents 1682 1699, 1712, 1720
Abrégé 1682 ? 1712, 1720
Moyen court 1685 1685
Courte apologie
Cantique 1685
Purgatoire 1685 ? 1712
Explications 1684-1685 1713
Justifications 1694
Vie par elle-même
Prisons (récit des-)
Discours 1716
Poésies et cantiques
Ame amante 1717
Lettres 1683-1717 1717-1718
Elles sont préservées dans leur plus grande partie aux Archives Saint-Sulpice [A.S.-S.], 9 rue du Regard, Paris. Son conservateur en a établi l’état documentaire :
État documentaire des manuscrits des œuvres et des lettres de Madame G uyon dans Rencontres autour de la Vie et l’œuvre de Madame Guyon, Millon, 1997, p. 51-61. (Cet article résume le dernier état connu de l’œuvre manuscrite préparé à l’occasion des rencontres organisées à Thonon les 12,13 et 14 septembre 1996).
J’ai travaillé grâce à cet état documentaire en bénéficiant des conseils d’Irénée Noye, érudit et sulpicien intérieur devenu ami. I. Noye m’a autorisé à constituer le fond photographique que l’on va décrire infra. Il avait antérieurement pris soin de faire soigneusement relier l’essentiel des Lettres de Madame Guyon et de ses proches, facilitant ainsi mon édition de Correspondances I, II, III.
La majorité des écrits de Madame Guyon est un trésor des A.S.-S. Je l’ai complété par des fichiers pdf achetés à la B.N.F., à la Bodleian, Oxford, à Lausanne-Morges, en Écosse.
Voici la description succincte de ce « double » de manuscrits Guyon organisés dans ma base (disponible sur demande) :
D. Tronc, Base/BB/MYS_17/17e GUYON/Guyon manuscrits
comporte 81 dossiers, 3507 fichiers, soit :
Vie ms. Oxford ; ms. St Brieuc ; Supplément.
mss. A.S.-S. 2043 (Guyon & Lacombe), 2046 (Mère Bon & Torrents), 2058 (Le coche de Surin), 2134 (art. d’Issy), 2157 (21 pièces essentielles, dont des écrits de jeunesse, de prison, etc. : 322 feuillets qui restent à exploiter pour une grande part) — ms. B.N.F. Nouv.acq .5250 (interrogatoires, La Reynie) — ms. Lausanne TP1136 (Règle des Michelins)
mss. Lettres A.S.-S. 2170 à 2179, classés par numéros des pièces 7013a à 7595, comportant de très nombreux autographes.
mss. Lettres recopiées (cahiers 2055 de Dupuis, 2173 de La Pialière, 2176 du marquis de Fénelon, B.N.F. 11 010 Correspondances Guyon-Fénelon de l’an 1690 complétant la « correspondance secrète » antérieurement éditée par Dutoit).
Je fais suivre ces sources « primaires » de la description des éditions reprises en suivant l’ordre chronologique :
Le Moyen court, la Règle des associés et le Cantique. C’est-à-dire bien peu de chose !
Sans l’éditeur protestant Pierre Poiret devenu disciple, Madame Guyon serait restée une inconnue [note142].
Madame Guyon sera interrogée en 1694 sur le Moyen court et sur le Cantique tandis que Bossuet exploitera abusivement la Vie manuscrite dont il eut communication confidentielle.
Références :
[1685, 1686, 1690, 1699] Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément…, Grenoble, J. Petit, 1685. In-12, X-84 p. [B.N.F., D.18290 (2)] ; 2e édition à Lyon chez A. Briasson, 1686. In-12, X-186p [B.N.F., D.37255] et Paris chez A. Warin. ; 3e éd. Paris et Rouen, 1690 ; inclus dans : Recueil de divers traitez de théologie mystique qui entrent dans la célèbre dispute du Quiétisme qui s’agite présentement en France…, Cologne, [Poiret], 1699.
[1685, 1690] Règle des associez à l’enfance de Jésus, modèle de perfection pour tous les estats, tirée de la sainte Écriture et des Pères…, Lyon, A. Briasson, 1685. In-12, 144 p., frontisp. [B.N.F., D.18425] ; 1690 ; 2e éd., Ibid. In-12.
[1688] Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson, 1688. In-8°, pièces limin. et 209 p. [B.N.F., A.6920]
La grande édition en 39 volumes (dont 20 vol. pour les seules Explications) du pasteur Pierre Poiret et de ses proches résidant à Rijnsburg près d’Amsterdam sauve l’opus :
[1713] Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage. Vincenti. À Cologne, chez Jean de la Pierre, 1713. In-8°. [A.S.-S & B.N.F., A.22812]. Description des huit tomes A.S.-S. no.1-8 :
1 : Frontispice gravé avec pour devise : « Je mettrai ma loi dans leur intérieur et l’écrirai sur leur cœur », « Préface générale » p. I-XXX, « Courte préface de l’auteur » p. 1-10, « Division de l’ouvrage en huit tomes » p. 11-12. – Le Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome I du Nouv. Testament… 1713 (Saint Matthieu Ch. 1 à 17), p. 1-371.
2 : Suite du Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu avec… Tome II du Nouv. Testament… 1713 (Saint Matthieu Ch. 18 à 28), p. 375-708. Table p.709-726. Errata p.727.
3 : Les ss. Evangiles de Jesus Christ selon S. Marc et S. Luc avec… Tome III… 1713. Saint Marc p. 3-124. Saint Luc p. 125-456. Table p. 457-478. Errata p. 479.
4 : Le Saint Évangile de Jésus-Christ selon Saint Jean avec… Tome IV… 1713. Saint Jean p. 3-539. Table p. 540-562. Errata p. 563.
5 : Les Actes des Apôtres et les Épîtres de Saint Paul aux Romains aux Corinthiens & aux Galates avec… Tome V... 1713. Actes p. 3-71. Romains p. 72-232. Corinthiens I p. 233-325. Corinthiens II p. 326-436. Galates p. 437-488.
6 : Les Épîtres de Saint Paul aux Éphésiens, Philippiens, Colossiens, Thessaloniciens, à Timothée, à Tite, et aux Hébreux avec… Tome VI… 1713. Éphésiens p. 489-580. Philippiens p. 581-631. Colossiens p. 632-662. Thessaloniciens I p. 663-675. Thess. II p. 675-676. Timothée I p. 677-695. Tim. II p. 696-701. Tite p. 702. Hébreux p. 703-918. Table p. 919-955. « Fautes » p. 956.
7 : Les Épîtres canoniques de S. Jaques [sic] , S. Pierre, S. Jean et de S. Jude avec… Tome VII… 1713. Jaques p. 3-91. Pierre I p. 92-179. Pierre II p. 179-228. Jean I p. 228-332. Jean II p. 333-338. Jean III p. 339-345. Jude p. 345-376. Table p. 377-398. Errata p. 399. “Avertissement [sur une faute]” p. 400.
8 : L’Apocalypse de S.Jean Apôtre avec… Tome VIII… 1713. Apocalypse p. 3-409. Conclusion [générale] p.409-412 “achevé le 23 de Septembre 1683 [1682 corrigés à la main sur l’ex. A.S.-S.]”. Table p. 413-442. Errata p. 443. « Additions et redressemens… » p. 659-664.
[1714-1715] Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Préface. Vincenti. À Cologne [Amsterdam] chez Jean de la Pierre, 12 tomes [note143] 1715 [A.S.-S. & B.N.F., A.22813]. Description des 12 tomes A.S.-S. no.1-12 :
1 : Frontispice gravé — « Avertissement » p. 5. « Préface générale » p. 32. « Division de l’ouvrage sur le vieux testament en douze tomes et le contenu de chacun d’entre eux » p. 53. « Indice des passages du V. et du N. Testament qui se trouvent expliqués hors de leurs propres lieux ou cités avec quelques remarques considérables » p. 55-63. La Genèse et l’Exode avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome I du Vieux Test. Vincenti. À Cologne chez Jean de la Pierre, 1714. La Genèse p. 1-225. L’Exode p. 226-356.
2 : Le Levitique, les Nombres et le Deutéronome avec… Tome II… 1714. Lévitique p. 369-416. Nombres p. 417-498. Deutéronome p. 499-589. « Table des matières principales du I et II Tome ou du Pentateuque » p. 590-623. Errata p. 624.
3 : Les livres de Josué, des Juges et de Ruth avec… Tome III… 1714. Josué p. 3-48. Juges p. 49-201. Ruth p. 202-248. « Table des matières principales sur ce IIIe tome » p. 249-264. Errata p. 264.
4 : Le premier livre des Rois avec… Tome IV… 1714. Premier livre des Rois p. 3-306. Table p. 307-326. Errata p. 327.
5 : Les II. III. & IVme livres des Rois avec… Tome V... 1714. Second livre p. 323-527. Troisième livre p. 528-633. Quatrième livre p. 634-745. Table p. 746-769. Errata p. 770.
6 : Les Paralipomènes, Esdras, Nehemie, Tobie, Judit & Esther avec… Tome VI… 1714. Premier livre des Paralipomènes p. 3-21. Esdras livre premier p. 22-37, « Néhémie autrement le second livre d’Esdras » p. 38-68. Tobie p. 69-125. Judith p. 126-173. Esther p. 174-219. Table p. 220-235. Errata p. 236.
7 : Le livre de Job avec… Tome VII… 1714. « Préface sur Job » p. 3-7. Job p. 8-288. Table p. 289-307. Errata p. 308.
8 : Première partie des Psaumes de David depuis le I jusqu’au LXXV avec… Tome VIII… 1714. « Première partie des Psaumes… » p. 3-384.
9 : Seconde partie des Psaumes de David depuis le LXXVI jusqu’à la fin avec… Tome IX… 1714. « Seconde partie des Psaumes… » p. 387-678. Table p. 679-705. « Fautes à corriger au Tome VIII… au Tome IX » p. 706.
10 : Les Proverbes, L’Ecclesiaste, Le Cantique des cantiques, la Sagesse & l’Ecclésiastique avec… Tome X… 1714. Les Proverbes p. 3-87. L’Ecclésiaste p. 88-113. « Le Cantique des cantiques, Préface » p. 114-126. “Dédicace de l’Auteur [poème] p. 127-128. « Extrait du Privilège du roi et approbations » p. 127-128 [sic, répétition]. Le Cantique p. 129-247. La Sagesse p. 248-296. L’Ecclésiastique p. 297-344. Table p. 345-359. Fautes p. 360.
11 : Les Prophètes Isaie, Jérémie & Baruc, Ezéchiel, & Daniel avec... Tome XI… 1714. Isaie p. 3-155. Jérémie p. 156-189. Lamentations de Jérémie p. 189-214. Baruc p. 215-221. Ezéchiel p. 222-300. Daniel p. 301-375. Errata p.376.
12 : Les petits prophètes Osée, Joël, Amos, Jonas, Michée, Nahum, Habacuc, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie, Le Ier et IIe Livres des Macchabées avec… Tome XII... 1714. Osée p. 387-412. Joël p. 413-416. Amos p. 417-421. Jonas p. 422-440. Michée p. 441-459. Nahum p. 460-461. Habacuc p. 462-480. Sophonie p. 481-492. Aggée p. 493-496. Zacharie p. 497-547. Malachie p. 548-563. Macchabées I p. 564-608. Macchabées II p. 609-629. Table p. 630-655. Errata p. 656.
[1716] Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la pluspart de la Sainte Écriture, Vincenti, A Cologne [Amsterdam], Chez Jean de la Pierre, 1716144. [B.N.F., D. 37251/2]. Description des deux tomes in-8° édités sans nom d’auteur :
1 : Tome I : Préface p. 3-23. « Table des Discours… divisés en quatre parties » p. 24-28. Discours [au nombre de 70] p. 1-470. « Table des matières principales » p. 471-488. Trois pages non numérotées donnant la table des passages de l’Écriture et les errata.
2 : Tome II : Six pages d’avis et table. « Lettre sur l’Instruction suivante » p. (3 — (14 [sic, parenthèse ouvrante]. « Instruction chrétienne d’une Mère à sa Fille » p. (15 — [63 [sic]. « Discours » [au même nombre de 70 que précédemment] p. 1-402. « Table des matières principales du IIe tome » p. 402-423. Une page d’errata.
[1717] L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses « Pieux désirs », et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers…, Cologne, J. de La Pierre, 1717. In-8°, XXVIII-188p. et pl. gravées. [B.N.F., Z. 17 458].
[1717-1718] Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 4 tomes, 1717-1718. [B.N.F., D-19455] :
Le quatrième volume comporte, outre trois parties de lettres de Madame Guyon, une “Quatrième partie contenant quelques [16] discours chrétiens et spirituels” p. 402-509, suivi d’une « Lettre d’une païsane, sur l’anéantissement du Moi de l’âme et le pur amour » p. 510-522, enfin de la « Table des matières principales ». Nous décrivons plus en détail la réédition très fidèle de 1767 par Dutoit.
[1712, 1720] Les Opuscules spirituels de Mme J. — M. B. de La Mothe Guion, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1712. In-12°, titre gravé [B.N.F., D.37259] ; Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Cologne [Amsterdam] Chez Jean de la Pierre, 1720. [2 vol. in-8 ° B. N. F., D.17787. In-8°, 560 p. & B.N.F., D.37260. In-12, X-534 p., le titre manque et l’imprimatur est daté de Lyon, 1686]. Description de cette édition de 1720 :
Frontispice gravé. Page de titre : Les Opuscules…. Page : « Prov. XXIII. v. 26. Mon fils, donne-moi ton Cœur… ». Préface générale [de P.Poiret] p. 5]-56) [sic]. Table. Errata. Catalogue. Page : « Justitias Domini in aeternum cantabo ». Moien Court et très facile de faire oraison… p. 1-78. Lettre du serviteur de Dieu… Jean Falconi… p. 79-93. Remarques touchant la Mère de Chantal et avis… donné par S. François de Sales… p. 93-100. Table du Moien Court p. 101-106. Courte apologie pour le Moien court… p. 107-128. Les Torrens spirituels…et table p. 129-276. Page : « Les Opuscules… seconde partie… ». Traité de la purification de l’âme après la mort ou du Purgatoire p. 279-314. Petit abrégé de la Voie et de la réunion de l’âme à Dieu p. 315-348. Règle des Associés à l’Enfance de Jésus… p. 349-404. Page : « Instruction chrétienne pour les jeunes gens ». Lettre… et Instruction chrétienne d’une mère à sa fille p. 407-442. Page : « Brève instruction… du P. François la Combe et ses Maximes spirituelles ». Page : Approbation & permission ». Lettre d’un serviteur de Dieu contenant une brève instruction pour tendre fermement à la perfection chrétienne p. 443-522. Maximes spirituelles p. 523-534. “Table [alphabétique] des matières principales…” p. 535-559. Page : « Justitias Domini in Aeternum cantabo » p. 560.
[1720] La Vie de Mme J. — M. B. de La Mothe Guion, écrite par elle-même, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720, 3 vol. in-12, portrait. Voir nos descriptions en tête de ce volume.
[1720] Les Justifications de Mme J. — M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même… avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720. [3 tomes en 1 vol. in-8 ° B. N.F., D.37253 et 6 vol. in-8° Rés. D.37254]. Nous décrivons plus en détail la réédition très fidèle de 1790.
[1722] Poésies et Cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, divisés en quatre volumes. Vincenti, à Cologne [Amsterdam] Chez Jean de la Pierre, 1722 [4 tomes en 2 vol. in-8 ° B. N.F., Ye 25431-25432] Description des 4 tomes [note145] :
1 : « Préface » p. I-XII. “Catalogue des écrits de Madame Guyon [édités par Poiret]. Table des Cantiques de ce Ier volume » p. XVII-XXIV, Cantiques I à CXCVI p. 1-328.
2 : « Table des cantiques et errata ». Cantiques I à CCXLIII p.1-332.
3 : « Table des cantiques et errata ». Cantiques I à CCIX p.1-326.
4 : « Table des cantiques, poèmes héroiques et en vers libres, etc. ». Cantiques I à LXXXIV p. 1-101. Le Cantique des cantiques p. 102-127. Poèmes héroïques p. 128-204. Poèmes en vers libres p. 205-231. Pensées chrétiennes… p. 232-253. Les effets différents de l’Amour… en emblèmes p. 254-289. Conclusion. Table des airs. Table des matières. Errata p. 371
On ajoutera aux œuvres de Madame Guyon les quatre volumes qu’elle a préparés à la fin de sa vie comme un « tombeau » élevé en l’honneur de son maître Monsieur Bertot. Ils contiennent la correspondance passive de Madame Guyon avec ce directeur outre 21 lettres qui lui sont nommément attribuées (ces dernières se retrouvent aussi dans les Lettres) et d’autres textes jugés majeurs sur le plan mystique (Maur de l’E. J., Marie des Vallées). Surtout la valeur propre à l’opus Bertot est égale à celle de l’opus Guyon. Nous l’avons édité deux fois (partiellement, 2005 ; complet, 2019) en espérant avoir le temps de mettre en valeur les échanges successifs entre Chrysostome, Bernières, Bertot, Guyon, leurs proches.
[1726] Le directeur Mistique [sic] ou les Oeuvres spirituelles de M. Bertot, ami intime de feu Mr de Bernières & directeur de Mad. Guyon..., Poiret, 4 vol., (de 453, 430, 526, 368 pages), 1726. [A.S.-S. & B.N.F.].
Description [note146] :
1. Volume I composé de 12 traités : 1. Conduite de Dieu sur les âmes p. 1. 2. De l’état du repos sacré p. 18. 3. Profondeur des S.Evangiles p. 30. 4. États d’oraison, représentés dans l’Évangile du Lazare p. 39. 5. Degrés de l’Oraison, comparés aux eaux qui arrosent un jardin p. 50. 6. Voie de la perfection sous l’emblème d’un nautonnier p. 117. 7. L’Oiseau ou De l’Oraison de Foi, sous la figure d’un petit Oiseau p. 178. 8. Les croix, inséparables du don de l’Oraison p. 251. 9. Opérations de la Ste Trinité dans les âmes p. 260. 10. Sur l’état du Centre p. 266. 11. Sur l’état du Centre suite « Mr Bertot m’a dit… » p. 284. 12. Éclaircissements sur l’Oraison et la Vie intérieure. p. 292-453.
2. Vol. II composé de lettres de Bertot et d’une addition : p.1 — * Lettres 1 à 70, p.* -430. « Addition : conseils d’une grande servante… Marie des Valées. »
3. Vol. III, composé de lettres de Bertot : p.1 — * Lettres 1 à 70, « additions 1 à 4 » p. * -526.
4. Vol. IV, composé de lettres de Bertot, Maur de l’Enfant-Jésus et Madame Guyon : p.1 Lettres 1 à 81, p.265 Lettres 1 à 21 de P. Maur, p.310-368 Lettres 1 à 21 de Madame Guyon.
Le directeur Mistique a fait l’objet d’un choix réédité à Berlebourg en 1742 (décrit dans notre réédition de l’Opus Bertot, Lulu, t.III, p.587.
L’édition par Poiret et son cercle d’amis devient introuvable. Elle est rééditée à la fin du XVIIIe siècle par le pasteur suisse Dutoit, et très fidèlement (le plus souvent les paginations sont respectées alors même que le format est différent !) en 40 volumes (aux 39 volumes de l’édition antérieure s’ajoute un dernier volume de lettres comportant « la correspondance secrète » avec Fénelon).
Nous décrivons des titres qui présentent des compléments :
[1767-1768] : Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, ou l’esprit du vrai christianisme. Nouvelle éd. enrichie de la correspondance secrète de Mr. de Fénelon avec l’auteur. Londres [Lyon], 1767-1768, 5 vol. Cette dernière édition est très fidèle à Poiret, mais plus complète compte tenu du caractère moins brûlant des événements :
1 : Tome I, « Avertissement sur cette seconde édition » [par Dutoit] p. I-XVIII. « Avertissement qui était à la tête de l’Édition de Hollande, sous le nom de Cologne » [par Poiret] p.XIX-XXVIII. Table des lettres [classées en trois parties par thèmes spirituels allant de : « (1) Règles et avis généraux », à : « (20) Dieu seul »] p. XXIX-XLIII. Lettres I à CCXL p. 1-694.
2 : Tome II, Lettres I à CC p.1-614, Table [lettres classées en trois parties] p. 615-623.
3 : Tome III, Table [lettres classées en trois parties] p. III-IX. Lettres I à CLVI p. 1-694.
4 : Tome IV, « Préface sur ce quatrième volume » p. III-VIII. Table [lettres classées en trois parties] p. IX-XVI. Lettres I à CXVI p. 1-403.
5 : Tome V, « Anecdotes et réflexions » [par Dutoit] I-CLX. Première partie contenant quelques Discours chrétiens et spirituels p. 1-188 [eux-mêmes introduits par la note : « Ces discours dans l’édition de Hollande faisaient la clôture du quatrième volume… » puis suivis de la lettre de la simple paysanne précédant les lettres adressées à Fénelon. On trouve ensuite la] Correspondance de l’auteur avec Fénelon p. 189-559. Table p. 560-567. « Table [alphabétique] des matières » p. 568-627. « Indice [précieux] des noms de quelques-uns de ceux à qui les lettres… sont adressées » p. 628-630.
[1790] Discours Chrétiens et Spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la plupart de la Sainte Écriture. Par Madame J. M. B. de la Mothe-Guion. Nouvelle édition corrigée et augmentée [?], A Paris [Lyon], Chez les Libraires Associés, 1790.
[1790] Justifications de la Doctrine de Madame de la Mothe-Guyon, pleinement éclaircie, démontrée et autorisée par les Sts Peres Grecs, Latins et Auteurs cannonisés [sic] ou approuvés ; écrites par elle-même. Avec un examen de la neuvième et dixième Conférences de Cassien sur l’état fixe de l’oraison continuelle, par Mr de Fénelon, archevêque de Cambray, A Paris [Lyon] chez les Libraires Associés, MDCCXC. Cette édition de Dutoit reprend celle de Poiret. Elle comporte 3 tomes [note147] soit :
1 : Tome I : Préface [par Dutoit] I-XVI. Justifications : chap. I-XXXVII p. 1-432.
2 : Tome II : Justifications : chap. XXXVIII-L p. 1-379.
3 : Tome III : « Table des articles du IIIe tome » deux p. Justifications : chap. LI-LXVII. p. 1-256. Conclusion p. 257-265. Page : « Non nobis, Domine, non nobis … Deo Soli ». Recueil de quelques autorités des S. Pères de l’Église grecque : art. I-XVIII p. 267-328. Examen… de Cassien touchant l’état fixe… p. 331-368. Table des matières principales des trois volumes… p. 369-432.
[1790] L’Âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers… par Madame J.M.B de la Mothe-Guyon, nouvelle édition considérablement augmentée, à Paris, Chez les Libraires Associés, MDCCXC.
Préface p. 1-16. Les Emblèmes… exposés en vers libres p. 1-176 [et nombreuses p. correspondant aux emblèmes gravés]. Table p. 177-186.
D. Tronc, Base >/MYS_17/17e GUYON/éditions anciennes
153 dossiers, 6675 fichiers, soit :
Références bibliographiques A.S.-S. & Solesmes
Courte Apologie 1712, Discours 1716 & 1790, Explications NT 1713 AT 1714 (nos photos classées par livres & Google), Opuscules (1704, 1712, 1790, Google & réédition Olms)
Moyen court 1686 (Grenoble= & 1699 (in Recueil… Quiétisme)
Interrogatoires (ms. 2072 [Mémoire sur le Quiétisme],
Poésies 1722 Éditions 4 t. & Google, L’âme amante 1790
Traductions (par Upham, etc.)
[1978] J. Orcibal, Les Opuscules spirituels…, J. M. Guyon, avec une Introduction par J. Orcibal de 36 pages non numérotées, G. Olms, 1978 suivie du fac-similé de l’édition de Poiret, Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, Nouvelle édition corrigée et augmentée, A Cologne Chez Jean de la Pierre, 1720. [reprise infra]
[1982] Madame Guyon et Fénelon, la correspondance secrète, édition préparée par B. Sahler149, Paris, Dervy-livres, 1982.
[1983] La Vie de Madame Guyon écrite par elle-même, édition préparée par B. Sahler, Dervy-livres, 1983.
Réédition partielle de la Vie par J. Bruno (Revue La Tour Saint Jacques) [avec de précieuses notes].
[1990] Madame Guyon, La Passion de croire, textes choisis et présentés par Marie-Louise Gondal, Nouvelle Cité, 1990.
[1992] Récits de Captivité, édité par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992.
[1992] Torrents et Commentaire au Cantique, édités par C. Morali150, Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1992.
[1995] Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, textes édités par M.-L. Gondal, (ce volume contient : Introduction, I. Le Moyen court et sa défense (Moyen court, Courte apologie et extraits des Justifications), II. Le travail de l’Intérieur (Règle des Associés, Petit abrégé), III. Le Chant de l’âme, (un choix de poésies). Grenoble, Jérôme Millon, Coll. « Atopia », 1995.
[1998] Madame Guyon Le Purgatoire, Jérôme Millon, textes présentés par Marie-Louise Gondal, 1998 [bonne présentation qui « redresse » ce que pourrait suggérer le titre].
Les études par M.-L. Gondal incluent d’heureuses citations. Depuis ~2000 j’ai « repris le flambeau » dont procède cette présente série « opus Guyon ».
[état décembre 2019]
fichiers pdf téléchargeables : menu déroulant en haut à droite — Liens mélangés provenant de diverses origines donc « la pêche » est difficile !
Dutoit figure le plus généralement. Il est très exact dans sa reproduction de Poiret (dont l’édition est devenue rare). Et Dutoit est mieux reconnu en ocr ; ce qui ne requiert qu’une correction assez aisée… après avoir substitué f > s, _, >, seus > sens, myllique > mystique, proson > profond, sorm > form, saire > faire
donne la séquence horizontale la plus parlante : « livres sur des sujets connexes » en bandeau horizontal AR sous « Oeuvres, volume 13 » — mais seul figure Dutoit !
Vie I Poiret 1720
https://books.google.fr/books?id=NGjKnKLx5bsC&pg=PP22&dq=madame+guyon&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj2iKSKrsHmAhXJTcAKHfBjCcUQ6AEIVzAH#v=onepage&q=madame%20guyon&f=false
Vie I Dutoit (précédé de Discours sur…)
Vie I Dutoit 1791
https://books.google.fr/books?id=kc4WAAAAQAAJ&printsec=frontcover&dq=inauthor:%22Jeanne+Marie+Bouvier+de+La+Motte+Guyon%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwizkvOrscHmAhVcQEEAHVo7CV8Q6AEIOzAD#v=onepage&q&f=false
Vie II Poiret 1720
Vie III Poiret 1720
Poiret 1704 (avec Torrents)
Tome I Poiret 1712
Tome II Poiret 1712
Tome I Poiret 1720
Tome I Dutoit 1790 (avec Préface grale)
Tome II Dutoit 1790
et une édition suivie de « Sentences persanes » (voir « dossier Guyon et sentences persanes », incluant notes de M. Bruno sur cette édiiton) comportant l’Avertissement annonçant « une petite pièce très estimée defeu le célèbre Poiret » malheureusement cete pièce est omise. Du moins on sait qu’elle existait. Il s’agit bien de l’édititonde la BN de Versailles disponible aussi à Orléans (même pabination). cf. notes Bruno.
https://books.google.fr/books?id=REQrYpDbN00C&printsec=frontcover&dq=les+torrens+spirituels&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiTr9rJ1dPnAhXC8OAKHdIkBx0Q6AEIKzAA#v=onepage&q=les%20torrens%20spirituels&f=false
Tome I Poiret 1717
Tome II Poiret 1717
Tome II Dutoit 1758 (‘à Londres’)
https://books.google.fr/books?id=Q9M7AAAAcAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
Tome III Poiret 1717
Tome III Dutoit 1758
Tome IV Poiret 1718
Tome IV Dutoit 1758
Tome V Dutoit 1758 (avec la « correspondance secrète » Guyon-Fénelon !)
https://books.google.fr/books?id=5NM7AAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=guyon+justifications+google&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi56rmQ1cHmAhXEQkEAHR1DCLMQ6wEIMzAB#v=onepage&q=guyon%20justifications%20google&f=false
Tome I 1720
Tome I 1790
https://books.google.fr/books?id=aGAGAAAAQAAJ&pg=PA1&dq=guyon+justifications+google&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwj25dHH1cHmAhWRX8AKHVRQBas4ChDrAQgqMAA#v=onepage&q=guyon%20justifications%20google&f=false
Tome II 1790
Tome III 1790
Discours I 1790
Discours II 1716
Discours II 1790
https://books.google.fr/books?id=AYZZAAAAcAAJ&dq=inauthor%3A%22Jeanne%20Marie%20Bouvier%20de%20La%20Motte%20Guyon%22&hl=fr&source=gbs_similarbooks
Tome I 1790
Tome II 1790
Tome III
Tome IV
Emblêmes 1790 (L’ame amante)
ANCIEN TESTAMENT 12 tomes
(introuvable t. VII par Dutoit préféré à Poiret ce dernier ici présent)
G AT t.I Préface Genèse Exode
|
Oeuvres spirituelles de
madame Guyon : La Sainte Bible avec des explications &
reflexions qui regardent la vie interieure. Nouv. éd., exactement
cor […] |
|
|
|
Libraires associés, 1767 |
https://books.google.fr/books?id=B46tuAEACAAJ&dq=bibliogroup:%22Oeuvres+spirituelles+de+madame+Guyon%22&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjb-qeXsMHmAhXGOcAKHZrmBDAQ6AEIKTAA
Bible 1 1767
Bible 1 1790
G AT t. II Lévitique Nombres Deutéronome
G AT t. III Josué Juges Ruth
https://books.google.fr/books?id=sytkyS7W0VIC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
Bible 3 1790
Bible 3 1714
G AT t. IV RoisI
Bible AT 4 1790
Bible AT 4 1714
G AT t.V RoisIIsv
Bible 5 1790
Bible 5 1714
G AT t. VI Paralypomènes, Esdras, Néhémie, Tobie, Judith, Esther
Bible AT 6 1790
Bible 6 1714
G AT Job (= t.VII?)
