« Aime-Moi »
Armelle Nicolas
« Aime-Moi »
Faits et dits de la Bonne Armelle,
servante bretonne
Dits mis en forme par Gérard Pfister
suivis de deux chapitres du
Triomphe du divin Amour
On pourrait traiter avec condescendance ou amusement la vie d’Armelle Nicolas (1606-1671) sous prétexte qu’elle est née près de Ploërmel, dans la Bretagne profonde, et qu’elle fut servante toute sa vie. En réalité, nous avons affaire à l’une des plus grandes mystiques du XVIIe siècle par la profondeur de son don à Dieu et l’ampleur de son expérience qui rejoint celle d’un Ruusbroec (1293-1381).
Au début du XVIIe siècle, la Bretagne était prospère : en témoignent les très nombreuses églises et les calvaires construits pendant la Renaissance avec l’argent d’une bourgeoisie enrichie par le commerce de draps et de broderies. Les parents d’Armelle étaient fort pieux. La petite fille aimait prier dans la solitude des landes où elle gardait les troupeaux de son père. Elle refusa toujours de se marier, et préféra s’engager comme servante à Ploërmel chez le Seigneur du Tertre, protecteur des ursulines. En famille, on y lisait la Vie des saints ou l’Imitation. C’est là qu’elle reçut son premier choc mystique : la première fois qu’elle entendit parler de la Passion, son cœur s’embrasa d’amour pour le Christ « avec tant d’ardeur qu’il lui semblait être toute de feu […] La moëlle de ses os et le sang de ses veines furent changés et convertis en amour, de sorte que depuis elle n’eut plus d’autre objet que l’Amour … »1. Dès lors, avec une ténacité sans failles et dans un don d’elle-même absolu, elle va se jeter pour toute sa vie dans ce brasier divin. Elle n’appellera jamais Dieu que de ce nom : « l’Amour ».
Suivent des mois agités de tentations et de désir de Dieu : elle le cherche partout. Puis un Vendredi Saint, le Seigneur répond : « Je connus clairement que celui que j’avais tant désiré entrait en moi et prenait possession de moi. »2. Plusieurs années se passent dans l’enivrement de l’Amour. Mais son corps supporte mal ces états. Elle est harcelée par sa patronne, exaspérée de la voir si souvent languissante : celle-ci l’accable de gros travaux qu’elle exécute avec soumission. Puis sa maîtresse comprend enfin la profondeur spirituelle d’une servante qu’elle croyait stupide et paresseuse : elle s’adoucit.
A trente ans, Armelle part au service de la fille de Mme du Tertre à Arradon au manoir de Roguédas près de Vannes : elle aspire à être loin de sa famille et de ses amis. Elle y restera pendant plus de trente ans : elle avait la confiance de ses maîtres pour s’occuper de toute la maison et des enfants, charge dont elle s’acquittera avec conscience au milieu de ses états mystiques.
Elle commence par y vivre une épreuve extrême : une purification de sa sexualité. Pendant deux ans, elle perd la présence de Dieu et est soumise à des tentations très fortes, au point qu’un jour elle s’enfuit dans les champs et demande la mort pour ne pas offenser Dieu. Elle est délivrée d’un coup : « Les chaînes qui m’avaient tenue en si grande captivité, furent entièrement rompues et brisées pour jamais, me trouvant au-dedans de moi-même en une telle liberté que je ne me connaissais plus ». Par la suite, « elle ne ressentit plus jamais la moindre étincelle d’affection pour aucune créature. » Elle raconte que « jamais son cœur ne fut assailli de la moindre tentation, difficulté ou répugnance qui l’eût tant soit peu détournée de l’ardeur et de la véhémence avec laquelle elle se portait continuellement vers son unique bien qui était Dieu. »3
Elle trouve enfin un confesseur carme à Vannes, mais qui ne lui dit rien sur ses états. Un jour où elle est malade, il amène à son chevet un jésuite, Vincent Huby : rencontre capitale et chance exceptionnelle pour Armelle en un siècle où les mystiques étaient vite soupçonnés de possession démoniaque. Huby lui enlève ses doutes en lui assurant que tout ce qui se passait était de Dieu et des effets du grand amour que Dieu lui portait. Il la prend en charge.
Huby faisait partie d’un groupe de jésuites basé à Vannes : ces « missionnaires » censés seconder les pouvoirs civils en unifiant des pratiques religieuses déjà présentes, arrivaient du Royaume de France non sans quelque retard dû aux luttes civiles entre catholiques et protestants (l’union de la Bretagne avec la France date de 1532). Ils n’avaient pas à « apporter la civilisation » car le pays n’était pas plus arriéré que l’ensemble des autres provinces françaises – il avait même été épargné des feux les plus violents provoqués par ces luttes. Ils surent heureusement déborder ce rôle.
Parmi eux, se trouvaient de grands spirituels. Vincent Huby et son ami Jean Rigoleuc étaient les disciples de Louis Lallemant (1588-1635) : premier de la grande filiation mystique jésuite du siècle, celui-ci appelait l’oraison « sa félicité sur la terre » et « y passait même quelquefois la nuit plusieurs heures qu’il dérobait au sommeil ». Il insistait sur la pureté de cœur plutôt que sur les pratiques ascétiques : « La voie la plus courte et la plus sûre pour arriver à la perfection, disait-il, c'est de nous étudier à la pureté de coeur, plutôt qu'à l'exercice des vertus, parce que Dieu est prêt à nous faire toutes sortes de grâces, pourvu que nous n'y mettions point d'obstacle. » Tout doit être orienté vers Dieu seul : « Les personnes éclairées des vraies lumières ne portent leur affection qu'à Dieu, ne s'attachant pas même aux choses les plus saintes. »4
Jean Rigoleuc (1596-1658), breton de naissance, d’éducation et de tempérament, formé par Louis Lallemant à Rouen puis à Bourges, fut mis « dans cet état que les mystiques appellent passif ». Il passe une grande partie de sa vie à Vannes d’où il rayonne en collaborant aux missions populaires bretonnes du bienheureux Julien Maunoir (1606-1683). Il intervient dans les couvents d’ursulines, dont celui où résida quelques années Armelle, puis à Quimper où il formera des prêtres. Il ne fut jamais supérieur car « peut-être sa rude franchise faisait-elle peur »5.
Vincent Huby (1608-1693) occupe une place privilégiée dans la vie d’Armelle ; mais avec Vannes pour point d’attache, il est aussi directeur spirituel de prêtres, de notables et de simples servantes. Il fut le premier à établir une maison de retraite ouverte aux laïcs, invention de grand avenir dans l’histoire de l’apostolat jésuite. « Tout ne respirait en lui que l’amour de Dieu » nous dit Champion.
Huby présente Armelle à Rigoleuc, qui aime venir l’entendre parler de Dieu. Elle est donc veillée par deux directeurs exceptionnels, mystiques eux-mêmes, qui reconnaissent l’action de la grâce en elle et s’abstiennent de toute intervention personnelle : « Ses directeurs qui ont toujours été des personnes très éclairées dans la conduite de Dieu sur les âmes, la voyant et reconnaissant que Sa divine Majesté daignait prendre un soin tout particulier de la direction de celle-ci, et qu’il lui faisait surpasser de beaucoup tout ce qu’ils eussent pu exiger d’elle, ne lui donnèrent aucune pratique pour la faire avancer en vertu […] ils la laissaient entre les mains d’un si bon Maître, et ne faisaient que ouïr et approuver ce qu’il opérait en elle… » Armelle reconnaissait qu’une « des plus grandes grâces que Dieu lui eût faites, c’était de l’avoir toujours mise entre les mains de ses vrais et fidèles serviteurs, qui ne s’étaient jamais opposés à ce qu’il voulait d’elle… »6
Elle avait toujours eu « dans l’esprit que, pourvu qu’elle ne fît point sa volonté, il n’y avait rien à craindre pour elle »7. Elle n’agissait jamais de son propre chef, demandant à sa maîtresse la permission pour toutes choses. Elle fut heureuse de s’en remettre pour tout à ses confesseurs : « J’avais la croyance si certaine dans mon esprit, que mes directeurs me tenaient la place de Dieu en terre, que je n’en pouvais aucunement douter […] ce qui faisait qu’en toutes choses je m’adressais à eux comme j’eusse fait à Dieu même, ne faisant aucune distinction entre ce qu’ils me commandaient et ce que Dieu m’eût dit de sa propre bouche. »8 Ainsi elle ne s’attribuait rien, tout venait par providence divine à laquelle elle s’abandonnait.
Pendant toutes ces années, un feu intense consume son corps et son âme, mais les médecins demandés par son confesseur ne peuvent la soulager : « Mon père, dit-elle à Huby, je suis dans une fournaise, mais c’est la fournaise de l’Amour. » Sa santé se détériore ; dès qu’elle va mieux, elle se lance dans le ménage, mais retombe malade. Craignant pour sa santé, Huby la fait entrer comme tourière chez les ursulines de Vannes : les sœurs et les pensionnaires l’aiment beaucoup. Elle fait la connaissance de la sœur Jeanne de la Nativité qui devient son amie : cette spirituelle fine et intelligente prend soin d’elle, elle l’envoie se reposer dès qu’un état mystique survient. C’est elle qui rédigera la vie d’Armelle qu’elle appellera Le Triomphe du divin Amour et qui est notre unique source pour la connaître.
Armelle reste au couvent de 1642 à 1645, mais finit par fuir cette vie trop douce. Elle sent qu’elle doit vivre l’intériorité au milieu des difficultés de la vie : elle retourne chez ses maîtres à Roguédas avec l’approbation de Rigoleuc : il « la laissait agir selon les mouvements de l’Esprit, se contentant de sa part de la disposer, tout de loin, à ce qu’il prévoyait que Dieu voulait opérer en elle »9.
Le quotidien n’est pas facile, mais on apprend mieux à ne s’appuyer que sur Dieu quand on est houspillée par ses maîtres et moquée par les autres serviteurs : elle supporte tout avec une patience infinie, secourant un jeune valet voleur, soignant jour et nuit une servante qui l’a injuriée pendant des années. Elle vise la perfection, ne se permettant aucun penchant naturel et aucune distraction de son état intérieur.
En 1649, Huby reçoit l’ordre de partir à Quimper où Rigoleuc est déjà : les deux jésuites chargent la sœur Jeanne d’être leur intermédiaire. C’est l’occasion d’une nouvelle étape : le Seigneur lui dit qu’il la retire des bras de ses nourrices et qu’elle doit rentrer dans son Cœur.
Suit un état qui dure huit jours : tout en paraissant comme à l’ordinaire, elle est inconsciente, dans un repos où « rien de distinct ni de particulier » comme si elle avait quitté son corps. Elle éprouve une complète cessation de toute opération intérieure. Puis le jour de la saint Thomas, le Seigneur lui dit : « Ma fille, cède-moi la place. ». Dès lors, elle comprend tout ce qu’Huby lui avait dit sur l’abandon et n’aura plus de volonté propre : « …de là lui naissait un si grand éloignement de son action extérieure d’avec l’esprit intérieur qu’elle ne savait si c’était elle qui agissait ou non, et que le plus souvent la besogne était faite sans savoir par qui ni si elle y avait mis la main ; de plus son âme fut réduite à un si grand calme et tranquillité qu’il lui semblait que rien du monde n’eût été capable de l’en faire déchoir ni la troubler » 10. Cet état est si nu qu’un doute l’effleure que l’Amour la délaisse. A la Toussaint, le Seigneur la rassure : « Ma fille, tu es la fille de l’Amour. »
L’union avec Dieu est consommée : « …il est tout à moi, comme je suis toute à lui […] je n’ai plus qu’à me reposer dans ses biens ; et comme lui se repose en moi, aussi je me repose en lui »11. Armelle « disait souvent que si Dieu ne l’eût conservée surnaturellement, il lui eut été impossible de vivre ; car ce repos, pour être si divin et spirituel qu’il approchait en quelque façon de celui des Bienheureux, était plus capable de séparer l’âme du corps que tous les tourments du monde. » Elle dit avec simplicité : « Je ne suis plus en moi mais en lui, où je ne me trouve plus et où je me suis perdue ; c’est lui seul qui s’aime, car je ne vois plus rien qui ne soit lui-même »12. Elle est souvent obligée de s’étendre sous les excès d’amour qui la terrassent.
Pleine d’un immense amour pour l’humanité, elle est saisie d’une tristesse intense devant sa misère morale qu’elle ressent comme une offense à Dieu : « Il me semble que mon divin Amour ne me laisse plus en ce monde que pour être la procureuse de son honneur […] Je ne me regarde point moi-même en cela, mais Dieu seul, dans lequel je suis si perdue et abîmée que, la plupart du temps, je crois n’avoir plus d’âme […] son honneur est mon honneur […] tout ce qui le touche me touche…13. C’est ainsi qu’en 1651, elle demande à Dieu de « décharger sur elle toutes les peines qu’il lui plairait afin d’empêcher qu’il ne fût offensé »14. Elle est immédiatement accablée de douleurs qui la forcent à s’aliter, mais sœur Jeanne atteste que cette année-là, le Carnaval fut beaucoup plus tranquille à l’étonnement de tous.
En 1652, le Seigneur lui imprime son Nom au cœur, Nom qui a le pouvoir de sauver les hommes. Son rôle est donc de réclamer la miséricorde divine pour eux. Quand elle fait les courses, les gens l’abordent pour lui dire des « péchés terribles » qui la laissent « surprise et effrayée » : elle appelle la grâce sur eux et porte leurs souffrances. Après sa mort, les gens témoigneront combien son aide leur a été précieuse.
Son état s’approfondit encore : « Depuis la fête de ma sainte Mère, […] je n’ai plus aucune pensée, ni rien qui m’arrête, ni m’occupe comme de coutume ; il y a un seul objet, qui est l’être et l’immensité de Dieu, qui pénètre et consume mon âme d’une manière inconcevable, et la rend, en la consumant, d’une si grande étendue que je n’en puis savoir les bornes »15. A Pâques 1653, elle est retirée de toute perception de ce que Dieu fait en elle : « Il me semblait n’avoir ni de foi ni d’amour ni d’attention à mon Dieu » ; puis à l’Assomption, Dieu se fait sentir comme une grande mer où elle est comme un poisson, après quoi elle perd « l’idée et de la mer et du poisson, pour n’avoir que celle de Dieu seul. »16
En 1650, elle avait tenu à faire vœu d’obéissance et de chasteté. Dès 1651, elle avait renoncé à ses gages, et en 1655 elle peut enfin prononcer le vœu de pauvreté qu’elle désirait depuis longtemps : elle remet tout ce dont elle dispose entre les mains de la supérieure des ursulines, qui lui donnera désormais en aumône ce dont elle a besoin. Elle se sent libre, ne dépendant plus que du pur Amour.
Pendant dix-huit mois, elle s’occupe jour et nuit de sa maîtresse malade : celle-ci meurt en octobre 1656. Toute la famille est d’ailleurs malade : elle les soigne avec une patience infinie.
Son état ne change plus : invariablement attachée au seul regard de son Amour, « son âme était si perdue et abîmée dans ce divin regard qu’elle ne se comprenait pas elle-même ; et nonobstant cela, elle était aussi libre pour agir au-dehors comme si rien ne se fût passé au-dedans »17. Elle ne formait aucun projet, laissant Dieu agir : elle ne pouvait même pas prier sans en recevoir l’impulsion.