Bible 7 1714
G AT t. VIII Psaumes David I
Bible 8 1790
G AT t. IX Psaumes David II
Bible 9 1790
Bible 9 1714
G AT t. X Proverbes… Cantique, etc
Bible 10
Bible 10
G AT t.XI Prophetes
Bible 11 1790
G AT t. XII Petits prophètes
https://books.google.fr/books?id=ilhCAAAAYAAJ&pg=PA480&dq=inauthor:%22Jeanne+Marie+Bouvier+de+La+Motte+Guyon%22&hl=fr&source=gbs_selected_pages&cad=3#v=onepage&q&f=false
Bible 12 1790
NOUVEAU TESTAMENT 8 tomes = complet
G NT t.XIII Matthieu
Bible 13 1790
G NT t.XIV Matthieu (suite)
Bible 14 1790
G NT t.XV Marc Luc
Bible 15 1790
G NT t.XVI Jean
Bible 16 1790
G NT t.XVII Actes Epitres Paul
Bible 17 1790
G NT t.XVIII Epîtres Paul (suite)
Bible 18 1790
G NT t. XIX Épîtres canoniques Jacques Pierre Jean Jude
Bible 19 1790
G NT t. XX Apocalypse
Bible 20 1790
Bible 8 1714
Recherche sous son nom > nombreux ouvrages dont :
https://books.google.fr/books?id=Hu48AAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjAy5Lg28HmAhUXHMAKHS18CAQ4FBDrAQg5MAI#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false
[Guyon] Règle des Associés (Lyon 1685)
L’Oeconomie divine ou Système universel… 1687
L’Oeconomie divine ou Principes & démonstrations… 1687
https://books.google.fr/books?id=zx5LAAAAcAAJ&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiSl_ze2sHmAhVUilwKHRY-Bro4ChDrAQhjMAk#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false
L’Oeconomie du Rétablissement de l’Homme… Tome IV (1687)
L’Oeconomie de la Coopération de l’Homme avec l’Opération de Dieu, Tome VI (1687)
il y a d’autres tomes dont le tome II L’Oeconomie de la Création de l’Homme…, etc.
https://books.google.fr/books?id=J_QOAAAAQAAJ&printsec=frontcover&dq=pierre+Poiret&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiV-prF2MHmAhUSecAKHQ6nD5AQ6AEITzAF#v=onepage&q=pierre%20Poiret&f=false
Théologie réelle
Théologie du Cœur I
Théologie du Cœur II
Paix des bonnes âmes dans tous les partis…
Paix des bonnes âmes [l’édition moderne 1998 donc lisible et avec intro de M. Chevallier — fait suite à son Poiret 1994]
La Pratique de la vraie Théologie mystique tome II 1709
Recueil sur le Quiétisme 1699
Fénelon 1828 Correspondance sur l’affaire du Quiétisme (très utile ! Il s’agit du tome 8 sur beaucoup de tomes à retrouver facilement à l’aide de ce lien particulier > bandeau
Le Moyen Court & les Torrents.
Puis Les Discours
Et si le goût persiste, Correspondance tome III Chemins mystiques.
J’ai assemblé ce que j’aime sous le titre Madame Guyon, Oeuvres mystiques, 2008.
Je présente deux témoignages de contemporains avant de reproduire un choix d’études modernes.
L’abrégé rédigé par le Duc de Chevreuse semble être à la base du retournement de l’opinion en défaveur de Bossuet, rapporté dans la Relation rédigée par Isaac Dupuy, deuxième témoignage plus ample.
L’abrégé de la main du Duc est un brouillon parfois indéchiffrable. Il nous intéresse vivement par l’exposé des conditions et effets liés à la communication mystique [brève section infra titrée: « elle a un don particulier de communiquer la grâce »].
Accessoirement on vit dans « l’esprit du temps » où l’on prêtait trop facilement crédit à des inspirations supposées divines (quand ce n’est pas l’intérêt de canaliser une riche veuve au service de l’Église).
A l’époque des faits rapportés, Madame Guyon n’a pas encore été « mûrie mystiquement » par les épreuves et les prisons. Elle y prêta de même grands crédits et de toute façon elle ne pouvait échapper aux demandes151.
Il est juste Monsieur de vous expliquer les raisons qui obligent plusieurs personnes portées à croire que N. [Madame Guyon] a reçu l'esprit de Dieu avec abondance. Mais il faut pour cela vous dire en peu de mots le cours de passé. Elle est d'une famille noble très bonne et ancienne, originaire du bas Maine, et établi à M[ontargis] depuis 3 générations. Elle a été élevée non seulement honorablement, mais chrétiennement dans la maison de son père. Elle s'est trouvée prévenue de grâce dès sa tendre jeunesse. Mais ayant été mariée à 14 ans [en fait à 16 ans], elle se dissipa un peu pendant 2 ou 3 ans, vivant néanmoins avec règle et beaucoup d'honneur. Elle était naturellement vive, un peu vaine, aimant sa beauté et son agrément naturel, noble avec cela est généreuse, le cœur bon, libérale, compatissante, de l'esprit, un peu de cette légèreté ordinaire aux femmes, qui dans une personne vive cause souvent l'exagération et l'imprudence, mais avec cela beaucoup de droiture, d'équité et de raison, sa conscience lui reprochant toujours dans ce jeune âge que sa vie toute réglée qu'elle était selon les hommes, se trouvait bien différente de ce que Dieu avait commencé à lui demander dès son enfance, elle rencontra un religieux de Saint-François qui se sentit pressé intérieurement de l'exciter à chercher Dieu en elle-même. Elle pouvait avoir 17 à 18 ans. À peine se fut-elle retrouvée au-dedans qu'elle se trouva fortement attirée, et cet attrait qu'elle ne connaissait pas augmenta à tel point qu’il l’enleva presque continuellement aux choses extérieures, pour la tenir plongée en Dieu. Elle ne pouvait s'en retirer que dans un extrême effort, et cela dura ainsi plusieurs années. Cependant le même attrait la porta avec une grande violence aux pénitences les plus dures et à des œuvres de charité continuelles. Il n'y avait sorte d'austérité à laquelle elle ne se livra jusqu'à ce mettre en sang au travers des épines et orties, se brûler avec la cire fondue et les charbons ardents, se retrancher tout ce qui pouvait plaire au sens ou de [mot illisible] [310] [v°] faire avec une fermeté inouïe ce qui paraissait insurmontable à la nature, comme lécher les plaies des pauvres et en avaler le pus (ce qui ne se passait pas sans d’étranges vomissements,) et tout cela par un mouvement intérieur auquel il lui paraissait impossible de résister. Car souvent les répugnances ou la lassitude de la nature étaient telles qu'elle n'aurait jamais pu les surmonter si elle n'y avait été intérieurement forcée.Ses aumônes étaient grandes et son industrie pour le secours des pauvres qu'elle visitait soigneusement ne paressait pas naturelle. L'argent qu'elle y employait abondamment ne diminua point entre ses mains en sorte que dans le compte qu'elle rendait exactement à son mari de la dépense de la maison, il n'entrait que discrètement et autant à peu près qu'il en voulait faire. Durant ce temps-là, elle fut avertie en songe de la mort de son père qu'elle ne savait pas [mot illisible] dont elle était éloignée et elle le dit de matin à une abbesse [Mère Granger?] chez qui elle passait. Elle eut encore d'autres avertissements extraordinaires surtout à la mort de son mari. Pendant sa vie, elle avait souffert prodigieusement en toute manière de sa belle-mère et de son mari même, de contrainte, la tyrannie qu’on exerçait sur elle, l'insolence continuelle de ses propres femmes qu’on animait contre elle et à qui il ne lui était pas permis de répondre, mais plus que tout cela, sa douceur, sa patience et son silence sont surprenants. Alors elle commença à entrer dans un état de peines intérieures de toutes sortes, qui se joignirent en tout aux extérieures. Rien n'égale ses délaissements et sa fidélité. Ce temps dura six ou sept années. Elle fut ensuite appelée à aller à Genève par bien des voies différentes et sans qu'il plût à Dieu de lui faire connaître ce qu'elle y devait faire. Bien des personnes de piété et [illis.] [r°] qui ne la comprirent pas et absentes qui ne savaient plus cette vocation ne lui firent savoir de leur côté. Elle y fut excitée par mouvements intérieurs, songes, etc. Enfin après avoir résisté à ce qui lui paraissait une folie et ce qu'elle savait qui la devait paraître à toute sa famille et tant d’autres personnes dont elle était connue, elle s'abandonna les yeux fermés à l'ordre de Dieu sur elle et partit pour Genève. Je ne parlerai pas du détail de ce qu’elle y fit il fit aussi bien qu’à Tonnon [Thonon ]Gex Verceil et Grenoble où Dieu la conduisit soit dans les maisons religieuses ou chez des Dames d'une piété distinguée, car les biens et les conversions que Dieu opéra par elle sont innombrables, je dirai seulement premièrement qu'elle y connut le père de la Combe barnabite, saint homme qui faisait en ce pays-là plusieurs miracles et qui en fît en sa personne en la guérissant tout d'un coup dans une grande maladie où après avoir reçu l'extrême-onction et avoir déjà les pieds et les jambes froides on n’attendait que le moment qu'elle expira. Il fut son confesseur, mais elle-même le conduisit à une voie intérieure plus élevée. Là par son ordre elle obéit au mouvement pressant qu'elle avait d’écrire sans savoir quoi sur l'Écriture sainte et elle y fit ses commentaires mystiques au courant de la plume sans rature que de quelques mots de reprise et sans pouvoir rendre raison du choix qu’elle faisait des versets ni de ce qu'elle allait dire. Elle écrivit aussi en 1683 au P.de la C[ombe] la lettre prophétique qu'on sait dont une bonne partie est arrivée (ce dont il n'y [illis.] alors ni plusieurs années depuis nulle apparence) et dont l’autre partie commence déjà à arriver. Elle y fit un grand nombre de miracles par simple mouvement et prédit plusieurs choses futures précisément [mot de lecture incertaine] arrivées 311 [fin de page] ensuite [r° du nouveau feuillet] ce qu'elle a toujours continué depuis jusqu'à présent selon qu’il a plu à Dieu. Depuis environ 13 ans, ses peines intérieures étant cessées, elle s'est trouvé dans une pleine intime et continuelle oraison à Dieu qu’elle croit avoir pour ainsi dire uniforme au-dedans d’elle et principalement à Jésus enfant qui lui a communiqué par état sa simplicité, sa grandeur, sa petitesse, et son innocence.
Outre les miracles et les prédictions soit par mouvement subit ou par songe elle a un don particulier de communiquer la grâce à ceux que Dieu lui destine pour cela, et cette communication se fait par la lecture de ses lettres et ouvrages, ou par la prière, ou même par le simple silence dans lequel on se met devant Dieu pour recevoir ce qu'il lui plaira de donner. Un grand nombre de personnes mêmes prévenues contre elle et en qui d'ailleurs l'imagination ne domine nullement l'ont expérimenté mille fois et en rendent témoignage. Dans ce temps elle se sent quelquefois comme une prodigieuse [un mot illis.] remplie de la part de Dieu, et quand il y a dans la personne quelque empêchement, elle souffre intérieurement dans l'âme d'une manière si forte pour diverses personnes, soit pour la conversion des pécheurs, soit pour le recevoir, sa plénitude dure longtemps, l’oppresse et la rend comme toute languissante, parce que cet esprit ne lui étant donné que pour le communiquer, elle souffre beaucoup de l'empêchement qui arrête cette communication, et cela qui est tout dans l'âme se répand même quelquefois jusque sur le corps et les sens.
L'augmentation des grâces de personnes qui y résistent que le corps même en est très fatigué. Elle sent distinctement quand ces personnes quoiqu’éloignées de plusieurs lieues combattent contre l'attrait de Dieu qui les portes à la petitesse et l’abandon et elle leur fait savoir qu'ils résistent à Dieu et qu’ils doivent se laisser en lui absolument dans l'oubli d’eux-mêmes. Elle terrasse ainsi, arrête les moindres [une dizaine de mots illis.] qu’elle leur découvre ce qu’ils ne voyaient pas en eux-mêmes et qu’ils s’y reconnaissent effectivement quand elle le leur écrit, etc.
Elle a des souffrances semblables sans qu’il lui [un mot illis.] des persécutions [un mot illis.] qu'il en paraisse la moindre trace. Dieu la met dans un état d'agonie terrible. Ce qu'elle a écrit plusieurs fois avant le temps et dont on garde les lettres, avec la date de la réception [r° du feuillet suivant]
Dans le temps de sa misère Genève lui vint dans l'esprit d'une manière qu'elle ne peut dire. Ce qui il lui fit craindre beaucoup [trois mots illis.] à elle-même, si elle [un mot illis.] jusqu'à ce [un mot illis.] d'impuretés [un mot illis.].
A quelque temps de là il se présenta la nuit en songe une petite religieuse fort contrefaite qui lui sembla pourtant [un mot illis.] et bienheureuse et lui dit, ma sœur je viens vous avertir que Dieu vous veut à Genève. Elle a reconnu depuis au portrait de la mère Bon [religieuse du Dauphiné] qui mourut dans ce temps-là.
Ensuite ayant écrit au P. de la C[ombe] de prier pour elle à sa messe le jour de la Madeleine [mot illis.] il écrit, au premier moment il lui fut dit trois fois avec impétuosité [mot illis lien avec elle. Il n'avait jamais eu de paroles intérieures et en fut étonné.
Après étant entrée à Paris ou elle était allée la même église [mot illis.] pour se confesser, elle alla au premier confesseur qu'elle trouva et ne le connaissait pas ni ne l’a jamais vu depuis, après une simple et courte confession, il lui dit, je ne sais qui vous êtes, fille femme ou veuve, mais j'ai un fort mouvement intérieur de vous dire que vous fassiez ce que N[otre] S[eigneur] vous a fait connaître qu'il voulait de vous. Je n'ai que cela à vous dire. Elle répondit [quelques mots illis.] ayant des petits-enfants de 4 et 6 ans Dieu ne pourrait [mot de lecture incertaine] [que] lui demander que de les élever. Il répliqua, Je ne sais rien. Vous savez bien si Dieu vous a fait savoir [lecture incertaine] qu’il voulait quelque chose de vous [mot illis.] il n’y a rien qui vous doive inquiéter de faire sa volonté, il faut la [mot illis.][312]
Ensuite une religieuse de St Dominique de ses amis voulant aller en mission à Siam, étant prête d’en prononcer le vœu qu’il avait écrit, il ne lui fut pas possible. On lui donna à entendre qu’il devait en [ajouté] venir trouver [barré] [un mot illis. ajouté] M. G[uyon ?]. Il y vint et répugnant à lui déclarer alla dire la messe dans la chapelle croyant qu’il suffisait qu’il y fit son vœu à cette messe lequel elle entendrait. Mais il en fut empêché et quitta l’esprit qu’il avait pour l’aller trouver ; Il lui déclara donc sa résolution. Elle se sentit fort poussée de lui dire ce qu’elle avait dans l’esprit pour Genève depuis longtemps et lui raconta un songe qu’elle avait vu le ciel ouvert ou en l’invitation d’aller [lecture incertaine] qu’elle répondit que le Thabor n’était pas pour elle, mais le calvaire, que pressée d’y aller elle le fit, n’y trouva qu’un reste de lumière et vit de ce reste un [mot illis.] excessivement grande, que beaucoup de prêtres religieux et moines l’empêchaient venir, que pour elle M. G[uyon] elle [mot illis. : tournerait ?] simplement en sa place en paix, mais que cette croix s’approcha d’elle avec un étendard de même couleur et se jeta toute seule entre ses bras, qu’elle la reçut avec beaucoup de joie, que les Bénédictines ayant voulu la lui ôter, elle se tira de leurs mains pour se jeter dans les siennes. S’entretenant de cela avec le Père elle eut un fort mouvement de lui dire, vous n’irez point à Siam, vous me servirez en cette affaire et c’est pour cela que Dieu vous a envoyé ici. Il répondit qu’il prierait [mot illis.] et dirait la messe trois jours puis lui parlerait. Après quoi il lui dit qu’il croyait que Dieu voulait qu’elle allât [à G barré] en ce pays-là (de Genève), mais que pour en être assuré, il fallait voir M. de Genève, que s’il approuvait le dessein il était de Dieu, sinon il n’y fallait plus penser. Il s’offrit d’aller pour cela à Annecy. Pendant qu’ils parlaient de cela, il vint d’un religieux passant qui leur dit, savez-vous bien une nouvelle, l’évêque de Genève est arrivé à Paris. Alors le religieux y alla à voir Mr de Genève et elle par une affaire de providence s’y trouva peu après visitant Mr de Genève qui [mot illis.] son dessein et lui dit qu’il la rencontrait par providence que des nouvelles catholiques voulaient aller établir à Gex, qu’elle irait avec elles [mot illis.] à Gex, si elle [r° feuillet 313] voulait. Elle ne savait cependant ce que Dieu y demandait d’elle, vit la supérieure des nouvelles Catholiques de Paris cette dernière la confirma fort dans ce dessein.
Elle consulta M. Bertaut [Bertot] qui lui dit que son dessein était de Dieu, et qu’il y avait quelque temps que Dieu lui avait fait connaître qu’il voulait quelque chose d’elle.
Elle avait des songes mystérieux qui ne lui pronostiquaient que croix persécution et douleurs.
Alors le songe de Mr l’A[bbé] de Fénelon].
Elle et le Religieux Dominicain [mot illis.] au p. De la C[ombe] pour avoir son avis. Il manda qu’il avait fait prier de très saintes filles qui toutes disaient que Dieu la voulait à Genève. Une religieuse de la Visitation, très sainte fille, lui manda que Dieu lui avait fait connaître qu’elle la voulait à Genève et qu’il lui avait été dit, elle sera fille de la croix de Genève. Une ursuline lui fit savoir que N.S. lui avait dit qu’il la destinait pour être l’oeil de l’aveugle, le pied du boiteux, le bras du manchot, etc.
Le P. g[énéral] b[énédictin] M. Qu’elle consulta par lettres lui manda après quelque temps pris pour prier que Dieu leur avait fait connaître qu’il la voulait à Genève, et qu’elle leur fît un sacrifice généreux de toutes choses. Et parce qu’elle lui [mot illis.] que c’était pour une personne et urgent pour aider une fondation qu’on y allait faire, il répondit que Dieu lui avait fait connaître qu’il ne voulait point de ses biens, mais sa personne. Le P. De la Combe [écrit en entier][quatre mots illis.] cela avec certitude et les deux lettres de ces bons religieux éloignés l’un de l’autre de 150 lieues estimant la même chose lui furent rendues en même temps.
Elle se résolut donc de tout sacrifier à Dieu et d’aller comme une fille sans pouvoir dire ni motif ni raison de son entreprise. [313]
[Quatre lignes ajoutées en petits caractères le plus souvent illis. :]
…. au livre d’Isaye qu’elle eut le mouvement d’ouvrir sur ce qu’on la voulût détourner du voyage …. ce passage ….. ; ce sera moi qui me conduirai de ….car vous êtes à moi, lorsque vous marcherez au travers des eaux je serai avec vous. [fin du feuillet].
Isaac du Puy, Dupuy ou Dupuis154 commença à connaître Madame Guyon dès les années 1687-1688155.
« Il avait été nommé le 1er septembre 1689 gentilhomme de la manche du duc de Bourgogne, qu’il devait accompagner partout. Il avait été auparavant porte manteau, puis gentilhomme ordinaire du Roi et, selon les Nouvelles ecclésiastiques, il appartenait à une « sainte société de gentilshommes qui demeurent près des carmes déchaussés de Paris et en était un des plus fervents. » 156
Saint Simon confirme qu’il « était initié de tout temps parmi les plus dévots de la cour, ce qui l’avait fait particulièrement connaître à M. de Beauvillier ; mais, ce qui est rare à un dévot de la Cour, c’est qu’il était fort honnête, fort droit, fort sûr, et, avec peu d’esprit, sensé et à l’esprit juste, fidèle à ses amis, sans intérêt, ayant fort lu et vu, et beaucoup d’usage du monde. » 157
Le bon « Put » est à la fois l’homme de confiance, le gestionnaire de biens lorsque madame Guyon est emprisonnée, le lien et porteur de nouvelles entre Cambrai et Blois, celui qui tient les cahiers de lettres de l’archevêque après les destitutions dont la sienne accompagnant l’exil de ce dernier, la mémoire du groupe des disciples, l’informateur du marquis neveu et premier éditeur des œuvres de Fénelon. Citons des témoignages.
Le premier est une lettre de madame Guyon de 1695, datant d’avant ses longs emprisonnements. Il a l’intérêt au-delà de la présence de Dupuy de nous exposer les soucis d’une vie de fugitive158 :
Je quitte absolument le lieu où je suis, je trouve un petit lieu à la campagne au bon air, mais il faut l’acheter : on me demande 2000 livres comptants, et j’ai un contrat à une fille qui me sert sur l’Hôtel de Ville au denier quatorze que j’espère qu’on me fera vendre pour faire cette somme ; sinon le bon put, sur mon billet, me les prêtera. Il n’y a que ce moyen de me les faire tenir, car il faut payer d’abord. Ainsi, nul ne saura que je serai dans ce lieu, je n’y verrai âme vivante et il sera ignoré de tous les Enfants. Mais il me faudrait la bonne femme et je ne vois pas que nous la puissions avoir. Si n [otre] cher p [etit] M [aitre] le veut bien, Il nous facilitera le moyen de placer le fils. Je vous envoie le contrat de la petite Marc 1 avec un billet de 600 livres pour put [Dupuy]. Je vous prie qu’il me fasse toucher, le plus tôt qu’il se pourra, 2000 livres pour acheter ce petit lieu qu’on ne veut pas louer. Je vous serai sensiblement obligée. Je croyais vous envoyer le contrat de la petite Marc, mais je me souviens de l’avoir envoyé à M. Dupuy [Dupuy] dans une cassette avec d’autres papiers, par la voie de la petite duchesse. Si M. Dupuis le cherche, il le trouvera, ou bien il faut savoir de la bonne p[etite] d[uchesse] si elle a gardé le coffre. Ce fut M. l’abbé de Charost qui le fit prendre chez M. Thévenier ; ayez la charité de savoir tout cela à Fontainebleau [la Cour], je vous en prie, et qu’on m’envoie au plus tôt un billet pour recevoir les 2000 livres. Voilà un billet de deux mille livres pour M. Dupuis ; s’il a le contrat et qu’il me le mande, il brûlera le billet de deux mille livres et je lui enverrai un de six cents livres.
La « chasse » prendra fin par l’arrestation du 27 décembre 1695159.
Le second témoignage date de la progression vers l’enfer. Madame Guyon est mise au secret en 1697 dans un « couvent-prison » constitué à cette fin :
“Le petit « couvent » est un lieu de bonne garde […] Voilà mon espèce de testament ; il faut l’ajouter au codicille que je fis à Meaux. P. [= Put = Dupuy] a tout — c’est un bon enfant —, le t[uteur = Chevreuse] et vous, pouvez ouvrir celui-ci et le recacheter. Je crois être obligée de mettre toutes ces choses pour l’avenir, afin que la vérité soit connue. Il fut écrit à Vin [cennes]”. (Lettre à la petite duchesse de Mortemart).
Le troisième et dernier témoignage retenu est postérieur aux prisons, après que madame Guyon soit sortie de la Bastille lavée de tous soupçons (on n’a pu tirer un aveu forcé). Il s’agit du dialogue avec Fénelon de 1710, précieux vestige de leur correspondance160 où les courriers entre Cambrai et Blois étant assurés par le marquis neveu de Fénelon, Ramsay, Dupuy :
[Colonne gauche, Fénelon, question no. 2 :] Vous avez paru avoir quelque pensée que vous ne vivrez pas longtemps. Cette pensée subsiste-t-elle encore ? En quel état est votre santé ? […]
[Colonne droite, Mme Guyon, réponse :] Il est vrai que la pensée que je mourrai bientôt m’a restée quelque temps dans l’esprit, mais cela m’a été enlevé tout à coup. Tout est dans l’équilibre pour vivre ou mourir. Je vous ai écrit une lettre qu’il y a du temps que Put [Dupuy] m’a mandé vous avoir envoyée par gens sûrs : vous ne m’en dites rien. C’était l’état de mon âme que je vous exposais, elle commençait benedic me pater3.
[Colonne gauche, Fénelon, question no. 3 :] La p[etite] D[uchesse] [de Mortemart] ne m’écrit presque plus […] Elle est piquée à l’égard du P. abbé [de Langeron] et de Dupuy qui ont secoué son joug.
[Colonne droite, Mme Guyon, réponse :] […] C’est une crise. J’espère que cela passera… il est plus sûr d’obéir que de commander.
[Colonne gauche, Fénelon, question no. 5 :] L’abbé de Chanterac, homme savant… d’un très bon conseil… à soixante-douze ans, il voudrait fort nous quitter pour chercher dans notre pays de Gascogne un climat plus doux…
[Colonne droite, Mme Guyon, réponse :] Peut-il mieux faire que de consacrer le reste de sa vie pour l’Église … Je voudrais qu’il sentît une petite partie de ce que je sens pour l’Église : je ne prie que pour elle et je m’oublie absolument de tout le reste ; je vois ici un mal horrible161. Vous avez pu apprendre de p [ut] [Dupuy] tout ce qui s’y passe : je le lui ai mandé afin que vous en fussiez instruit. S’il veut absolument s’en aller, que faire autre chose que s’abandonner ? Mais arrêtez-le si vous pouvez.
Au-delà de ce rôle de services, Dupuy sait « secouer le joug » et être un consolateur :
29 septembre 1714, Lettre 324 : Nous avons perdu le Bon Duc [de Beauvillier]. J’ai écrit plusieurs lettres de consolation à notre cher père [Fénelon], qui devait s’attendre depuis longtemps à cette perte. Il ne laisse pas d’être fort affligé, vous connaissez son cœur. Je mande au bon Put [Dupuy] de l’aller trouver en cas que ses affaires le puissent permettre parce que je sais que ce serait une grande consolation pour lui.
Mme Guyon « l’aime bien »162. Signe de profonde confiance, elle lui a confié l’un des deux exemplaires de son testament.163
Un livre de lettres de Madame Guyon couvre la période parisienne grâce auquel nous suivons le combat de la « Dame directrice » lors de la « Querelle » du quiétisme164. En outre Dupuy colligea le livre des lettres de La Pialière. Cet ensemble a permis de reconstituer la moitié de la correspondance guyanienne165.
Surtout le marquis de Fénelon, le premier éditeur testamentaire des œuvres de son oncle, eut recours à la bonne mémoire de Dupuy pour établir une préface166. Dupuy constitua alors une Relation demeurée manuscrite167.
Nous ne découvrons qu’aujourd’hui son très grand intérêt. Il n’est pas trop tard pour présenter ce texte bien rédigé, préférable à la Préface du marquis qui se devait d’être pleinement irénique. Elle nous éclaire sur certaines causes cachées qui ont envenimé la « Querelle ». En voici une transcription (pour l’instant partielle) :
Relation du différend entre Monsieur l’Archevêque de Cambray et Monsieur l’Évêque de Meaux qui donna lieu à la disgrâce de Monsieur de Cambray.