En 1666, à soixante-et-un ans, un cheval lui brise une jambe ! Elle remercie le Seigneur et supporte paisiblement de grandes douleurs, suscitant l’admiration de tous. Elle passe quinze mois au lit ou sur une chaise ; elle s’aidera dorénavant de béquilles : « Elle demeurait dans un petit coin de la cuisine à donner ordre au ménage, et à faire quelque occupation pour l’utilité de la maison, n’étant jamais oisive. Plusieurs personnes de toutes sortes de conditions l’allaient voir pour se consoler avec elle et jouir de la douceur de son entretien »18. En 1669, elle demande à la Vierge de pouvoir aller à son autel : elle recouvre la marche mais garde les douleurs. Elle n’aura plus besoin que d’un petit bâton.
Après quelques semaines de fièvre, elle s’éteint le 24 octobre 1671. Sa chambre est remplie de gens qui la vénèrent. Une procession énorme accompagnera son corps. On se dispute ses reliques, des guérisons ont lieu…
*
Sa biographie fut rédigée par sœur Jeanne de la Nativité, son amie et confidente, puis publiée dès 1672 par Huby, leur confesseur commun, ce qui assure une véracité des faits rapportés du vivant des témoins.
Jeanne l’a intitulée Le Triomphe de l’Amour divin car, dit-elle dans sa Préface, « il semble que cette heureuse fille n’a été créée que pour servir de théâtre et de trophée au divin Amour ».
L’influence de ce livre fut très grande au siècle suivant19 car il est le fruit d’une rencontre exceptionnelle entre une vie mystique racontée avec véracité et sans joliesse, une rédactrice attentive et intelligente, et des confesseurs qui, eux-mêmes mystiques et plongés dans le vécu breton le plus quotidien, pouvaient comprendre la servante. Cette perle rare a toute sa place dans une bibliothèque des grands témoignages mystiques rédigés en notre langue.
Comme le texte du Triomphe couvre près de huit cents pages, ce sont des « dits », extraits comme des diamants d’un dur contexte breton, qui ont été privilégiés. En nous les présentant sous la forme de « fioretti » ou de contes soufis, Gérard Pfister sait nous rendre accessibles ces merveilles en associant douceur poétique et fidélité au sens profond du texte.
Nous avons pensé les mettre en valeur par un écrin constitué de deux chapitres extraits de la seconde partie du Triomphe et reproduits partiellement puis entièrement sans en retoucher le style. Ils soulignent la grandeur - voire le caractère abrupt - d’une vie mystique vécue dans un cadre fort rude.
La liberté de ton et la fermeté souveraine d’Armelle ne s’accordent guère avec l’image d’une « pauvre servante » naïve et illettrée qui serait tout juste capable de nous enchanter. Ses paroles égalent par leur intensité et par leur élan celles de la dame du pur Amour : quand on lui lut Catherine de Gênes20, Armelle reconnut qu’elle était sa sœur et que Dieu avait accompli en elles deux le même ouvrage. Loin d’être une petite bonne bretonne, Armelle fut en réalité une grande dame de la mystique.
Murielle et Dominique Tronc.
1
Souvent l’amour et la douleur la mettaient comme hors d’elle-même et elle disait à Dieu:
« Donnez-moi la mort et l’enfer plutôt que de devoir ainsi regarder votre amour et mon indignité. »
*
Son travail de servante la menait souvent dans les champs où elle pouvait laisser libre cours à ses sentiments.
Sûre de n’être pas vue, elle courait alors à perdre haleine et comme sans but. Elle embrassait les arbres et les couvrait de baisers. Elle s’adressait aux fleurs et aux plantes, leur demandant de lui enseigner ce que son cœur désirait. Et elle parlait aux bêtes et aux oiseaux comme s’ils pouvaient la comprendre.
*
Un jour qu’elle était au bord d’une fontaine, elle s’interrogeait sur le moyen de rejoindre son Amour.
Elle entendit une voix qui lui disait au dedans d’elle-même : « Jette-toi dans cette fontaine, et la mort réalisera ton désir. » Et elle sentit comme si on la poussait pour la faire tomber dans l’eau.
Son désarroi était si grand qu’elle s’y serait jetée volontiers si seulement elle n’avait pas craint d’offenser Dieu.
*
Elle L’appelait de tous les noms que l’amour peut suggérer, dans l’espoir que ces derniers puissent L’inciter à se montrer :
« Mon Dieu, disait-elle, il faut bien que Vous soyez infiniment aimable puisque, sans Vous connaître ni savoir qui Vous êtes, je me languis d’amour pour Vous. »
*
N’en pouvant plus, il lui arriva de s’exclamer ainsi : « Mon Dieu, le jour est venu que je sois toute à Vous. Purifiez-moi, blanchissez-moi dans votre sang. Adoucissez mon cœur par l’huile de votre miséricorde. Montrez-Vous à moi et unissez-moi à Vous. »
Au même instant, Il se manifesta au fond de son cœur par un rayon de sa lumière, et Celui qu’elle avait tant désiré entra et prit possession d’elle.
Elle en fut tout d’abord effrayée, mais cette frayeur ne dura pas plus d’un moment : « Soudain mon cœur fut rassuré et tellement changé que je ne me reconnaissais plus. Je sentis un tel assouvissement de tous mes désirs que je ne savais plus si j’étais au ciel ou sur la terre. Je demeurai quelque temps immobile, comme une statue, et dans une paix si grande que je ne pouvais douter que Dieu ne m’ait unie intimement à Lui, comme je l’avais tant désiré. »
*
Un jour d’été, sa maîtresse eut envie de se baigner et l’emmena avec elle. Alors qu’elles étaient déjà arrivées au bord de l’eau, elle la vit toute recueillie et enfermée en elle-même, sans dire un mot. Sa maîtresse se fâcha :
« Eh bien, grosse étourdie, à quoi rêves-tu encore? » Armelle, comme si on l’avait réveillée d’un profond sommeil, la regarda avec douceur : « Je pense aux angoisses qu’éprouva le Christ lorsqu’il traversa le Cédron.
– Mais qui donc t’a appris, lui demanda sa maîtresse, que le Christ a traversé le torrent du Cédron ?
– Je ne sais pas, mais je suis bien sûre que ce doit être ainsi. »
À ces mots, elle rougit et se mit à pleurer. Sa maîtresse fut émue de cette réponse et de ces larmes. À compter de ce jour-là, elle changea d’attitude à son égard et regretta d’avoir traité Armelle avec tant de dureté.
*
Elle sentit un jour s’éveiller en elle l’amour charnel. Ne sachant plus où se mettre, elle sortit du couvent et s’en alla au milieu d’une grande prairie pour y pleurer sans être vue de personne : « Pauvre misérable que je suis, soupirait-elle, fallait-il que je quitte mes parents et mes amis pour me voir brûler ainsi ? Comment se peut-il que mon cœur, qui n’est fait que pour Dieu, éprouve un tel amour pour une créature ? Mon Dieu, enlevez-moi de ce monde pour je ne Vous offense plus ! »
Mais, lorsqu’elle était au plus fort de son désespoir et de ses plaintes, elle sentit soudain un profond changement se produire en elle :
« D’une extrémité de peine, je me trouvai, sans savoir comment, dans une extrémité de joie. Et ce fut un miracle plus grand encore que si Dieu avait ressuscité mon corps. Je me sentis libre et dégagée de toutes choses, comme si on m’avait ôté un lourd fardeau de dessus le cœur et que les chaînes qui m’avaient entravée étaient définitivement brisées.
« Je me trouvais au-dedans de moi-même dans une telle liberté que je ne me reconnaissais plus. Je vis en cet instant les bontés que Dieu avait eues pendant ma misère, et avec tant d’évidence que je pensai en mourir d’amour. J’en demeurai tellement affaiblie que je fus près d’une heure sans pouvoir me remuer, ni même respirer, demeurant étendue comme morte. »
*
Après cette grâce qui lui fut faite de recevoir la « plaie d’Amour », elle ressentit pendant deux ans une douleur si vive qu’il lui semblait y avoir en elle un feu dévorant, qui la détruisait et la consumait toute entière.
Elle avait des comportements tellement étranges qu’on l’aurait prise pour une folle. Lorsqu’elle ne pouvait être aperçue, elle se jetait par terre et jetait des cris aussi pitoyables que si on lui arrachait le cœur.
Pourtant, à l’instant où elle paraissait ainsi souffrir, elle jouissait au-dedans d’elle-même d’une paix si profonde qu’elle croyait avoir dans le cœur toutes les joies du Paradis.
*
Plus de cent fois elle avait demandé à Dieu de l’attirer à son service et d’enlever en elle tout ce qui lui déplaisait : « Non pas, Seigneur, en coupant et arrachant, mais en brûlant et dévorant tout du feu de votre amour. »
Elle ajoutait qu’il lui aurait été impossible de ne pas faire cette demande, et qu’elle ne savait pourtant pas le sens de ce qu’elle demandait.
Du jour où elle se trouva exaucée, elle ne cessa de remercier son Amour : « Voyez, s’écriait-elle, voyez comme Il m’a donné ce qu’Il me poussait tant à Lui demander ! »
*
Tout cela lui était donné sans qu’elle fasse la moindre action pour se porter vers Dieu. Tout son pouvoir et sa capacité étaient seulement employés à recevoir ce qu’Il lui donnait.
*
Elle fut une nuit brutalement réveillée, environ vers minuit, et au même instant un amour violent la saisit, accompagné d’une présence de Dieu si intime que la pauvre ne savait que faire, ni où se tenir. Elle se leva et s’agenouilla près de son lit.
Dès que le jour parut, elle se rendit à l’église dans l’espoir d’y trouver un peu d’apaisement. Mais, bien au contraire, son cœur s’échauffa davantage encore.
Elle sortit et alla au jardin. Elle essaya de dire un rosaire, mais ne put pas même en dire un seul Ave.
« Ce matin-là, ayant la charge de sonner le réveil de la communauté, raconta plus tard son confesseur, je me rendis au jardin et trouvai la pauvre Armelle épuisée. Elle était tellement faible que, pour un peu, elle se serait effondrée sur moi. Je la fis entrer dans une pièce qui était proche et commençai à l’interroger. Pendant plus d’un quart d’heure, elle fut incapable de me répondre. Puis, sortant d’un profond recueillement, elle prononça trois ou quatre paroles décousues qui me firent assez juger de son état.
« Ayant un peu repris ses esprits, elle me dit que depuis minuit Dieu avait accompli en elle une opération si violente qu’elle ne savait pas comment elle n’en était morte, tant l’excès de son amour était grand. Le peu de forces qu’elle avait auparavant lui avait été enlevé et on l’aurait dit prête à rendre l’âme. Sur ce, elle se mit à pleurer.
« Voyant qu’elle n’avait pas dormi de toute la nuit, je la fis étendre sur un lit, en lui recommandant de ne surtout pas s’inquiéter du ménage et de prendre du repos. Là-dessus je m’en allai. »
Son confesseur parti, Armelle ne trouva pas le sommeil, mais commença à se plaindre tendrement :
« Mon Dieu, que voulez-vous que je fasse en ce monde si je ne peux plus vous aimer ? Autrefois vous me donniez des forces pour m’employer à votre service, mais votre amour les a toutes consumées, et le peu que j’avais encore, vous venez de l’anéantir. Que puis-je faire ?
« Vous savez bien que ma vie n’est rien d’autre que votre amour, et le moyen de vous aimer sans force et sans vigueur ? Quand j’avais des forces, ma joie était de les employer pour vous. Que faire à présent que je n’en ai plus ? Puisque je ne peux plus le faire pour vous, Seigneur, je vous en prie, aimez-vous vous-même ! »
*
Après la communion, elle ressentait un sommeil de tous ses sens, comme si elle avait reposé sur la poitrine du Christ, à la manière de Jean. Elle avait besoin de s’appuyer la tête, et souvent tout le corps, sur quelque chose de solide, afin de ne pas s’effondrer. Elle restait ainsi environ une demi-heure sans pouvoir remuer ni parler, pour autant quelle n’était pas appelée par les obligations du ménage.
*
Le Père qui l’accompagnait, fut appelé à Quimper comme recteur du collège où se trouvait déjà son précédent confesseur. Comme il passait un jour à Vannes pour y régler des affaires, Armelle saisit cette occasion de les voir tous deux.
Comme ils s’efforçaient de la consoler de leur départ : « Mes Pères, répondit-elle, je ressens durement votre absence. Mais si la ville où vous allez vous permet d’aimer Dieu davantage, je voudrais que vous y soyez dès maintenant, même si à cause de cela je ne devais plus vous revoir ! »
*
Quelque temps après le départ de ses confesseurs, elle se plaignit un jour à Dieu : « Vous m’enlevez toute aide, vous me laissez seule, sans personne pour me faire savoir votre volonté. Que puis-je faire ? Vous me privez de ceux que vous m’aviez donnés, eh bien, désormais ce sera à vous de me servir de guide ! »
Elle venait de communier lorsque ces mots lui vinrent à l’esprit et, aussitôt, elle entendit le Seigneur lui dire intérieurement ces paroles :
Ma fille,
Je te fais comme aux enfants
qu’on retire des bras de leurs nourrices
pour les porter chez leur père
et leur donner une meilleure nourriture.
Toi aussi,
Je veux te porter dans ma maison.
– Seigneur, lui demanda-t-elle, où donc est votre maison ? » Lui montrant la plaie de son côté, le Christ la fit entrer par là dans son cœur et lui dit que c’était sa maison.
Mais lorsqu’elle s’y trouva, elle se sentit dans un grand vide. Elle ne voyait et ne reconnaissait plus rien : « Mon Seigneur, dit-elle, Vous m’avez dit que c’est ici votre maison, et je n’y vois rien du tout ! »
On ne lui donna aucune réponse, mais elle se trouva soudain dans un repos admirable.
2
Pendant plus de huit ans, elle eut à souffrir de la brûlure de cet Amour, qui allait toujours augmentant. Elle arriva au point où elle n’en pouvait plus.
Jusqu’alors, ils avaient toujours, Lui et elle, travaillé ensemble. Un jour, elle entendit cette heureuse parole :
Ma fille,
cède-Moi la place.
Et, dès lors, il n’y eut plus que Lui à paraître. Tout le reste – et elle la première – disparut. Tout s’apaisa, tout se tint silencieux et immobile. Plus de plaintes, plus de soupirs ni de gémissements : tout cela fut détruit.
La multiplicité fut réduite à l’unité. Tout ce qu’il y avait encore d’humain et de terrestre fut changé en divin et céleste.
*
Le jour de la Saint-Thomas, alors qu’elle venait de recevoir la communion, le Christ lui dit :
Ma fille,
cède-Moi la place
– Oui, mon Seigneur, répondit-elle, je le veux, et de tout mon cœur. »
Au même instant il prit possession d’elle. Il se logea dans son cœur comme sur son trône, et l’en chassa elle-même si fort que jamais depuis elle ne put ni ne voulut y avoir entrée.
Dès lors elle ne se considéra plus comme ayant aucun droit sur elle-même, mais comme appartenant entièrement à son Dieu.
Lorsque quelque chose cherchait à entrer dans son cœur, elle disait : « Si Dieu veut que cela y entre, à la bonne heure ! Quant à moi, cela ne me regarde plus, Il en est le maître et en a pris les clefs. Rien au ciel ni sur terre ne peut y entrer s’Il n’ouvre Lui-même. »
*
Dieu était en elle comme un roi sur son trône qui ordonne ce qui lui plaît et est obéi sans qu’on n’ose le contredire.
Je me souviens de lui avoir entendu dire que, lorsque Dieu se fut rendu maître d’elle, elle s’en vit elle-même expulsée. Pendant longtemps, elle eut l’impression qu’il ne lui était plus permis de voir ce que Dieu opérait dans l’intime de son âme, ni d’y mêler sa propre opération.
Elle se tenait toute recueillie et ramassée à la porte de ce centre, comme un domestique attendant les ordres de son maître afin de les exécuter au plus tôt.
*
Le jour de la Pentecôte, elle alla à la première messe et reçut la communion. Aussitôt, elle se mit à brûler comme un brasier.
Ce jour-là, cela ne lui dura pas longtemps. Elle se retrouva bientôt libre comme si de rien n’était, et revint s’occuper à son ménage avec facilité, sans que rien ne l’empêche de travailler.
Ce jour de Pentecôte, son maître avait invité nombre de personnes importantes et d’amis. La bonne Armelle avait fort à faire, car il lui fallait toute seule préparer et organiser la réception, ce qui n’était pas une petite tâche et exigeait beaucoup de vigilance. Cette disponibilité lui fut donnée entière et parfaite.
Mais dès le soir venu, lorsqu’elle eut tout rangé et nettoyé et terminé son ménage, le Bien-Aimé de son cœur accomplit sa promesse et la remplit de ses grâces en un instant. Elle se sentit noyée dans l’abîme de l’Amour et crut qu’elle allait en mourir.
Le lendemain, très tôt comme à son habitude, elle alla entendre la messe. Au moment de communier, le Seigneur lui dit cette parole :
Ma fille,
regarde comme Je t’obéis
et Me fais ton semblable.
*
Elle reçut un jour du Seigneur cette parole :
Ma fille,
tu es la fille de l’Amour.
–Seigneur, répondit-elle, c’est bien vrai, et c’est par votre grâce et votre bonté pour moi. »
Cette parole l’emplit de joie et s’imprima si profondément dans son cœur que, jusqu’à la fin de sa vie, elle s’en souvint toujours.
Elle-même, il lui arrivait de se désigner sous ce terme. Et quand des personnes qui la connaissaient bien voulaient lui faire plaisir, eux aussi l’appelaient « la fille de l’Amour » : « C’est bien vrai, répondait-elle, vous avez raison de m’appeler fille de l’Amour, mais c’est seulement par sa grâce et sa miséricorde. »
*
À une époque de sa vie, elle se trouva saisie d’un si ardent désir d’aimer l’Amour qu’elle demeura toute prostrée et en perdit l’usage des sens.
Comme elle se voyait incapable de satisfaire ce désir, elle était accablée d’une effroyable tristesse. Elle entendit alors au plus profond d’elle-même cette simple parole :
Je te donne mon Amour :
aime-Moi !
À l’instant même où lui vint cette parole, son cœur fut embrasé d’un tel amour que ce qu’elle avait éprouvé jusqu’alors n’était rien en comparaison de celui-ci : « Il me semble, soupirait-elle, que je ne fais que commencer à aimer comme il faut. »
*
Il lui semblait parfois entendre les saints l’inviter à venir jouir du ciel avec eux : « Non, leur disait-elle, vous aurez beau me montrer les douceurs de votre demeure, je ne viendrai en jouir que lorsque mon Amour le voudra. Mon Paradis, c’est d’accomplir sa volonté. »
Elle n’aurait pas voulu avancer ou retarder d’une minute l’heure de sa mort. Pour autant, elle ne se considérait pas vraiment comme de ce monde :
« Qu’ai-je à faire encore ici ? s’étonnait-elle. Rien ne m’y retient que la volonté de Dieu, car pour ma part j’ai fait ce qu’Il attendait de moi et suis prête à en sortir. Je me vois comme un serviteur que son maître aurait envoyé à l’étranger : une fois sa mission accomplie, il n’attend plus que l’ordre de son maître pour retourner chez lui.
« Le Seigneur m’a envoyée dans ce monde pour L’aimer, et je L’ai tant aimé que désormais je ne peux plus le faire à la façon des hommes. Il faut que je retourne vers Lui et L’aime à la manière des Bienheureux. »
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« Entre Dieu et moi, disait-elle encore, il n’y a plus que la fragilité de ce pauvre corps, tellement épuisé à force d’aimer qu’il suffirait d’un petit souffle pour le rompre tout à fait. »
*
Après tant de victoires sur ses ennemis, elle découvrit le trésor de grâces qu’elle avait acquis.
Elle voyait ses richesses et s’y reposait comme une personne qui, ayant peiné et sué de longues années et souffert des travaux sans nombre, se trouverait posséder tant de propriétés qu’elle n’aurait plus besoin de rien :
« Tout mon bien, disait-elle, c’est Dieu seul. Et maintenant que, par sa bonté, il est tout à moi, comme je suis toute à Lui, maintenant que tout ce qu’Il a m’appartient, à quoi bon travailler pour acquérir de nouvelles choses ? Comme Il se repose en moi, moi aussi je me repose en Lui. Et étant toute renfermée et anéantie en Lui, je ne me trouve plus moi-même.
« Quand je dis que je jouis, que j’aime et que je possède, ce n’est plus moi qui reçois, c’est son Amour. Et son Amour est mon amour, ses richesses sont mes richesses, sa paix est mon repos, ses joies sont mes délices. Que me reste-t-il d’autre à désirer ? Rien du tout, non, rien du tout, je regorge de biens. Et de biens que je ne crains plus de perdre, car ils sont à mon Amour et mon Tout ! »
*
Tout comme Lui , l’Amour infini, s’était enclos en elle, Dieu lui fit voir qu’il voulait la transformer et l’incorporer en Lui. Elle se trouva comme morte dans l’amour immense de la divinité. Dire ce qu’elle expérimenta alors, nul ne le peut. Elle-même ne savait qu’en dire, sinon qu’on n’en pouvait rien dire du tout.
Elle revint chez elle où tout ce qu’elle put faire, ce fut de se mettre au lit. Durant trois jours, elle resta dans cet état. Elle recouvra ensuite la capacité d’aller et de venir. Mais, pour l’esprit, il vivait et demeurait toujours dans le même lieu. Et comme cette vie et cette demeure étaient Dieu même, elle participait aux qualités de Dieu.
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Avant d’avoir reçu cette grâce, c’était pour elle une chose insupportable que de voir Dieu offensé, et souvent elle en tombait malade. À l’inverse, quand elle le voyait aimé et obéi, elle en éprouvait un grand contentement.
Après cette grâce, elle ressentit les choses autrement. Certes elle voyait encore le mal et l’avait en horreur, mais c’était sans tristesse et sans peine. De même, tout ce qui tournait à la gloire de son Bien-Aimé lui donnait de la joie, mais sans tressaillement et sans émotion.
Elle vivait dans une joie parfaite qu’aucune chose d’ici-bas ne pouvait diminuer ni altérer. Car elle avait sa source dans la vraie et essentielle Joie, qui est Dieu-même.
*
« Maintenant, disait-elle, Dieu est Tout et moi je ne suis plus rien. Je suis, par sa miséricorde, retournée d’où j’étais sortie. Je ne suis plus en moi mais en Lui, où je ne me trouve plus et où je me suis perdue. C’est Lui seul qui S’aime, car je ne vois plus rien qui ne soit Lui. »
Voilà, mot pour mot, les propres termes que son confesseur a entendus de sa bouche, et non pas une, mais plusieurs fois.
*
Cette continuelle attention à la présence de Dieu était si forte et si douce qu’elle l’occupait entièrement et l’avait toute réduite à Dieu même.
Elle ne pouvait plus se rappeler ce qu’Il avait autrefois opéré en elle. Elle avait beau s’efforcer, pour répondre au désir de son confesseur, de rassembler ses souvenirs, c’était en vain.
Quelques jours plus tard, elle essaya à nouveau, avant la messe, de sonder sa mémoire, et Dieu lui donna ce qu’elle cherchait. Mais au fond du cœur, il lui dit ces paroles :
On aurait beau tirer par la robe
ou frapper sur l’épaule les Saints
qui sont dans le Ciel à me contempler,
on ne réussirait pas à détourner leur regard.
Toi aussi,
apprends à ne pas regarder derrière toi,
mais à te tenir à Ce qui est devant toi.
Ayant entendu ces paroles, elle ne se mit plus en peine de ce qui lui était arrivé. Elle dit à son confesseur les paroles qu’elle avait reçues et lui demanda de ne plus la questionner sur le passé.
*
Tu n’es plus dans l’hiver.
Pour t’hiver est passé
et ne reviendra plus.
Cette voix se fit entendre régulièrement dans son cœur jusqu’à la veille de la fête de la Conception de la Vierge. Elle se trouva alors frappée de terribles douleurs qui touchèrent tous ses membres, mais épargnèrent heureusement l’esprit.
Lorsqu’elle vit le Père qui l’accompagnait désormais, elle lui confia ces paroles qu’elle avait souvent entendues : « Ne croyez pas cela, ma Fille, lui répondit le bon Père en souriant, non l’hiver n’est pas encore passé. Vous êtes à présent dans le printemps, au temps des fleurs. Mais l’hiver reviendra, et vous le sentirez encore. »
Elle écouta ces paroles sans y penser davantage. Mais voici qu’un beau matin, sur le coup des trois ou quatre heures, elle fut réveillée et entendit distinctement ces paroles dans l’intime de son âme :
Ma Fille,
tu n’es plus au temps des fleurs,
les fleurs sont trop frêles et inconstantes.
Il suffit d’une gelée ou d’une grêle pour les abattre,
ou de trop de chaleur ou de vent pour les flétrir.
Non, tu n’es plus comme cela,
tu es un fruit mûr.
Comme le fruit mûr est conservé dans un lieu retiré,
ce que tu as fait dans ta vie
est ramassé dans le ciel.
Mais quand le fruit a été cueilli,
il faut prendre garde qu’il ne se tache pas.
Car s’il vient à pourrir,
il sera jeté dehors comme inutile.
Ainsi demeure toujours fidèle à mes volontés
et ne crains pas de déchoir :
car je te conserverai toujours dans ma bienveillance,
comme un fruit que j’ai cueilli et réservé pour Moi.
3
Dieu lui fit comprendre qu’Il la voulait pareille aux escargots qui portent leur maison avec eux partout où ils vont et ne s’en séparent jamais. Sitôt qu’une chose les heurte, ils se cachent et on ne voit plus que leur coquille.
Il lui dit qu’Il voulait être cette maison, d’où elle ne sortirait pas. Il la cacherait au-dedans de Lui, afin que rien d’elle ne paraisse, mais Lui seul.
À l’instant même, elle se trouva dans cette demeure et éprouva avec tant de force la beauté du lieu qu’elle s’écria : « Mon cher Amour, il y a aujourd’hui deux ans que vous m’avez fait entrer dans votre maison, et vous ne m’avez pas permis d’en sortir un instant. Et il me semble pourtant y entrer seulement maintenant tant j’y découvre de choses que je n’avais pas encore vues ! »
*
Le Seigneur voulut un jour, par l’intercession de la bonne Armelle, pouvoir accorder une grâce à une personne.
Ainsi, jour et nuit, Armelle n’avait plus d’autre pensée que pour recommander à Dieu cette personne: « Mon Amour, lui disait-elle, je crois que Vous voulez que j’oublie tout pour ne m’occuper que de cette âme. J’ai l’impression que ma vie et ma pensée ne dépendent plus que de cela. »
Elle avait fait un si violent effort pour procurer à cette personne le salut qu’on crut qu’elle s’était fait éclater une veine. Durant trois semaines, elle perdit beaucoup de sang et on pensait que sa mort était proche.
On lui donna des remèdes, mais en vain : car, dès que ses efforts d’amour la saisissaient, le mal redoublait.
*
Elle dit un jour à son confesseur : « Mon Amour ne me laisse plus dans ce monde que pour défendre sa gloire. Mon seul office est de veiller à son accroissement.
Et je n’y travaille pas comme un serviteur au bien de son maître, mais comme l’épouse au bien de son époux, qu’elle regarde comme à elle autant qu’à lui. À dire vrai, cette comparaison est encore insuffisante, car je ne considère que Dieu seul, dans lequel je suis si perdue et abîmée que je n’ai plus de vie propre, mais suis toute fondue en Lui. »
*
Elle demanda à sa maîtresse la permission de visiter des malades démunis et leur apporta de la nourriture et les sacrements.
Cette visite lui redonna un peu de force, mais ce ne fut pas pour longtemps. Dans la nuit du Jeudi au Vendredi Saints, les tourments de l’Amour redoublèrent de violence. Les souffrances du Christ lui étaient représentés comme si elle était présente au moment où il les endurait, et la douleur était tellement insupportable que, par trois fois, le matin qui suivit, elle pensa rendre l’âme.
*
À quelques jours de là, elle alla voir son confesseur. Elle était dans l’église du Collège à l’attendre et pensait à ce qu’elle lui dirait. Mais son cœur et son esprit étaient si profondément plongés dans l’Amour qu’elle ne trouvait pas un mot à dire et commençait à s’en inquiéter. Elle entendit alors clairement dans son âme le Seigneur lui dire cette parole :
Ma fille,
Je suis ta parole
et ton silence.
Sur le point de défaillir, elle dut s’appuyer à la muraille. Son confesseur arriva alors qu’elle était déjà un peu remise. Elle lui répéta les paroles qu’elle avait entendues : « Qui pourrait, lui dit-il, s’il n’était soutenu de Dieu, supporter sans mourir une telle faveur, qu’un Dieu dise à sa créature : ‘‘Je suis ta parole et ton silence’’. »
Dès lors, elle cessa de s’inquiéter de ses paroles comme de son silence.
*
« Mon Amour, soupira-t-elle un jour, n’y a-t-il pas encore en moi quelque chose à faire ou à défaire pour Vous être agréable ? Dites-le moi et je l’accomplirai, même si cela doit me coûter mille fois la vie. »
Elle entendit alors ces mots :
Rien du tout.
Et ils lui furent plusieurs fois répétés :
Rien du tout,
sinon t’abandonner
et Me laisser faire.
Aussitôt, tout s’apaisa et fut calme dans son âme.
*
La nuit qui précédait le jubilé du 25 février 1652, elle fit un rêve.
Elle avait la garde d’un grand troupeau, autour duquel rôdait un loup affamé. Grâce à sa vigilance, elle l’empêchait de se saisir des brebis.
Le loup, furieux, se jetait alors sur elle. Mais, sans s’émouvoir, elle le repoussait simplement de la main.
*
Souvent elle se disait à elle-même : « Ma pauvre Armelle, où donc es-tu, si ni le monde, ni le diable ne sont capables de t’atteindre ? »
Elle entendit cette réponse :
Tu es davantage perdue
dans l’océan de ma divinité
que ne l’est le poisson dans la mer.
*
Un jour, il lui sembla que du trône de la divinité sortait un rayon, qui venait fondre et pénétrer son âme. Ce rayon l’unissait si étroitement et si continûment à Dieu que rien au ciel ni sur terre n’aurait pu l’en séparer : car, par l’union de ce rayon divin, Lui et elle n’étaient plus qu’une même chose.
« Depuis lors, disait-elle, je me sens si fortement établie en Dieu, que vous diriez qu’Il est le lieu de ma demeure pour le temps et pour l’éternité. »
*
À quelques jours de là, le Seigneur voulut lui faire connaître à quel point de pureté son Amour l’avait conduite.
Il se fit voir à elle sous la forme d’un homme portant un flambeau allumé qui regardait dans tous les coins et recoins d’une maison s’il ne s’y trouvait pas quelque chose qui ne soit pas à lui ou qui lui déplaise.
De la même manière, son âme était confinée dans un grand vide où Lui seul habitait et ne subsistait rien qui ne soit à lui.
*
« Je n’ai plus aucune pensée, disait-elle, ni rien qui m’arrête ou m’occupe. Il y a un seul objet – l’être et l’immensité de Dieu – qui pénètre mon âme d’une manière inconcevable et la rend, en la consumant, d’une si grande étendue que je n’en peux plus voir les bornes.