(1) Vous me demandez, Monsieur, un récit fidèle de ce qui s’est passé dans le grand démêlé de Monsieur l’Archevêque de Cambrai avec Monsieur l’Archevêque de Paris et Messieurs les évêques de Meaux et de Chartres. Je veux bien satisfaire votre curiosité, mais il est bien difficile qu'il ne m'échappe beaucoup de choses dans le grand nombre de faits que j'aurais à vous raconter, s'il me fallait entrer dans un détail exact de tout ce qui y a donné lieu. Je tâcherai néanmoins de ne rien omettre d'essentiel et me renfermerai le plus qu'il me sera possible dans les faits constants dont on convient de part et d'autre ou dont les preuves à qui voudront les contester, seraient sans réplique.
Tout le monde sait la liaison qui était entre Monsieur de mots et Monsieur l’abbé de Fénelon avant que ce dernier vînt à la Cour et fût fait précepteur de Monsieur le Duc de Bourgogne, les louanges que Monsieur de Meaux donna au choix que le roi en venait de faire et combien il parut s’intéresser à l’élévation d’un homme que l’on regardait également (2) comme son ami et son disciple ; mais les distinctions que l’on accorda à Monsieur l’Abbé de Fénelon auprès du prince à cause de sa naissance ; sa réputation qui devint grande tout d’un coup et la faveur de Madame de Maintenon resserrèrent le cœur de Monsieur de Meaux à son égard, et il ne put voir sans un peu de peine un homme qu’il regardait comme son disciple, traité d’une manière si différente de celle dont il l’avait été. En effet il n’avait jamais eu ni la table de Monsieur le Dauphin ni son carrosse dans tout le temps qu’il avait été son précepteur, et l’on accorda l’un et l’autre à Monsieur de Fénelon dès les premiers jours qu’il eut l’honneur d’être auprès de Monsieur le duc de Bourgogne : il arrivait souvent que les manières douces et insinuantes avec lesquels on disait dans le public qu’il gagnait l’esprit du prince et lui rendait l’étude aisée et la lui faisait regarder plutôt comme un jeu que comme un assujettissement fâcheux, il arrivait dis-je souvent que ce discours porté aux oreilles de Monsieur de Meaux comme au meilleur ami de Monsieur de Fénelon, le blessait dans un endroit bien sensible, car l’on savait que sa conduite à l’égard de Monseigneur avait été toute contraire, et l’événement avait justifié qu’il ne s’y était pas bien pris, par le dégoût qu’il lui avait inspiré de toute sorte (3) d’étude.
Ces choses qui paraissent petites ne laissèrent pas de faire une impression assez grande dans l’esprit de Monsieur de Meaux, et quoiqu’au-dehors cela ne parut pas d’une manière bien marquée, leurs amis communs s’en aperçurent. Monsieur l’abbé de Fénelon cependant vivait avec lui à son ordinaire ; le voyait comme auparavant, et souvent l’invitait à se trouver à l’étude du Prince. Cinq ou six ans se passèrent de la sorte et ce qui restait du temps destiné pour l’éducation de Monsieur le Duc de Bourgogne aurait fini de même, sans les affaires de Madame Guyon fit entrer Monsieur de Meaux qui de son côté ne fut point fâché de reprendre avec Monsieur de Fénelon les airs de supériorité qu’il avait eus autrefois avec lui, car comme il s’agissait de doctrine, son caractère, son âge et sa réputation lui en donnaient une pour laquelle il savait que Monsieur l’Abbé de Fénelon était plein de respect et de déférence.
Madame Guyon sous prétexte de quiétisme, mais pour des intérêts particuliers avait été mise aux filles de Sainte-Marie par ordre du roi au commencement de l’année 1688. Madame de Maintenon qui la crût persécutée injustement, se fit une affaire auprès du roi de l’en tirer, elle la faisait entrer quelquefois dans Saint-Cyr, et trouvant (4) dans sa conversation et dans sa sorte de piété de quoi s’édifier, non seulement elle, mais quelques filles de cette maison qui souhaitèrent de la voir, elle leur permit de prendre confiance en elle et crût par le changement de quelques-unes dont elle n’était pas contente auparavant, n’avoir pas lieu de s’en repentir, elle en parla à Monsieur l’Abbé de Fénelon qui l’avait connue peu de temps après sa sortie de Sainte-Marie, il ne s’opposa point à l’estime qu’elle paraissait avoir pour elle et lui en parla même en plusieurs occasions d’une femme pleine de piété et de vertu dont il pouvait rendre témoignage plus que personne ; parce qu’il s’était trouvé à portée de lui faire expliquer ses expériences, et de connaître à fond ses sentiments.
Le hasard ayant fait trouver Madame Guyon à la campagne chez une dame des amis de Monsieur l'Abbé de Fénelon il était allé voir, il eut lieu de l'entretenir de beaucoup de choses qui avaient rapport à la vie intérieure, les affaires qu'elle avait eues l'avaient prévenu contre elle, et cette prévention le rendait fort précautionner pour s'éclaircir de ses sentiments sur une matière aussi délicate qui commençait à faire beaucoup de bruit ; il lui fit ses difficultés, elle répondit simplement, et ne trouvant rien dans sa doctrine que de conforme à celle de l'Église et très éloigné des idées qu'on en avait voulu (5) donner, il l’a vit plusieurs fois depuis et se confirma toujours de plus en plus dans l'opinion qu'il avait de sa piété et de son expérience dans les choses de la vie spirituelle.
Les entrées que Madame de Maintenon donna à Madame Guyon dans Saint-Cyr et l'estime que quelques personnes de la Cour distinguées par leur rang et par leur piété lui témoignaient donnèrent de l'inquiétude aux gens qui l’avaient persécutée, les directeurs ce soulevèrent et l'on engagea Monsieur l'Évêque de Chartres supérieur de Saint-Cyr de représenter à Madame de Maintenon que Madame Guyon troublait l'ordre de la maison par une conduite particulière, et que les filles qu'elle voyait étaient si fort attachées à ce qu'elle leur disait qu'elles n'écoutaient plus leurs directeurs. Madame Guyon n’alla plus à Saint-Cyr et sachant qu'on se plaignait qu'elle y avait donné des écrits où le venin du quiétisme était répandu, elle ne répondit plus à celles qui lui écrivaient que par des lettres ouvertes qui passaient par les mains de Madame de Maintenon.
Les directeurs de Saint-Cyr ayant obtenu ce qu'ils souhaitaient, ceux de la Cour mirent tout en œuvre pour la décrier, j'entre point dans les motifs qui les y engagèrent, ce n'est pas d'elle dont il s'agit ; mais sitôt qu'elle apprit que ce grand murmure n'avait pour fondement que la confiance d'un petit nombre d'amis qui la (6) voyaient, à qui l'on disait qu'elle apprenait à faire oraison, elle s'abstint de les voir, et même pour ôter tout prétexte de crier, ne s'agissant pour lors que de cette oraison qu'on lui imputait d'enseigner, elle se retira dans un lieu inconnu à tous ses amis et ne vit plus personne.
Cette conduite devait ce semble faire cesser le murmure et calmer les esprits échauffés, il arriva le contraire, et ceux qui la poussaient ne voyant pas que son éloignement produisit l’effet qu'ils en avaient attendu, résolurent de pousser les choses aux dernières extrémités. Ils avaient espéré que ses amis ne la voyant plus, reprendraient en ne la même confiance qu'ils avaient autrefois, mais un tel procédé n'était pas propre à les faire revenir. Ils demeurèrent dans le silence et souffrirent en paix ce qu'ils ne pouvait empêcher. Quelques jeunes dames de la Cour qui avaient pris le père Alleaume jésuite pour directeur, le conservèrent au grand scandale de ceux qui n’aimaient pas les jésuites, et les jansénistes qui avaient beaucoup recherché Madame Guyon autrefois, eurent le déplaisir de croire que Monsieur le Duc de Chevreuse qu’ils avaient élevé dans Port-Royal et qu’ils regardaient comme un homme attaché au parti, les abandonnaient pour demeurer de ses amis. Il connaissait Madame Guyon depuis deux ou trois ans seulement, il avait été fort prévenu contre elle, et ayant intérêt de la connaître pour (7) des raisons très essentielles qui regardaient sa famille, il ne s’en voulut rapporter qu’à lui-même ; il le fit avec toute la précaution imaginable, et cet examen lui donna autant d’estime pour elle qu’il avait eue auparavant de prévention contre.
Monsieur le duc du Beauvilliers ne donnait pas moins d’inquiétude à l’un et à l’autre de ces deux parties ; l’éducation des princes dont il était chargé, la confiance de Madame de Maintenon qu’il partageait avec Monsieur l’Abbé de Fénelon et ses emplois considérables qui l’attachaient auprès du Roi, le faisait regarder comme un homme qui pouvait beaucoup nuire ou servir. L’on savait l’estime qu’il avait pour Madame Guyon qu’il connaissait aussi depuis deux ou trois ans, et que la plupart de ses amis et ceux qui l’approchaient le plus la regardaient comme une personne d’une très grande vertu et en qui ils avaient beaucoup de confiance.
Son éloignement ne calma donc point les esprits échauffés de Saint-Cyr et de la Cour. L’on supposa qu’elle répandrait son poison de loin comme de près, et l’on crut que pour rendre sa doctrine plus suspecte, il fallait décrier ses mœurs. L’on mit tout en œuvre pour en venir à bout et ceux qui s’en mêlèrent y réussirent si bien qu’ayant persuadé Monsieur l’évêque de Chartres, il ne songea plus qu’à persuader aussi de son côté Madame de Maintenon et ceux de la Cour qu’il croyait des amis de Madame Guyon (8) ou entêtés de ses sentiments.
Madame de Maintenon tint bon quelque temps : ce qu’elle avait connu de Madame Guyon, ses lettres, ses écrits qu’elle avait goûtés, le témoignage que lui en rendaient d’ailleurs ceux de ses amis en qui elle avait alors le plus de confiance, lui faisait suspendre son jugement. Elle se rendit enfin aux instances de Monsieur l’Évêque de Chartres et de quelques personnes qui y entrèrent avec des vues trop humaines ou avec des intérêts particuliers.
Un de ceux qui firent le plus de bruit contre Madame Guyon fut Monsieur Boileau. Il avait passé plusieurs années de sa vie à l’hôtel de Luynes où sa piété et son désintéressement lui avaient acquis l’estime de tous ceux qui faisaient profession d’en avoir ; il avait vu cette dame plusieurs fois, lui avait fait ses difficultés sur le petit livre intitulé le Moyen court, et avait paru satisfait de sa docilité.
Une femme extraordinaire qui se mit sous sa conduite en arrivant à Paris lui fit changer de sentiment ; elle l’assura que Madame Guyon était mauvaise et qu’elle causerait de grands maux à l’Église. Monsieur Boileau persuadé par cette femme, de la sainteté de laquelle il se croyait sûr, se joignit à ceux qui (9) persécutaient Madame Guyon. Sa prévention lui fit croire le mal qu’il en entendait dire, et bientôt il fut un de ses plus zélés persécuteurs. Il n’est pas aisé de pénétrer pourquoi Mademoiselle de la Croix, car c’est ainsi que s’appelait cette femme qui depuis a fait beaucoup de bruit dans Paris sous le nom de sœur Rose, parlait ainsi de Madame Guyon. L'on suppose qu'elle ne la connaissait pas, qu'elle ne l'avait jamais vue et que son nom lui devait être aussi peu connu que sa personne ; mais depuis l'on a su les motifs qui l'engagèrent à décréditer, comme elle fit dans l'esprit de tous ses amis ; elle y avait un intérêt personnel très pressant, mais que Madame Guyon ne put pénétrer pour lors, ne sachant pas ce que c'était que cette Mademoiselle de la Croix qu'elle ne voyait point et qui n'était vue que d'un petit nombre d'amis de confiance sous prétexte de ses grandes infirmités. Les différents noms que cette femme a pris suivant les lieux où elle s'est trouvée, ont mis depuis Madame Guyon à portée de connaître ce qu'elle ignorait pour lors, mais elle n'en a voulu faire aucun usage pour ne faire tort à personne, et elle a abandonné (10) à Dieu le soin d’une réputation dont elle lui avait déjà fait le sacrifice. Quoi qu'il en soit Monsieur Boileau l'ayant consulté sur son sujet, elle lui demanda deux jours pour consulter Dieu aussi de son côté, et sa réponse fut qu’il lui avait été dit, « ma gloire n'est pas en cette femme et elle causera beaucoup de maux à l'Église. » Cette réponse fit une telle impression sur l'esprit de Monsieur Boileau qu’il abandonna l'hôtel de Luynes et ses anciens amis dès qu'il eut perdu l'espérance de leur ouvrir les yeux sur Madame Guyon. Ce n'est pas que Monsieur le Duc de Chevreuse ne lui offrit plusieurs fois de mettre papier sur table, et que si parmi les faits qu'on imputait à cette dame, il s'en trouvait un de vrai, il serait des premiers à l'abandonner, cela ne fit aucune impression sur son esprit, il fallait l'en croire sur l'autorité de Mademoiselle de la Croix et il eut cru manquer à Dieu que de douter un moment de ce qu'elle lui disait.
Voilà à peu près la disposition des esprits lorsque Madame Guyon se retira ; avant que de le faire, elle demanda avec beaucoup d'insistance à ses amis et à ceux qui avaient pris confiance en elle qu'ils la fît examiner par une personne dont le caractère et le savoir la (11) pût rassurer contre l'illusion si par hasard, contre son intention, elle leur avait inspiré quelque chose de contraire à la foi ; qu'elle était bien sûre de n'avoir pas voulu les tromper, mais qu'elle pouvait être trompée elle-même, et que quelque prévention qu’on eut en sa faveur, il était de l’ordre de ne rien négliger de ce qui pouvait contribuer à mettre et les esprits et les consciences en repos. Elle proposa elle-même Monsieur de Meaux qu’elle n’avait jamais vu, comme le plus propre à cet examen à cause de son savoir et de sa grande connaissance de la tradition. Monsieur le duc de Chevreuse se chargea de lui en parler ; il y témoigna d’abord quelque répugnance à cause de Monsieur l’Archevêque de Paris avec lequel il craignait de se compromettre, mais comme il ne s’agissait que de juger des expériences d’une personne qui cherchait la vérité et qui ne demandait qu’à être redressé supposé qu’elle se trompât, on lui fit entendre qu’il n’y avait rien en cela dont Monsieur de Paris put être blessé puisqu’il ne s’agissait point d’un jugement dogmatique qui dut paraître, mais seulement de son sentiment qu’elle regarderait comme la règle de sa conduite. Monsieur de Meaux ayant accepté cette proposition et l’ayant vue une fois ou deux, elle le pria de lire et d’examiner ses écrits qu’elle lui fit remettre entre les mains, non seulement les (12) imprimés, mais tous les commentaires sur l’Écriture sainte ; c’était un grand travail et il demanda quatre ou cinq mois pour se donner le loisir de le tout voir et de tout examiner. Cette matière lui était nouvelle et comme il s’était appliqué particulièrement à la controverse et à réfuter les hérétiques, il était souvent arrêté sur des figures ou des expressions qui l’embarrassaient. Souvent il s’en expliquait avec Monsieur le Duc de Chevreuse, cela donnait occasion à Madame Guuyon de s’expliquer davantage et de s’étendre sur ces endroits qui lui faisaient de la peine, ce qui apparemment le contentait, car il n’insistait plus. C’était par lettres que cela se passait, car Madame Guyon s’était retirée et ne voyait plus personne.
Ce prélat était à Meaux où il avait tout emporté avec lui. Madame Guyon qui cherchait la vérité crût par un excès de confiance devoir faire connaître à M. de Meaux jusqu’aux derniers replis de son cœur, pour cela elle lui fit remettre sa Vie entre les mains.
L’obéissance la lui avait fait écrire ; et ses dispositions les plus secrètes étaient marquées avec beaucoup de simplicité aussi ce fut sous le secret de la confession que ces défis lui fut remise et il promit un secret inviolable. Il lut tout avec attention, en fit de grands extraits et se [13] mit en état au bout du temps qu’il avait demandé, de lui proposer ses difficultés et d’écouter les explications qu’elle y donnerait. Ce fut au commencement de l’année 1694. Le jour de cette conférence, Monsieur de Meaux la communia de sa propre main et la vie chez Monsieur Janon un ecclésiastique de ses amis où il lui avait donné rendez-vous. Il y porta tous ses extraits et un mémoire contenant plus de 20 articles à quoi se réduisaient ses difficultés. Il parut satisfait de ses réponses sur tout ce qui pouvait avoir rapport à la pureté de la doctrine, mais il y eut un article ou deux sur quoi elle ne put le satisfaire. Il s’agissait de ses expériences, elle disait simplement ce qu’elle avait éprouvé, et ce qu’elle éprouvait encore, mais il la croyait trompée et voulait absolument qu’elle se la crût [trompée]. Sa difficulté principale et sur quoi il insista le plus, ce fut sur les demandes et sur les actes distincts qu’il croyait qu’elle travaillait à étouffer comme les croyants imparfaits ; elle lui écrivit quelques jours après l’examen plusieurs lettres qui sont encor en nature où elle s’explique très précisément sur toutes les difficultés qui l’arrêtaient et si ce prélat n’en fut pas content l’on peut croire qu’il fut arrêté par la nouveauté de la matière et par le peu d’usage qu’il avait des voies intérieures dont on ne peut guère bien juger que par l’expérience.
Cette conférence avait duré six ou sept heures, et Madame Guyon qui ne plus satisfaire Monsieur (14) de Meaux sur les articles de parler, se regarda comme une personne trompée et dans l’illusion et voulut que ses amis la regardassent de même. Elle prit la résolution de se retirer beaucoup plus loin et de rompre commerce généralement avec tout le monde ; elle en écrivit sur ce pied à M. le Duc de Chevreuse en le remerciant des peines qu’il avait prises et le suppliant de remercier M. De Meaux de celles qu’il s’était donné ; elle le pria encore de lui faire agréer la résolution qu’elle prenait de se retirer. M. de Meaux témoigna à M. Le Duc de Chevreuse que les difficultés sur quoi il insistait ne regardaient ni la Foi ni la Doctrine, qu’il pensit différemment d’elle à la vérité sur les articles dont il s’agissait, mais qu’il ne l’en croyait pas moins catholique, et qui si pour sa consolation et celle de ses amis elle en souhaitait un certificat, il était prêt de lui en donner un par lequel il paraîtrait qu’près l’avoir examinée ; il ne lui avait rien trouvé que de catholique et qu’en conséquence il lui avait administré les sacrements de l’Église. Madame Guyon le remercia de ses offres et lui fit dire que n’ayant souhaité de le voir que pour son instruction particulière ; il lui suffisait de l’assurance qu’il lui donnait sur le fond de la doctrine ; qu’elle faisait [15] son possible pour se conformer aux choses qu’il lui avait prescrites, mais que la sincérité dont elle faisait profession ne lui permettait pas de lui cacher qu’il y en avait sur lesquelles elle ne pouvait lui obéir quelque envie sincère qu’elle en eût et quelque effort qu’elle eut fait pour entrer dans cette pratique ; elle lui marqua en particulier les choses dont il s’agissait, et après en avoir reçu une lettre de plus de vingt pages avec la permission de se retirer qu’elle demandait avec beaucoup d’instances, elle rompit commerce avec tous ses amis en les assurant néanmoins que toutes les fois qu’il s’agirait de rendre raison de sa foi, elle reviendrait au premier signal qu’on lui en donnerait.
Il s’était joint un peu de crainte naturelle au premier motif qui l’avait engagé à se retirer ; ce qu’elle avait souffert de la part de Monsieur l’Archevêque de Paris lorsqu’elle fut mise à Sainte-Marie, lui faisait craindre de retomber dans ses mains, il ignorait que Madame de Maintenon eût changé de sentiments pour elle ; mais cela ne pouvait être caché longtemps, et il était à craindre, piqué contre elle au point où il l’avait été, qu’il ne fit donner une nouvelle lettre de cachet (16) lorsqu’il la verrait privée d’une telle protection. Monsieur Fouquet fut le seul à qui elle se confia du lieu de sa retraite ; et ce fut par lui qu’elle apprit l’horrible déchaînement qui se fit contre elle dès qu’on sût le changement de Madame de Maintenon et que ses amis ne la défendraient point, car c’est une justice qu’il faut lui rendre que dès le mois de juillet de l’année précédente lorsque les premiers éclats se firent, ceux d'entre eux qui étaient à portée de parler au roi et de le prévenir contre les mauvais offices qu’on pouvait rendre, se mirent en devoir de le faire. Madame de Maintenon même les y portait, on fit un mémoire sur cela qu'elle approuva et qu'elle offrit d'appuyer sitôt que Madame Guyon le sût, elle s'y opposa constamment, et soit qu'elles craignit de les compromettre inutilement ou qu'elle crut, comme il était assez vraisemblable, que son éloignement calmerait tout, puisqu'on ne lui reprochait jusque-là que de vouloir mettre indifféremment toutes sortes de gens dans une oraison à laquelle on croyait que peu de monde était appelé (ce qu'on ne lui imputerait plus dès qu'elle ne verrait plus personne) elle demanda si fortement qu'on ne fit aucune démarche pour sa justification (17) et qu'on la laissât pour ce qu'elle était, ont crut ne devoir pas passer outre, et le mémoire fut supprimé.
Cependant Madame de Maintenon à qui l'on fit voir des erreurs très grossières et tous les principes quiétisme dans le petit livre du Moyen court qu'elle avait fort goûté auparavant, ou qui crut les y voir sur la foi de ceux qui lui parlaient contre Madame Guyon, ne songea plus qu'à détromper ceux d'entre ses amis qu'elle croyait entêtés de ces sentiments ; elle en parla à Monsieur l'Abbé de Fénelon qui lui répondit qu'il n'avait plus de commerce avec elle, non plus que les autres dont elle pouvait être en peine, et que son éloignement qu'elle avait approuvé elle-même faisait apparemment tomber toute l’inquiétude que l’on avait prise sur son sujet. C’était en effet ce que l’on en devait présumer, mais on commençait à avoir un autre but. La confiance que Madame de Maintenon avait en Monsieur l’Abbé de Fénelon et sa faveur qui se déclarait tous les jours donnait de l’ombrage à bien des gens ; l’occasion était trop belle pour la manquer, on le crut entamé dès que Madame de Maintenon s’était déclarée contre Madame Guyon, et l’on n’oublia rien de tout ce qui pouvait fortifier les soupçons qu’on lui donnait contre lui dès qu’on sentit qu’elle y prêtait l’oreille. Ses meilleures amies y entrèrent, mais avec des vues (18) différentes, les uns pour se faire de sorte et entrer en commerce avec Madame de Maintenon, d'autres par être intimidés du péril où on les assurait qu'était leur ami de se laisser aller à des préventions dangereuses dont il serait difficile de les faire revenir, et plusieurs par des sentiments naturels et humains qui ne manquent pas aux gens de Cour. L'on n’oublia rien pour rendre la personne de Madame Guyon odieuse dont le contrecoup semblait retomber sur lui, l'on décria ses mœurs et on lui attribua toutes les horreurs du quiétisme. Des personnes d'une dignité éminente écrivirent des lettres qu’on fit courir par la ville et à la Cour, qui en donnaient des idées affreuses. Un grand parti qui ne lui était pas déjà favorable s’y joignit, enfin tout conspira à un décri universel.
Ce déchaînement qu’elle apprit dans sa retraite lui fit juger qu’on en voulait à d’autres qu’à elle ; elle n’avait pas fait jusque-là un personnage assez considérable pour causer une si grande rumeur ; mais, quel qu’en pût être le motif, elle crut puisqu’il s’agissait de ses mœurs, devoir rompre le silence et chercher à les justifier par une voie qui ne laissât plus rien à désirer.
Pour cet effet elle écrivit à Madame de Maintenon (19) qu’elle la suppliait de lui faire donner par le Roi des commissaires pour informer à charge et à décharge sur toutes les choses qu’on lui imputait, qu’on lui fit son procès suivant toute la rigueur des lois, qu'elle ne demandait aucune grâce si elle était condamnée, qu'elle marquerait toutes les personnes avec qui elle avait passé sa vie, tous les lieux où elle aurait été et que si l'on avait la volonté d'entrer dans cet expédient le plus capable de faire connaître la vérité, elle se rendrait au bout de huit jours dans telle prison qu'on voudrait bien lui marquer ; elle ajoutait que comme les juges ecclésiastiques ne prononceraient pas sur le crime, elle la suppliait de les faire nommer moitié laïques moitié ecclésiastiques afin que jugeant sur le tout, elle subisse la peine qui lui serait due si elle était condamnée ou qu'on les fit subir à ceux qui l’auraient injustement calomniée. Monsieur le duc de Beauvilliers voulut bien se charger de cette lettre et la faire tenir à Madame de Maintenon, mais elle ne jugea pas à propos d’entrer dans un expédient qui paraissait si naturel, elle répondit simplement à Monsieur de Beauvilliers qu’elle ne croyait rien des bruits qui couraient sur Madame Guyon, que ce n’était point de ses mœurs dont il (20) s’agissait, qu’elle avait toujours cru très bonnes, mais du fonds de ses sentiments, et qu’il serait à craindre qu’en la justifiant sur les mœurs, l’on ne donnât trop de créances à sa doctrine qui était très mauvaise ; qu'il fallait une bonne fois éclaircir cet article de la doctrine et que le reste ensuite tomberait de soi-même.
Ces discussions paraissaient fort embarrassantes à cause de Monsieur l'Archevêque de Paris à qui l'on concevait de part et d'autre qu'il en fallait ôter la connaissance. Jusque-là le roi n’avait point entendu parler de toutes ces affaires de Madame Guyon, l’on jugea à propos de lui en parler, et Madame de Maintenon le fit avec beaucoup de ménagement. Elle lui fit entendre qu’il y avait de petits livres de Madame Guyon qui commençaient à faire du bruit comme favorisant le quiétisme, que plusieurs jeunes dames de la cour qui la connaissaient et à qui elle avait fait beaucoup de bien en les retirant du monde et les portant à la piété, paraissaient y prendre une si grande confiance qu’il était à craindre qu’elle ne leur inspirât des sentiments dangereux, supposé qu’elle en eût, que cette dame ne demandait pas mieux que d’être redressée si on lui faisait connaître qu’elle se fut écartée le moins du monde du chemin battu et qu’elle (21) demandait avec insistance qu’on la fît examiner par des gens d’un caractère à lui mettre une bonne fois l’esprit en repos aussi bien qu’aux autres, que cet examen naturellement regardait Monsieur l’Archevêque de Paris [ajout marginal d’autre main ; de Harlay], mais toutes les parties avaient si peu de confiance en lui qu’elle est en ce point qu’il lui en fallait ôter la connaissance pour la donner à des gens d’une piété aussi bien d’un savoir reconnu ; elle lui fit aussi connaître l’intérêt que Monsieur de Beauvilliers et Monsieur de Chevreuse avaient à cet examen, tant à cause de ces jeunes dames et des autres amis de Madame Guyon dont ils étaient environnés, que parce qu’ils la connaissaient eux-mêmes et avait beaucoup d’estime pour elle à cause de sa vertu et de sa piété. Le roi se rendit à ces raisons et pour ne pas faire de peine à Monsieur l’Archevêque, dans le diocèse duquel cela se devait faire, il ne voulut pas paraître y avoir entré ni même savoir qu’il se fit.