« Autrefois je voulais tout faire et tout embrasser, mais à présent rien n’approche plus de moi. Mon âme est seule, simple et pure et c’est comme une merveille de ne pas mourir à chaque instant. Je vais et j’agis pour le dehors comme d’habitude, sans varier pourtant de cette unique vision.
« Et si mon Dieu ne me l’enlevait parfois, en permettant que passent par mon esprit quelques pensées qui m’en détournent, je crois bien que je serais déjà morte. »
*
Le 1er janvier 1653, elle fit cette prière :
« Mon Amour et mon Tout, vous savez que c’est l’habitude entre les amis de se donner les uns aux autres des étrennes. Puisque vous êtes mon unique ami, je vous demande de me donner pour étrennes votre présence continuelle, comme les Saints – ou à peu près – vous voient dans le Ciel.
« Quant à moi, je ne peux rien Vous donner, car j’ai beau chercher dedans et dehors, je ne trouve rien qui ne soit déjà à Vous. Vous n’avez pas laissé la plus petite part de moi que vous ne l’ayez prise et changée en Vous. Ainsi je n’ai plus rien à Vous offrir. Mais, quant à vous, donnez-moi, s’il vous plaît, ce que je Vous ai demandé. »
Ces paroles se formaient dans son esprit sans aucune application de sa part et sans qu’elle puisse s’empêcher de les prononcer. Car, lorsque Dieu voulait lui faire quelque grâce, il la poussait à lui en faire la demande.
Dès que sa prière fut achevée, Dieu répandit dans son âme une si grande lumière, et une présence si certaine qu’il lui semblait le voir comme les Saints dans le Ciel .
« Durant les huit ou dix jours qui suivirent, témoigna-t-elle, j’éprouvai la certitude que le Seigneur m’avait accordé ce que je Lui avais demandé. Je Le voyais clairement dans mon âme, et toutes les opérations que son amour y faisait. Moi, j’étais immobile et sans presque pouvoir respirer, et je n’avais même pas de pouls. J’étais morte à la nature et vivais de la vie de Dieu, attentive à Le voir et à brûler d’un doux amour comme les Saints en brûlent dans le Ciel. Je n’avais aucune pensée de quoi que ce soit, car c’était Dieu qui pensait et faisait tout. »
4
Elle fit un jour cette expérience :
« Je me trouvai logée dans le cœur du Christ avec tant d’amour, de gloire et de liberté que je ne pouvais comprendre ce qui m’arrivait. J’y étais au large et à mon aise, rien ne me resserrait ni ne m’oppressait. Car ce cœur était si vaste que mille mondes n’auraient pas suffi à le remplir.
« Je voyais que tous ceux qui y habitent jouissent de la vraie liberté et d’une paix admirable, mais que la porte pour y entrer était si petite que très peu pouvaient y passer. Je m’en étonnai : ‘‘Mon Amour et mon Tout, demandai-je, d’où vient que votre cœur soit si spacieux, qu’on soit tellement au large quand on est dedans, et que cependant la porte pour y entrer soit si petite ?’’
« Il me fit connaitre que c’était pour empêcher que d’autres que les petits, les nus et les seuls puissent y trouver entrée. Les petits sont ceux qui s’abaissent de tout leur cœur pour l’amour de Lui : ceux-là y peuvent entrer, mais comment une personne enflée de l’estime de soi pourrait-elle passer par une si petite porte ? Les nus sont ceux qui détachent leur cœur des richesses et des commodités de cette vie : mais ceux qui avancent chargés de grands fardeaux d’or ou d’autres choses, comment pourraient-ils passer par un lieu si étroit ? Les seuls sont ceux qui détachent leur amour de toutes les créatures : car l’Amour lie le cœur à la personne aimée, et deux personnes attachées ensemble ne sauraient entrer par un lieu où il n’y a d’espace que pour une seule, et encore bien petite.’’ »
*
« Mon Amour et mon Tout, demanda-t-elle, pourquoi dites-vous que je suis attachée au tronc de l’Arbre de Vie, et non aux branches ?
Ma Fille,
c’est que tu es attachée à Moi seul,
qui suis le tronc et la souche de vie éternelle,
et non pas à mes dons, qui n’en sont que les branches.
Les branches peuvent être coupées,
avec ceux qui s’y attachent.
Mais ceux qui se joignent au tronc,
ne voulant que Moi seul,
n’en seront jamais séparés.
*
Elle se plaignait parfois de l’aridité spirituelle où elle se sentait :
« Je sais bien, dit-elle un jour, que mon unique Amour est renfermé dans l’intime de mon âme, et qu’il y opère pour sa gloire et mon bien. Mais je ne sais pas ce qu’il y fait. Mon esprit est à la porte de ce sanctuaire, sans oser y entrer. C’est l’état où je me trouvai durant les fêtes de Pâques et les huit jours qui suivirent.
« Je me sentais si pauvre et démunie que jamais je n’avais connu une si grande aridité. Rien n’occupait plus mon esprit au dedans ni au dehors. Il me semblait que je n’avais plus ni foi, ni Amour, ni attention à Dieu, à l’exception de rares instants. Je fus un peu surprise de cet état si nouveau, sans toutefois vouloir autre chose, n’ayant grâce à Dieu d’autre volonté que la sienne. »
Au bout de huit jours, comme elle allait recevoir la Communion, le Seigneur lui fit comprendre que, s’il lui avait enlevé tout ce qu’elle avait, c’était comme on ôte aux personnes prodigues la liberté d’user de leurs biens.
« Je ne m’étonne plus, lui dit-elle, que vous vous cachiez de moi. Car quand on veut déclarer une personne prodigue, on ne le lui dit qu’après. C’est ainsi que vous avez procédé envers moi, en me dépouillant de tout. Que votre saint nom en soit béni ! »
Le Seigneur lui fit comprendre qu’il l’avait traitée tout comme ses Apôtres : il ne s’était éloigné d’eux corporellement que pour leur donner davantage encore de grâces.
Sur quoi elle s’exclama : « Oh, comme j’aimerais que tous les cœurs des hommes soient attachés par une aussi solide corde afin qu’ils ne puissent jamais se séparer de Lui ! »
*
Elle ne se lassait pas de décrire les effets de la présence de son Amour :
« Comme le poisson ne peut survivre hors de l’eau, moi aussi je ne peux plus vivre un seul instant hors de Lui. Et comme, de quelque côté que le poisson se tourne, il trouve toujours de l’eau, moi aussi, où que je sois, je suis bien sûre de Le trouver toujours. »
Durant près d’un mois, elle fut habitée par cette image du poisson et de la mer, puis ce fut celle du conseiller et du cabinet secret de l’âme : « Pour toutes les situations qui se présentent, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, je suis invitée à entrer dans ce cabinet secret. J’y prends toutes les directives et conseils pour ce que j’ai à faire ou dire, et je suis bien convaincue que m’y est donnée sur toutes choses une lumière certaine. »
*
Le 1er janvier 1654, elle reçut dans l’intime de son âme cette parole :
Ma bien-aimée, tu es si acquise à l’amour
que je ne te laisse en ce monde
que pour y attirer tes frères
qui s’éloignent de moi par leurs fautes.
Aussitôt elle ressentit une vive douleur de voir Dieu méprisé de ses créatures et comprit qu’il lui fallait s’employer à tirer ces pauvres âmes du bourbier où elles sombraient.
*
Un jour, elle parlait avec un religieux qui lui confiait sa terrible angoisse de voir Dieu oublié : « Quittons cette terre, s’exclama soudain le bon Père, cette terre qui n’est que péchés et ordures, et envolons-nous pour le Ciel, où Dieu n’est plus offensé !
– Eh bien, mon Père, le reprit-elle avec flamme, est-ce ainsi que vous aimez nos pauvres frères ? Voulez-vous les laisser embourbés et périr dans leurs misères pendant que vous jouissez de Dieu tout à votre aise ? Ah non, certainement pas ! Il nous faut être dans ce monde et les aider à parvenir au Ciel, afin que tous ensemble nous puissions un jour louer et bénir l’Amour. »
Aimer était vraiment son unique emploi. Elle y passait ses jours et ses nuits. Mais dire ce qui se passait entre Dieu et elle, c’est ce que nul ne peut faire.
*
Elle reçut un jour cette parole :
Ma fille,
les autres me rendent visite à l’Église, chez Moi.
Mais Moi,
je te rends visite chez toi.
Cette parole la combla d’une joie si vive qu’il lui semblait être déjà parmi les Bienheureux.
« Mon Amour, s’écria-t-elle, enlevez-moi, je vous en prie, ces faveurs extraordinaires, donnez-les plutôt à ceux qui ne vous connaissent pas ! Quant à moi, vous savez bien que je suis déjà toute à Vous et que nous ne faisons plus qu’un. »
*
Le 1er janvier 1655, elle devait prononcer son vœu de pauvreté au collège des Jésuites. Elle apprit que le Père qui devait la recevoir ne pourrait être là.
Toute brûlante du désir de contenter son Amour, elle ne voulut pas attendre plus longtemps. Prenant sur elle le peu d’argent qu’elle avait, elle s’en alla dès l’aube trouver le Père. Aussitôt qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds : « Mon Père, supplia-t-elle, je ne puis plus vivre avec autre chose que le pur Amour. Tenez, voilà tout ce que j’ai ! »
Cette somme n’était que de trois écus, mais la Mère Supérieure demanda que les pièces soient conservées pour servir de mémoire perpétuelle à cette belle action.
*
Lorsqu’elle eut enfin prononcé ce vœu tant désiré, elle confia qu’elle n’aurait jamais cru en recevoir de si grands bienfaits :
« Je ne peux expliquer la liberté et le dégagement où je suis à présent. Depuis qu’Il m’a dépouillé de tout, Il s’est tout donné en échange. Comme s’Il n’attendait que cela de moi pour me faire participer à sa plénitude. Tout ce qu’Il m’avait donné jusque-là ne me paraît rien comparé à la profusion avec laquelle il se communique maintenant à mon âme. Depuis ce vœu que je Lui ai fait, Il s’est lancé, jeté dans le plus intime de mon âme et la remplit si abondamment qu’Il me semble y être déjà dans sa gloire. »
*
Un mois après son vœu, sa disposition s’inversa du tout au tout. Elle se retrouva dans un état de pauvreté spirituelle si profonde qu’elle ne pouvait le faire comprendre.
Ce n’était pas un délaissement, ni une sécheresse. Non, son état était au-dessus de tout cela. L’union à laquelle elle était parvenue ne lui permettait plus de distinguer entre la présence ou l’absence de son Bien-Aimé.
« Je me trouve maintenant aussi pauvre intérieurement qu’extérieurement, disait-elle. Mon divin Amour m’a dépouillée de tout et ne se communique plus dans mon âme ni dans aucune de mes puissances.
« Je puis m’appliquer avec facilité à toutes les besognes que j’ai à faire, sans aucun empêchement. Car Il s’est retiré au centre de mon âme, où Il me gouverne et agit en moi d’une manière que je ne puis expliquer. »
*
Le fils aîné de la maison où travaillait Armelle souffrait d’une maladie qui imposait à ses proches, plusieurs fois par jour, de vrais exercices de patience.
Armelle obéissait aux désirs du pauvre garçon avec grande diligence. Il lui arriva cependant un jour, bien malgré elle, de faire quelque chose qui lui déplut et il le lui dit à plusieurs reprises. L’affaire étant de peu d’importance, elle essaya de le calmer et continua ce qu’elle avait commencé.
Le soir, encore un peu troublée par ce qui s’était passé, elle se mit au lit et fut rapidement saisie par le sommeil.
Il lui sembla voir une glace plus fine et plus pure que le cristal. Elle était occupée à l’admirer lorsqu’elle en vit sortir une bête monstrueuse qui semblait vouloir se jeter sur elle pour la dévorer. De frayeur, elle poussa un grand cri qui la réveilla.
D’abord elle ne comprit pas le sens de son rêve. Mais le Seigneur eut tôt fait de le lui faire voir : la glace, c’était son âme, que l’Amour avait rendue pure et sans tache ; et la bête monstrueuse, c’était la fixation qu’elle avait eue sur son propre jugement.
Elle entendit alors cette parole :
Ce mal t’est arrivé
parce que tu t’es regardée toi-même.
Passe infiniment au-delà de toi
pour ne regarder que Moi.
*
Un jour, ayant besoin de quelque petite chose pour sa subsistance et n’ayant pas d’argent pour payer, elle le dit à son maître. Ce dernier ne lui fit aucune réponse, et elle en fut irritée.
Elle en fit part à une autre servante : « De quoi Monsieur croit-il donc que je vis, depuis le temps que je n’ai plus de gages ? »
Mais dès qu’elle eut prononcé ces mots, elle sentit intérieurement que le Seigneur l’en blâmait. Elle en eut tant de regret qu’elle ne trouva pas de repos avant de s’être confessée et d’avoir fait pénitence.
*
Elle disait : « Quand tous les hommes du monde changeraient de religion et emploieraient leur science pour ébranler ma foi, ils n’en viendraient pas à bout. Il me semble même que je serais bien plutôt capable de les convaincre tous. Car j’ai la foi si enracinée dans le cœur que tout l’enfer ne serait pas capable de la faire chanceler. »
*
Elle disait aussi : « Dès que nous cessons de nous amuser à disputer avec lui et à prêter attention à ce qui nous passe par tête, le diable est vaincu. Il ne sait plus alors par où nous troubler et nous surprendre, il perd tout espoir et nous laisse en repos. »
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Jamais elle ne s’arrêtait aux sentiments que Dieu lui communiquait. Elle ne doutait certes pas qu’ils procèdent de sa grâce, et ses confesseurs le lui avaient confirmé. Mais jamais elle ne voulut s’y arrêter.
Elle passait au-dessus de tout cela et se portait de toutes ses forces à ce qu’elle ne connaissait pas. « Tout ce que nous pensons ou éprouvons, disait-elle, même ce qui nous semble haut et relevé, tout cela n’est pas Dieu. Il nous faut donc passer outre et ne pas nous arrêter, de crainte de nous attacher à autre chose que Lui.»
5
Une des choses qu’elle demandait à Dieu avec le plus d’insistance, c’était qu’il se fasse connaître :
« Mon Amour, pourvu que Vous soyez connu, lui disait-elle, je ne doute pas que Vous ne soyez aimé et servi. »
*
Selon elle, les offenses des mondains envers Dieu, tout comme les infidélités des personnes spirituelles ne venaient de rien d’autre que d’un manque de foi :
« D’où vient qu’on Vous aime et Vous sert si peu, disait-elle, sinon de ce qu’on ne Vous connaît pas. Si on savait combien Vous êtes bon et aimable, désireux du bien de vos créatures et prompt à les secourir, à coup sûr, chacun quitterait tout pour brûler de votre amour.
« Mais, hélas, on ne Vous connaît pas, on ne sait pas qui Vous êtes. Et le trésor que Vous avez enfoui dans nos cœurs demeure comme inutile. »
Dans l’abondance des lumières que Dieu répandait dans son âme, on l’entendait souvent dire : « Mon Dieu, vous savez bien que ce n’est pas cela que je cherche, mais Vous seul. C’est Vous seul que mon cœur désire et après qui je cours sans cesse.
« Gardez ces caresses pour ceux qui ne Vous connaissent pas, afin de les attirer à Vous. Pour moi, il me suffit de savoir que Vous êtes mon Dieu pour que je brûle de votre amour. »
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Son désir d’être délivrée du corps pour aller jouir de son bien-aimé était au début si excessif qu’elle avait pensé en mourir. Mais, dans ses dernières années, elle cessa de le ressentir : «Comment se fait-il, s’étonnait-elle, que toute embrasée comme je suis de votre amour, je ne souhaite plus Vous voir avec autant d’impatience qu’autrefois ? »
Elle en voyait plusieurs raisons, et d’abord que la foi lui avait découvert Dieu si pleinement qu’elle ne pouvait rien souhaiter de plus : « Car, disait-elle, une âme qui voit et jouit continuellement de son Dieu, qui a retiré son affection de toutes les choses de ce monde, et même du Paradis, pour ne les loger qu’en Lui seul, que peut-elle désirer d’autre ? C’est impossible.
« Dieu la remplit tellement que c’est comme si le Paradis tout entier venait se répandre dans le plus intime d’elle-même – où elle possède Celui en qui sont comprises toutes choses. Voilà où j’en suis, par la grande miséricorde de mon Amour. C’est pourquoi je ne m’étonne pas d’être dénuée de tout désir. »
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Un jour, une personne la sermonna pour qu’elle organise un peu son avenir : « S’il vous arrive des infirmités, lui disait cette personne, et que vous n’avez plus de quoi vivre, à coup sûr vous serez rejetée par tout le monde. Ne croyez pas que Dieu fera alors des miracles pour vous aider ! Certes il est bon d’espérer en Lui, mais il faut aussi de notre côté faire tout ce que nous pouvons, et non pas attendre que tout vienne de lui. »
Le résultat de ces conseils fut bien différent de celui qu’on avait souhaité. Armelle en fut toute troublée, les larmes lui vinrent aux yeux : «Comment, s’exclama-t-elle, vous voudriez m’enlever la confiance que j’ai en mon Dieu et que je doute de sa bonté ? Non, certainement pas ! Même si tout le monde me tournait le dos, je ne me ferais pas plus de soucis qu’aujourd’hui. Ce serait même plutôt une satisfaction, car je ne serais plus alors aidée que par mon unique Amour, qui est le seul qui ne m’abandonne jamais. Quand bien même je serais seule au milieu des bois, entourée des bêtes les plus terribles, là non plus je ne tremblerais pas. Car je sais que partout où je suis, mon père aura soin de moi. »
*
Elle disait encore à ce sujet : « Ne ferait-il pas beau voir un fils de roi se demander chaque jour si son père lui va lui faire donner à manger? Il montrerait bien peu de confiance dans l’amour de son père et passerait pour une personne sans esprit.
« Que penser alors de ceux qui se méfient de Dieu ! Il n’y a pas de père qui ait jamais aimé un enfant unique aussi tendrement qu’il nous aime. Et moi qui le sais, j’irais me méfier de Lui ? Oh, non, certainement pas ! Même si j’étais au milieu des flammes, je m’en remettrais toujours à lui. »
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Elle avait avec Dieu des manières d’agir toutes simples : « Mon Amour, disait-elle, si vous voulez que je fasse ceci ou cela, donnez-m’en la force et la santé ! »
Et sitôt qu’elle en avait fait la demande, elle trouvait les forces nécessaires. Elle confiait n’avoir guère demandé de choses à Dieu qu’il ne lui ait accordées. Et il n’y a pas lieu de s’en étonner, vu la franchise avec laquelle elle procédait !
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Elle disait encore : « Se confier à Dieu, c’est l’honorer de la plus noble façon. Rien ne lui plaît tant que de voir cette confiance au cœur de ses enfants. C’est l’unique moyen d’arriver à la perfection. Et il n’y a rien de plus fâcheux, à l’inverse, que le manque de confiance.
« Avec elle, rien ne nous paraît difficile ni impossible. C’est aussi pourquoi le diable s’efforce tant de nous l’arracher du cœur : il sait bien que tant que nous l’aurons, il ne pourra rien contre nous. »
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Quand elle parlait de Dieu, ce n’était jamais avec d’autres mots que : « bon », « aimable », « doux » et « miséricordieux ». Jamais elle ne le considéra comme un juge sévère ou un Dieu vengeur.
Elle n’ignorait pas qu’il était aussi grand par la justice que par l’amour. Mais ce n’était pas à son égard, pour lui en faire ressentir les effets. Elle pensait que, connaissant les forces et les faiblesses de chacun, Dieu s’adaptait à ces dispositions de la manière pour chacun la plus avantageuse.
Si certaines personnes ont de terribles appréhensions de la justice de Dieu et de la sévérité de ses jugements, elle les estimait bien dignes de compassion, parce que Dieu les conduisait par un chemin épineux et pénible. Mais pour elle qui était faible, Dieu n’avait montré qu’amour et douceur. Il ne fallait donc pas beaucoup s’étonner si elle brûlait d’amour pour une si grande bonté et avait mis en elle toutes ses espérances.
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Elle aimait à utiliser une naïve comparaison : « Si le roi de France était mon père, je n’irais sans doute pas mendier l’aide de ses valets. Je n’attendrais pas mon bonheur de ses sujets, mais seulement de la volonté qu’il aurait de me faire du bien.
« Or Dieu est infiniment plus riche et plus puissant que tous les rois de la terre et, par bien des preuves, il m’a fait connaître qu’il m’avait adoptée au nombre de ses enfants ! Tous les pays lui appartiennent, et ainsi partout où je me trouve, je suis toujours dans les biens de mon père, qui saura bien m’en fournir autant qu’il faut pour arriver à ma vraie demeure, qui est le ciel. Avec la confiance que j’ai en sa bonté, j’irais au bout du monde s’il me le demandait. »
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Elle disait parfois en riant, qu’elle avait l’impression d’être comme ces fous qui croient être partout sur leurs terres et que tout ce qu’ils voient est à eux.
Elle aussi, sachant que tout appartenait à son père, elle se voyait comme la dame et la maîtresse de toutes choses. Car elle possédait celui de qui elles dépendent toutes, et qui leur donne l’être.
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« Je sais bien, disait-elle, que si mon Amour me délaissait un peu, je tomberais dans une infinité de maux. Mais je sais aussi que jamais sa bonté ne le permettra ! Et j’en suis même tellement certaine que je ne vois pas de raison de m’en inquiéter. »
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« Ne doutez pas que Dieu n’achève en moi son ouvrage, répétait-elle, et n’accomplisse ce qu’il a commencé. Je suis à Lui, et il n’y a rien en moi qui ne vienne de Lui et n’y retourne. Sa bonté aura donc soin de moi, comme d’une chose qui est entièrement sienne. Je n’ai d’autre amour que pour lui plaire. Pensez-vous qu’il irait maintenant me délaisser ? Mais non, mais non ! Sa bonté ne le fera jamais ! »
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Elle était parfois si préoccupée de ses sentiments, qu’elle ne pouvait dire autre chose que ces mots : « Confiance, confiance infinie en une bonté infinie, qui ne délaisse jamais ceux qui espèrent en elle ! »
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On dit communément qu’il faut connaître avant d’aimer. Chez elle, ce fut le contraire. Elle aimait un être dont elle n’avait quasi jamais entendu parler, et l’amour devança de beaucoup la connaissance.
C’est pourquoi, dans ses premières années, elle avait toujours à la bouche ces mots : « Mon Dieu, il faut vraiment qu’il y ait en vous quelque chose de très aimable, puisque, ne vous connaissant pas et ne sachant pas qui vous êtes, je brûle d’amour pour Vous !»
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« Aimer, disait-elle, vaut mieux que parler ». Et de fait, elle se taisait toujours, sauf avec son Amour, qu’elle entretenait continuellement au plus secret de son âme.
6
Son maître et sa maîtresse lui faisaient tellement confiance qu’ils s’en remettaient entièrement à elle du train de la maison. Et, à dire vrai, elle ne manquait jamais à aucune des obligations de son service.
La cause en était que son Amour lui faisait toujours penser aux besognes qu’elle avait à faire au moment même où il le fallait. Ainsi elle ne s’en inquiétait pas le moins du monde et s’employait seulement à L’aimer.
Elle agissait toujours d’une manière si simple et désintéressée que, sitôt son travail terminé, elle oubliait totalement ce qu’elle avait fait. C’est pourquoi il lui paraissait souvent que les choses se faisaient sans savoir par qui ni comment.
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Elle était d’avis que c’était Dieu qui faisait tout par elle, afin qu’elle n’ait d’autre emploi que de L’aimer. « Comment s’étonner après cela si je brûle d’un tel amour ! Ce qui me surprend bien plutôt, quand je vois ce qui se passe en moi, c’est de ne pas mourir à chaque instant ! »
C’était là son refrain ordinaire chaque fois qu’elle parlait des bontés de Dieu à son égard. Et elle ajoutait toujours à la fin : « Le moyen après cela de ne pas aimer ! C’est impossible, il faudrait être pire que les bêtes ou que les démons ! On ne peut pas résister, et je sais que l’Amour n’aura de cesse qu’Il ne m’ait entièrement réduite à Lui. Il est le maître et je suis son esclave, Il fera de moi tout ce qu’Il lui plaira. »
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« L’Amour est un vrai avare, disait-elle : Il veut avoir tout pour Lui. Lorsqu’il est une fois entré dans un cœur, Il en ferme si bien la porte que personne ne peut plus y venir. »
Quand quelque chose voulait s’introduire dans son cœur, elle se contentait de cette parole : « Si l’Amour veut que cela y entre, à la bonne heure ! C’est Lui le maître, Il a les clés pour ouvrir et fermer comme il veut. »
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« Dans ce temps-là, racontait-elle, j’avais deux yeux et deux oreilles, mais il n’y avait que ceux du côté droit pour le ménage. Le côté gauche et le cœur étaient attentifs à voir, écouter et aimer Celui qui daignait me visiter.
« Ayant mon Dieu avec moi, il me semblait avoir aussi tout le Paradis. Je me réjouissais de la compagnie des Bienheureux comme si j’étais déjà au Ciel, me persuadant qu’ils étaient là, tout autour de mon cœur, pour faire honneur à leur Roi.
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« Pauvre Armelle, s’exclamait-elle, pauvre chambrière, chétive villageoise, où es-tu, à quoi l’Amour t’a-t’Il réduite ? Tu n’es plus rien, tu es perdue, tu es comme transformée en Dieu. »
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La présence de Dieu ne se manifestait en elle sous aucune image ou représentation. Mais elle l’éprouvait au-dedans d’elle-même avec plus de certitude que si elle l’avait vue de ses propres yeux. Cette forme de présence de Dieu lui fut toujours la plus habituelle.
En diverses occasions, elle l’éprouva autrement, mais c’est cette présence qui lui revenait toujours comme la plus stable, la plus solide et la moins sujette à l’illusion.
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« Tous les jours, disait-elle, je priais mon Amour qu’Il veuille bien me recevoir à son école et me faire domestique dans sa maison. Ma ferveur était si grande que j’en étais souvent toute hors de moi et je ne comprenais rien de ce que je disais !
« Ce n’est que plus tard que j’ai saisi le sens de mes paroles : car Vous m’avez, en effet, reçue à votre école et prise dans votre maison. Et moi, pauvre ignorante que je suis, j’y ai appris davantage en un jour que les hommes ne m’en auraient appris en une vie ! »
*
« Depuis que Dieu m’a fait cette grâce de me faire sentir sa présence et se charger de ma conduite, je me suis toute abandonnée à Lui. De sorte que je ne me considérais plus que comme disciple de Dieu et écolière du Saint-Esprit. J’étais toujours attentive en moi-même à l’aimer et à écouter ce qu’il me commandait.
« Quand il se présentait quelque chose à accomplir, je m’y portais tout comme fait un serviteur ou un disciple. Et dans le même temps j’avais toujours la vue attentive sur Lui pour l’imiter dans la manière qu’il l’avait lui-même accomplie en ce monde. Je me le remettais devant les yeux, afin de le reproduire fidèlement. S’il s’agissait de choses qu’il n’avait pas lui-même accomplies, il m’apprenait à le faire de la manière qui lui était la plus agréable.
« En toutes choses, grandes ou petites, il m’instruisait, et non seulement il m’instruisait mais, par un excès de bonté, il me dirigeait. Il me faisait comprendre que j’étais semblable à ces petits écoliers, qui commencent à apprendre à écrire : le maître ne se contente pas de leur donner un modèle, mais il leur prend la main et la guide, afin de leur apprendre à former les lettres.
« C’est ainsi que j’étais avec mon Dieu, et bien souvent je sentais comme une autre main qui conduisait la mienne. Je vous laisse à penser quelle bonté c’était là, et combien j’étais embrasée de son amour ! S’il ne m’avait soutenue, la moindre de ses grâces aurait largement suffi à me faire mourir d’amour. Car ceci ne se passait pas dans l’imagination ou la fantaisie : c’était la pure vérité, que je voyais plus clairement que le jour en plein midi !
« Et non seulement il m’instruisait et me dirigeait, mais il me reprenait aussi de tous mes défauts. Vous auriez dit qu’il tenait jalousement à me faire progresser. De sorte que je n’aurais pas osé remuer la main, faire un geste, jeter un regard ou dire une parole inutile, sans être corrigée à l’instant même, avec tant d’exactitude que rien ne lui échappait. C’est pourquoi je me tenais si droite et avais si grand peur de lui déplaire que je n’osais avancer ni reculer que par son ordre. Rien de cela ne se faisait pourtant par contrainte, mais par un excès d’amour, comme ces pères qui aiment si tendrement leurs enfants qu’ils n’en peuvent rien supporter qui leur déplaise.
« Parfois, s’il m’arrivait de me laisser emporter par un mouvement d’impatience ou de tristesse, j’étais aussitôt arrêté, comme si on m’avait lié la langue, et le travail n’avançait pas jusqu’à ce que ce mouvement se soit dissipé. J’étais toujours dans la présence de mon Dieu, qui considérait chacune de mes actions. Et je me disais en moi-même : ‘‘Accomplir tout cela en présence de ton Amour qui continuellement te regarde, cela mérite qu’on s’y s’applique ! ‘’ »
*
Elle parlait de la façon de trouver Dieu en toutes choses : « Il n’y a pas de si petite créature, disait-elle, qu’elle ne me puisse me porter à Dieu, et m’apprendre à l’aimer. »
Bien des fois elle s’écria : « Mon Amour, s’il n’y avait plus personne au monde pour me dire de Vous aimer, les bêtes et les autres créatures me l’apprendraient bien assez ! Et si Vous souhaitiez Vous cacher de moi, elles m’enseigneraient à Vous trouver ! »
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« Quand je voyais, disait-elle, un pauvre chien qui ne quitte jamais son maître et, pour un simple morceau de pain, lui fait mille caresses, quelle meilleure leçon pour apprendre à vous servir, mon Dieu, Vous qui m’avez fait tant de bien!
« Quand je voyais dans les champs ces petits agneaux si doux qui se laissent tondre et tuer, sans crier ni bêler, je me représentais le Christ qui Lui aussi s’est laissé conduire à la boucherie sans rien dire, et cela m’apprenait à Lui ressembler dans les moments pénibles à notre nature.
« Si je voyais des poussins se réfugier sous les ailes de leur mère, je me souvenais que le Christ s’était lui-même comparé à eux pour m’enseigner à me tenir cachée sous les ailes de sa Providence et éviter les griffes du milan.
« Lorsque je considérais la beauté des prairies en fleurs, je me disais en moi-même : ‘‘Mon Bien-Aimé est la fleur des champs et le lys des vallées, Il est la rose sans épines, ces épines dont Il a voulu pourtant être couronné’’. Et je Le priais de faire de mon âme un jardin de délices et de le tenir si bien clos que nul autre que Lui n’y puisse entrer.
« Quand je voyais les arbres se plier au gré des vents, ‘’Mon Dieu, disais-je, que ne suis-je aussi malléable aux mouvements de votre esprit !’’
« Les poissons qui nageaient dans la mer m’enseignaient à me plonger toujours plus profond dans mon Amour.
« Le matin quand d’une simple tison j’allumais un grand feu, je disais : ‘‘Mon Amour, si on Vous laissait faire dans les âmes, combien Vous auriez vite fait de les embraser ainsi !’’