Il ne s’agissait plus que de savoir sur qui on jetterait les yeux pour cet examen ; le premier qui se présente à Monsieur de Meaux, il en avait déjà fait un particulier quelques mois auparavant, et Madame de Maintenon qui le savait, le voulut voir pour sonder ses sentiments (22) et savoir jusqu’où elle pouvait compter sur lui dans la condamnation qu’elle voulait faire faire ; car c’était de cela dont il s’agissait et cet examen prétendu n’était que pour la rendre plus authentique et fermer la bouche à ce qu’une conduite trop passionnée aurait blessé ou éloigné du but qu’elle se proposait. Il ne fut pas difficile à Monsieur de Meaux de pénétrer les intentions de Madame de Maintenon non plus que son inquiétude sur ses amis ; la confidence avait quelque chose de flatteur et il promit apparemment tout ce qu’on pouvait espérer de lui. D’un autre côté Madame Guyon et ceux qui s’intéressaient pour elle furent bien aises de l’y voir entrer ; il avait eu déjà connaissance de l’affaire et après un long examen où il n’était entré que par un esprit de charité, non seulement il lui avait administré les sacrements le jour de la conférence, mais même depuis il avait offert à Monsieur le Duc de Chevreuse le certificat dont il a été parlé, et de son aveu les choses sur lesquelles il n’avait pu convenir avec elle n’ayant pas été décidées par l’Église, n’en blessaient pas [point partout pour pas] la foi. Il fut donc choisi de part et d’autre avec le même agrément. Madame Guyon à cause (23) de Madame la Duchesse de Guiche qu’elle avait beaucoup vue, souhaita que Monsieur l’évêque de Chalon y entrât, il avait de la douceur et de la piété, et elle croyait qu’il avait quelque connaissance des voies intérieures dont il s’agissait plus ici que du dogme de l’Église. Monsieur de Beauvilliers et Monsieur l’Abbé de Fénelon souhaitèrent que Monsieur Tronson y entrât aussi : il était supérieur de la maison de Saint-Sulpice et ils avaient tous deux une confiance très particulière en lui depuis un grand nombre d’années. L’on demanda à ses trois messieurs un grand secret sur toute cette affaire ; elle aurait blessé Monsieur l’Archevêque qui l’aurait portée au Roi et s’en serait attribué la connaissance avant que de n’entrer dans aucune discussion, Madame de Maintenon souhaita que Monsieur l’Abbé de Fénelon y entrât comme quatrième, et le Roi l’approuva ; il y avait de la répugnance à cause de la liaison qu’il avait eue avec Madame Guyon et les préventions où l’on était qu’il était trop entêté de ses sentiments ; cependant il ne put s’en défendre et il travailla de concert avec ces messieurs.
Dans la première entrevue qu’il eut avec Monsieur de Meaux, ce prélat lui avoua de bonne foi qu’il n’avait aucune connaissance des auteurs (24) mystiques et qu’il n’avait jamais lu Saint-François-de-Sales ni le bienheureux Jean de la Croix ni la plupart de ceux qui traitent des voies intérieures et de ce qu’on appelle la vie spirituelle, comme c’était de la conformité de leurs sentiments avec ceux de Madame Guyon dont il s’agissait, il ajouta qu’il les allait lire avec beaucoup d’attention, qu’il les emporterait à Germigny avec les écrits de Madame Guyon et que dans une affaire de cette conséquence il fallait prendre un grand temps pour tout examiner et ne laissait rien derrière soi.
Monsieur l’abbé de Fénelon qui entra dans sa pensée, lui offrit de faire des extraits d’un grand nombre de ces auteurs qui lui étaient connus ; c’était un grand travail dont il ne soulageait et qui le mettait tout d’un coup à portée de voir l’état de la question ; madame de Maintenon approuva son dessein ; il travailla donc sur Saint Clément, saint Grégoire de Naz [iance], sur Cassien, Saint-François-de-Sales, le bienheureux Jean de la Croix et plusieurs autres. Ce travail était grand, mais comme il ne s'agissait que de lui fournir des matériaux et les mettre à portée de consulter les originaux sur les difficultés qui se présenteraient, ou sur ce qui lui paraîtrait de trop nouveau, il entreprit avec la confiance d'un homme qui agit à découvert avec son ami (29) pour le soulager dans son travail, et n'alla pas s'imaginer qu'on le prétendit rendre responsable d’écrits informes et faits à la hâte et sans précaution sur les termes, qui n’étaient que pour lui ; il les envoyait à Monsieur de Meaux à mesure qu'il les achevait, ce prélat gardait un profond silence ; disait qu'il fallait tout voir et qu'il se réservait de juger du tout à la fin. Cette réserve n'était que pour Monsieur l'abbé de Fénelon. Il s'expliquait plus ouvertement avec Monsieur de Chalons et à Monsieur Tronçon lorsqu'il les voyait. Il leur donnait pour sentiment de cet abbé les expressions de ces saints auteurs que cet abbé rapportait sans précaution, et ces Messieurs qui y allaient tout à la bonne foi lui faisaient à leur tour leurs difficultés, qu'il levait sur-le-champ, parce que le plus souvent elle ne roulait que sur des équivoques. La plus grande part de ses écrits tendait à faire voir que les mystiques des premiers siècles n'avaient pas moins exagéré que ceux qui étaient venus après eux ; qu'il ne fallait prendre en rigueur ni les uns ni les autres, mais que quoi qu'on en rabattît, il en resterait encore plus qu'il ne fallait pour soutenir l'amour désintéressé. Monsieur de Meaux avait toujours soutenu l'opinion contraire et ne pouvait souffrir qu'on lui fît voir qu'une traduction de l'église constante (26) et suivie sur un point si essentiel à la religion [l’amour désintéressé] lui eut échappé. C’était sur quoi Monsieur de Fénelon insistait toujours, et c’était aussi ce qui indisposait toujours Monsieur de Meaux de plus en plus contre lui ; il n’était pas accoutumé à cette sorte de résistance et la trouvait encore moins supportable dans un homme qu’il regardait comme son disciple de ce point capital sur lequel il pensait si différemment, il naissait un grand nombre de questions sur lesquelles il était bien difficile qu'ils accommodassent ; il arriva de la qu'après un examen de plusieurs mois dans lequel Monsieur de Meaux ne lui avait fait aucune ouverture de ses sentiments ou fort peu, ils eurent bien de la peine à convenir de quelque chose de précis sur cette matière lorsqu'il a voulu réduire à des principes certains. À vérité ce n'était d'abord l'intention ni dessein ni des autres. L'on avais-je songé dans le commencement de l'examen qu'à la seule Madame Guyon et à en détacher ce que l'on appelait ses amis, en leur faisant voir qu'elle était dans l'illusion : elle promettait une soumission aveugle pour la décision de ces Messieurs ; après quoi elle offrait de se retirer où l'on voudrait. Il ne s'agissait donc que de lui faire voir en quoi elle se méprenait, l'abus qu'on pouvait faire de ces expressions par la conformité qu'elle (27) avait avec celle des faux mystiques, lui faire expliquer les choses qui faisaient de la peine ; en un mot, la redresser et faire connaître aux uns et aux autres en quoi elle avait excédé. C'était la voie la plus simple et la plus naturelle pour parvenir au but que l'on se proposait, mais Monsieur de Meaux voulait faire un personnage ; il fallait entretenir avec Madame de Maintenon un commerce qui ne roulait que sur cette affaire, et faire sentir à Monsieur de Fénelon une autorité pour laquelle il n’avait pas une déférence assez aveugle ; sans parler de ce fonds de jalousie qu’il ne connaissait pas lui-même, mais qui n’avait pu échapper à leurs amis communs. Monsieur de Meaux qui était l’âme de cette affaire, tant par son caractère que par son âge et la réputation de doctrine où il était, voulut donc que l’Église fût en péril par ces deux petits livres de Madame Guyon dont il a déjà été parlé, car il ne s’agissait pas pas de ses manuscrits que personne ne connaissait et qu’elle offrait de brûler au moindre signal qu’on lui en donnerait ; il avait eu sur la fin de l’année 1694 une ou deux conférences avec elle où Monsieur de Chalons était présent, et elle n’avait servi que pour rendre plus authentique la condamnation qu’il avait (28) promis d’en faire ; il en rendit compte à Madame de Maintenon qui le dit au roi et l’un et l’autre crurent que c’était une affaire finie dont ils n’entendraient plus parler.
En effet peu de jours après Madame Guyon se retira dans le monastère des filles de Sainte-Marie à Meaux de l’agrément de ce prélat qui le souhaita même pour achever, disait-il, de la désabuser de sa prétendue spiritualité et elle rompit le peu de commerce que la nécessité l'avait obligé de garder avec quelques-uns de ses amis pour voir ces Messieurs qui la faisait avait examiné.
Il y avait donc lieu de croire qu'on n'entendrait plus parler de cette affaire ; toutes les parties le souhaitaient également, et l'on avait pris les précautions que la bonne prudence ce semble avait exigé pour couper le mal dans sa racine. Monsieur de Meaux n'en voulut pas demeurer là et supposant pour des raisons dans tout autre que lui aurait eu peine à rendre compte, que l'Église était en péril, il voulut faire des canons comme pour assurer le Dogme catholique contre les erreurs des quiétistes. Pour cet effet, dans une conférence qu'il eut a Issy avec Monsieur de Chalons, Monsieur Tronçon et Monsieur de Fénelon qui venait d'être nommé à l'archevêché (29) de Cambrai, il leur montra trente articles qu'il avait dressés et leur proposa de les signer comme une barrière contre toutes les nouveautés. Monsieur de Cambrai après les avoir lus dit à Monsieur de Meaux qui ne croyait pas que ces articles dans l'état où ils étaient expliquassent suffisamment la matière sur laquelle il voulait prononcer ; et demanda pour y ajouter ce qu'il croyait lui manquer ; il en changea plusieurs, les ayant rapportés avec des changements Monsieur de Meaux les rejeta et insista toujours sur ce qu'il avait proposé. Monsieur de Cambrai demanda sur cela que l'on expliquât nettement deux vérités que l'on admettait, l'une de l'amour désintéressé, l'autre de l'oraison passive. À l'égard de l'amour désintéressé, il voulait que l'on restreignît les actes distincts qu'on exige à ne blesser pas cet amour, et soutenir que cette restriction ne pouvait être trop nette et trop positive.
Pour l'oraison passive que l'on admettait également dans les articles et que l'on distinguait de la contemplation active, de l'oraison de présence de Dieu et des autres après à peu près semblables, il demandait qu'on la définisse exactement après avoir défini les autres, et qu'ensuite prononça que c'était une insigne témérité que de tenir l'oraison passive (30) pour suspecte ; il soutenait que ne le point faire c'était ne rien faire et être toujours à recommencer ; que c'était ne point autoriser sérieusement cette oraison contre ceux qui l’attaquaient, ni préserver de l'illusion ceux qui l'a poussaient trop loin ; il insistait donc pour demander qu’on fît des définitions précises ; enfin il donna le choix de signer les trente articles contre sa persuasion parce qu'il ne les croyait pas assez expliqués sur ces deux points essentiels ; et de le faire par pure soumission à l'autorité des évêques, ou bien de les signer par pleine et entière persuasion avec les modifications qu'il avait ajoutées dans son projet par rapport à l'amour désintéressé et à l'oraison passive ; que de la première façon il signerait avec soumission contre sa pensée, mais qui serait pourtant de bonne foi parce qu'il préférait le jugement des évêques aux siens ; de la seconde, il signerait de tout son cœur ; qu'il croyait plus que personne ce qu'il signerait et qu'il voudrait le signer de son sang. Monsieur de Chalons pressa fortement Monsieur de Meaux sur ces choses qui lui paraissaient justes et nécessaires ; il se rendit enfin et peu de jours après on ajouta trois articles aux trente qui furent le 12. le 13. et le 33e, après quoi Monsieur de Cambrai non seulement ne fit plus difficultés, mais il marqua qu'il était (31) prêt de les signer de son sang. Dans la dernière conférence qui se tint à Issy pour la signature des articles on ajouta le 34e qui fut dressé sur le champ entre tous ces messieurs dans le moment même l'on allait signer.
C'était peu pour Monsieur de Meaux d'avoir adressé des articles s'il ne les donnait au public ; la bienséance voulait qu'il ne le fît pas sans la participation de ceux qui y avaient eu part. Il passa par-dessus cette formalité, et quelque temps après Monsieur de Cambrai apprit et leur impression et la distribution qu'il en faisait aux gens de la Cour ; il ne s'en plaignit pas et continua d'agir avec lui comme il avait toujours fait. D'un autre côté Monsieur de Meaux avait applaudi plus que personne à la nomination pour l'archevêché de Cambrai. Le choix du disciple pour une place de cette conséquence faisait honneur à celui que l'on avait toujours regardé comme son maître, et ce qui venait de passer au sujet des affaires de Madame Guyon semblait assurer Monsieur de Meaux, d'un dévouement plus parfait de la part de Monsieur de Cambrai.
Il le connaissait à fond, ses dispositions intérieures lui étaient parfaitement connues, et sur quelque (32) léger soupçon que Monsieur de Meaux lui avait laissé paraître que son commerce avec Madame Guyon ne l'eût entraîné à quelques nouveautés, il lui avait donné un écrit sur son intérieur où il avait mis tout ce qui peut être compris dans une confession générale de toute sa vie. Personne aussi n’avait applaudi plus que Monsieur de Meaux au choix que le Roi en avait fait. Ce prélat voulut être son consécrateur et il surmonta tous les obstacles que la présence de Monsieur de Chartres comme évêque diocésain y pouvait apporter.
L'intelligence de ces deux prélats avait toujours paru la même jusqu'à ce jour ; ces petites semences de division avaient échappé au public. Monsieur de Meaux croyait avoir réduit Monsieur de Cambrai au point d'une déférence aveugle pour tous ses sentiments, et Monsieur de Cambrai en lui faisant admettre les articles ajoutés aux trente premiers, se promettait de lui faire admettre par des conséquences nécessaires tout son système sur l'amour désintéressé. L'un et l'autre se trompèrent dans leur jugement comme l'événement le fera voir.
Monsieur de Meaux avait exigé de Madame Guyon qu'elle irait passer quelque temps dans son diocèse ; il la fit souscrire aux 34 articles d'Issy, eut de grandes conférences avec elle, fit les derniers efforts pour tirer d'elle une rétractation (33) des erreurs sur lesquelles il prétendait l'avoir condamnée ; mais elle l'assura constamment qu'elle n'en avait jamais eu aucune de celles qui lui imputaient ; qu'elle ne prétendait pas défendre les expressions de ses écrits si l'on en pouvait tirer des conséquences contraires à la foi, qu'elle était la première à les condamner s'il y avait quelque chose de mauvais, qu'elle était une femme ignorante sur la valeur des termes ; qu'elle avait toujours entendu dans un sens très catholique ; et que sans mentir au Saint Esprit elle ne pouvait avouer d'avoir cru des erreurs qu'elle n'avait jamais crues. Il n'y eut rien que Monsieur de Meaux ne tenta et ne mit en œuvre pour tirer d'elle l’aveu de ses erreurs prétendues, elle fut inébranlable sur cet article autant qu'elle était soumise sur tout le reste ; il la fit souscrire à la censure de ses livres imprimés, et tira d'elle quelques autres signatures à force de la persécuter pour lesquelles, comme elle ne connaissait pas la valeur des termes et qu'elle craignit une surprise, elle fit sur-le-champ des protestations. Ce prélat l'ayant traité pendant tout le temps qu'elle fut dans ce monastère d'une manière qu'on aurait peine à croire ; ne put cependant se dispenser de lui donner à (34) la fin l'attestation qu'elle lui demandait, il en fit différents projets qu'il lui proposa et qu'elle le supplia de changer comme étant insuffisant, après le scandale horrible qui s'était élevé contre elle ; cela finit par un écrit qui lui mit entre les mains dans lequel il déclare [ce qui suit souligné] au moyen des déclarations et des soumissions de cette dame il demeure satisfait de sa conduite, qu’il lui continue la participation des Saints Sacrements dans laquelle il l’a trouvée, déclarant en outre qu'il ne l’a trouvée en aucune sorte impliquée dans les abominations de Molinos ou autres condamnées ailleurs, et qu'il n'a entendu la comprendre dans la mention qu'il en a faite dans son ordonnance du 6 avril 1695 [fin du soulignement]. Cette attestation est du 1er juillet de la même année. Cet acte si authentique après un examen si rigoureux et tant de précautions pour faire paraître Madame Guyon quiétiste, déplut infiniment à ceux qui voulaient qu'elle l’a fut. On le ne lui cacha pas la peine où l'on en était sitôt qu'il fut arrivé de Meaux, et ce prélat eût le déplaisir de voir qu'on était peu reconnaissant de tant de peines qu'il s'était données. Il crut qu'il était encore temps d'y remédier et que Madame Guyon étant entre ses mains il lui serait facile de (35) retirer l'acte qu’il lui avait donné et d'en substituer un autre en la place qui ne voudrait rien dire. Pour cet effet il écrivit à la supérieure du couvent où elle était qu'elle retirât des mains de Madame Guyon l'acte qu’il lui avait donné et le lui renvoyât sur le champ, qu’il lui en envoyait un autre plus entendu et qu'il avait ses raisons pour en user ainsi ; le voici dans son entier.
[annotation marginale] seconde attestation que Monsieur de Meaux voulait substituer à la première]
Nous évêque de Meaux avons reçu les présentes soumissions et déclarations de ladite dame Guyon tant celle du 15 avril 1695 que celle du 1er juillet de la même année et lui en avons donné acte pour lui valoir ce que de raison, déclarant que nous l'avons toujours reçue et la recevrons sans difficulté à la participation des Saints Sacrements dans laquelle nous l'avons trouvée, ainsi que la soumission et protestation de sincère obéissance et avant et depuis le temps qu'elle est dans notre diocèse, y joint la déclaration authentique de sa foi avec le témoignage qu'on nous a rendu et qu'on nous rend de sa bonne conduite depuis six mois qu'elle est au dit monastère. Le requérant, nous lui avons enjoint de faire en temps convenable les demandes et autres actes que nous avons marqués dans lesdits articles par elle souscrite comme essentiels à la piété et expressément (36) recommandés de Dieu sans qu’aucun fidèle s’en puisse dispenser sous prétexte d'autres actes prétendus plus parfaits où éminents, ni autres prétextes quels qu'ils soient, et lui avons fait [mot illisible : impératives ?] défense tant comme évêque diocésain qu'en vertu de l'obéissance qu'elle nous a promise volontairement comme dessus, d'écrire, enseigner ou dogmatiser dans l'Église, ou d'y répandre ses livres imprimés ou manuscrits, ou de conduire les âmes dans les voies de l'oraison autrement, à quoi elle s'est soumise de nouveau nous déclarant qu'elle faisait lesdits actes. Donné à Meaux au dit monastère le jour et an que dessus. Signé Évêque de Meaux. [Fin de l’ajout marginal d’un trait continu signalant transcription].
Cet acte si différent du premier ne trouva plus Madame Guyon à Meaux lorsqu'il y arriva. Le prélat en lui donnant la première attestation, comptant qu'elle finissait toutes leurs discussions et qu'elle n'avait plus rien à faire dans le couvent où elle était, lui avait permis de se retirer ou bon lui semblerait, et elle avait ainsi grand intérêt de se retirer de ses mains par tous les procédés qu'il avait eu avec elle pendant le séjour qu'elle avait fait à Meaux que dès qu'elle se vit libre, elle ne songea plus qu'à en partir. La supérieure à qui l'acte était adressé l'envoya à Madame (37) Guyon avec la lettre de Monsieur de Meaux. Cette dame lui fit réponse que le premier n'était plus entre ses mains, qu'elle l’avait envoyé à sa famille le jour même que Monsieur de Meaux le lui avait donné, et qu'après les bruits qu'on avait répandus d'elle dans le public, elle ne croyait pas que sa famille se dessaisit d'un acte qui faisait sa Justification, et se contentât du dernier qui bien loin de la faire, était capable de faire croire qu'elle eut donné lieu à tout ce qu'on avait dit contre elle. Monsieur de Meaux n'insista plus et eut le déplaisir de ne contenter personne. Monsieur de Harlay archevêque de Paris étant venu à mourir vers ce temps-là il semblait que le roi penchât du côté de Monsieur de Meaux pour lui faire remplir cette place importante, mais soit que Madame de Maintenon ne fut pas contente de la manière dont il avait fini avec Madame Guyon ou qu'elle songeât déjà à l'alliance de Monsieur de Noailles, elle la fit donner à Monsieur de Chalons. Sur la fin de la même année, on fit arrêter Madame Guyon par ordre du roi et elle fut mise à Vincennes. Monsieur de la Reynie eût ordre de l'interroger, mais comme je n'ai parlé d'elle qu'à l'occasion du différent, dont vous me demandez le récit, je me renfermerai dans les bornes que je me suis prescrites sur le différent de ces deux (38) prélats et ne parlerai de cette dame qu'autant qu'elle y a donné lieu. Cependant le cœur de Madame de Maintenon se fermait tous les jours de plus en plus pour Monsieur de Cambrai ; elle regardait comme un entêtement inexcusable la résistance qu'il faisait paraître à ne pas condamner Madame Guyon sur les faits rapportés par Monsieur de Meaux ; elle lui en parlait en toute occasion, lui en faisait parler par Monsieur l'Archevêque avec lequel elle souhaitait qu'il se liât particulièrement, et lui en écrivit un jour avec une amertume de cœur qui ne se peut exprimer. Monsieur de Cambrai était véritablement touché de sa peine et eût voulu faire toutes choses au monde pour la contenter ; trop de motifs l'y engageaient, la reconnaissance, le respect, la place qu'elle occupait, le désir de voir finir une affaire si ennuyeuse pour lui et plus que tout cela son attachement personnel pour elle169 était des raisons très puissantes pour le porter à tout ce qu'elle aurait voulu, mais il avait au-dedans de lui un cœur trop sincère pour s'y arrêter ; et sa conscience lui faisait suivre d'autres règles. Si j'étais capable, lui répondit-il, d'approuver une personne qui enseigne un nouvel évangile (39) j'aurais horreur de moi plus que du diable, il faudrait me déposer et me brûler, bien loin de me supporter comme vous faites, mais je puis fort innocemment me tromper sur une personne que je crois sainte parce que je crois qu'elle n'a jamais eu l’intention d'enseigner ni d’écrire rien de contraire à la doctrine de l'église. Si je me trompe dans ce fait, mon erreur est très innocente ; et comme je ne veux jamais ni parler ni écrire pour autoriser excuser cette personne, mon erreur est aussi indifférente à l'Église qu’innocente pour moi. Je dois savoir les vrais sentiments de Madame Guyon mieux que tous ceux qui l'ont examinée pour la condamner ; car elle m'a parlé avec plus de confiance qu'à eux. Je l'ai examinée en toute rigueur et peut-être que je suis allé trop loin pour la contredire.
Je n'ai jamais eu aucun goût naturel pour elle pour ses écrits, je n'ai jamais rien éprouvé d'extraordinaire en elle qui est pû me prévenir en sa faveur. Dans l'état le plus libre et le plus naturel, elle m'a expliqué toutes ses expériences et tous ses sentiments ; il n'est pas question des termes que je ne défends pas et qui importent peu dans une femme pourvu que le sens soit catholique. Elle est naturellement exagérante, (40) ajoute-t-il, et peut précautionner dans ses expressions, elle a même un excès de confiance pour les gens qui la questionnent. La première est bien claire puisque Monsieur de Meaux nous a redit comme des impiétés, les choses qu'elles lui avaient confiées avec un cœur soumis et un secret de confession. Je ne compte pour rien ni ses prétendues prophéties ni ses prétendues révélations, et je ferais peu de cas d'elle si elle les comptait pour quelque chose. Une personne qui est bien à Dieu peut dire dans le moment ce qu'elle a au cœur sans en juger et sans vouloir que les autres s'y arrêtent. Ce peut être une impression de Dieu, car ses dons ne sont point taris, mais ce peut être aussi une imagination sans fondement. La voie où l'on aime Dieu uniquement pour lui en se renonçant pleinement soi-même, est une voie de pure foi qui n'a aucun rapport avec les miracles et les visions. Personne n'est plus précautionné ni plus sobre que moi là-dessus. Ensuite venant aux faits particuliers que Monsieur de Meaux reprochait à Madame Guyon, je n'ai jamais lu, dit-il, ni entendu dire à Madame Guyon qu'elle fut la pierre angulaire, mais supposer qu'elle l’ait dit ou écrit, je ne suis pas en peine du sens de ces paroles. Si elle veut dire qu'elle est Jésus-Christ, elle (41) est folle, elle est impie ; je la déteste et je le signerai de mon sang ; si elle veut dire seulement qu'elle est comme la pierre du coin qui lie les autres pierres de l'édifice, c'est-à-dire qu'elle édifie et qu'elle unit plusieurs personnes en société, qui veulent servir Dieu, elle ne dit d'elle que ce qu’on peut dire de tous ceux qui édifient le prochain et cela est vrai de chacun suivant son degré. Pour la petite église, elle ne signifie pas dans le langage de Saint Paul, d’où cette expression est tirée, une Église séparée de la catholique. C'est un membre très soumis. Je me souviens que le père de Mouchy bien éloigné de l'esprit du quiétisme, ne m'écrivait jamais sans saluer notre petite Église ; il voulait parler de ma famille. De telles expressions ne portent pas par elles-mêmes aucun mauvais sens, il ne faut pas juger par elles de la doctrine d'une personne, tout au contraire il faut juger de ces expressions par le fond de sa doctrine. Je n'ai jamais parlé de ce grand et de ce petit lit, ajoute-t-il, mais je suis assuré qu'elle n'est pas assez extravagante et assez impie pour se préférer à la Sainte Vierge, je parierai ma tête que tout cela ne veut rien (48) dire de précis et que Monsieur de Meaux est inexcusable de vous avoir donné comme une doctrine de Madame Guyon ce qui n'est qu'un songe ou quelque expression figurée ou quelque autre chose d'équivalent, qu'elle ne lui avait même confié que sous le sceau de la confession. Quoi qu'il en soit, si elle se comparait à la Sainte Vierge pour s'égaler à elle, je ne trouverais pas de terme assez fort et assez rigoureux pour abhorrer une si extravagante créature.
Il est vrai qu'elle a parlé quelquefois comme une mère qui a des enfants en Jésus-Christ et qu'elle leur a donné des conseils sur les voies de la perfection, mais il y a une grande différence entre la présomption d'une femme qui enseigne indépendamment de l'église, et une femme qui aide les âmes en leur donnant des conseils fondés sur ses expériences et qui le fait avec soumission aux pasteurs. Toutes les supérieures de communauté doivent diriger de cette dernière façon quand il n'est question que de consoler, d'avertir, de reprendre, de mettre ces âmes dans certaines pratiques de perfection, ou de retrancher certains soutiens de l'amour-propre. La supérieure pleine de grâce et d'expérience peut le faire très utilement (43), mais elle doit renvoyer au ministre de l'église toutes les décisions qui ont rapport à la doctrine.
Si Madame Guyon a passé cette règle, elle est inexcusable, si elle l’a passé seulement par le zèle indiscret, elle ne mérite que d'être redressée charitablement, et cela ne doit pas empêcher qu'on ne puisse la croire bonne, si elle y a manqué avec obstination et de mauvaise foi, cette conduite est incompatible avec la piété.
Ses choses avantageuses qu'eslle a dites d'elle-même ne doivent pas être prise ce me semble dans toute la rigueur de la lettre. Saint Paul dit qu'il accomplit ce qui manquait à la passion du fils de Dieu. On voit bien que ces paroles seraient des blasphèmes si on les prenait en toute rigueur, comme si le sacrifice de Jésus-Christ eut été imparfait et qu'il fallut que saint Paul lui donnât ce degré de perfection qui lui manquait ? À Dieu ne plaise que je veuille comparer Madame Guyon à saint Paul ; mais saint Paul est encore plus loin du fils de Dieu que Madame Guyon ne l'est de cet apôtre. La plupart de ces expressions pleines de transport sont insoutenables si on les prend dans toute la vigueur de la (44) lettre. Il faut entendre la personne et ne se point scandaliser de ces sortes d'excès si d'ailleurs la doctrine est innocente et la personne docile ; ensuite il lui cite l'exemple de la bienheureuse Angèle de Foligny, de Sainte Catherine de Gênes et de Sainte Catherine de Sienne qui ont dirigé plusieurs personnes avec cette subordination de l'Église, et qui ont dit des choses prodigieuses de l'éminence de leur grâce et de leur état. L'exemple de saint François d'Assise qui parle de lui-même en des termes qui ne sont pas moins capables de scandaliser ; celui de Sainte Thérèse qui a dirigé non seulement des filles, mais des hommes savants et célèbres dont le nombre est assez grand, et qui parle souvent contre les directeurs qui géhennent les âmes, il ajoute que les femmes ne doivent pas enseigner ni décider avec autorité, mais qu'elles peuvent édifier, conseiller et instruire avec dépendance pour les choses déjà autorisées, que tout ce qui va plus loin lui paraît mauvais, et que le surplus ne regarde que des faits sur la discussion desquelles il peut se tromper innocemment et sans conséquence. (45)
Enfin il finit en lui disant, permettez-moi de vous dire Madame qu'après avoir paru entrer dans notre opinion de l'innocence de cette femme, vous passâtes tout d'un coup dans l'opinion contraire. Dès ce moment où vous vous défiât de mon entêtement, vous eûtes le cœur fermé pour moi : des gens qui voulurent avoir occasion d'entrer en commerce avec vous et de se rendre nécessaire, vous firent entendre par des voies détournées que j'étais dans l'illusion et que je deviendrais peut-être un hérésiarque. On prépara plusieurs moyens de vous ébranler. Vous fûtes frappée, vous passâtes de l'excès de simplicité et de confiance à un excès d'ombrage et d'effroi. Voilà ce qui a fait tous nos malheurs : vous n’osâtes suivre votre cœur ni votre lumière. Vous voulûtes (et j'en suis édifié) marcher par la voie la plus sûre qui est celle de l'autorité. La consultation des docteurs vous a livrée à des gens qui sans malice ont eu leurs préventions et leur politique. Si vous m'eussiez parlé à cœur ouvert et sans défiance ; j'aurais en trois jours mis en paix (46) tous les esprits échauffés de Saint-Cyr dans une parfaite docilité sous la conduite de leur saint Évêque [addition marginale de Dupuy : Monsieur de Chartres Godefroy Desmarest]. J'aurais fait écrire par Madame Guyon les explications les plus précises de tous les endroits de ses livres qui paraissent ou excessifs ou équivoques : ces explications ou rétractations, comme on voudra les nommer, étant faites par elle de son propre mouvement en pleine liberté, auraient été bien plus utiles pour persuader les gens qui l’estiment que des signatures faites en prison et que des condamnations rigoureuses faites par des gens qui n'étaient certainement pas encore instruits de la matière. Lorsqu'ils vous ont promis de censurer, après ces explications ou rétractations écrites et données au public, je vous aurais répondu que Madame Guyon se serait retirée bien loin de nous et dans le lieu que vous auriez voulu avec assurance qu'elle aurait cessé tout commerce et toute écriture de spiritualité.