« Quand je tranchais la viande et préparais le repas, il me semblait entendre la voix de mon Bien-Aimé me rappelant que lui aussi il était mort pour me nourrir et être l’aliment de mon âme. »
*
« Il n’y avait pas de créature au monde qui ne m’apprenne de nouvelles choses. Je disais souvent à Dieu :
« ‘‘Mon Amour, comme vous avez bien suppléé à mon ignorance ! Car, moi qui ne sais ni lire ni écrire, vous m’avez donné de très gros caractères pour m’instruire. Et il n’y a qu’à les regarder pour savoir combien vous êtes aimable ! Mais, à présent, je préférerais souvent ne pas les voir, car ils me brûlent si fort de votre amour que je ne sais plus que devenir.’’ »
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« Non seulement les créatures me servaient d’instruction, mais je voyais que Dieu les avaient toutes créées pour mon service et qu’Il concourait avec elles pour me faire du bien.
« De sorte que tout ce que je recevais d’elles, je voyais clairement que c’était Lui qui me le donnait et que je devais le rapporter à Lui seul.
« Je me disais : ‘‘Si ma maîtresse m’envoyait faire de sa part un cadeau à quelqu’un, ce n’est pas à moi qu’on irait faire les remerciements, mais bien à elle. Pareillement, tout ce que les hommes et les choses me font de bien, cela ne vient pas d’eux : c’est mon Amour qui par eux me le donne. »
« Ainsi, il ne se passait aucun moment de la journée sans que je ne trouve de nouveaux motifs d’aimer Celui qui était présent à mon âme. »
7
Un matin, il lui sembla à son réveil voir le Fils de Dieu, non pas corporellement, mais intellectuellement, à sa façon habituelle. Il se tenait debout devant elle et semblait vouloir, comme avec un pinceau, peindre quelque chose au fond de son âme. Voyant cela et n’en comprenant pas le sens, elle fut prise d’étonnement.
Au même moment, elle se souvint que son confesseur lui avait dit plusieurs fois : « L’âme doit se tenir devant Dieu comme une toile solide et immobile afin de recevoir les traits de son pinceau. » Et elle eut l’impression que c’était précisément la situation où elle se trouvait : son âme était droite et ferme, elle était attachée sans se mouvoir en aucune façon et elle contemplait fixement la présence du Seigneur.
Durant trois jours, on la vit continuellement dans cette attitude, après quoi elle retourna à son premier état. Elle était convaincue que Dieu avait opéré de grandes choses en elle, sans pourtant en savoir rien de distinct.
*
Tandis que le peintre opérait ainsi dans son âme, tout ce qu’il faisait était si secret et caché qu’elle n’en apercevait rien du tout. Elle n’osait pas même s’en informer, se contentant de le laisser faire ce qu’il lui plaisait.
Pour exprimer son état, elle avait une curieuse comparaison: « Mon esprit est comme un serviteur dont le maître s’est retiré dans son cabinet pour y traiter d’affaires importantes. Le serviteur n’ose pas entrer pour s’informer de ce qu’il fait ni faire du bruit, de crainte de l’interrompre. Il demeure en paix et en silence, attendant que son maître l’appelle.
« Voilà comme j’étais moi aussi, mais cela n’a pas duré longtemps. Car lorsque mon Amour a terminé son œuvre, il me l’a découverte peu après ».
*
Je veux rapporter la réponse qu’elle fit un jour à un de ses confesseurs. Le bon Père s’étonnait que, parmi tant d’occupations diverses, elle puisse rester toujours dans la contemplation de la présence divine : « Mon Père, lui dit-elle, je suis actuellement à m’entretenir avec vous. Admettons que quelqu’un vienne me parler, ce n’est pas pour autant que je vous tournerais le dos et vous laisserai en plan pour aller voir cette personne.
« Tout ce que je ferais, ce serait de tourner un peu la tête pour l’entendre et, dans le même temps, je poursuivrais la conversation commencée avec vous. Il me suffirait de savoir que vous êtes présent pour que j’agisse ainsi tout naturellement et sans même y penser.
« Ainsi l’habitude que j’ai contractée à contempler continuellement mon Dieu est si grande qu’elle m’est devenue comme une seconde nature, et je la suis sans même y penser. »
*
Après la Pentecôte de 1651, se trouvant dans un grand vide, elle fut saisie par toutes sortes de doutes sur son état. C’est à ce moment qu’elle fut abordée par une personne religieuse, avec qui elle n’avait encore jamais eu d’entretien.
La conversation porta sur les abus où les âmes peuvent tomber du fait des nouvelles façons de se conduire envers Dieu. Selon cette personne, ces pratiques n’aboutissaient qu’à tromper les âmes, car il faut agir et opérer, et non demeurer oisif et inutile.
La bonne Armelle écouta paisiblement ce que cette personne lui disait, sans faire paraître son sentiment. Mais, quand elle se fut retirée, ce qu’elle venait d’entendre vint rejoindre les doutes qu’elle avait déjà et aggrava sa méfiance sur son état.
Le reste du jour et la nuit se passèrent dans ces agitations. Mais Dieu la tira bientôt d’embarras. Le lendemain matin, elle alla entendre la messe à l’église des pères Carmes déchaussés. Elle s’approchait de la table de communion lorsque le Seigneur lui dit intérieurement ces paroles :
Ma fille,
tant que tu Me regarderas
tu M’aimeras,
tant que tu Me regarderas
tu Me serviras,
tant que tu Me regarderas
tu Me suivras ;
et si tu cesses de Me regarder,
tu cesseras de Me suivre.
À cet instant, une lumière divine pénétra son âme, par laquelle elle reconnut que c’était vraiment dans ce seul regard sur Dieu que consistait toute sa perfection.
Ce qui l’amena à répondre en ces termes : «Seigneur, il est vrai que celui qui Vous regarde ne peut s’empêcher de Vous aimer, Vous servir et Vous suivre. Car il serait plus facile d’empêcher le feu de brûler que de retenir de Vous aimer une âme qui est en votre présence.» Cette lumière dissipa ainsi toutes ses craintes et ses appréhensions.
*
Si tu cesses de Me regarder,
tu cesseras de Me suivre.
Elle apprit par là que, durant tout le temps qu’elle s’était amusée à réfléchir à son état, elle avait de fait cessé de le suivre et l’aimer de toute la force de son âme, puisqu’elle en avait employé une partie dans ce regard sur elle-même. Tant qu'elle s’était ainsi considérée elle-même, elle avait perdu de vue son Bien-Aimé.
« Si une âme, aimait-elle à dire, pouvait s’habituer à rejeter toutes les vues qu’elle a de soi et des choses, pour ne voir que Dieu seul, elle arriverait bien vite à une haute perfection ! »
*
« C’est un des plus grands empêchements, disait-elle, qu’une âme puisse mettre à son progrès que de vouloir autre chose que ce que Dieu lui donne.
Malheureusement il se trouve peu de personnes qui se contentent de ce qu’elles ont. Les unes veulent des consolations, les autres des croix. Alors que le seul moyen infaillible, c’est de s’abandonner à la volonté de Dieu, qui donne toujours à l’âme ce qui lui est le plus profitable. »
*
« En toute occasion, disait-elle, j’avais recours à mon Dieu, et avec plus de liberté encore qu’un enfant unique et tendrement aimé ne cherche l’assistance d’un père adoré.
« Je parlais avec lui en toute confiance, lui disant mes peines et mes besoins. Avec lui je me consolais et me réjouissais de ses divines perfections.
« Je lui demandais ce qui m’était nécessaire, à moi et aux autres hommes que je regardais comme mes propres frères, et jamais, non jamais, sa bonté ne m’a fait défaut. »
8
Lorsque quelqu’un l’interrogeait sur le meilleur moyen de servir Dieu, elle répondait toujours :
« Il n’y en a pas d’autre que la fidélité : une fidélité qui s’étend à toutes choses, les grandes et les petites, sans rien excepter. Depuis que mon Amour m’a fait comprendre qu’il voulait que je lui soit fidèle en toutes choses, je n’ai même plus su ce que c’était que faire le contraire. Je me suis portée avec diligence à tout ce que j’ai reconnu être sa volonté.
« Même s’il arrivait que ce soit avec peine ou répugnance, je ne pouvais différer d’un instant de l’accomplir. Certes j’aurais bien souvent souhaité de remettre à plus tard pour cause de maladie, de travail ou mille autres raisons. Mais ces hésitations ne servaient qu’à me faire faire les choses avec plus d’exactitude encore. »
*
« Je n’ai pas d’autre but dans mes actions que de plaire à mon Amour, et n’ai d’autre désir que l’accroissement de sa gloire. Quand Il m’aurait assurée d’être du nombre des damnés, je n’aurais pourtant pas voulu remettre d’un instant de Le servir et L’aimer. Quant à faire la moindre action pour la gloire du Paradis, je n’y pensais même pas. Mon Paradis et ma gloire étaient de Lui plaire, après cela il me semblait n’y avoir rien d’autre à attendre.
« Je n’ai jamais su ce que c’était que de penser à mon profit particulier : l’Amour me possédait si pleinement et m’élevait si fort au-dessus de moi et de toutes choses qu’il ne me restait plus rien pour moi ni pour elles. Tout était employé en Lui et pour Lui.
« Si j’avais eu mille cœurs et autant d’âmes et de vies, c’aurait encore été trop peu pour satisfaire mon Amour qui voulait tout pour Soi, et rien pour autrui. Moins je pensais à moi, et plus je voyais que Dieu en avait de soin. C’était comme s’il y avait une compétition entre Lui et moi : moi à ne penser qu’à le contenter, et Lui à pourvoir à mes besoins, tant du corps que de l’âme. »
*
« Quel que soit le soin que l’âme apporte à se purifier, il lui reste toujours beaucoup de défauts dont elle ne peut même s’apercevoir jusqu’à ce que Dieu lui-même les lui ôte et les lui fasse connaître.
Car Il a tant de bonté qu’Il ne les fait connaître qu’après les avoir détruits : Il sait bien que ce serait pour l’âme un enfer de connaitre qu’il y a en elle quelque chose de déplaisant aux yeux de son Bien-Aimé. Et ces défauts sont si subtils et enracinés dans l’âme qu’il n’y a que Lui qui les puisse détruire.
C’est ce qu’Il a fait en moi, m’ayant réduit à tel point que rien de moi ne subsiste, ni désir ni attachement. Tout cela est si éloigné de moi, que je n’en ressens plus même les premiers mouvements. Je vis en ce monde comme si je n’y étais déjà plus, et mon esprit ne regarde rien d’autre que Dieu. »
*
« Jamais je n’ai su ce qu’était la vanité.
« Quand quelquefois mes confesseurs me disait de m’en méfier, j’en étais étonnée. Il me semblait que, à moins de perdre l’esprit, je ne pouvais entrer en aucune estime de moi.
« Je voyais clairement que tout ce qui était en moi venait de Dieu, ainsi je ne risquais pas de m’en faire gloire. Et j’étais d’ailleurs si pleine de Dieu, qu’il n’y avait rien de vide où elle aurait pu se loger ! »
*
« Le moyen, disait-elle, qu’une chétive chambrière, une pauvre villageoise, un ver de terre comme moi ait de s’enorgueillir ? Il faudrait être folle, ou bien ne pas savoir ce que je sais.
Si Dieu a daigné me donner des lumières et des connaissances que les pauvres paysannes comme moi n’ont pas, s’Il m’a brûlée de son amour, c’est sa seule bonté qui a fait tout cela, je ne peux en tirer aucun mérite. »
*
« Plus mon Amour me faisait de caresses, plus je voyais mon néant et ma bassesse. Et je demeurais étonnée qu’une si haute majesté daigne se communique ainsi à une pauvre chambrière…
« Je me disais quelquefois en moi-même : ‘‘Si je n’étais pas si sûre que mon Amour voit tout et sait tout, je croirais presque qu’Il ne voit pas ma misère !’’.
« Mais le plus souvent, la force de l’Amour m’empêchait de m’arrêter à moi et à ce qui me concernait. Les grandes grâces qu’Il me faisait, j’en perdais le souvenir aussitôt que je les avais dites à mes confesseurs. Car l’Amour m’occupait si fort, qu’il n’y avait plus en moi que Lui seul »
*
Elle disait que son plus grand contentement était de donner et qu’elle était reconnaissante à son Amour de ce que, malgré la pauvreté où elle vivait, Il lui donnait néanmoins le moyen d’assister un peu les pauvres.
*
Elle avait une proche parente que le mauvais ménage de son mari avait réduite à la mendicité. Elle disait n’avoir pas au monde de personne plus proche que cette femme. À cause de sa pauvreté, elle l’aimait davantage que ses autres parents.
Elle n’aurait pas osé pourtant lui donner plus qu’aux autres mendiants. Aussi, quand elle ne pouvait subvenir à ses besoins, lui conseillait-elle d’aller demander l’aumône au Collège, en insistant pour qu’elle précise bien qu’elle était la cousine de la pauvre Armelle.
Car elle se glorifiait davantage de cette parenté qu’un ambitieux ne l’aurait fait de son alliance avec un grand seigneur.
*
« Quelle bonté a eue Dieu de me retirer du milieu de mes parents et de m’ôter l’amour que je leur portais afin de le mettre tout en lui et qu’il soit mon père, mon frère, mon parent, mon ami et mon tout ! Car combien de fois ai-je éprouvé qu’il me servait bien de tout cela ?
« De plus il m’a ôté l’attachement aux choses de la terre et aux commodités de la vie, dont je fais moins de cas que de la boue, et s’est lui-même donné à moi pour être ma vraie richesse. »
*
« Oh, qu’il faut être dépouillé de soi et de tout ce qui vient de soi pour ressentir cet Amour ! Jamais je ne l’aurais pensé avant d’en avoir l’expérience.
« Heureux sont ceux qui quittent tout, car ils trouveront tout : mais il faut se quitter jusqu’à la moindre petite partie de soi ! Non seulement dans ce que nous y voyons de mal, mais également dans ce que nous y croyons voir de bien…
« Dieu ne régnera en nous que si nous nous abandonnons entièrement à Lui et Le laissons faire tout ce que bon Lui semble, sans nous inquiéter de ce qu’Il fera ou ne fera pas.
« Depuis qu’Il me l’a fait comprendre, je Le laisse faire tout ce qu’il Lui plaît : s’Il se fait voir et sentir, je Le laisse faire ; s’Il se tient caché, je ne cherche pas à Le voir. Il est le Maître et le Roi de mon cœur : son règne y est absolu. Et je Lui dis parfois que, dans le Ciel, Il ne le sera probablement pas davantage. »
*
« Il me semble parfois, disait-elle, que je suis comme ces hommes qui ont fait un long voyage, plein de périls.
« Les voici enfin heureusement arrivés au port. Ils s’y trouvent en sûreté, mais leurs frères et leurs amis sont encore au milieu des tempêtes. Je vous laisse à penser s’ils ne font pas tout ce qu’ils peuvent pour que les autres arrivent eux aussi à bon port !
« J’en fais de même pour les pauvres âmes, et plus je me vois favorisée de grâces et de miséricordes, plus je désire que les autres puissent en bénéficier aussi. »
*
À toutes mes demandes concernant son état spirituel, elle me répondait toujours que « c’était l’Amour qu’il fallait interroger » car, quant à elle, elle n’avait jamais su d’autre métier que d’aimer.
Ses pratiques et ses intentions consistaient simplement à aimer tous les jours davantage. C’est en aimant qu’elle avait tout appris et tout accompli : « Il me semblait, disait-elle, que j’étais l’enfant de l’Amour et que Lui était mon père et mon guide. Il me conduisait comme par la main à tout ce qu’il fallait faire, et moi je n’avais d’autre besoin que de le regarder et de faire ce qu’il me commandait.