Dieu n'a pas permis qu'une chose si naturelle ait pu se faire. On n'a rien trouvé contre ses mœurs que les calomnies. On ne peut lui (47) imputées qu’un zèle indiscret et des manières de parler d'elle-même qui sont trop avantageuses. Pour sa doctrine, quand elle se serait trompée, de bonne foi est-ce un crime ? Mais n'est-il pas naturel de croire qu'une femme qui a écrit sans précaution avant l'éclat de Molinos, a exagéré ses expériences, et qu'elle n'a pas su la juste valeur des termes ! Je suis si persuadé qu'elle n'a rien cru de mauvais que je répondrais encore de lui faire donner une explication très précise et très claire de toute sa doctrine pour la réduire aux justes bornes et pour détester tout ce qui va plus loin. Cette explication servirait pour détromper ceux que l'on prétend qu'elle a infectés de ses erreurs et pour la décréditer auprès d’eux. Si elle fait semblant de condamner ce qu'elle a enseigné, peut-être croirez-vous Madame que je ne fais cette offre que pour la faire mettre en liberté ! non. Je m'engage à lui faire faire cette explication précise et cette réfutation de toutes les erreurs condamnées sans songer à la tirer de prison. Je ne la verrai point, je ne lui écrirai que des lettres que nous que vous verrez et qui (48) seront examinés par les Évêques : ses réponses passeront toutes ouvertes par le même canal : on fera de ces explications l'usage que l'on voudra, après tout cela laissez -là mourir en prison, je suis content qu'elle y meure, que nous ne la voyions jamais et que nous n'entendions jamais parler d'elle. Il me paraît que vous-même croyez ni fripon ni menteur ni traître ni hypocrite ni rebelle à l'Église ; je vous jure devant Dieu qui me jugera que voilà les dispositions de mon cœur. Si c'est là un entêtement, du moins c'est un entêtement sans malice, c'est un entêtement pardonnable, un entêtement qui ne peut nuire à personne ni causer aucun scandale ; un entêtement qui ne donnera jamais aucune autorité aux erreurs de Madame Guyon ni à sa personne. Pourquoi donc vous resserrez-vous le cœur à notre égard Madame comme si nous étions d'une autre religion que vous ? Pourquoi craindre de parler de Dieu avec moi comme si vous étiez obligés en conscience à fuir la séduction ? Pourquoi croire que vous ne pouvez avoir le cœur en repos et en union avec nous ? Pourquoi défaire ce que Dieu avait fait si visiblement ? Etc.
Je rapporte cette lettre presque dans son (49) entier pour faire connaître la disposition où se trouvait Madame de Maintenon tant à l'égard de Monsieur de Cambrai que de ses anciens amis au commencement de l'année 1696. Rien ne pouvait la calmer qu'une condamnation rigoureuse de Madame Guyon, que Monsieur de Cambrai ne pouvait faire contre sa lumière et sa conscience, connaissant à fond l'innocence de cette dame et l'oppression qu'on lui faisait depuis qu'elle avait été renfermée dans Vincennes. Monsieur l'archevêque comme évêque diocésain s'était chargé de sa conduite et lui avait donné Monsieur Pyrot soit pour la confesser ou pour tirer d'elle un aveu des erreurs qu'on lui attribuait. Monsieur Pyrot la tourmenta beaucoup et n'en tira pas plus qu'avait fait Monsieur de Meaux. Monsieur de Cambrai à qui Monsieur de Paris se plaignait de son opiniâtreté, lui ayant représenté un jour que l'on n'en obtiendrait rien par la voie que l'on prenait, parce qu'elle ne pouvait jamais avouer d'avoir cru des erreurs qu'elle n'avait point crues, lui offrit les mêmes choses que ce qu'il avait offert à Monsieur de Meaux et s'engagea de lui faire donner de sa propre main une explication très ample et très précise de toute sa doctrine parfaitement conforme aux 34 (50) propositions, et qu'en même temps elle rejetterait toutes les erreurs qu'on lui imputait ; qu’on ferait imprimer cet écrit si on le jugeait à propos, pour détromper ceux qui avaient de l'estime pour elle et pour sa voie, supposé qu'elle y tint un langage différent de ce qu'elle leur avait tenu, qu'il se chargeait de venir à bout de tout cela sans la voir et sans lui écrire rien que lui Monsieur l'archevêque n’eut lu auparavant, que tout passerait par ses mains, que ce qu'il lui écrirait serait simple, clair, incapable de toute équivoque, enfin il se chargeait de la faire convenir de toute la conduite qu'elle aurait à tenir si jamais, contre toute apparence, elle rentrait en quelque liberté, que si l'on jugeait à propos après ces explications de la laisser en prison, il ne dirait jamais un seul mot pour sa délivrance ni pour l'adoucissement de son état. Toutes ces offres ne produisirent rien, Monsieur de Paris suivait les impressions que lui donnait Madame de Maintenon et elle s'était livrée à trop de gens et d'intérêt trop différent pour accepter un parti comme celui-là, on aurait par cette voie connu les vrais sentiments de Madame Guyon, et de quelque nature qu'ils eussent été, chacun eut su à quoi s'en tenir ; le chemin (51) était trop court et l'on voulait demeurer en commerce avec elle [Mme de Maintenon], on lui fit donc rejeter ces offres de Monsieur de Cambrai et Monsieur de Paris lui témoigna qu'il fallait chercher quelque autre expédient. Monsieur de Cambrai crût qu'il le fallait laisser chercher à Monsieur de Paris lui-même puisqu'il était chargé de sa conduite, et jugea qu'il ne lui restait plus d'autre parti que d'écrire lui-même sur cette matière d'une manière qui sût fermer la bouche à quiconque entreprendrait de vouloir rendre sa foi suspecte ; mais avant que de parler de son livre et des démêlés qu'il a eus avec Monsieur de Meaux, j'achèverai en peu de mots ce qui regarde Madame Guyon par la part qu'elle y a eue.
Monsieur de Paris ne s'en était chargé qu'avec peine et avait tenté plusieurs fois de la faire envoyer dans quelque endroit éloigné ; mais inutilement ; il se faisait un scrupule de la dureté qu'on voulait qu'il eût pour une personne qui protestait hautement de sa soumission pour l'Église, à qui Monsieur de Meaux venait de donner une attestation très favorable comme malgré lui, et à qui l'on ne pouvait reprocher d'autre crime depuis sa sortie de Meaux, que de (52) n'avoir pu se résoudre à se remettre entre ses mains après le traitement qu'elle en avait reçu et un procédé aussi étonnant que celui de vouloir retirer l'acte qu'il lui avait donné pour sa décharge. D'un autre côté on lui faisait entendre que dans les principes où elle était, elle donnerait autant de signatures qu'il en voudrait exiger et qu'il ne pourrait jamais s'assurer sur rien de ce qu'elle lui promettait. Mais Monsieur Pyrot qui lui rendait compte des entretiens qu'il avait avec elle, ami et instruit par Monsieur de Meaux, lui en parlait sur un ton bien différent ; il avait mis tout en usage pour l'engager à une rétractation d'erreurs, et son procédé avait été si violent qu'elle s'en était plaint à lui plusieurs fois. Monsieur de Paris lui ôta Monsieur Pyrot et chargea Monsieur le Curé de Saint-Sulpice de la voir. Celui-ci gagna plus que son esprit et après plusieurs conférences qu'il eut avec elle il l'engagea à signer un écrit sur lequel Monsieur de Paris lui accorda l'usage des sacrements et sa sortie de Vincennes ; la crainte que cet écrit ne laissât quelque soupçon de sa foi et qu'elle eût crû des erreurs, la fit résister longtemps à ce qu'on souhaitait d'elle ; mais enfin s’en étant rapporté à Monsieur Tronçon et ayant vu son avis au pied, elle le signa [addition marginale telle que le voici il faut rapporter cet écrit], après quoi Monsieur de Paris (53) la fit mettre à Vaugirard dans une petite communauté sous la conduite de Monsieur le Curé de Saint-Sulpice et avec ordre de ne lui laisser aucun commerce avec les gens du dehors, elle y a demeuré près de deux ans, après quoi on la mit à la Bastille sans qu'on en ait bien su le motif ni celui pour lequel on l’y retient.
Peu après la signature des articles d'Issy, Monsieur de Meaux entreprit d'écrire sur la matière qui y avait donné lieu et n'en fit de secrets qu'à Monsieur de Cambrai. La chose lui revenant de plusieurs endroits, il se crut obligé d'écrire aussi de son côté pour éclaircir ce qu'il ne croyait pas suffisamment expliqué dans ces articles. Il en fit une explication étendue suivant son système de l'amour désintéressé et de sa passiveté [e respecté] que Monsieur de Meaux n'avait jamais voulu définir. Cette passiveté était ce qui les avait le plus arrêtés ; et c'était la difficulté sur laquelle Monsieur de Cambrai avait insisté le plus fortement, dans le temps de la signature des articles. Il demandait qu'en disant qu'on ne peut nier l'oraison passive sans une insigne témérité, on réalisât une décision si forte, qu'on lui donnât un sens précis et (57) qu'on définit exactement cette passiveté qu'on autorisait, de peur que ce ne fût qu'un vain nom qui fit encore le scandale des uns et l'illusion des autres. Monsieur de Meaux voulait que la passiveté fut une contemplation extatique et seulement par intervalle, Monsieur de Cambrai disait que c'était un état habituel de pure foi et de pur amour où la contemplation n'est jamais perpétuelle, dont les intervalles sont remplis de tous les actes distincts des vertus, et où l'amour paisible et désintéressé exclut seulement les actes inquiets qu'on nomme activité. Monsieur de Meaux qui ne supposait qu'une passiveté extatique, tirait une très bonne conséquence d'un principe fort opposé à celui-là, car il imputait à Monsieur de Cambrai de croire les âmes passives dans une extase perpétuelle qui détruisait la liberté essentielle au pèlerinage de cette vie et qui introduisait une inspiration fanatique. Tout cela eût été vrai si la supposition eut été bien fondée ; mais elle était évidemment contraire à son principe. Monsieur de Cambrai à qui Monsieur de Meaux ne s'ouvrit point, apprenant de plusieurs endroits qu'il écrivait, donna d'abord cette explication étendue. Monsieur Tronçon qui l'approuva (58) et qui commença à voir clairement l'équivoque sur laquelle Monsieur de Meaux était prévenu, ensuite Monsieur de Paris l'ayant vu, lui a dit qu'il n'y avait rien trouver que de correctes et de précis. Cette explication est encore en nature. Quelque temps après Monsieur de Cambrai écrivit une lettre à une carmélite qui lui demandait quelques éclaircissements sur cette matière, dans laquelle il trouva moyen d'aller au-devant de tout ce qui pouvait faire de la difficulté est causé quelque ombrage. Dans la prévention ou l'on paraissait être contre lui, il la montra à Monsieur de Meaux et pour ainsi dire la soumise à sa censure. Ce prélat l'examina, lui proposa d'expliquer plus clairement quelques termes que des gens ombrageux pourraient rendre équivoque, il ne fit au-delà de tout ce qu'il pouvait souhaiter, et Monsieur de Meaux approuva la lettre et lui donna beaucoup d'éloges, il dit que si l'on n'en parlait, il dirait qu'elle ne laissait rien à souhaiter, et Monsieur de Paris voulut en avoir une copie afin qu'elle pût se reprendre et que le public pu voir la conformité de leurs sentiments parcelles qu'elle avait aux 34 articles d'Issy. (56) cependant Monsieur de Meaux continuait d'écrire, et se voulant faire honneur dans le public et plus encore auprès de Madame de Maintenon, d'avoir ramené Monsieur de Cambrai du penchant ou il était pour les opinions nouvelles, il s'était proposé en lui faisant approuver son livre, de lui faire faire une espèce de rétractation des erreurs qu'il attribuait à Madame Guyon, et de le faire souscrire par la à la condamnation personnelle de cette dame comme de ses livres ; il en avait fait confidence à plusieurs amis qui en avaient d'autres et Monsieur de Cambrai était devenu un spectacle curieux longtemps avant que Monsieur de Meaux lui eût parlé de l'approbation de son livre. Enfin ce prélat lui écrivit à Cambrai et les mandats qu'il faisait un ouvrage pour autoriser la vraie spiritualité et réprimer l'illusion, et le pria de l'approuver.
Monsieur de Cambrai qui cru que Monsieur de Meaux allait donner un corps de doctrine sur les voies intérieures qu'il appuierait de principes solides et d'une autorité décisive pour tenir en respect et critiques ignorants des voies de Dieu et pour redresser les mystiques visionnaires ou indiscrets (57) comptant d'ailleurs que cet ouvrage établirait avant que de détruire, et prouverait le vrai avant que de réfuter le faux, le faux ne se réfutant bien que par la preuve du vrai dans toute son étendue, Monsieur de Cambrai, dis-je, entra tout à fait dans sa proposition, se réjouit avec lui d'un dessin si utile à l'Église, s'offrit d'aller passer quelques temps chez lui à la campagne pour travailler de concert, et lui manda qu'il était bien assuré qu'ils ne pouvaient disconvenir en rien d'important ; il ne s'imaginait pas que Monsieur de Meaux songeât à réveiller dans le public des idées qu'il était si important de laisser effacer ; les censures qu'il avait faites ainsi que celle de Monsieur de Paris n’avaient trouvé ni murmure ni contradiction, les particuliers qui avaient les livres censurés les avaient brûlés ou mis entre les mains des personnes en droit de les garder, il n'était plus question d'une femme ignorante, sans appui, qu’on avait laissé accabler sans dire un mot, que personne ne voulait ni relever ni excuser, Monsieur de Meaux avait marqué en plusieurs occasions qu'il n'était pas permis (58) de douter de la sincérité de Monsieur de Cambrai ; en un mot il l’avait consacré et avait marqué pour le faire un empressement que l'on n'a pas pour un homme dont la foi est suspecte. Tout cela faisait juger à Monsieur de Cambrai qu'il ne pouvait trop se livrer à Monsieur de Meaux. Il lui promit donc d'approuver son livre après qu'il aurait examiné. À son retour de Cambrai des gens sages et modérés qui s'intéressaient à lui, l'avertirent de prendre garde aux desseins de Monsieur de Meaux, que l'approbation de son livre n'était point un secret ; qu'il en avait fait confidence à gens qui en mirent d'autres dans la leur, et qu'en un mot l'on promettait ce livre au public contre des erreurs abominables où l'on se faisait fort de le faire souscrire comme à une espèce de formulaire. Il est aisé de juger de la surprise que lui causa un discours si peu attendu ; d'abord il ne le voulut pas croire, mais comme cette nouvelle lui revint par les personnes mêmes les plus dignes de foi et d'autres auxquelles Monsieur de Meaux s’en (59) était ouvert, il commença dès lors à sentir qu'on le voulait mener insensiblement comme un enfant au but qu'on s'était proposé sans le lui laisser voir, et vit bien que ce but, quel qu'en pût être le motif, serait une flétrissure pour lui dont il ne se relèverait jamais. Il attendit en paix ce que ferait Monsieur de Meaux qui lui donna enfin son ouvrage comme il était prêt de s'en retourner à Cambrai il le garda 24 heures et en parcourut seulement les marges, il vit partout des passages de Madame Guyon avec des réfutations atroces ; il lui imputait les erreurs les plus abominables, que ce prélat assurait être évidemment l'unique but de tout son système et des parties qui le composaient. Ces erreurs n'étaient ni vénielles ni excusables par l'ignorance de son sexe, il ne s'agissait pas de quelque conséquence subtile éloignée qu'on aurait pu contre son intention tirer de ces principes de ces expressions.
C'était, disait Monsieur de Meaux un dessin diabolique (60) qui était l'âme de tous ses livres, soutenu avec beaucoup d'art d'un bout jusqu'à l'autre.
Premièrement. Madame Guyon selon lui n'avait écrit que pour détruire comme une imperfection toute foi explicitée des attributs des personnes divines, des mystères de Jésus-Christ et de son humanité.
Deuxièmement. Elle prétendait éteindre en eux toute vie intérieure et toute oraison réelle en supprimant tous les actes distincts et en réduisant pour toujours les âmes à une quiétude oisive.
Troisièmement. Elle ne leur laissait qu'une indifférence impie et brutale entre le vice et la vertu, entre la haine éternelle de Dieu et son amour éternel.
Quatrièmement. Elle défendait comme une infidélité toute résistance réelle aux tentations les plus abominables.
Cinquièmement. Elle voulait qu'on supposât qu'on n’a plus de concupiscence, qu'on est impeccable et infaillible.
Sixièmement. Que tout ce qu'on fait avec facilité par la pente de son cœur est fait passivement et par pure inspiration. (61)
Septièmement. Elle attribuait à elle et à ses semblables une inspiration prophétique et une autorité apostolique au-dessus de toute loi écrite.
Huitièmement. Elle établissait une tradition secrète sur cette voie qui anéantissait la tradition universelle de l'Église.
Neuvièmement. Non seulement elle disait toutes ces choses, mais M. de Meaux assurait qu'elle n'avançait rien que pour les prouver et les inculquer.
Approuver par un témoignage public cette explication du système de Madame Guyon était achever de persuader au public que l'imputation qu'on lui en faisait était juste, et par conséquent la reconnaître pour la plus impie de toutes les femmes.
Le lendemain Monsieur de Cambrai remit le livre entre les mains de Monsieur le Duc de Chevreuse pour le rendre à Monsieur de Meaux et partit pour son diocèse ; il le pria en partant de dire à ce prélat qu'ayant entrevu à la simple ouverture de ses cahiers des citations du Moyen court à la marge, il avait cru qu'il attaquait au moins indirectement (62) Madame Guyon, que le moins qu'il pouvait donner à une personne de ses amies malheureuse, de qui il n'avait jamais reçu que de l'édification, c'était de se taire pendant que les autres la condamnaient, que cela le mettait hors d'état d'approuver son livre ; et comme il ne le voulait pas lire pour lui refuser ensuite son approbation, il prenait le parti de n'en rien lire de suite et de le rendre incessamment. Monsieur le duc de Chevreuse garda ces cahiers pendant quelques jours, et manda à Monsieur de Meaux qui était allé à Meaux qu'il les avait entre les mains pour les lui rendre.
Sitôt qu'il en fut de retour, Monsieur le Duc de Chevreuse les lui rendit et lui dit la réponse de Monsieur de Cambrai. Lorsque ce prélat la sut, il en fit part à ses amis et un certain nombre de gens qui attendaient cette réponse avec une grande curiosité furent soigneusement informés des motifs de ce refus, ce qui leur parut un grand scandale. Monsieur de Meaux éclata en (63) de grandes plaintes et ne gardant plus aucune mesure sur Monsieur de Cambrai il fit entendre au préjudice de leur secret ou plus qu'il n'en disait.
Il ne restait plus à Monsieur de Cambrai qu'une seule ressource, c'était d'écrire pour le public en termes si forts et si clairs, sur des principes de tradition si constante que nulle critique n’osât l'attaquer et ne pût douter de sa sincérité dans cette explication de doctrine ; il en parla à Monsieur de Paris et à Monsieur Tronçon qui approuvèrent son dessein. Monsieur de Chartres, plus opposées que personne à Madame Guyon et qui avait pris de grands ombrages contre Monsieur de Cambrai par les discours que les émissaires de Monsieur de Meaux répandaient partout, fut si touché des raisons de ce prélat dans une conférence qui se tint à Issy chez Monsieur Tronçon où se trouvèrent aussi Monsieur de Paris, Monsieur le Duc de Beauvilliers et Monsieur le Duc de Chevreuse, qu'il se chargea du mémoire qu'il en avait fait pour le faire agréer à M. de Maintenon qui craignait un éclat (64) entre des personnes de ce caractère d'autant plus que depuis longtemps le Roi regardait cette affaire comme une affaire finie et dont il ne s'agissait plus. Dès le soir de cette conférence, Monsieur le Chartres étant revenu à Paris changea de résolution sans en dire aucune raison et approuvant toujours que Monsieur de Cambrai s'expliquât par un ouvrage public, il le pria de le dispenser de le faire agréer à Madame de Maintenon. Monsieur l'archevêque voulut bien s'en charger et tous promirent un secret qu'ils ont gardé inviolablement jusqu'à la fin.
Ce fut au mois d'août 1696 que cela se passa. L'explication des 34 articles que Monsieur de Paris et Monsieur Tronçon avait si fort approuvée servit de règle à l'ouvrage que Monsieur de Cambrai fit dans la suite, mais il était beaucoup plus étendu qu'il ne l'est dans le livre imprimé, car Monsieur de Cambrai y avait mis tous les principaux témoignages de la tradition. Il le mit entre les mains de Monsieur de Paris comme l'on partait pour Fontainebleau (65) et ce prélat l'assura qu'il le lisait avec une grande attention, quelque temps après il lui écrivit qu’il lisait son ouvrage très lentement parce qu'il était bien aise de confronter les citations sur les originaux, qu'il lui paraissait qu'il y avait un peu trop de raisonnement et des endroits trop rebattus, et qu'il le priait de le faire voir encore à quelque théologien de l'École plus vigoureux que lui. Monsieur de Cambrai lui répondit que rien ne le pressait de donner son ouvrage au public, qu'ayant à expliquer à fond un système qui n'a jamais été bien expliqué par les uns ni bien compris par les autres, il n'avait pu s'empêcher de s'étendre autant qu'il avait fait, qu'il n'y avait mis tant de redites que pour lever toute équivoque dans une matière si délicate et où l'on était devenu tout d'un coup si ombrageux ; qu'il n'y avait mis des raisonnements que pour réduire tout à la plus vigoureuse précision de l'école ; que plus un scolastique serait exact théologien et ferme dans la métaphysique ; plus il verrait que ce raisonnement avait un enchaînement nécessaire (66) et qu'ils mettaient les véritables bornes à la spiritualité pour empêcher la plus subtile illusion, qu'en examinant d'un côté les passages des saints et de l'autre les raisonnements, on verrait que ces raisonnements ne sont faits que pour modérer les passages et les réduire à une doctrine plus correcte ; qu'il ne s'agissait pas de traiter cette matière superficiellement, d'adoucir, de glisser, et de donner un tour de condamnation perpétuelle du quiétisme à un ouvrage pour mettre le public de son côté, qu'il croyait devoir dire la vérité tout entière, non seulement afin que ceux qui l’ignoraient ne s'en éloignassent pas de plus en plus, mais encore afin que ceux qui la voulaient étendre trop loin puissent être redressés par un ouvrage où ils verraient qu'on leur donne tout ce qu'ils peuvent demander de solide ; que les autorités de la tradition qu'il rapportait étaient décisives, et les raisonnements reçus de toutes les écoles, que c'était un tout que la plupart des théologiens n'étaient pas assez accoutumés à voir dans toute l'étendue (67) d'un système suivi, mais que ce tout n'était composé que de parties qu'ils avaient cent fois admises et dont tous leurs livres étaient pleins, que cependant il retrancherait et des passages et des raisonnements tout ce que lui et Monsieur Tronçon jugeraient nécessaire ou pour lever les équivoques ou pour prévenir les objections des docteurs effarouchés, ou pour réduire le sens des passages au dogme de l'école, mais qu'il était à craindre qu'en retranchant les raisonnements on ne lui imputa peut-être des conséquences qu'il rejetait plus que personne ; au surplus Monseigneur, ajoute-t-il, pour ce qui est de condamner en termes formels tout ce qui va plus loin que mon système je crois l'avoir fait usque ad nauseam. Si vous croyez que je doive le faire encore plus que je ne l'ai fait, je le ferai sans peine ; car je n'ai aucune répugnance à condamner de bouche ce que je déteste du fond du cœur et qu'on ne peut jamais trop détester. Je n'ai aucune répugnance à dire mille fois ce que j'ai dit cinq cents fois. À l'égard du choix d'un homme qui puisse vous aider dans un (68) si grand travail, vous savez que je vous ai donné tout pouvoir sur moi et sur mon ouvrage. Je n'ai exclu Monsieur Pirot que par la crainte qu'il s’ouvrirait à Monsieur de Meaux ; d'ailleurs je le crois bon homme et théologien, il me conviendrait fort. Il me reste toujours un fond d'amitié pour Monsieur Boileau, mais je connais sa vivacité ; et vous avez décidé vous-même qu'il valait mieux jeter les yeux sur quelque autre. Je vous ai laissé plein pouvoir de montrer tout à Monsieur Beaufort. Si vous cherchez quelque autre examinateur que lui, je vous supplie d'éviter les personnes trop effarouchées et de chercher quelque théologien ferme et véritablement touché de Dieu. Plus il sera théologien précis et homme recueilli, plus îl conviendra à cet examen.
Monsieur de Paris après avoir vu l'ouvrage le rendit à Monsieur de Cambrai, et comme il persista dans sa première pensée qu'il en fallait retrancher cette longue suite de passages de saints qui marquaient la tradition et les raisonnements dont ils étaient accompagnés170, Monsieur de Cambrai se rendit (69) et fit tout ce qu'il voulut ; il retoucha son ouvrage et l'ayant mis dans l'état où il a paru depuis sous le titre de Maximes des saints, il le lut en entier à Monsieur de Paris en présence de Monsieur de Beaufort, après quoi il le lui laissa pour l'examiner à son loisir. Au bout de trois semaines, Monsieur de Paris le lui rendit et lui montra des coups de crayon qu’il avait donnés à tous les endroits qui lui avaient fait quelques difficultés ou qui n'étaient pas suffisamment expliqués. Monsieur de Cambrai retoucha en sa présence tout ce qu'il avait marqué, la plupart ne roulant que sur des termes qu'il croyait susceptibles de quelque équivoque. Il arriva plusieurs fois que Monsieur de Paris l'arrêtait sur son trop de facilité à se rendre aux objections qu’il lui faisait, mais comme ce prélat voulait aller au-devant de ce qui pouvait en avoir l'ombre, il changeait sur-le-champ l'expression pour ne s'attacher qu'à la chose. Monsieur Tronçon le lisait depuis six semaines avec toute l'attention que l'importance de la matière et la conjoncture présente pouvaient exiger, après quoi ces deux messieurs l'assurèrent qu'il le trouvait (70) correct est utile. Monsieur de Paris même lui témoigna qu'il le trouvait plus précautionné que celui de Monsieur de Meaux sur l'état passif et qu’il était bien aise que le public en eût un témoignage si authentique. Il le pria seulement de ne donner son livre qu'après que celui de Monsieur de Meaux aurait paru, ce que Monsieur de Cambrai lui promit.
Il ne restait plus qu'à convenir d'un choix d'un théologien. Monsieur de Paris voyant que Monsieur Pyrot ne faisait de la peine à Monsieur de Cambrai qu'à cause de ses liaisons avec Monsieur de Meaux, lui répondit du secret de Monsieur Pyrot et aussitôt ils arrêtèrent qu'on lui ferait voir l'ouvrage. C'était de tout ceux que l'on pouvait choisir celui qui paraissait propre à cet examen ; il avait travaillé autrefois sous feu Monsieur l'Archevêque de Paris à la censure des livres de Madame Guyon, elle avait été du temps sous sa conduite, et il avait écrit quelque chose contre elle. Il était dévoué à Monsieur de Meaux depuis plusieurs années et il voyait actuellement avec lui l'ouvrage que ce prélat (71) allait publier. Monsieur de Cambrai se renferma avec lui et ils examinèrent le livre en trois séances de quatre ou cinq heures chacune ; ils avaient chacun un manuscrit devant les yeux ; ils lisaient ensemble. Monsieur Pyrot l'arrêtait sur les moindres difficultés et il changeait sans peine tout ce qu'il souhaitait. Après cette lecture Monsieur de Cambrai lui voulu laisser le manuscrit pour l'examiner plus à loisir, Monsieur Pyrot le refusa et déclara en présence de quelques amis communs présents à cet examen, c'était Monsieur l'Abbé de Maulevrier et Monsieur l'Abbé de Longeron que le livre était tout d'or et qu'il en était charmé. Il en rendit compte en même temps à Monsieur de Paris sur le même pied, et quelques jours après ce prélat écrivit à Monsieur de Cambrai que Monsieur Pyrot était charmé de son ouvrage. Monsieur de Cambrai donna son livre à l'imprimeur et en partant pour son diocèse il recommanda à des gens de confiance de ne le publier que quand Monsieur de Paris le jugerait à propos et qu'après que Monsieur de Meaux aurait donné le sien.
Tous ceux qui était dans le secret du livre (72) de Monsieur de Cambrai l'avaient gardé avec une fidélité inviolable ; et le libraire avait pris la précaution de ne faire imprimer la première feuille, celle où était le titre du livre, que la dernière, mais elle ne la fut pas plutôt [imprimée] qu'il se répandit un bruit sourd de ce livre qui vint jusqu'aux oreilles de Monsieur de Meaux. L'on peut juger de ce qui se passa en lui par une lettre qu'il écrivit à Monsieur Pirot dans le moment qu'il en apprit la nouvelle. Je suis assuré lui dit-il que cet écrit ne peut causer qu'un grand scandale par ce qu’après ce qu'il m'a fait dire (parlant de Monsieur de Cambrai) sur le refus d'approuver mon livre, il ne se résoudra jamais à condamner les livres de Madame Guyon. Deuxièmement. Il voudra établir comme possible la perpétuelle passiveté, ce qui mènera à des illusions insupportables. Troisièmement. Je suis assuré qu'il laissera dans le doute ou dans l'obscurité plusieurs articles sur lesquelles il me sera aisé de faire voir qu'il fallait s'expliquer indispensablement dans la conjoncture présente et si cela est comme il le sera, qui peut me dispenser (73) de l'obligation de faire voir à toute l'Église combien cette dissimulation est dangereuse. Tout cela démontre qu'à moins de concerter tous ensemble ce qu'il faut dire, c'est qu'on veut tromper ….171 Voilà la vérité à laquelle il faut que je sacrifie ma vie. Je le répète, on veut rendre la condamnation de Madame Guyon douteuse. Enfin dit-il, je me réduis à ce dilemme : ou l'on veut écrire la même doctrine que moi ou non ; si c'est la même, unité de l'Église demande qu’on s’entende ; si c’en est un autre, me voilà réduit à écrire contre ou à renoncer à la vérité.
L’âcreté de ce style et l'indignation ou le refus de Monsieur de Cambrai avaient mis Monsieur de Meaux, qui n'était que trop connue, firent juger aux amis de Monsieur de Cambrai qu'il n'en demeurerait pas à une simple menace et qu'il en fallait prévenir les suites en publiant son livre le plus tôt qu'il serait possible. Ils n’ignoraient pas l'impression que ferait sur l'esprit de Madame de Maintenon l'éclat que Monsieur de Meaux allait faire et les discours que (74) dans l'excès de sa peine il ne manquerait pas de lui tenir. Il était à craindre que dans l'embarras où cela la jetterait, elle ne s'opposât à la publication du livre et n’ôtât par là à Monsieur de Cambrai la seule ressource qui lui restait pour justifier la pureté de sa foi sur les articles les plus essentiels et qui emportent les mœurs avec eux. D'un autre côté ils étaient liés par la parole que Monsieur de Cambrai avait donné à Monsieur de Paris de ne publier son livre qu'après la publication de celui de Monsieur de Meaux, et son éloignement ne leur permettait pas de le pouvoir consulter. Dans cette perplexité, Monsieur le Duc de Chevreuse alla trouver Monsieur de Paris pour le prier de rendre à Monsieur de Cambrai la parole qu’il lui avait donnée ; les raisons de la lui redemander étaient si palpables et Monsieur de Paris était tellement au fait qu'il ne lui fut pas difficile de le persuader, mais comme il voulait garder des ménagements avec Monsieur de Meaux dont il connaissait la vivacité, il fit entendre à Monsieur le [75] Duc de Chevreuse que sans donner son consentement à la chose, il ne s'opposait point non plus à ce qu'il jugerait nécessaire pour mettre l'honneur de son ami à couvert. Monsieur le duc de Chevreuse prit la balle au bond, et en moins de deux jours eut assez d'exemplaires du livre pour en faire présenter au roi et à plusieurs personnes de la Cour sans la participation de Monsieur de Cambrai qui ne savait rien de ce qui se passait et qui se trouva par là soulagé d'un grand embarras.
Il arriva quelques jours après à la Cour où il ne fut pas longtemps sans s'apercevoir de l'impression secrète que les discours de Monsieur de Meaux et les confidences qu'il faisait sur tout leur procédé y avaient causée. Il en sentit l’effet d'abord sans en bien pénétrer la cause ; et voulant savoir une bonne fois à quoi s'en tenir avec lui, il fit un mémoire qu'il pria Monsieur le Duc de Chevreuse de lui faire lire, dans lequel après lui avoir représenté toutes les irrégularités de son procédé depuis le commencement de cette affaire, il vient aux raisons qui l'ont engagé à lui refuser l'approbation de son livre ; à celle de (76) s'expliquer soi-même dans un ouvrage publié sur lequel il ne lui avait plus été permis de rentrer en concert avec lui après ce qui s'était passé entre eux ; sur la nécessité de lui en faire un mystère pour n'en être pas traversé dans l'excès de sa peine ; enfin lui dit-il : Monseigneur après ce que je viens de vous dire si librement, vous croirez que j'ai le cœur bien malade ; non en vérité ; je me sens le cœur pour vous comme je voudrais que vous l'eussiez pour moi. Si peu que je trouvasse de correspondance de sentiments, je serais encore avec vous comme j'étais autrefois. Si on me dit dans le monde que vous vous plaignez de moi, voici ce que je répondrai :
Pour moi je ne me plains pas de Monsieur l'évêque de Meaux, je le respecte trop pour ne lui manquer en rien. S'il avait à se plaindre de moi, je crois que c'est à moi-même qu'il s'en plaindrait. Je me laisserai plutôt condamner que de me justifier sur des choses ou nous nous devons l'un à l'autre un secret inviolable en honneur et en conscience.
Vous pouvez voir Monseigneur ajoute-t-il que je ne suis capable ni de duplicité ni de politique (77) timide, quoi que je craigne plus que la mort tout ce qui ressent la hauteur. J'espère que Dieu ne m'abandonnera pas, et en gardant les règles d'humilité et de patience avec celle de fermeté, je ne ferai rien de faible ni de bas. Jugez par là de ma sincérité dans les assurances que je vous donne. C'est à vous à régler la manière dont vivons ensemble ; celle qui me donnera le moyen de vous voir, de vous écouter, de vous consulter et de vous respecter autant que jamais, est la plus conforme à mes souhaits et à mes inclinations. Ce mémoire et du 9 février 1697. Les faits qu'il contenait étaient constants. Monsieur le duc de Chevreuse ami de l'un et de l'autre, et par qui presque tout avait passé, était un témoin qu'on ne pouvait démentir. Monsieur de Meaux voulut seulement justifier quelques endroits de peu de conséquences, et témoigna à Monsieur le Duc de Chevreuse qu'il était serviteur de Monsieur de Cambrai avec lequel il serait ravi de pouvoir vivre comme il avait fait par le passé ; l'assurant qu'il garderait un silence entier sur tous les petits sujets de plaintes qu'on pouvait avoir de part et d'autre. (78)
Il tint mal sa parole, il alla se jeter aux pieds du Roi pour lui demander pardon de ne lui avoir pas découvert plus tôt les erreurs de Monsieur de Cambrai et combien il était favorable aux nouvelles opinions et à la doctrine de Madame Guyon. Il y eut peu de gens à la Cour à qui il ne fit confidence du procédé que Monsieur de Cambrai avait eu avec lui et cela avec des couleurs très noires. La douleur qu'il en marquait, avec des circonstances qu'il y joignait, faisait un effet inconcevable ; il parlait seul, Monsieur de Cambrai ne disait mot, et quoique la chose lui revint de plusieurs endroits très sûrs, il ne voulut jamais entrer dans aucune justification, ce qui achevait de persuader le public en faveur de Monsieur de Meaux.
Cette confidence secrète que Monsieur de Meaux faisait aux gens de la Cour sur le procédé, il la faisait aux gens de la ville et des provinces avec qui il avait quelque relation, et ne manquait pas de faire entendre que Madame Guyon était le motif secret de cette division ; tout cela dit à l'oreille dans une espèce de confidence et avec les marques de la douleur la plus amère (79) prépara les choses à un soulèvement presque général contre Monsieur de Cambrai dont le silence était regardé comme un aveu de tous ceux qu'on lui imputait. À l'égard de son livre, que ceux qui n'étaient pas au fait lisaient comme une apologie de Madame Guyon, une infinité de gens s'élevèrent contre, et l'on regarda comme une décision hautaine ce qui n'était qu'une simple déclaration de son sentiment sur chacun des articles ; qu'il croyait ne pouvoir donner d'une manière trop nette et trop précise. Les gens du monde qu'on avait si bien prévenus sur cette affaire en jugèrent par leur prévention ne pouvant guère faire autrement sur une matière qui leur était si peu connue. Quoi qu'il en soit le soulèvement fut si grand contre ce livre qu'il n'y eut pas jusqu'à Monsieur l'abbé de la Trappe qui ne se crut en droit de crier contre. Il écrivit des lettres à Monsieur de Meaux son ancien ami qui coururent dans le public par les soins de ce prélat dans lesquelles il paraissait avoir été instruit de très bonne heure malgré sa grande retraite, des sentiments qu'on attribuait à Monsieur de Cambrai même avant la publication (80) de son livre.
Monsieur de Meaux cependant tenait une conduite fort mesurée à l'égard de ce prélat qui depuis la lecture de son mémoire l'avait été voir. Il avait été aussi de son côté une fois à la porte de Monsieur de Cambrai sans le rencontrer, et comme il paraissait vouloir garder des mesures avec lui, il affectait de parler peu de son livre, s'il n’était avec des gens dont il se crût bien sûr. Il lui échappa pourtant de dire à Monsieur d’Allement gentilhomme de savoir et de mérite, ami communs de tous les deux, qui lui en demandaient son sentiment, que dans tout autre temps ce livre n'aurait reçu aucune contradiction et n'aurait point donné de prise contre l'auteur qui d'ailleurs ne serait pas embarrassé de soutenir la doctrine qu'il avait fait de l'amour désintéressé par l'autorité des pères. Il dit la même chose à Monsieur l'Abbé Caumartin, et s'étant ouvert ensuite à quelques amis communs qu'il faisait des remarques sur ce livre, Monsieur de Cambrai les lui fit demander dans la vue d'en profiter pour expliquer dans une nouvelle édition ce qui (81) ne l'aurait pas été suffisamment dans la première. Monsieur de Meaux lui fit dire qu'il les lui donnerait incessamment en secret et avec toute l'amitié cordiale. D'abord ce fut par Monsieur le Duc de Chevreuse, ensuite par Monsieur le cardinal de Bouillon, enfin le père de la Chaise les lui demanda plusieurs fois, mais quoiqu'on put faire, il ne les donna qu'après de six mois après, lorsque toute voie d'amendement fut rompue et que l'affaire eut été renvoyée à Rome.
Je passe sur la réflexion qu'on pourrait faire sur ce procédé pour m'enfermer dans la simple exposition des faits. Dès que Monsieur le Cambrai s'aperçut de l'opposition que recevait son livre, il crut devoir s'assurer de Monsieur de Paris qui se trouvait dans une sorte d'engagement d'en soutenir la doctrine ; par l'approbation qu’il y avait donnée après l'examen qu'il en avait fait. En effet pour peu que ce prélat eût marqué de résolution, Monsieur de Meaux lui-même, ni aucun de ceux qui ont paru dans la suite les plus échauffés, ne se (82) seraient avisés de demander à Monsieur de Cambrai autre chose qu'une explication des endroits difficiles de son livre et d'enlever les équivoques. Mais dès la première conversation qu'il eût avec ce prélat, son air embarrassé et les incertitudes où il le trouva lui firent juger qu'il n'en tirerait pas le secours qu'il s’était promis. Il s'apparut même dans quelques conversations qu'il eut avec Madame de Maintenon que ce prélat lui rapportait les choses d'une manière toute différente desquelles s'étaient passées. Cela lui fit croire qu'avant d'aller plus en avant, il fallait rendre les faits constants pour ne rien laisser en arrière ; Madame de Maintenon elle-même ayant voulu pour cela les voir ensemble et pour savoir une bonne fois à quoi s'en tenir, il fut résolu que cette conversation se ferait à Saint-Cyr et que Monsieur le Duc de Chevreuse y serait présent. Il était ami de l'un et de l'autre ; il avait une connaissance parfaite de tout ce qui s'était passé, et la mémoire en était trop fraîche pour en perdre aucune circonstance. Monsieur de Cambrai la veille fit un mémoire, dans lequel il rassemble (83) article par article, les principaux faits sur lesquels Madame de Maintenon voulait être instruite et de la vérité desquelles il était bien assuré que Monsieur de Paris ne disconviendrait pas en leur présence ; il lui en envoya copie le même jour pour s’en rappeler les idées avec plus de loisirs, et le lendemain ces trois Messieurs se trouvèrent à Saint-Cyr comme il avait été convenu.
Monsieur de Cambrai lut son mémoire article par article à Monsieur de Paris en présence de Madame de Maintenon et il ne s'en trouva aucun de la vérité duquel ce prélat ne convient. Ces faits seront trop importants dans la suite pour n'en pas rapporter le mémoire dans son entier. Le voici :
1. N’est-il pas vrai Monseigneur que Monsieur l'évêque de Meaux ne m'a jamais rien marqué de ce qui lui faisait de la peine dans les écrits que je lui ai remis entre les mains à la prière qu'il m'en a faite pour éclaircir les difficultés qui se rencontreraient touchant la vie intérieure et que je ne lui donnais que comme des matériaux informes ?
2. N'est-il pas vrai que ce prélat nous a dit (82) au commencement de cette affaire que cette matière lui était peu connue et qu'il n'avait jamais lu ni saint François de Sales, ni le bienheureux Jean de la Croix, ni aucun des auteurs mystiques.
3. N'est-il pas vrai qu'il était tout occupé à établir son opinion sur la charité contre l'amour pur, contraire à presque toute l'école ; et que vous m'avez témoigné que vous aviez eu bien de la peine avec Monsieur Tronçon à le faire revenir de ce qui avait été établi sur cet amour dans les articles d'Issy.
4. N'ai-je pas dit d'abord, lorsqu'il s'agit de dresser ces articles, qu'il fallait particulièrement examiner trois choses sur les voies intérieures.
Premièrement. La nature de l'amour. Je demandais à Monsieur de Meaux que l'on ne s'écartât point sur cet article du sentiment commun de toutes les écoles. Deuxièmement. Les épreuves, sur quoi il allait au-delà de ce qu'on lui demandait. Troisièmement. L'oraison passive qu'il était dangereux d'admettre sans la définir.
5. Ces mêmes écrits faits à la hâte ; sans précaution et presque sans les relire, pour (83) éclaircir la matière et qui n'étaient que pour nous, Monsieur de Meaux et Monsieur Tronçon n'ont-ils pas toujours mis des bornes certaines à l'oraison passive que je mettais, ainsi que j'ai fait dans mon livre, dans un état habituel de pure foi, et où l'amour paisible et désintéressé exclut seulement les actes inquiets, qu’on nomme activité ? Je suis prêt Monseigneur par ces mêmes écrits qui sont encore en mes mains, de vous les justifier en présence de Monsieur Tronçon si la mémoire vous en est pas bien présente ?
6. N'est-il pas vrai qu'en dressant les articles d'Issy, j'ai formé des difficultés auxquelles on a satisfait par des additions, après quoi j'ai signé très volontiers.
N'est-il pas vrai que Monsieur de Meaux n'a jamais voulu définir l'oraison passive que nous admettions tous, que j'assistais qu'on la définît ? J'ai encore la lettre que j'écrivis pour lors qui en fait foi.
7. N'est-il pas vrai que je donnai alors avec explication de ces mêmes articles beaucoup plus étendue dans laquelle je condamnais très (84) sévèrement toutes les erreurs ! Je la ferai voir quant on voudra.
8. N'est-il pas vrai que vous m'avez conseillé d'éviter toute discussion personnelle avec Monsieur de Meaux sur ce qu'elle ne se pouvait faire sans trop d'aigreur de sa part ?
9. N'est-il pas vrai que peu après les articles d'Isssy je vous remis entre les mains un ouvrage qui expliquait d'une manière fort étendue chacun de ces articles que j'avais déjà fait voir à Monsieur Tronçon, et que vous en fûtes l'un et l'autre très contents ! Monsieur Tronçon seulement avait souhaité que je changeasse le terme d'excitation pour ôter à Monsieur de Meaux le moindre prétexte de contestation.
10. N’écrivis-je pas ensuite une lettre à une carmélite touchant la vie intérieure que Monsieur de Meaux approuva toute entière, il souhaita seulement que j'expliquasse le terme d'enfance quoiqu'il soit de l'Évangile ; ce que je fis ! Cette lettre est en nature et contient en substance le même système que nos anciens écrits.
11. N'est-il pas vrai que Monsieur de Meaux avait (85) répandu le bruit que je devais approuver son livre avant qu'il m’eût rien fait voir des horreurs qu'il attribuait à Madame Guyon !
12. N'est-il pas vrai Monseigneur que vous et Monsieur Tronçon avez jugé que je ne devais pas approuver ce livre qui imputait à Madame Guyon une doctrine impie et digne du feu ? N'est-il pas vrai encore que touché de ces raisons vous vous êtes chargé de les montrer à Madame de Maintenon et de les y faire agréer !
13. N'est-il pas vrai que vous avez lu avec Monsieur de Beaufort Mery présent et l’avez examiné avec beaucoup d'attention ! Ne l'avez-vous pas gardé pendant près de trois semaines, n'en avez-vous pas marqué avec un crayon les endroits que vous souhaitiez que je change ; et ne m'avez-vous pas marqué même que vous craigniez que je n'eusse trop d'égard aux difficultés que vous formiez ?
14. N'est-il pas vrai qu'ayant été quelque temps après voir Monsieur Tronçon qui avait gardé le même livre pendant six semaines, vous convînt avec lui qu'il était correct et utile ! (86)
15. N'est-il pas vrai que je vous priai Monseigneur de le faire voir ensuite à quelque docteur habile, que vous me dites vous-même que Monsieur Boileau n'était pas propre à cet examen à cause de la prévention où il était, et que nous convînmes de Monsieur Pirot ; qu'après l'avoir lu, il lui donna beaucoup de louanges, et qu'il refusa d'en faire un plus long examen ! J'ai encore la lettre où vous me parlez des louanges qu'il donna à cet ouvrage.
16. N'est-il pas vrai que vous me dites en ce temps-là que vous vous réjouissiez de ce que mon livre était différent de celui de Monsieur de Meaux qu’en ce qu'il était plus précautionné que le sien sur l'oraison passive !
17. N'est-il pas vrai que sitôt que Monsieur de Meaux apprit l'impression de mon livre, il écrivit à Monsieur Pirot une lettre qu'il le chargea de vous faire voir par laquelle il menaçait d’en empêcher l'édition, il y protestait de répandre jusqu'à la dernière goutte de son sang pour s’opposer aux erreurs qu'il savait très certainement que je favorisais, et il assurait qu'il écrivit contre, même avant l'avoir lu ! Ne fut-ce pas sur (87) cette lettre et sur les menaces de Monsieur de Meaux que mes amis jugèrent à propos de le prévenir et qu'il se dépêchèrent de faire paraître au jour le livre que vous et Monsieur Tronçon aviez approuvé ?
18. N'est-il pas vrai que Monsieur le Duc de Chevreuse vous alla voir lui-même vous faire connaître les raisons que l'on avait de presser cette édition de crainte que Monsieur de Meaux ne la troublât, ajoutant que cependant l'on ne passerait pas outre, si vous y opposiez ? N'est-il pas vrai que pressé par l'évidence de ces mêmes raisons, vous lui répondîtes que vous n'aviez rien à lui dire et que vous ne vouliez rien savoir ?
19. N'est-il pas vrai que je n'ai pu savoir pour lors ce qui se passait et que deux jours après, le livre ayant paru, si ça est une faute, vous en êtes coupables que moi qui n'en pouvais rien savoir.
20. Enfin n'avez-vous pas gardé pendant six mois aussi bien que Monsieur Tronçon mon grand ouvrage sur la tradition du pur amour dont il est parlé dans mon livre et dont dépend tout mon système ?
Tous ces faits ne pourraient être contredits par Monsieur de Paris, comme je l'ai dit. Si quelque chose lui avait pu échapper ; Monsieur le Duc de Chevreuse (86)
15. N'est-il pas vrai que je vous priai, Monseigneur, de le faire voir ensuite à quelques docteurs habiles ; que vous me dites vous-même que Monsieur Boileau n'était pas propre à cet examen à cause de la prévention il était, et que nous convainc âme de Monsieur Pirot ; qu'après l'avoir lu, il lui donna beaucoup de louanges, et qu'il refusa d'en faire un plus long examen ! J'ai encore la lettre ou vous me parlez des louanges qu'il donna à cet ouvrage.
16. N'est-il pas vrai que vous me dites en ce temps-là que vous vous réjouissez de ce que mon livre n'était différent de celui de Monsieur de Meaux quand ce qu'il était plus précautionné que le sien sur l'oraison passive !
17. N'est-il pas vrai que sitôt que Monsieur de Meaux appris l'impression de mon livre, il écrivit à Monsieur Pirot une lettre qu'il la chargea de vous faire voir, par laquelle il menaçait d'en empêcher l'édition, il y protestait de répandre jusqu'à la dernière goutte de son sang pour s'opposer aux erreurs qu'ils avaient très certainement que je favorisai, et il assurait qu'il écrivit contre, même avant l'avoir lu ! Ne fussent pas sur (87) cette lettre et sur les menaces de Monsieur de Meaux que mes amis jugèrent à propos de le prévenir et qu'ils se dépêchèrent de faire paraître au jour le livre que vous et Monsieur tronçon aviez approuvé ?
18. N'est-il pas vrai que Monsieur le Duc de Chevreuse vous à voir lui-même pour vous faire connaître les raisons que l'on avait de presser cette édition de crainte que Monsieur de Meaux ne la troublât, ajoutant que cependant l'on ne passerait pas outre, si vous vous y opposiez ? N'est-il pas vrai que presser par l'évidence de ces mêmes raisons, vous lui répondit que vous n'aviez rien à lui dire et que vous ne vouliez rien savoir ?
19. N’est-il pas vrai que je n'ai pu savoir pour lors ce qui se passait, et que 2 jours après le livre ayant paru, si ça est une faute, vous en êtes plus coupables que moi qui n'en pouvais rien savoir ?
20. Enfin n'avez-vous pas gardé pendant 6 mois aussi bien que Monsieur tronçon mon grand ouvrage sur la tradition du pur amour dont il est parlé dans mon livre et dont dépend tout mon système ?
Tous ces faits ne pouvaient être contredits par Monsieur de Paris, comme je l'ai dit. Si quelque chose lui avait pu échapper, Monsieur le Duc de Chevreuse (88) qui n'en ignorait aucune circonstance le remettait sur la voie et il avouait de bonne foi qu'elle s'était passée ainsi qu'elle était marquée dans le mémoire ; il fut arrêté dans la même conversation que Monsieur de Cambrai ferait un nouvel examen de son livre avec Monsieur de Paris, Monsieur Tronçon et Monsieur Pyrot sur ce que Monsieur de Paris témoigna qu'il avait lu le livre un peu en courant, et qu'il n'avait pas d'abord été frappé de plusieurs choses qui lui paraissaient souffrir de la difficulté présentement. Le Roi à qui Monsieur de Cambrai en parla peu de jours après, approuva cette résolution, après quoi il fit un écrit avec Monsieur de Paris qui contenait les conditions suivantes :
1. Que Monsieur de Cambrai recommencerait l'examen de tout le livre avec Monsieur Paris, Monsieur Tronçon et Monsieur Pyrot.
2. Que Monsieur de Meaux donnerait ses remarques, mais qu'il n'aurait aucune part à l'examen.
3. Que l'on déclarerait le livre contenant une bonne doctrine, à moins que l'on ne fît voir des propositions de foi ou des conclusions théologiques auxquelles celle du livre seraient formellement contradictrices sans des correctifs précis et évidents (89)
4. Que si l'on ne trouvait dans le livre aucune de ces propositions, l'on n’exigerait point de lui de l'augmenter ou de l'expliquer, mais que sans y être forcé, il chercherait de concert avec Monsieur de Paris les voies les plus propres à calmer les esprits.
5. Monsieur de Paris s'engageait de ne former aucun jugement sur le livre qu'il n'en eût fait une discussion entière avec Monsieur de Cambrai et les deux autres Messieurs, encore moins de s'en ouvrir à personne qu'elle ne fut entièrement finie.
L'exclusion de Monsieur de Meaux était si capitale pour Monsieur de Cambrai après tout ce qui s'était passé entre eux qu'il n'y eût personne qui ne l'approuva. Le Roi à qui il en parla l'approuva comme les autres, il ne songea donc plus que suivre ce projet et à profiter des conseils et des lumières de ses trois Messieurs pour aplanir ce qu'il y avait des difficultés dans son livre. Mais Monsieur de Meaux ne donnait point ses remarques ; tantôt il les voulait donner au seul Monsieur de Cambrai, tantôt il disait qu'il voulait les faire voir à Monsieur Paris et à Monsieur de Chartres. Enfin il fit si bien que sous prétexte d'en conférer avec ces deux prélats, il engagea insensiblement (90) des assemblées qui se firent à l'archevêché auxquelles Monsieur de Paris disait qu'il ne pouvait s'opposer, eu égard à la nécessité du temps et aux clameurs de Monsieur de Meaux. Ce prélat cependant soutenait contre Monsieur de Cambrai toutes les personnes qui environnaient Monsieur de Paris et qui avaient part à ces assemblées Monsieur Pyrot lui-même ne se souvient plus d'avoir trouvé le livre tout d’or et commença d'y voir des difficultés qu'il n'avait pas vues d'abord, et bientôt après Monsieur de Meaux, que Monsieur de Cambrai avait exclu de l'examen de son livre avec tant de précautions, l'en exclut lui-même. Enfin les remarques que l'on attendait toujours ne venant pas, Monsieur de Paris dit à Monsieur de Cambrai les principales choses sur quoi elles [les assemblées] roulaient. Cela lui donna lieu d'écrire à Monsieur de Chartres une lettre sur la matière de l'espérance qui en faisait la principale difficulté. On la trouva saine et suffisante.
Monsieur de Paris ensuite lui ayant proposé de donner, suivant la doctrine de cette lettre, des éclaircissements pour les joindre à son livre dans une nouvelle édition, il y travailla sur le champ, et crut démontrer que la doctrine de son livre et celle de la lettre étaient une même chose. Cependant il pressait (91) toujours Monsieur de Paris d'exécuter le projet arrêté entre pour l'examen de son livre ; mais il n'en fut bientôt plus le maître. Il avait par les assemblées tenues chez lui laissé prendre à Monsieur de Meaux insensiblement toute autorité dans cette affaire. Ce prélat, accoutumé de primer et fort supérieur à tous ceux qui les composaient, avait tourné les choses de manière que Monsieur de Paris céda à un torrent auquel il ne pouvait plus résister, il oublia donc aussi bien que Monsieur Pyrot qui l’avait trouvé [le livre] exact et correct, et pour se tirer d'une dissension embarrassante sur laquelle il ne pouvait plus donner de satisfaction réelle à Monsieur de Cambrai, il lui répondit qu'il était accablé d'affaires qui ne lui permettaient pas de lui donner du temps pour un nouvel examen, qu'il fallait enfin finir, et que pour cela il fallait expliquer ouvertement la doctrine et abandonner celle de son livre.