« Il m’a appris à Le regarder si continuellement que, du matin jusqu’au soir, je n’avais d’autre objet à l’esprit. Si parfois j’en étais un peu distraite, tout de suite je m’abandonnais à sa présence et travaillais à Lui plaire à Lui seul.
« Je m’entretenais avec Lui durant mon travail, je me réjouissais en Lui et Le traitais comme mon ami intime. Même s’il se présentait des occupations qui exigent toute l’attention de mon esprit, j’avais toujours le cœur tourné vers Lui, et sitôt qu’elles étaient terminées, je courais à Lui à nouveau.
« J’étais avec Dieu comme une personne qui en aime une autre passionnément : quelles que soient ses affaires, elle ne la quitte jamais qu’à moitié. Il m’était impossible de me séparer de Dieu, je ne pouvais vivre qu’en sa présence.
« Je savais que, tant que je Le regarderais, je ne pouvais L’offenser ni m’empêcher de L’aimer. Et plus je Le voyais, plus je connaissais ses perfections et mon propre néant.
« De sorte que je m’oubliais et m’abandonnais comme une chose indigne d’attention, pour m’unir et m’attacher incessamment à Lui. Mon seul but était de Lui plaire en ce que je faisais et de ne pas L’offenser : dans toutes mes actions je ne pensais à rien d’autre. »
9
« Dès mon réveil, je me jetais entre les bras de mon Amour, comme un enfant entre ceux de son père. Puis je me levais, afin de Le servir et travailler à Lui plaire.
« Si j’avais du temps pour prier, je me tenais à genoux en sa présence et je Lui parlais comme si je L’avais vu de mes yeux, et je m’offrais à Lui. Je Lui demandais que soient accomplies en moi ses volontés et qu’Il ne me permette pas de l’offenser. Je Lui offrais toutes les messes qui seraient dites ce jour-là dans toute la chrétienté, en Lui demandant d’en faire bénéficier les âmes du purgatoire.
« Durant la journée, je m’occupais de Lui autant que mes besognes me le permettaient, mais je n’avais en général pas même le loisir de dire un Pater ou un Ave. Je ne m’en mettais nullement en peine : j’avais autant à cœur de travailler pour Lui que de Le prier, car, selon ce qu’Il m’avait appris, tout ce qui est fait pour son Amour est une vraie oraison. »
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« Je m’habillais en sa compagnie, et il me montrait que son Amour me fournissait de quoi me vêtir. Mais lorsque j’allais à mon travail, il ne me laissait pas, et moi non plus je ne le quittais pas.
« Il travaillait avec moi, et moi avec Lui, et je me trouvais aussi unie et attachée à Lui, que lorsque j’étais à la prière. Ô que mes fatigues et mes peines étaient douces à supporter en sa compagnie ! J’en tirais tant de force et de courage que rien ne m’était difficile.
« J’aurais voulu faire seule toute la besogne de la maison, car je n’avais que le corps au travail, mon cœur était brûlant d’Amour dans la familiarité que j’avais avec Lui. »
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« Lorsque je prenais mon repas, c’était en sa présence. Il me semblait que chaque morceau était trempé de son sang, et que lui-même me les donnait pour me nourrir et me brûler encore davantage de son Amour.
Je laisse à penser quels effets cela opérait dans ma pauvre âme. Sans doute, ils sont inconcevables, et il n’y a que lui seul qui les puisse dire, car pour moi, même si j’y passais ma vie, je n’en viendrais pas à bout. »
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« Dans le courant de la journée, au milieu des tracas et des travaux continuels, il arrivait que le corps fatigue et ait envie de revendiquer ou de gémir, de se laisser aller à la colère ou de prendre ses aises.
« Aussitôt alors l’Amour m’éclairait et me montrait ce que je devais faire face à ces rébellions de la nature. Il se mettait comme un portier dans ma bouche et un gardien devant mon cœur, afin que ni la bouche ni le cœur ne contribuent à nourrir ces mouvements déréglés. »
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« Si parfois je me laissais emporter par surprise à quelque faute, je n’avais de cesse que la paix ne soit rétablie entre Lui et moi.
« Je pleurais à ses pieds, je Lui disais mon erreur comme s’Il ne l’avait pas déjà vue et lui confessais ma faiblesse. Je ne pouvais bouger de là avant qu’Il ne m’ait pardonné et que l’amitié ne soit revenue entre nous plus forte que jamais. »
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« Quand les hommes me poursuivaient de leurs médisances et leurs mauvais traitements, et les diables de leurs tentations, aussitôt je me tournais vers l’Amour, qui me tendait les bras et me montrait son cœur pour m’y loger et m’y tenir en sûreté.
« Je m’y fourrais comme dans une forteresse et, là, j’étais plus forte que tout l’enfer ensemble ! Quand toutes les créatures se seraient levées contre moi, je n’en aurais pas eu plus peur que d’une mouche. »
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« Dès que j’avais un peu de loisir, disait-elle, je me retirais un peu à l’écart pour dire mon chapelet ou d’autres prières. Mais je n’en avais pas commencé le premier mot que l’Amour de Dieu venait se saisir violemment de mon cœur et de mes pensées et je ne pouvais plus avoir d’attention que pour lui. Il me fallait demeurer là, sans dire un mot et en laissant tout le reste de côté.
« Au début, j’essayai de faire tout mon possible et de recommencer mon chapelet plusieurs fois. Mais mes efforts étaient inutiles, l’Amour reprenait toujours le dessus. À la fin, il me fallut admettre qu’il n’y avait rien de meilleur pour moi que de m’abandonner à sa conduite. »
« Toutes ces pratiques de dévotion prirent bientôt fin : « Lorsqu’on est arrivé au terme, disait-elle, les moyens cessent : Dieu est mon terme et mon but. Par sa miséricorde, j’y suis non seulement arrivée, mais tellement perdue que je ne peux plus rien voir d’autre que lui, et rien hors de lui que pour lui. »
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« Pour ce qui est de la messe, quand je pouvais y assister, c’était un grand bonheur. Mais comme, la plupart du temps, j’étais dans les champs, je n’y allais pas souvent.
« Je m’en contentais ainsi, car l’Amour m’avait appris à y assister d’esprit quand je ne pouvais y être de corps. J’avais l’impression que, tous les matins, mon esprit était présent à toutes les messes qu’on disait ce jour-là. »
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« S’il m’était possible de communier, oh, c’étaient des désirs, des affections et des ardeurs inconcevables ! Je n’étais plus moi-même, je n’étais que feu et Amour. Il me serait impossible de dire ce qui se passait entre Dieu et moi.
« Jamais les amoureux les plus passionnés n’ont vécu ce qui s’opérait alors dans mon âme. Tout ce qu’on pourrait en penser et dire n’en exprimera jamais la plus petite part. C’étaient des excès qui surpassent toute intelligence, l’Amour seul les comprend.
« Durant toute la journée qui suivait, je croyais vivre dans un vrai Paradis, ou plutôt que tout le Paradis était descendu dans mon âme. Plus Dieu se donnait à moi, plus je me livrais à Lui. C’était comme un flux et reflux continuel de Lui à moi et de moi en Lui. »
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« Quant à la confession, je fondais toute en larmes d’Amour et de contrition quand je m’y présentais. Même si, par sa miséricorde, j’avais peine souvent à trouver de quoi m’accuser, il n’importe, c’était assez de savoir que j’aurais pu l’offenser s’il ne m’avait empêchée de le faire.
« Car les fautes qui auraient semblé les plus petites, je les voyais toujours très grandes, d’être commises contre un Dieu dont la bonté était extrême envers moi. »
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Une des premières choses que le Seigneur mit dans son cœur fut la dévotion à sa chère amante Marie-Madeleine :
« Il me semblait, disait-elle, que je l’avais incessamment devant les yeux et qu’elle m’était donnée pour me servir d’exemple dans la fidélité que je devais à notre Seigneur. Car depuis le jour qu’il l’appela à lui, jamais elle ne l’abandonna, mais elle demeura toujours attentive à sa parole.
« Je demeurai quelque temps dans ces réflexions sur la fidélité de cette grande sainte et j’en ai toujours depuis gardé un grand respect et amour pour elle. »
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« Les jours de fête et le dimanche, après la messe, je retournais à mon ménage et n’en bougeais plus de la journée, demeurant à la maison afin d’envoyer les autres serviteurs aux vêpres et aux prédications. »
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« Ces jours-là, si l’on me proposait d’aller prendre un peu de distraction, je m’excusais comme je pouvais, aimant bien mieux jouir des plaisirs que me donnait mon Amour, qui étaient si grands que souvent je ne pouvais les supporter.
« Il me fallait parfois courir de chambre en chambre et essayer de m’occuper à d’autres choses pour modérer un peu les caresses que l’Amour me faisait. Car elles étaient d’autant plus fortes et délicieuses que j’étais plus seule et privée de toute conversation.
« C’est pourquoi, lorsqu’on s’étonnait de me voir toujours seule à la maison, je me disais : ‘‘Ô si vous saviez la bonne compagnie que j’ai, vous ne me croiriez certainement pas seule !’’ »
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« C’est ainsi que se passaient mes journées, durant la semaine comme les jours de fête, où souvent je n’avais pas moins de travail que les autres jours.
« Mais, en fait, rien de tout cela n’avait d’importance : le service ou le repos, les choses faciles ou pénibles, tout cela m’était indifférent.
« Je ne regardais pas ce que je faisais. Son Amour m’occupait si fort qu’Il ne me laissait aucun loisir de penser à moi, ni à rien d’autre que Lui. »
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« Quand le soir était venu et que chacun prenait son repos, le mien n’était pas ailleurs qu’entre les bras de l’Amour divin.
« Je m’endormais sur sa poitrine comme l’enfant fait sur le sein de sa mère. Je m’endormais, dis-je, mais c’était en l’aimant et le louant jusqu’à ce que le sommeil vienne me saisir.
« Et le plus souvent cette force d’Amour me réveillait si fort tous les sens que je passais la plupart des nuits sans dormir. Je les employais à aimer cette bonté, qui jamais ne m’abandonnait et restait toujours attentive à sa chétive créature. »
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« Voilà, disait-elle, quelle a été la vie d’une pauvre paysanne et d’une chétive chambrière, depuis que l’Amour divin a bien voulu se charger du soin de sa conduite. Voilà comme Il m’a tirée de ma misère pour faire de moi, par sa miséricorde, celle que je suis.
« Voilà la vie que j’ai menée pendant vingt ans, sans jamais sentir la moindre diminution de l’Amour qu’Il versa dans mon cœur lors de ma conversion. Au contraire Il augmentait chaque jour davantage, même s’il me semblait n’en pouvoir supporter plus.
« Pendant vingt ans, je L’avais logé dans ma maison, menant la vie que je viens de dire ; mais au bout de ce temps, Il m’a fait entrer dans la sienne, qui n’est autre que Lui-même.
« Ce qui se passe en moi depuis lors est tellement au-dessus de ce que je vivais auparavant, qu’il est impossible de le faire comprendre. La créature semble être entièrement perdue. L’esprit est élevé si haut au-dessus de la terre qu’il ne lui semble plus y être. La joie est si grande que l’âme se croit déjà entrée dans la joie divine et comme transformée en Dieu. »
*
« Avant cette grande grâce, disait-elle encore, même si jamais je ne perdais Dieu de vue et si mon cœur lui était continuellement uni par Amour, c’était toujours néanmoins comme deux choses jointes ensemble, mais qui pouvaient se séparer.
« Maintenant Dieu a caché la créature, et lui seul paraît. Il m’a enrichie de ses perfections et fait entrer dans ses biens. Il est ma vie et mon tout.
« Ne vous étonnez pas de me voir être ce que je suis et si je ne fais plus que languir de son Amour ! Il faudrait être pire que les démons pour qu’il en soit autrement après tant de grâces que j’ai reçues de lui. »
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« Les premiers jours que je commençai d’aimer, je me trouvai si occupée au-dedans que je n’avais aucune parole pour le dehors. Je ne parlais qu’avec peine et le plus brièvement possible. Hors des choses qui étaient absolument nécessaires, je n’avais rien à dire. Je demeurais des journées entières dans un complet silence afin de m’entretenir sans cesse avec l’Amour .
« Ceux qui me voyaient ainsi recueillie, s’en étonnaient et le mettaient sur le compte de la bêtise. Ils avaient beau me rabrouer, je ne m’en inquiétais guère. À vrai dire, il m’aurait été impossible de faire autrement : mon but unique était de plaire à l’Amour, sans pouvoir penser à rien d’autre. »
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Une personne lui demanda un jour si elle avait entendu parler d’une chose dont on parlait beaucoup en ville.
Elle lui répondit que non, par la grâce de Dieu, elle ne savait aucune nouvelle des choses de ce monde et n’avait jamais eu de plaisir à en apprendre. Qu’en revanche, s’agissant de l’Amour et des bontés de Dieu, elle avait beaucoup à en dire, car c’étaient des nouvelles qui occupaient sa pensée et contentaient son cœur.
Et elle expliquait pourquoi elle s’informait ainsi des nouvelles du paradis : « C’est l’habitude, lorsqu’on souhaite aller demeurer dans un pays, de demander à ses habitants comment on y vit et par quel chemin on y va. Moi aussi, je m’entretiens quelquefois avec les Anges et les Saints – que je considère comme mes frères – pour savoir comment ils vivent dans la maison et le pays de mon Père, qui est le Ciel. Car j’espère, par sa miséricorde, y demeurer toute l’éternité.
« Voilà de quelles nouvelles je m’informe, et encore pas souvent. Car l’Amour ne me permet guère de m’occuper d’autre chose que de Lui ! »
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« S’il lui arrivait de me délaisser : ‘‘Peu importe, mon Amour, lui disais-je, vous avez beau vous cacher, je ne vous en servirai pas moins. Car je sais que vous êtes mon Dieu.’’ Dans ces périodes-là, je reconnaissais ma misère et m’abandonnais au Seigneur. Et je me serais estimée heureuse de rester dans cet état tout le reste de ma vie, si tel avait été son plaisir.
« Hélas, Il ne m’y laissait guère et, si j’osais avancer cette parole, je dirais qu’Il ne pouvait pas davantage s’empêcher de me caresser que je ne pouvais vivre sans Lui ! Car, pour un moment d’absence, Il me comblait à son retour de tant de grâces si tendres que je ne pouvais les supporter. Et j’étais souvent obligée de crier que je n’en pouvais plus et qu’Il veuille bien se modérer, sinon je mourrais sous le poids de ses grâces !
« Il me fallait souvent quitter tout et aller me cacher dans un lieu retiré pour libérer mon cœur par des larmes. Autrement je serais morte d’Amour et d’excès de douceur. J’avais beau Lui crier que ce n’était pas ses caresses et ses grâces que je demandais, mais Lui seul, sans rien d’ autre, il me fallait les supporter, puisque telle était sa volonté. »
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Lorsqu’elle parlait aux confesseurs des faveurs quelle recevait de Dieu, elle avait l’habitude de leur dire : « Il faut seulement prendre patience et Le laisser faire tout ce que bon Lui semble. »
Ses confesseurs lui rétorquaient qu’il était certainement facile de prendre patience dans de telles occasions !
« Mes Pères, corrigeait-elle, la patience est davantage nécessaire en ces occasions que dans les plus pénibles. Car, pour l’âme, voir le bien que Dieu lui fait et combien il mérite d’être aimé, et cependant ne pouvoir l’aimer autant qu’elle le voudrait, c’est bien là la pire des souffrances ! »
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Un jour qu’elle passait dans la rue près d’un cheval, elle en reçut un violent coup de sabot qui la fit tomber et lui cassa une jambe. Cet accident ne la surprit pas, bien au contraire elle en remercia le Seigneur comme d’une grâce.