Ce discours surprit Monsieur de Cambrai et l'affligea. Il jugea après une déclaration de cette nature qu'il n'y avait plus rien à attendre de Monsieur de Paris et qu'il avait pris son parti ; il lui répondit que d'abandonner son livre dont la doctrine était la même que celle de la lettre à Monsieur de Chartres qu'on approuvait, était le plus mauvais parti qu'il (92) ne pouvait jamais prendre ; qu'il aurait toute la honte d'une rétractation sans en avoir le mérite ; qu'il aimerait mieux en faire une ouverte qui aurait de la simplicité et de la bonne foi, si cela se pouvait sans blesser la vérité et sa conscience ; mais qu’on ne pouvait lui demander de rétractation ni directe ni indirecte avant la discussion qu'on lui avait promise ; qu'encore une fois le livre n'avait qu'un sens, approuvé dans la lettre à Monsieur le Chartres ; que si l'on prétendait le réduire à une explication qui l’abandonnât pour le donner au public, suivant l'intention de Monsieur de Meaux, comme un homme qui se rétracte, on voulait une injustice à laquelle il ne consentirait jamais, que ce serait abandonner la doctrine du pur amour tel qu’elle est approuvée dans la lettre à Monsieur de Chartres et qui fait tout le système de son livre ; que ce serait approuver les sentiments de Monsieur de Meaux qui ne cessait depuis un fort grand nombre d'années d'attaquer cette doctrine et qui l’attaquait encore dans son dernier livre ; enfin qu'il ne voulait ni trahir sa conscience ni déshonorer l'épiscopat par sa lâcheté qu'il mériterait par l'opprobre dont on le voulait couvrir, et qu'il aimait mieux en être (93) couvert sans l'avoir mérité.
Monsieur de Paris avait peine à résister à ces raisons, il aurait bien voulu y entrer, il l’aurait fait même s'il avait suivi ses propres lumières et agi de son propre mouvement, mais dès qu'il avait vu Monsieur de Meaux et ces autres Messieurs, il changeait le sentiment et ne voulait plus recevoir l'explication du livre ; il avouait même à Monsieur de Cambrai qui s'en plaignait à lui qu'il ne pouvait faire autrement.
Monsieur de Cambrai voyant qu'il ne pouvait plus rien attendre de Monsieur de Paris se tourna du côté de Monsieur de Chartres et mis tout en œuvre pour le faire entrer dans l'explication du livre ; mais Monsieur de Meaux et ses émissaires assuraient que ce livre était une apologie secrète de Madame Guyon, qu'il en favorisait les illusions, et que c'était renverser les censures des évêques que de l'admettre avec quelque explication que ce fut sur ce principe ; Monsieur de Chartres n'en voulut jamais admettre aucune et fit connaître toute son inquiétude par ces mots d'une réponse qu'il fit à Monsieur de Cambrai sur ce sujet : si vous soutenez ce livre par des explications, on le tiendra bon, utile, sain dans la doctrine, on le (94) réimprimera, on accusera de peu d'intelligence ou de mauvaises intentions tous ceux qui l’auront condamné, ainsi il aura cours.
Monsieur de Cambrai travailla inutilement à lui faire voir que ses principes ne pouvaient jamais souffrir l'illusion et qu'il avait porté les correctifs au-delà des saints les plus approuvés ; que son livre réprimait bien plus sévèrement l'illusion dans la pratique que celui de Monsieur de Meaux qui autorise une oraison très dangereuse en ce qu'elle attaque la liberté d'une manière indéfinie ; ses efforts furent inutiles, il y perdit bien du temps, et les démarches qu'il fit pour cela ne furent pas approuvées de tout le monde.
Il y avait encore un article sur lequel, depuis les assemblées tenues à l'archevêché, Monsieur de Paris et Monsieur de Chartres n'insistaient pas moins que sur le livre, c'était d'adhérer aux censures des trois évêques contre les livres de Madame Guyon ; il leur répondit que dans une lettre qu'il avait écrite au pape, de l'agrément du Roi et de concert avec Monsieur de Paris, il avait parlé sur ces censures d'une manière dont on devait être content ; qu'il y avait loué le zèle des évêques et qu'il y avait dit que ces livres étaient (95) censurables dans le sens qui se présente naturellement à l'esprit, in sensu obvis et naturalis, que c'était l'expression la plus forte dont le Saint-Siège se serve en ces matières, qu'il ne pouvait rien ajouter de réel à ce qu'il avait dit dans cette lettre au pape auquel comme à son juge et à son supérieur il rendait compte de ses sentiments dans l'occasion toute naturelle qu'il avait de lui parler des 34 l'article d'Issy ; qu'il comptait de mettre cette lettre à la tête de son livre dans une nouvelle édition, que ce serait l'acte le plus authentique et le plus décisif qu'il put donner au public et que pour aller au-devant de l'unique chose qu'on pouvait lui objecter, qui était de n'avoir pas nommé expressément les livres de Madame Guyon, il mettrait les noms de ces deux livres à la marge de sa lettre au pape.
Après avoir posé ce fondement, il lui demanda ensuite de quel droit on voulait exiger de lui une adhésion aux censures des trois évêques ! Si c'était une chose qui entrât dans la doctrine de son livre dont il avait promis de recommencer l'examen ? Si l'Église avait fait un formulaire là-dessus ? Si trois évêques, quelque mérite qu'ils eussent, étaient l'Église ! Si l'Église demandait cette admission aux autres évêques ? Pourquoi le vouloir flétrir en le (96) distinguant par une demande si affectée pendant qu'on paraissait s'intéresser si vivement sur sa réputation ! Qu'avait-il fait que son livre dont il offrit de démontrer que la doctrine était approuvée dans la lettre à Monsieur de Chartres ? Enfin leur dit-il, ce que j'ai dit au pape sur les livres de Madame Guyon est simple ; libre ; naturel, à propos et décisif, ce que je dirais dans une adhésion aux censures dans les circonstances présentes, n'y ajouterait rien et paraîtrait forcé, je le dirai à pure perte et avec les apparences d'un homme faible et politique, qui fait par crainte une abjuration déguisée, je ne crains pas ajoutait-il l'accusation du quiétisme ; je parlerai si haut là-dessus qu'en peu de temps je ferai taire ceux qui parlent et qui soulèvent le public, mais pour les partis bas et suspects de politique en matière de religion, ils me déshonoreraient et je n'en veux jamais entendre parler.
Pendant les différentes allées et venues qui se faisaient entre ces trois prélats, Monsieur de Meaux fit demander avec beaucoup d'instances à Monsieur de Cambrai de se trouver aux assemblées pour discuter, disait-il, de vive voix et amiablement les difficultés qu'il trouvait sur son livre. Ce prélat le refusa ; il ne voulut pas s'engager à des conférences qui (97) détournaient l'exécution du projet fait par Monsieur de Paris dont il ne voulait pour rien se départir. De plus il ne voulait pas se commettre davantage avec un homme qui joindrait à toutes ses anciennes préventions une nouvelle hauteur depuis les éclats qui étaient arrivés ; il ne lui était plus permis d'espérer une discussion paisible et tranquille avec ce prélat dont la vivacité voulait tout entraîner dans les temps mêmes qu'elle était moins excitée ; que pouvait-il s’en permettre dans une conjoncture pareille à celle où il se trouvait ? L'on n'y mettrait pas en question si son livre pouvait recevoir de bonnes ou de mauvaises interprétations ! Monsieur de Meaux qui déciderait au nom de toute l'Église qu'il n'en pouvait avoir qu'une mauvaise ; puisqu’il ne contenait [pour M. de Meaux] qu'une apologie de Madame Guyon et un renversement des censures : c'était un spectacle qu'il ne voulut point donner au public, l'autorité de ce tribunal n'étend pas encore assez établie pour en vouloir subir la correction, et où tout ce qui s'y serait passé aurait été sujet à diverses explications sur lesquelles Monsieur de Meaux aurait été crû.
Il ne voulut donc pas prendre le change ; et demeurant ferme à demander à Monsieur de Paris l'exécution (98) du projet accepté pour recommencer entre eux deux l'examen de son livre ; y joignant seulement ceux qui y avaient déjà été admis, il fit proposer à Monsieur de Meaux une voie d'éclaircissement aussi sûre et plus paisible que celle des conférences [qui] pouvait être tumultueuse et sujette à diverses interprétations. C'était celle de se faire l'un à l'autre de courtes questions et de courtes réponses par écrit pour avoir des preuves littérales de part et d'autre de tout ce qui se passerait entre eux. Ce prélat en convint. Monsieur de Cambrai lui envoya vingt courtes questions et Monsieur de Meaux lui en envoya d'autres lui promettant de répondre aux siennes, dès qu'il y aurait répondu ; Monsieur de Cambrai le fit sur-le-champ, mais Monsieur de Meaux nonobstant sa promesse ne voulut point lui répondre par écrit.
Ces questions sont encore en nature ; et il ne faut que les lire pour juger des raisons qu'avait Monsieur de Meaux de n'y pas répondre.
Pour couvrir ce refus, Monsieur de Meaux se plaignait hautement de ce que Monsieur de Cambrai refusait les conférences et le fit comme s'il n'avait été en demeure avec lui ni pour ses remarques attendues près de six mois ni pour les réponses à ses questions (99) et il ne garda plus de mesure avec lui depuis ce temps-là.
Monsieur de Paris pressant de nouveau Monsieur de Cambrai sur ces conférences que demandait Monsieur de Meaux, il lui répondit que pour éviter une scène confuse que chacun rapporterait suivant ses préventions, il y consentirait, mais à ces trois conditions. 1. Qu'il y aurait des évêques et des théologiens présents, 2. Que l'on parlerait tour à tour et que l'on écrirait sur-le-champ les demandes et les réponses. 3. Que Monsieur de Meaux ne se servirait pas du prétexte de ces conférences pour vouloir se rendre examinateur du texte de son livre ; mais qu'après avoir examiné tous les principes par rapport au dogme, Monsieur de Cambrai se réservait de régler en détail avec Monsieur de Paris, Monsieur Tronçon et Monsieur Pyrot toutes les expressions du livre qui lui faisait quelque peine : à ces conditions Monsieur de Meaux ne voulut pas de conférence, elles éludaient le point principal qu’il s'était proposé qui était de se rendre juge du texte du livre ; et peu de jours après, Monsieur de Paris dit à Monsieur de Cambrai qu'il n'en fallait plus parler. Ce fut à peu près dans ce temps-là que Monsieur de Meaux lui envoya ses remarques, mais (100) elles étaient devenues inutiles dans la conjoncture où l'on se trouvait.
Comme il ne restait plus de ressources à Monsieur de Cambrai pour l'explication de son livre que sa lettre à Monsieur de Chartres dont la doctrine était approuvée des uns et des autres, il offrit en dernier lieu à Monsieur de Paris de mettre à la tête d'une nouvelle édition de son livre les éclaircissements qu’il lui avait demandé suivant la doctrine de cette lettre, et qu'il avait remis entre ses mains il y avait déjà quelque temps ; Monsieur de Paris lui répondit qu'il les avait fait voir à huit docteurs séparément, et qu'après les avoir examinés avec beaucoup d'application, ils ne trouvaient pas qu'ils fussent suffisants pour faire voir que la doctrine de la lettre à Monsieur de Chartres fut la même que celle du livre ; Monsieur de Cambrai le pria de lui dire le nom de ces docteurs pour éclaircir avec eux les difficultés qui les avaient arrêtés, ne doutant pas qu'il ne lui fut facile d'en venir à bout ? Mais ce prélat lui fit entendre qu'il était engagé au secret et qu'il ne lui était pas permis de les nommer. Après une telle réponse, il jugea bien qu'il n'y avait rien à et à espérer de ce côté-là et il (101) ne songea plus qu'à envoyer à Rome ses explications qu'on refusait de faire paraître en France, espérant que le pape ne les condamnerait pas au moins sans l'entendre.
Avant que d'écrire au roi pour lui demander la permission de porter l'affaire à Rome, il alla trouver Monsieur de Paris et lui demanda deux choses. La première était un projet par écrit des paroles précises qu'on voudrait qu'il donnât au public sur son livre, pour examiner s'il pourrait les accepter. La seconde était d'être assuré qu'il eût un plein pouvoir pour finir avec lui en prenant le conseil des plus habiles docteurs, ajoutant qu'il n'était pas juste de tirer continuellement des paroles de lui sans s'engager réciproquement autrement qu'après avoir fini avec lui Monsieur de Paris, il se trouverait à recommencer avec Monsieur de Meaux. Ce prélat lui répondit qu'il ne pouvait lui donner par écrit le projet des paroles précises qu'on lui demandait et lui dit qu'il n'avait aucun pouvoir pour lui répondre d'aucune décision, ce qu'il lui confirma un jour ou deux après par un mot d’écrit. Sur cette réponse pour lui représenter (102) la cruelle situation il était, les parties qu'il avait proposées pour la paix, le refus qu'on lui faisait d'expliquer son livre pour le rendre suspect sur la foi, et que ne lui restant plus d'autre voie que celle de s'adresser au Pape, il le suppliait de trouver bon qu'il alla à Rome, qu'il faisait ce voyage avec défiance de soi-même, sans contention et pour être détrompé si par malheur il était trompé ; enfin, pour trouver ce qu'il ne pouvait trouver en France c'est-à-dire quelqu'un avec qui finir, qu'il ne s'agissait pas seulement de son livre, mais de lui-même qu'il fallait détromper du livre s'il était mauvais, que personne n'en pouvait défendre la cause que lui seul, qu'il n'avait ni ne pouvait trouver personne qui voulut aller en sa place défendre une cause qu'on avait rendue si odieuse et si dangereuse à soutenir, qu'il n'était pas juste de rassembler toutes choses contre lui et lui ôter la liberté de se justifier ; qu'enfin supposer sans preuve que sa doctrine n'est que nouveauté et erreur avant qu'une autorité légitime l’eût décidé, c'était supposer ce qui était en question pour suspendre sa religion et engager son zèle à (103) l'accabler. Il écrivit à peu près les mêmes choses à Madame de Maintenon qui lui venait de refuser une audience qui lui avait demandé deux jours après. Le Roi lui fit dire par Monsieur de Paris qu'il trouvait bon qu'il portât son affaire à Rome puisqu'il ne la pouvait faire finir en ce pays, mais qu'il ne jugeait pas à propos qu'il y alla lui-même. Peu après le roi lui fit dire par Monsieur le Duc de Beauvilliers de s'en aller dans son diocèse et de n'en pas revenir sans son ordre ; que cependant il pouvait ne se pas presser pour son départ et se donner le loisir dont il aurait besoin pour donner ordre à ses affaires, mais ce prélat jugea qu'il n'était pas à propos de différer et partit de Versailles dès le lendemain.
La disgrâce de Monsieur de Cambrai devenue publique au commencement d’août 1697 donna matière à beaucoup de raisonnements. L'on en chercha la source ailleurs que dans l'application de son livre qu’on lui refusait, et l'on y entendit des mystères qui ne sont rien à ce que je me suis proposé de dire ici. Il employa le peu de temps qui lui (104) resta jusqu'à son départ pour Cambrai à chercher sur qui il jetterait les yeux pour l'envoyer à Rome ; c'était une commission bien épineuse dans la conjoncture. Monsieur l'abbé de Chanterac son parent et grand vicaire de Cambrai offrit de lui rendre ce service malgré son âge et ses infirmités. Il avait tout ce qu'il fallait pour se bien acquitter d'un tel emploi ; il était bon théologien, sage et modéré, il avait des manières simples et naturelles, de la piété et par-dessus tout cela une forte conviction de la bonté de la cause de Monsieur de Cambrai qu'il regardait en théologien et par principe. Monsieur de Cambrai se trouva trop heureux dans son malheur d'avoir une personne de ce caractère pour aller soutenir une cause qui ne manquerait pas dans les suites de trouver bien des traverses. Il lui donna les instructions qu'il jugea nécessaires et partit aussitôt pour Cambrai. Peu de jours après y être arrivé il reçut une lettre d'un des amis de Monsieur de Chartres et les siens qui lui rendaient compte d'une conversation qu'il avait eue avec ce prélat dans laquelle il lui avait marqué prendre (100) beaucoup de part à son malheur et que si dans la situation même des choses il voulait dans une lettre pastorale marquer le fond de sa doctrine et combien elle était éloignée de celle qu'on lui imputait et faire ensuite une nouvelle édition de son livre, il serait très content quand même les autres ne le seraient pas. Monsieur de Cambrai répondit à cet ami dans le moment et le pria de dire de sa part à Monsieur de Chartres :
1°. Qu'il n'aurait jamais de peine à dire la vérité qu'il croyait ni à condamner leur l'erreur qu'il détestait, qu'il avait pressé six mois durant pour qu'on le laissât faire ce que Monsieur de Chartres demandait présentement, que s'il avait bien voulu s'y fixer et dire à Monsieur de Meaux qu'il ne pouvait se joindre à lui pourvu que lui Monsieur de Cambrai fit des explications bien précises, il lui aurait épargné six mois d'amertume et d'oppression et aurait étouffé un grand scandale dans sa naissance.
2°. Qu'il était prêt à faire une lettre pastorale où il promettait une édition nouvelle de son livre avec des additions qui lèveraient toutes les (106) difficultés qu’on faisait sur certains endroits, et qu'en attendant il expliquerait sommairement dans cette lettre pastorale des principales choses sur lesquelles on lui imputait des sentiments contraires aux siens, que jusqu'alors il n'avait pu faire cette lettre ni aucune autre chose semblable ayant promis à Monsieur de Paris de ne rien faire imprimer.
3°. Qu'il était prêt à faire une édition nouvelle avec des additions qui ne laisseraient aucun prétexte d'ombrage au lecteur même le plus prévenu, que ces additions feraient pour la vérité contre l'erreur un effet aussi grand que la rétractation la plus ouverte ; que la différence ne consisterait qu'en ce qu'il n'abandonnerait pas un livre qu'il ne croyait pas en sa conscience susceptible dans toute la suite de son texte des mauvais sens qu'on avait voulu lui donner, et que les additions le justifieraient en condamnant l'erreur, au lieu qu'il ne pourrait abandonner son livre sans reconnaître tout au moins qu’il avait favorisé le quiétisme ; et sans laisser soupçonner qu'il ne l'abandonnerait que par politique à l'extrémité ; mais qu'il n'y avait ni (107) espérance ni crainte qu'on lui pût jamais arracher un mot équivoque pour l'abandon de son livre ; qu'il aimait mieux cent fois se soumettre de bonne foi et sans retenue à une condamnation rigoureuse du Pape son supérieur que de faire un accommodement équivoque avec Monsieur de Meaux pour mettre en doute le sens de son livre.
4°. Que pour la lettre pastorale il pouvait la faire tout au plus tôt, mais pour les additions de l'édition nouvelle il lui fallait un peu plus de temps, que la chose devait moins presser après la publication de la lettre pastorale parce qu'elle montrerait ses intentions et contenterait par provision les esprits modérés, qu'il prétendait les faire revoir et retoucher par un certain nombre de théologiens exacts qui ne pourraient aller vite. De plus qu'il ne parviendrait jamais à faire cette édition nouvelle à Paris ou Monsieur de Meaux la traverserait toujours, qu'il avait une trop forte expérience de son pouvoir excessif pour se devoir rembarquer avec lui, qu'il voudrait toujours le (108) réduire à son point et faire des changements qui détruiraient la première édition, qu'il se rendrait toujours d'une manière secrète et indirecte le vrai correcteur de son ouvrage ; et que ni lui ni Monsieur de Paris ne pourraient jamais s'assurer d'être libres de suivre constamment un projet modéré qu'ils auraient formé avec lui, Monsieur de Cambrai, dans la meilleure intention du monde, qu'encore une fois l'expérience décidait là-dessus ; qu'ainsi sa pensée était d'envoyer ces additions à Rome et de supplier le Pape d'avoir la bonté de les y faire examiner et arrêter par ses plus habiles théologiens, qu'il ne pouvait rien offrir de plus raisonnable que de vouloir passer par toute la sévérité de l'inquisition et de se laisser corriger en son absence ; que Monsieur de Chartres ne devait être ni plus zélé ni plus rigoureux contre le quiétisme que le Pape et toute l'Église romaine où cette erreur avait été foudroyée dès sa naissance ; que quand ces additions auraient été arrêtées à Rome, il ferait sa nouvelle édition, qu'enfin si ce projet convenait (109) à ce prélat, ils étaient d'accord dès ce même jour, qu'on attendrait en paix la décision du Pape et qu'ils demeureraient unis autant qu'ils l’avaient jamais été, que par ce moyen ils édifieraient l'Église dans la diversité même de leurs sentiments. Monsieur de Cambrai demandait en même temps une réponse prompte et précise de Monsieur le Chartres et de sa propre main afin qu'il pût marcher sur un fondement certain. La lettre est du 6 août. Il se pressa de donner la lettre pastorale qu'il venait de promettre. À cela point de réponse. Peu de jours après parut la déclaration latine des trois évêques du 6 août 1697 par laquelle ils se rendent comme les dénonciateurs du livre. Les deux premiers prétendant qu'ils étaient obligés de désavouer publiquement une doctrine dont on avait voulu les rendre garants dans un ouvrage publié.
Monsieur de Meaux publia dans la suite que Monsieur de Chartres ne lui avait fait aucune ouverture de la proposition que Monsieur de Cambrai lui avait faite d'envoyer à Rome les objections et les réponses, et d'attendre en paix la décision du (110) Pape. Quoi qu'il en soit, ce fut la la source de cette infinité d'écrits de part et d'autre qu'on a vu depuis paraître dans lesquels Monsieur de Meaux particulièrement a répandu tant de fiel et d'amertume.
Peu de jours après la déclaration qui en fut comme le signal, Monsieur de Meaux fit paraître le Somma doctrinae. Il y donne Monsieur de Cambrai comme un second Molinos et n'oublie rien pour défigurer la doctrine de son livre jusqu'à en tirer le quiétisme. Monsieur de Cambrai jugeant bien par un tel procédé qu'on le voulait pousser sans aucun ménagement, tourna toutes ces pensées du côté de Rome et y envoya sa défense en répondant à tous les articles de la déclaration des trois évêques et de du Summa de Monsieur de Meaux, mais il y garda une modération bien différente de la hauteur et de la cruauté des écrits de ses confrères, se renfermant dans les bornes de juste défense. Quelque temps après il fit un écrit des véritables oppositions de la doctrine de Monsieur de Meaux et de la sienne sur les matières intérieures. La première est sur la (111) nature de la charité, la seconde est sur l'oraison passive. Dans l'une il prétend prouver que l'opinion de Monsieur de Meaux détruit la notion commune de toutes les écoles sur la nature de la charité ; dans l'autre que ce qu'il dit dans son livre des états d'oraison sur l'oraison passive est contraire au vrai sens des bons mystiques et à tous les pères, et qu'il détruit absolument les 11, 26 et 27 articles arrêtés à Issy. Il se contenta dans les commencements d'envoyer ses ouvrages à Rome pour justifier la doctrine de son livre ; ainsi ses premiers écrits ont été peu connus. Il ne prit pas même d'abord la précaution de les faire imprimer, mais on lui manda de Rome, et quelques cardinaux lui firent dire qu'il n'était pas possible de fournir de si longs manuscrits à tant de gens du Saint-Office sans des longueurs excessives, et qu'on ne pouvait pas répondre que les manuscrits ne fussent bientôt aussi publiés que les imprimés le pouvaient être ; bien plus, que ces imputations qu’on lui faisait de favoriser le quiétisme (112) rendues publiques par des ouvrages aussi authentiques que ceux des Évêques ne lui permettaient pas de se borner à de simples productions au Saint-Office comme dans le cœur des affaires ordinaires, mais que les accusations étant publiques en France, sa justification le devait être aussi, et qu’il ne pouvait prendre trop de précautions pour faire connaître la pureté de sa foi attaquée d'abord par tant de voies indirectes et puis d'une manière si publique. Il prit donc le parti de faire imprimer ses ouvrages et de les reprendre à mesure que la nécessité l'y contraindrait en se renfermant toujours dans les bornes d'une simple défense.
Sitôt que l'affaire avait été portée à Rome, Monsieur de Meaux écrivit à Monsieur l'Abbé Bossuet son neveu qui était allé voir l'Italie et qui était sur le point d’en partir, de rester à Rome pour l'y poursuivre cette affaire [qui] lui était devenue comme personnelle ; et les frais qui ont été très grands ont été portés par lui seul. Il lui envoya toutes les instructions qu'il jugea nécessaires (113) par un homme de confiance de son chapitre [annot. marg. : Filippeaux] qui lui devait servir de conseil sur des matières où il était peu exercé ; enfin il n'oublia rien de ce qui pouvait servir à sa cause, crédit, amis, sollicitations, jusque-là que l'envoyé de Monsieur le grand Duc allait de sa part chez les cardinaux et chez les consulteurs du Saint-Office pour les prévenir en sa faveur. Monsieur de Cambrai avait un ami à Rome et c'était le seul qui parut ouvertement soutenir ses intérêts, il s'appelait Monsieur de la Tuillière homme de lettres et de savoir qui avait été auprès de Monsieur le duc de la Rocheguyon, on lui fit des menaces terribles dont il sentit les effets fâcheux peu de temps après malgré les précautions de Monsieur de Cambrai qui, dans la crainte de lui attirer des affaires, l'avait prié de ne se pas mêler des siennes. On lui fit sentir par la perte d'un emploi considérable que le Roi lui avait donné à Rome à la prière de Monsieur le Duc de La Rochefoucauld qu'on n'était pas impunément des amis d'un homme qui avait à la cour de si puissants ennemis.
Au commencement de l'année 1698 Monsieur de Meaux (114) donna un nouveau livre au public intitulé divers écrits où il ne garda plus de mesures contre Monsieur de Cambrai : il le traitait d'hérétique et se laisser aller à des invectives où il paraissait beaucoup de passion. Il fit presser en même temps le Pape de donner une prompte décision et dans un même temps l'on engagea Monsieur le Nonce d'écrire à Monsieur de Cambrai pour le porter à attendre en paix la décision du Saint-Siège ; comme si les éclaircissements ou plutôt les réponses qu'il faisait aux écrits de ses parties en arrêtaient le cours. Monsieur le Nonce lui disait que le nouveau livre de Monsieur de Meaux suivant ce qu'on lui mandait de Rome ne disait rien de nouveau sur la doctrine, que les écrits se multipliant de part et d'autre éloigneraient de plus en plus le jugement que le Roi faisait demander au Pape avec beaucoup d'instances ; qu'ainsi s'il souhaitait la fin de l'affaire comme il n’en doutât pas, il lui conseillait de s'en tenir à ces dernières réponses, sans vouloir encore répondre au nouveau livre qui venait de paraître. Après avoir remercié Monsieur le Nonce de ses conseils et lui avoir marqué le désir sincère de les suivre, Monsieur de Cambrai répondit qu'il ne faisait que de (115) recevoir le nouveau livre de Monsieur de Meaux, qu'il commençait à le lire et que le peu qu'il en avait déjà lu lui paressait rempli de tout l'art imaginable pour prendre ses paroles à contresens et pour le détourner à des fins impies, qu'il le lisait dans la disposition de ne répondre rien à toutes les accusations qui ne paraîtraient pas tout à fait importantes auxquelles il croyait avoir déjà répondu par avance, qu'à l'égard de celles qui seraient capables d'éblouir le public, il n'y répondrait que d'une manière si courte et si douce qu'on y verrait son amour sincère pour la paix et son impatience de finir, que ce nouveau livre était plein de redites pour le fond, mais de tous nouveaux et dangereux ; que le donnant à la veille de la décision du Pape, sa vue était de frapper les examinateurs par des raisons qu'on n’aurait pas le loisir de réfuter, ou pour éloigner la fin de la dispute ; mais qu'il espérait de la sagesse et de l'équité du Saint-Père qu'il éviterait ces deux inconvénients. Si peu que le nouvel ouvrage fasse d'impression sur les esprits à Rome ajoutait-il, il serait juste (116) d'attendre mes réponses. C'est toujours l'accusé qui doit parler le dernier, surtout quand il s'agit d'accusations si horribles sur la foi, et que l'accusé est un archevêque dont la réputation est importante à son ministère. Si Monsieur de Meaux veut toujours écrire le dernier, il trouble l'ordre de toute procédure et il ne veut pas finir. Si je suis obligé de lui répondre, je le ferai Monseigneur si promptement et si courtement que ma réponse ne retardera de guère le jugement de Rome ; il peut avoir des raisons pour prolonger l'affaire, je n'en ai aucune qui ne me presse de la finir au plus tôt. Quant à des écrits je ne suis pas embarrassé d'y répondre, et j'espère avec l'aide de Dieu éclaircir tout ce qu’il enveloppe, mais quoi que je n'ai rien à craindre de cette guerre, j'aime la paix et je voudrais m’employer entièrement à des fonctions plutôt que de donner au public des scènes dont il ne peut être que mal édifié. Quand j'ai fait une Instruction pastorale, je n'ai attaqué personne, j'ai parlé de mes parties avec un respect qui devait les apaiser. Depuis ce temps je n'ai écrit que pour me justifier sur leurs (117) accusations atroces sans y mêler aucune passion. Je ne demande que la paix et le silence quoi que j'ai de quoi me plaindre et de quoi réfuter. Je connais la vivacité de ceux qui mènent tout ceci. Nous ne finirons point s'il n'intervient quelque autorité, et quelque soin que l'on ait de prévenir le Roi, je connais assez sa profonde sagesse et sa sincère piété pour être assuré qu'il appuiera tout ce que le Saint-Père aura fait.
Cette réponse à Monsieur le Nonce fut suivie fort peu après des cinq premières lettres qu'il écrivit à Monsieur de Meaux pour réponse à son livre. Comme elles ont été entre les mains de tout le monde, je n'en dirai rien ici non plus que tous les autres écrits de part et d'autre dont on ne peut guères juger que par ses propres yeux ; mais cette petite lettre n'était pas achevée qu'il parut une Instruction par pastorale de Monsieur de Paris où, sans nommer Monsieur de Cambrai il était désigné d'une manière si précise avec des couleurs si noires qu'il ne lui était permis ni de s’y méconnaître ni de n'y pas répondre (118).
Cet ouvrage était très bien écrit et eut un grand succès. Ce prélat n'avait rien oublié de ce qui pouvait instruire son troupeau sur les principes de la saine doctrine, et en même temps la précautionner contre les illusions de la fausse. Mais cette fausse doctrine se trouvait partout tellement revêtue des termes et des expressions du livre de Monsieur de Cambrai qu'il était aisé aux plus ignorants de percer ce mystère et de voir qu'on la confondait avec soin et de propos délibéré avec celle de ce prélat. Il prit donc le parti d'y répondre. Plus votre place nous donne d'autorité Monseigneur, lui dit-il à la fin des trois lettres qui lui écrivit d'abord, plus vous êtes responsables des impressions que vous donnez au public contre moi. Votre vertu et la modération qui paraît dans vos paroles ne servent qu'à les rendre plus dangereuses. Les accusations véhémentes et outrées imposent moins au public, mais quand vous ne montrez que douceur et patience en imputant les erreurs les plus monstrueuses, le public est tenté de croire que j'ai enseigné toutes ses erreurs quoique je n'ai rien dit d'équivoque (119) pour les excuser, et que je les aie condamnées plus rigoureusement que personne. Voilà Monseigneur le mal que vous faites contre votre intention. Si vous croyez que je sois persuadé de toutes les erreurs que vous imputez à mon livre, malgré ce que j'ai dit si ouvertement pour les détester, vous me croyez le plus faux et le plus hypocrite de tous les hommes, et supposé que vous ayez de bonnes preuves pour former ce jugement, vous devez me dénoncer à l'Église ; comme le plus dangereux ennemi qu’elle ait eu ; mais si au contraire vous croyez que je suis sincère et que je déteste de bonne foi les conséquences qu'on peut tirer de mon livre, souffrez que je vous représente ici avec une liberté évangélique que vous auriez dû vous opposer au scandale qu'on a fait dans votre diocèse et de ne le pas augmenter par votre lettre pastorale.
Je vous avoue Monseigneur, lui dit-il, au commencement de la seconde lettre, que plus j'examine cet ouvrage, moins je vous reconnais dans ce style où vous ne me ménagez en apparence (120) que pour donner un tour plus modéré et plus persuasif aux plus terribles accusations, vous ne parlez presque jamais de moi ; vous n'en parlez qu’en des termes honnêtes ; mais vous rapportez sans cesse quelques-unes de mes paroles pour les joindre dans un même corps de doctrine avec ce qui vous paraît le plus propre à exciter l'indignation publique. Vous savez Monseigneur que rien n'est plus facile et moins concluant en matière de dogme que de faire ainsi un tissu de passages détachés de divers auteurs pour en tirer toutes les conséquences les plus odieuses....172 Ce qui convient le moins à la modération dans vous avez voulu user, c'est qu'après avoir rapporté mes paroles dans un certain arrangement avec d'autres pour leur donner un sens impie ; vous nous récriez à chaque page, illusion, sophisme des nouveaux docteurs, chimères, subtilité des quiétistes, visions fanatiques, erreur des bégards et des béguines, des illuminés et de Molinos !
Dans la quatrième lettre qui sert de réponse à une addition que fit Monsieur de Paris à son (121) Instruction pastorale, Monsieur de Cambrai y rassemble douze propositions qui semblent en composer le système. Il prie ensuite ce prélat de nier ou d'affirmer ces propositions. Plus je tâche d'approfondir vos expressions, lui dit-il, Monseigneur, plus j'y trouve une liaison de principes qui forme un système complet. Si je le conçois mal, vous n'aurez qu'à nier chaque proposition qui ne sera pas véritablement de votre doctrine ; je n'insisterai pas contre vous, comme vous avez insisté contre moi quand j'ai nié si précisément ce que vous m’imputiez. Votre désaveu précis décidera d'abord pour moi et je constaterai avec joie que je ne vous ai pas bien entendu.
Après avoir proposé à Monsieur de Paris ces douze questions, il lui en proposa cinq autres qu’il assure être la sienne [doctrine] dont la plus grande part roulant sur l'état de pure nature. Je vous supplie instamment Monseigneur lui dit-il encore, de nier ou d'affirmer précisément chacune de ces cinq propositions ; si vous en niez quelqu'une, j'offre de la démontrer. Si au contraire vous les accordez toutes, il ne faut plus parler du désir de salut comme d'une chose (122) essentiellement juste et qui est comme l'essence de la volonté ; c'était ce que voulait Monsieur de Paris dans son addition.
Monsieur de Paris fit d'une réponse à ces quatre lettres ; il s'y plaint de ce que Monsieur de Cambrai ne lui a pas adressé d'abord ces réponses imprimées et de ce qu'elles ont courues longtemps avant qu'il les ait reçues, il assure qu'il aura avec lui un procédé différent, qu’il lui adresse sa réponse à lui directement et non au public et qu'il voudrait ne la point montrer [sinon] à un très petit nombre de personnes distinguées à qui il ne la peut refuser. Cette lettre roule presque toute entière sur le procédé et rappelle tout ce qui s'est passé entre le prélat au sujet de Madame Guyon, l'estime de Monsieur de Cambrai pour cette dame ; la signature des articles d'Issy, le refus d'approuver le livre de Monsieur de Meaux. L'examen du Livre des Maximes des Saints avant son impression, enfin tout ce qui s'est passé depuis l'impression de ce livre jusqu'à ce que l'affaire ait été portée à Rome.
Le style de cette réponse à beaucoup d'aigreur (123) et de hauteur, il y a peu de choses sur la doctrine et le frère Laurent [de la Résurrection] est justifié de son indifférence prétendue pour le salut. Monsieur de Paris y assure Monsieur de Cambrai qu'il peut à l'avenir écrire tant qu'il lui plaira, mais qu'il ne lui répondra plus. En effet cette lettre est le dernier ouvrage de ce prélat sur cette matière. Monsieur de Cambrai reçut cette lettre le 25 mai 1698 et trois jours après on lui en envoya de Paris l’imprimé qui se vendait publiquement chez le libraire de Monsieur l'Archevêque. Ainsi l'ouvrage était imprimé dans le temps qu'on assurait Monsieur de Cambrai qu'il ne se donnerait pas au public.
Monsieur l'abbé Brisacier supérieur des Missions étrangères fort lié avec toutes les parties de ce prélat, lui écrivit dans ce temps-là une lettre fort ample sur le mauvais effet que faisait dans le public cette guerre d’écrits, l'extrémité où elle pouvait porter les esprits et les partis violents qu'elle était capable de faire prendre ; cette lettre lui faisait aussi quelques reproches sur l'impression de ses Lettres à Monsieur de Paris et à Monsieur de Meaux qui étaient entre les mains de tout le monde ; enfin il exhortait de tout son (124) pouvoir à ne plus écrire quoique l'on fît contre lui et de se renfermer dans les bornes d'une simple défense ; c'est-à-dire aux seules productions du Saint-Office où son affaire était sur le point d'être décidée.
Monsieur de Cambrai lui répondit qu'il n’avait écrit qu'à regret et à l'extrémité et qu'il avait d'abord envoyé ses défenses manuscrites à Rome ; mais qu'il avait pris le parti de les faire imprimer sur ce qu'on lui avait mandé qu’au tribunal du Saint-Office on imprimait d'ordinaire les productions parce que les manuscrits n'étaient ni assez lisibles ni assez corrects pour servir au jugement dans une matière si délicate et si importante, que ses réponses devaient être aussi publiques que les accusations, et qu'il n'avait cédé aux instances qu'on lui faisait pour l'impression que par l'impossibilité où il s'était trouvé de faire autrement, que cependant il avait eu tant de répugnance à donner cette scène au public qu’il avait envoyé ses écrits imprimés à Rome plus de six semaines avant que de les publier en France ; mais que voyant les ouvrages de ses parties affichées et répandues partout son diocèse, il avait conclu qu'il n'y avait (125) plus de réserves à garder sur ses défenses, et qu'il ne devait pas se laisser diffamer au milieu de son troupeau.
Pour la manière dont j'ai écrit ajoute-t-il, je puis me tromper et j'en laisse juger le lecteur, mais comme je n'ai eu ce me semble en écrivant ni aigreur ni ressentiment, il me semble aussi que je n'en ai pas marqué dans mes réponses. J'ai pris grand soin de supprimer tout ce qui ne m'a point paru essentiel à ma cause ; j'ai ménagé les personnes qui me ménageaient le moins, mais je n'ai pu taire certaines choses qui retombaient malgré moi sur ces personnes, parce que ces choses étaient importantes, les unes pour la doctrine ; les autres pour le procédé.
N'ai-je pas souvent attesté qu'on me contraindrait de me justifier d'une manière qui retomberait sur mes accusateurs ! A-t-on daigné m'écouter ! N’a-t-on pas affecté de chercher les plus étranges extrémités pour rendre tous accommodements impossibles ! N'a-t-on pas pris ma patience pour une faiblesse sans réserve. Ne m'a (126) t-on pas réduit à un état où je ne puis plus me justifier sur des impiétés horribles et sur un désespoir [?] inexcusable, qu'en montrant à toute l'Église la justice de cette accusation ?
Quand ils voudront garder le silence ajoute-t-il, je le garderai aussi avec joie ; car au milieu de ces combats de paroles je ne respire que la paix et la fin du scandale ; mais plus ils écriront plus ils me réduiront à prononcer clairement leur but que je voudrais pouvoir cacher si après avoir tant écrit ils n'ont plus qu'à faire des redits, ils ne perdront rien pour leur cause en gardant le silence. Les règles sont comme vous le savez que les accusateurs ayant été les premiers à parler doivent aussi être les premiers à se taire. Si au contraire ils ont encore de nouvelles preuves ou de nouveaux tours des anciennes preuves à publier, il est juste que j'ai le temps d'y répondre. L'accusé doit parler le dernier, surtout quand c'est un évêque qu'on veut convaincre d'impiété à la face de toute l'Église ....173 Pour moi quoiqu'il arrive je soumets de plus en plus (127) mes ouvrages au Saint-Siège avec une docilité sans réserve et sans distinction de fait et de droit. Je souhaite que ceux qui m'ont attaqué soient aussi dociles et aussi soumis pour les Dogmes qu'ils ont avancés.
Ce qu'il y a de particulier à cette lettre de Monsieur Brisacier c'est qu'il l’écrivait dans le temps précisément que Monsieur de Paris faisait imprimer la sienne sur le procédé, et que Monsieur de Meaux en venait de publier une sur la doctrine où il promettait aussi une autre sur les faits. Il ne l'ignorait pas sans doute et le faisait assez entendre par sa lettre ; aussi cette démarche ne parut pas venir de son seul mouvement ; les partis violents que l'on était capable de prendre, supposé la docilité de Monsieur de Cambrai à suivre ses conseils, étaient un dernier effort que l'on voulait tenter pour supprimer des lettres qui faisaient une grande impression dans le public, et ces menaces n'ayant rien produit, on fit tomber sur les personnes qui lui étaient le plus attachées ou qu'on crût le plus de ses amis, une partie de l'indignation (128) que l'on avait conçue contre lui. L'on chassa d'auprès de Messieurs les princes les abbés de Beaumont et de Langeron174, Dupuis175 et l'Echelle, et l'on ne lui laissa pas ignorer le sujet de leur disgrâce.
Cette aventure fit beaucoup de bruit et l'on en jugea diversement. L'on crut qu'ils avaient eu trop de part à la publication des écrits de Monsieur de Cambrai et que c'était par leur canal qu'ils étaient répandus à la Cour et à la ville176 ; qu'ils étaient des agents peut-être trop zélés qui l’instruisaient de tout ce qui se passait ou qui pouvait mettre quelque obstacle aux impressions que l'on voulait donner de Monsieur de Cambrai à Monsieur le Duc de Bourgogne177. D'autres crurent que les prélats par ce coup d'autorité avaient voulu faire montre de leur crédit à la Cour de Rome où l'on allait avec trop de circonspection à leur gré, et où leurs agents voulaient que la faveur de la Cour fût la règle du jugement qui s'y poursuivit. Quoi qu'il en soit ces quatre Messieurs eurent ordre de se retirer, et quelques instances que pût faire Monsieur le Duc du Beauvilliers auprès (129) du Roi, il n'en put rien obtenir. Le Roi lui témoigna qu'il combattait depuis très longtemps en lui-même pour lui épargner la peine qu'il prévoyait qu'il en aurait, qui s'était dit d'avance toutes les choses qu’il lui marquait, mais que dans un point aussi essentiel que celui de l'éducation des princes ses petits-enfants, il ne pouvait laisser plus longtemps auprès d’eux des personnes si suspectes sur la doctrine.
Monsieur le duc de Beauvilliers insista, du moins pour qu'on leur laissa leurs pensions, mais il ne put rien obtenir et quoique Monsieur le Duc de Bourgogne fut déjà marié, on lui redonna de nouveaux gentilshommes de la Manche pour leur ôter toute espérance là-dessus. Les amis de Monsieur de Cambrai se trouvèrent fort consternés depuis cette aventure et peu de temps après Monsieur de Meaux fit un écrit sur les faits qui fit une impression prodigieuse contre lui et contre tout ce qui était lié d'amitié avec ce prélat. C'était la Relation du quiétisme. Madame Guyon y est peinte avec des couleurs qui causaient un ridicule, un mépris et une indignation à soulever (130) contre elle tout le genre humain. Monsieur de Meaux y trouvait le moyen de les faire également retomber sur Monsieur de Cambrai en les confondant ensemble. Tout y était plein d'art et de tours pour rendre sa personne odieuse ; et le ton affirmatif sur lequel il l’avait pris ne permettait pas de douter de la vérité des faits qu'il y alléguait. Il en distribua des exemplaires à toute la Cour qui était pour lors à Marly et ce fut un spectacle assez curieux pendant quelques jours de voir les courtisans et les dames par pelotons lire cet ouvrage ; y faire des commentaires à leur mode et les accompagner de réflexions telles que la matière les pouvait suggérer. Le roi ordonna qu'ont lu cet écrit à Monsieur le Duc de Bourgogne et le triomphe de Monsieur de Meaux fut complet.
Les personnes les mieux disposées en faveur de Monsieur de Cambrai haussaient les épaules et ne savaient que répondre sur des détails si bien circonstanciés. Ils ne croyaient pas même qu'il ne put jamais répondre rien de précis sur les faits y est rapporté, et la tempête fut (131) telle qu'il n'y eût personne qui osa dire un mot en sa faveur. Ses amis les plus considérables parurent violemment attaqués ; l'on faisait retomber sur eux indirectement une partie des choses qu'on lui imputait et comme ils avaient des emplois considérables sur lesquels chacun formait des vues, il ne se trouva que trop de gens qui poussèrent à la roue et qui secondèrent les intentions de Monsieur de Meaux.
Ces amis de Monsieur de Cambrai crurent dans cette occasion avoir lieu de se louer de Monsieur de Paris dont les sentiments étaient plus modérés, et en effet si ce prélat eût secondé les efforts de son confrère on aurait engagé la piété du Roi en des choses fort contraires à son inclination. Monsieur de Meaux disait assez haut à qui le voulait entendre qu’en vain l'on avait ôté d'auprès de Messieurs les Princes ceux qu'on en avait chassés, tant qu'il en restait de beaucoup plus considérables par leurs emplois et par la confiance qu'ils y avaient. Madame de Maintenon faisait en quelque façon les honneurs de cette relation et appuyais de son témoignage (132) certains faits sur lesquels on aurait eu peine à en croire Monsieur de Meaux sur sa parole. Enfin jusqu'au silence de Monsieur de Cambrai qui fut quelque temps sans y répondre, tout conspire à l'accabler.
Ce n'est pas qu'il n’eût de quoi le faire et qu'il ne lui fut aisé de faire retomber sur Monsieur de Meaux lui-même une partie des choses qui venaient de soulever le public ; mais il était retenu par des considérations qui lui faisaient craindre d'entraîner ces mêmes amis dans sa disgrâce. Il lui revenait de plusieurs endroits qu'elle serait infaillible s'il publiait certains détails sur lesquels leur témoignage était nécessaire, et on lui faisait craindre d'irriter un pouvoir capable de les perdre, mais qui avait encore quelque ménagement pour eux178. Cela l'arrêta quelque temps et cependant il répondit à la lettre de Monsieur de Paris par une Latine qu'il se contenta d'envoyer à Rome ; il se justifie de tous les faits sur lesquels Monsieur de Paris l'attaque par les vingt questions qu’il lui avait faites à Saint-Cyr au commencement de l'année précédente en présence de Madame de Maintenon et de Monsieur le Duc de (133) Chevreuse : elles y sont toutes rapportées, un reste d'amitié et de considération pour ce prélat [M. de Paris] l'empêcha apparemment de la faire publier en France ; mais comme elle était nécessaire au Saint-Office pour détruire l'impression qu'avait pu y faire celle de Monsieur de Paris il l'envoya à Rome et il en vint par le canal de l'abbé Bossuet quelque exemplaire à M. de Paris et à M. de Meaux : ce dernier en la citant dans un de ses écrits postérieurs a montré par là qu'il l’avait lue et M. de Paris qui l’avait lue comme lui ne s'est jamais mis en devoir d'y répondre pour n’en contester aucun fait. D'ailleurs cette lettre a été peu connue.
Peu de jours après cette lettre à Monsieur de Paris, Monsieur de Cambrai publia sa réponse à la Relation et sans y compromettre personne il rendit les faits sur lesquels il avait été attaqué si palpables et si sensibles qu’on y découvrit les motifs de la persécution de Monsieur de Meaux et sur quel fondement il avait détourné une dispute purement dogmatique en une discussion si odieuse sur les faits. (134) [mot illis.] eut un succès qui passa ses espérances, et le public à qui l'on [en] avait imposé se tourna contre Monsieur de Meaux et conçut contre lui une indignation dont il n'est pas revenu. Ce prélat y répondit par un écrit intitulé Remarques de Monsieur de Meaux ; mais il lui attira une autre réponse si triste pour ce prélat et qui mit tout le monde si bien au fait qu'il ne s'avisa plus d'écrire sur cette matière qu'il aurait mieux fait de ne traiter jamais.
Comme ces écrits de Monsieur de Meaux et de Monsieur de Cambrai sur le procédé ont été entre les mains de tout le monde, je n'entre dans aucun détail de ce qui les regarde ; on peut les lire et tout homme un peu censé en peut porter jugement.
Monsieur de Meaux dans la réponse aux quatre premières lettres de Monsieur de Cambrai s'était comme engagé de ne plus écrire sur la doctrine ; en effet cette matière devait être épuisée après la déclaration des évêques, le Summa doctrinae et ce gros volume qu'il avait publié sous le nom de divers écrits, mais cela ne lui paraissant pas suffisant, les trois autres petits traités latins qu'il envoya à Rome (136) pour tenir les consulteurs du Saint-Office en haleine.
Il fallut encore que Monsieur de Cambrai y répondît. Tout cela retardait le jugement de l'affaire et Monsieur de Meaux criait de toutes ses forces qu'il [M. de Cambrai] ne cherchait qu'à prolonger et à éluder. Il est arrivé plusieurs fois dans le cours de cette affaire qu'au même temps que ce prélat venait de donner quelque chose de nouveau au public, il mettait tout en œuvre et faisait employer les instances et l'autorité de la Cour pour avoir un prompt jugement de Rome ; et sitôt que Monsieur de Cambrai il avait répondu, il demandait avec la même instance qu'on lui donnât le temps de faire quelque chose de nouveau, comme si le Saint-Siège n’eut rien dû décider que suivant les impressions qu’il lui donnait.
Ce prélat après avoir publié sa Relation assura publiquement que Monsieur de Cambrai aurait une entière liberté de publier ses défenses comme s'il eut été injuste de l'attaquer et de se servir de l'autorité pour l'empêcher de répondre aux choses qu'on lui imputait ; mais soit qu'il n'en (136) fut pas le maître ou que les fréquentes réponses de Monsieur de Cambrai embarrassassent ses parties, l’on arrêta aux portes de Paris par ordre du lieutenant de police les premières lettres à Monsieur de Chartres sur son Ordonnance pastorale. Cette violence et la manière dont on fit signer un grand nombre de docteurs contre les usages de Sorbonne, qui donnèrent une espèce de jugement anticipé pendant qu'on était si attentif à celui qui se préparait à Rome ; de plus l'éclat qui fit une disgrâce plus éclatante de ce prélat au commencement de l'année 1699 par son appartement de Versailles donné179 et ses appointements de précepteur des princes rayés de dessus l'état de la maison, tout cela fit juger qu'on ne voulait plus garder de mesures avec lui et qu'on le pousserait aux plus grandes extrémités.
Dès que l'affaire avait été portée à Rome, les ministres de cette Cour avaient fait tous leurs efforts pour qu'on trouvât moyen de l'accommoder en France. Ils prévoyaient que la Cour ne les laisserait pas entièrement libres, et que de quelque côté qu’on penchât la faveur, cela pourrait les géhenner ou (137) qu'elle paraîtrait du moins avoir trop de part dans un jugement touchant la doctrine. Ils en écrivirent au Nonce à Paris, ils en parlèrent aux agents que les prélats avaient à Rome, mais cette affaire n'était point en termes d'accommodement, on les avait trop constamment rejetés, et la disgrâce de Monsieur de Cambrai devenue publique donnait une nouvelle hauteur à Monsieur de Meaux qui s'était rendu le maître de l'affaire et qui en était comme le modérateur.
Cette tentative n'ayant pas réussi ils espérèrent que le temps y apporterait des adoucissements, et crurent que la longueur des procédures du Saint-Office fournirait d'elle-même des expédients qui leur éviteraient un jugement. Pour cet effet ils donnèrent aux parties tout le temps qu'ils purent souhaiter pour faire leur production et commencèrent l’affaire dans toutes les formes d'une procédure judiciaire.
Le livre fut remis entre les mains des consulteurs du Saint-Office parmi lesquels s'en étant trouvé un qui n'était pas du goût de Monsieur de Meaux pour avoir été examinateur du livre du cardinal Sfondrat, l'abbé Bossuet fit tant de (138) bruit et ses amis insistèrent si fort pour qu'il en fût ôté qu'il fallait leur donner cette satisfaction. C’était un cordelier nommé le père Jean Damascene. Quelque temps après ils se plaignirent de ce que le Pape n'avait donné que des religieux pour examiner le livre ; par complaisance pour eux, l'on y ajouta deux nouveaux sujets qui furent Monsieur Rhodolowich Archevêque de Chietti depuis Cardinal et le père Joseph Lambert Ledroit Evêque de Porphyre, sacriste [sacristain] du Pape et docteur de Louvain. Les religieux étaient le père Philippe de Saint-Nicolas qui avait été général des Carmes, homme d'une grande piété ; le père Paulin Bernardini maître du sacré palais dominicain, François Massoulié autre dominicain de la province de Toulouse, le père d'Elmiro bénédictin, le père Alfaro jésuite ; le père Gabrielis feuillant depuis Cardinal, le père Granelli franciscain, et le père Serani augustin, tous théologiens et tous de réputation dans leurs ordres.
La Congrégation des consultants ayant été formée, le Pape nomma les cardinaux Norris et Ferrari (129) pour être présent à tout ce qui s'y passerait et lui en rendre compte. Il tinrent leurs assemblées pendant près de huit mois pendant lesquels ils travaillaient à cette affaire avec une application extrême. Ils se trouvèrent partagés au bout de ce temps-là, et de dix qu'ils étaient, cinq furent d'avis de censurer le livre, les cinq autres voulaient que la doctrine en fût saine et irrépréhensible, jusque là que l'archevêque de Chietti dit ouvertement qu'il fallait ou brûler les livres de Sainte Thérèse et de Saint François de Sales ou admettre celui de Monsieur de Cambrai qui contenait la même doctrine et les mêmes principes. Ces cinq consulteurs étaient les plus considérables et par leur doctrine et par leur piété, c’était l'archevêque de Chietti, l'évêque de Porphyre, l’ex-général des Carmes, le père Gabrielis et le père Alfaro. Les cinq contraires étaient les deux dominicains, le père d'Elmiro, le père Serani et le père Granelli. Ces derniers n'étaient pas unis dans leurs sentiments. Quelques-uns d’eux admettaient des propositions que les autres rejetaient et quoiqu'il (140) voulussent tous également la censure, c'était par des conséquences dont ils ne reconnaissaient pas entre eux. Leurs adversaires leur opposaient que ces propositions qu'ils condamnaient n'étaient point du livre de Monsieur de Cambrai, qu'il se trompait dans le fait, et que pour mettre les cardinaux et le Saint-Père en état d'en juger sans beaucoup de discussion, ils n'avaient qu'à écrire dans la première colonne d'une page la proposition qu'ils condamnaient dans le livre, et ils offraient de mettre à côté dans la seconde colonne la proposition contradictoire tirée du texte et des propres termes du livre. Là-dessus l'on rejeta trente-sept propositions que les consultants opposés au livre avaient extraites comme manifestement contraire à son vrai texte, et l'on en arrêta ensuite un certain nombre dont toutes les parties convinrent unanimement, mais dont les uns et les autres des conséquences bien différentes.
Il y avait près de trois semaines que les assemblées des consultants était finies sans qu’on sût pourquoi ils ne donnaient point leur volume, c’est (141) ainsi qu'on appelle le sentiment particulier de chacun des examinateurs, mais enfin l'on en pénétra la raison. Ceux qui étaient favorables à Monsieur de Cambrai soutenaient que son livre et les propositions que l'on en avait extraites étaient orthodoxes tant pour la doctrine que pour les expressions ; ceux qui lui était contraires ne convenaient ni sur les endroits du livre qui leur paraissaient répréhensible pour les propositions qu'ils rejetaient, ni pour la qualification qu'il leur voulait donner, les uns admettant et rejetant ce que d'autres ne voulaient ni admettre ni rejeter, de sorte que leurs suffrages n'ayant aucune force contre ceux de leurs adversaires, l'on voulut qu'ils se fixassent aux seules propositions dans lesquelles il convenait tous cinq. Pour cet effet ils firent plusieurs assemblées chez le père Massoulié qui était regardé comme leur chef et celui qui entraînait le maître du sacré palais et les autres, et s'étant enfin fixés entre eux, l'affaire fut portée devant les Cardinaux.
L'intervalle qu'il y eût entre la fin de la première (148) Congrégation qui était celle des consulteurs et celle des Cardinaux qui ne commença qu'assez longtemps après, donna lieu à l’abbé Bossuet de tenter un Jugement précipité en faisant venir des lettres très pressantes du Roi au Pape aussi bien que du Nonce qu'il voulait faire cadrer avec le temps où les consulteurs qui lui étaient favorables devaient donner leur volume et l'appuyer de toutes leurs forces. Il espérait que ces dernières impressions que l'on prendrait contre le livre effaceraient les premières qui lui étaient si favorables et que ses lettres s