Elle en eut à souffrir de grandes douleurs, qui lui durèrent jusqu’à la mort. Jamais pourtant elle ne fit paraître aucun signe d’impatience ou d’inquiétude, ce qui suscitait l’admiration de tous ceux qui la voyaient.
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Un Père jésuite qui l’avait connue autrefois vint un jour prendre de ses nouvelles : « Si un Ange avait un corps, confia-t-il à l’un de ses confrères, et s’il s’était lui aussi cassé la jambe, il ne souffrirait pas de meilleure grâce que la bonne Armelle. »
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Elle fut plus de quinze mois sans pouvoir marcher. Une fluxion s’était emparée de l’autre jambe et la faisait souffrir presque autant que sa fracture. Durant tout ce temps, elle resta au lit ou sur une chaise.
Les jours de fêtes et le dimanche, on la portait à la messe. Le reste du temps, ne supportant pas d’être oisive, elle demeurait dans un coin de la cuisine à mettre de l’ordre dans le ménage et faire de menus travaux pour la maison.
Là, des personnes de toutes conditions venaient la voir pour profiter de la douceur de son entretien et de ses bons conseils.
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Trois ans après sa chute, à la Fête-Dieu de 1669, elle recouvra comme par miracle l’usage de ses jambes. Elle allait avec facilité dans la maison et par les rues, à l’aide d’un petit bâton. Cela demeura jusqu’à la fin de ses jours.
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Elle avait pris l’habitude de recevoir tous les jours la communion. Or, durant le temps où elle avait eu la jambe cassée, on ne l’avait portée à l’Église que les jours de fêtes et le dimanche.
Je lui demandai une fois si elle n’avait pas souffert d’être si longtemps privée de sa communion quotidienne. « Souffrir pour l’Amour, répondit-elle, vaut mieux que jouir de l’Amour… »
Puis elle ajouta : « Dieu sait bien se donner en tout temps et en tout lieu aux cœurs qui le désirent ! Autrefois j’aurais cru impossible de vivre sans recevoir mon Amour dans la communion, tant j’en étais affamée. Mais à présent, par sa miséricorde, je suis toujours avec Lui dans une union perpétuelle. »
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Une autre fois, un Père de la Compagnie de Jésus l’interrogea sur le même sujet :
« Mon Père, répondit-elle, j’aime la volonté de Dieu comme Dieu même. »
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Au début du mois d’août 1671, elle fut prise d’une violente fièvre, qui lui dura un mois.
Quand on sut en ville la gravité de son état, des personnes de tous milieux vinrent lui rendre visite, car les gens avaient pour elle une telle estime qu’ils la regardaient comme une sainte.
C’est là une chose d’autant plus remarquable qu’il n’y avait eu dans sa vie rien d’extraordinaire, de nature à susciter une semblable vénération.
Durant les trois nuits et deux jours qu’elle fut agonisante, sa chambre fut toujours remplie de monde, et l’on vit des personnes très considérées y passer des nuits entières.
Le samedi 24 octobre 1671, entre midi et une heure, elle rendit l’âme. Sa mort fut si paisible qu’on ne s’en aperçut qu’à la pâleur de son visage.
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[… ] Or comme Notre Seigneur n'avait établi sa demeure dans ce coeur que pour y régner en souverain, il voulut aussi par une grâce très spéciale de sa bonté et de son amour envers cette fille, être comme le guide et le directeur spécial de son âme, la conduisant, l'instruisant, la gouvernant et régissant tout ainsi qu'un père bien-aimé ferait envers son fils unique, ou un maître soigneux et vigilant ferait envers son disciple, qui il veut rendre parfait et accompli en toutes choses.
À cet effet, il lui donna à ce commencement pour modèle et exemple de toutes ses actions la vive représentation des siennes, afin que, les contemplant jour et nuit, elle se rendît une parfaite copie de ce divin exemplaire. Et crainte que l'oubliance lui fit négliger quelque chose, en toutes sortes de rencontres et d'occasions, il se présentait à elle dans la même action dont il s'agissait pour lors, et lui semblait entendre au fond de son coeur ces paroles : « Regarde comme je fais et fais le semblable. » Je laisse à penser quels effets cela opérait dans son âme. Nous ne saurions mieux la déclarer que par ses propres paroles : « Jamais, disait-elle, je n'avais rien tant demandé à mon divin Amour comme cette ardente prière que je lui faisais tous les jours, à savoir qu'il plût à sa divine miséricorde me mettre au nombre de ses disciples, et me donner entrer dans son école, me faire domestique dans sa sainte maison, et me recevoir dans sa compagnie ainsi qu'il avait fait ses apôtres et disciples. Hélas ! Quand je faisais ces prières avec tant de ferveur que souvent j'en étais toute hors de moi, je ne savais ni n'entendais en aucune façon ce que je disais. Mais, ô mon Dieu ! Que par après j'ai bien entendu le sens de mes paroles, et que vous avez bien accompli mes demandes ; car, par votre grande miséricorde, vous m'avez reçue dans votre école et m'avez admise dans votre compagnie, où moi, pauvre ignorante que je suis, ai plus appris dans un jour que tous les hommes ensemble ne m'eussent su apprendre en toute ma vie.
« Depuis que Dieu m'eût fait cette grâce de me faire sentir sa divine présence, et qu'il se voulait bien charger de ma conduite, je m'abandonnais entièrement à lui ; de sorte que je ne me considérai plus que comme la disciple de Dieu, et l'écolière du Saint-Esprit : j'étais toujours attentive en moi-même à l'aimer et considérer ce qu'il me commandait, pour l'exécuter ; et quand il se présentait quelque chose à faire, je m'y portais tout de même qu'un serviteur ou disciple fait envers ce que son maître lui a ordonné ; le faisant, j'avais toujours la vue attentive sur lui, pour imiter la même chose qu'il avait faite en ce monde, me la remettant lui-même devant les yeux, afin que je l'eusse contre-tirée21 ; que si c'était chose qu'il n'avait point faite, il m'enseignait la manière de l'accomplir en la façon qui lui était la plus agréable, et ainsi en toutes choses grandes et petites il m'instruisait.
« Et non seulement il m'instruisait, mais lui-même par un excès de bonté me gouvernait ; et parfois il me faisait entendre que j'étais semblable à ces petits écoliers qui commencent d'apprendre à écrire, à qui le maître ne se contente pas de donner un exemple et modèle, mais encore prend la main de l'apprenti, et la conduit, afin de lui apprendra ainsi à former ses lettres. J'étais tout de même au regard de mon Dieu, et fort souvent je sentais comme une autre main qui conduisait la mienne. Je vous laisse à penser quelle bonté c'était là, et combien j'étais embrasée de son Amour. Sans doute la moindre de sa grâce était plus que suffisante de me fendre le coeur, et me faire mourir d'amour s'il ne m'eût soutenue ; car ceci ne se passait point par imagination ou fantaisie : c'était la vraie et pure vérité, que je voyais plus clairement que le jour en plein midi.
« Et non seulement il m'instruisait et me gouvernait, mais de plus me reprenait de tous mes défauts ; vous eussiez dit qu'il était jaloux de mon bien et de ma perfection ; de sorte que je n'eusse pas osé remuer la main, faire un geste, ou dire même une seule parole inutile, ou jeter un regard, m'excuser, ou faire autres choses semblables, que tout au même instant j'en étais reprise, mais avec tant d'exactitude que rien n'échappait à ses yeux divins. C'est pourquoi ayant reconnu cela, je me tenais si droite, et j'avais si grande peur de lui déplaire, que je n'osais avancer ni reculer que par ses ordres ; et cela ne se faisait point par une contrainte qui m'eût gêné le coeur : au contraire c'était par un excès d'amour, m'étant avis qu'il était comme ces pères qui aiment si tendrement leurs enfants qu'ils ne peuvent souffrir en eux rien qui leur déplaise. Il m'arrivait parfois de me laisser emporter à quelque mouvement de promptitude, de chagrin, ou autre telle passion moins réglée, ce qui n'arrivait jamais que par une grande surprise : au même temps j'étais retenue et arrêtée tout court, de façon que la parole que j'avais avancée, demeurait à demi dite, comme si on m'eût lié la langue ; et l'action demeurait à faire jusqu'à temps que j'eusse apaisé ces mouvements ; quand il n'eût été question que de reprendre ou corriger un enfant, ou avertir de quelques défauts, il en fallait demeurer là, et ne point passer outre. Et pourquoi cela ? Sinon parce que j'étais toujours dans la présence de mon Dieu, qui considérait et voyait toutes mes actions. Et comme je me disais à moi-même, faire de telles actions à la vue et à la présence de ton amour qui te regarde et envisage toujours, ô c'est de quoi il me faut bien donner de garde. »
Voilà un petit échantillon des discours qu'elle tenait, lorsqu'elle parlait de la façon que Dieu s'était comporté envers elle dans ses commencements ; par où il est facile de juger quel soin il avait d'elle, et que véritablement il s'était voulu charger de sa conduite, et être lui-même le seul maître et directeur de son âme. Je dis le seul maître, car encore bien que presque toujours elle ait eu des directeurs à qui elle rendait une parfaite obéissance, ainsi que nous le ferons voir dans son lieu, eux néanmoins ne lui servaient que pour approuver ce que Dieu opérait dans son âme ; d'autant qu'elle était si prévenue des bénédictions du Ciel qu'il n'était point nécessaire de lui rien enseigner : son Amour l'instruisait assez, et la poussait de lui-même à toute la plus haute perfection qu'on eût su désirer.
Après que ce divin Maître eût fait sentir sa présence au coeur de sa bien-aimée disciple, il voulut encore se faire connaître et manifester à elle dans toutes les créatures, où autrefois elle l'avait tant cherché sans l'y pouvoir trouver ; mais quand le temps en fut venu, il se découvrit lui-même, qui fut presque incontinent après qu'il eut délivré de la grande persécution que le diable lui fit après son arrivée à Vannes. C'est une chose merveilleuse de voir et considérer les admirables reconnaissances qu'elle retirait des perfections divines par la vue des créatures, dont il n'y avait si petite et chétive, qui ne lui fût comme un grand miroir où elle voyait et contemplait les excellences de son Bien-Aimé, et qui ne lui fût comme un livre ouvert où elle apprenait des choses si hautes et relevées, et si conformes à ce qui est écrit dans la Sainte Ecriture, que certainement il paraît assez que le même Esprit qui les avait fait coucher sur le papier, était le même qui les lui imprimait dans le cœur. Car quel autre que lui eut appris à une pauvre chambrière ignorante, toujours nourrie dans les champs, au moins pour la plupart du temps privée de l'entretien et conversation de toutes sortes de personnes doctes et capables (car en ces temps elle n'avait presque point encore de connaissance avec ses directeurs), toujours dans l'embarras et tracassement d'un grand ménage, qui ne savait pas les premières lettres de l'alphabet, qui, dis-je, lui aurait pu apprendre à tirer des conclusions et raisonnements qu'elle faisait par la vue de toutes les créatures ? Sans doute que ce ne pouvait être autre que celui qui instruit en silence et sans bruit de paroles les âmes qui s'abandonnent à sa conduite, comme avait fait celle-ci. Et pour prouver ce que je dis, je rapporterai les mêmes mots qu'elle disait, quand elle parlait de cette façon de trouver Dieu en toutes choses.
« Il n'y avait si petite créature, dit-elle, qui ne me portât à Dieu, et ne m'apprît en sa façon à l'aimer ; de sorte que je m'écriais souvent à lui, et lui disais : « Ô mon Amour et mon Tout ! Quand il n'y aurait homme au monde qui me dît qu'il vous faut aimer, les bêtes et les autres créatures me l'apprennent assez ; et si vous-même vous vous cachiez de moi, elles m'enseigneraient à vous servir et trouver.
« Quand je voyais, disait-elle, un pauvre chien qui ne quitte jamais son maître, qui est si fidèle à le suivre, qui pour un morceau de pain lui fait mille caresses, bon Dieu, que ce m'était une puissante leçon pour faire le semblable envers mon Dieu, qui par tant de biens m'avait liée et attachée à son service ! Quand je considérais dans les champs ces petits agneaux si doux et paisibles, qui se laissent tondre et tuer sans crier ni bêler, je me représentais mon Sauveur qui s'était ainsi laissé conduire à la boucherie et à la mort sans mot dire ; et qu'est-ce que cela m'apprenait ? Sinon à l'imiter et me rendre semblable à lui dans les rencontres fâcheuses et difficiles à la nature. Si je voyais des petits poussins s'enfuir sous les ailes de leurs mères, tout au même instant il m'était mis dans l'esprit que mon Jésus s'était comparé à cet animal, afin de me donner confiance en lui et m'apprendre à me tenir cachée et couverte sous les ailes de sa divine Providence, pour éviter les griffes du milan d'enfer.
« Considérant la beauté des prairies et des champs couverts de verdure et de fleurs, je disais en moi-même : « Mon Bien-Aimé est la fleur des champs et le lys des vallées, c'est la rose sans épines, desquelles pourtant mon Amour a voulu être couvert et couronné ; je l'invitais à faire de mon âme le jardin et le parterre de ses délices, et le conjurais de le tenir si bien clos et scellé qu'autre que lui n'y eût entrée. Quand je voyais les arbres se plier au gré des vents, la mer qui n'outrepassait jamais ses bornes : « Ô Dieu, disais-je, que ne suis-je aussi pliable et maniable aux mouvements et inspirations de votre divin Esprit, et que jamais je ne puisse outrepasser les bornes de vos adorables volontés ! » Les poissons qui nageaient et se délectaient dans la mer, m'enseignaient à me noyer et délecter toujours dans mon divin Amour. Le matin, quand d'une petite bluette [étincelle] de feu j'allumai un grand brasier, je disais : « Ô mon Amour ! Que si on vous laissait faire dans les âmes, que vous auriez bientôt fait le semblable ! » Quand je coupais des chairs mortes et apprêtais à manger, il ne semblait ouïr la voix de mon Bien-Aimé, qui me disait que, pour me nourrir et substanter, il avait voulu souffrir la mort pour être l'aliment de mon âme.
« Si je voyais cultiver et ensemencer la terre, il m'était avis voir mon Sauveur, qui avait tout le cours de sa vie tant sué, peiné et travaillé pour cultiver nos âmes et y répandre la semence de sa céleste doctrine et de son divin Amour, et que toutefois il y avait si peu de terre qui portât de bon fruit, ce qui me causait des regrets indicibles. Au temps des récoltes que je voyais le bon grain séparé de la paille, il m'était enseigné qu'autant en serait fait au jour du Jugement des bons et des mauvais.
« Bref, il n'y avait créature au monde qui vînt à ma connaissance, qui ne me servît d'instruction et ne m'apprît toujours chose nouvelle. C'est pourquoi je disais souvent à Dieu : « Ô mon Amour ! Que vous avez bien su suppléer à mon ignorance ! Car ne sachant ni lire ni écrire, vous m'avez donné de si gros caractères pour m'instruire qu'il ne faut que les voir pour apprendre combien vous êtes aimable ; et souvent je voudrais ne les point voir car ils me brûlent si fort de votre amour que je ne sais que devenir.
« Non seulement, disait-elle encore, les créatures ne servaient d'instruction, mais de plus je voyais que Dieu par une bonté infinie, les avaient toutes créées pour mon service et qu'il concourait avec elles pour me faire du bien, de sorte qu'en toutes les assistances que je recevais d'elles, je voyais clairement que c'était lui qui me les faisait par elles. C'est pourquoi je rapportais tout à lui, me disant en moi-même : si ma maîtresse m'envoyait faire de sa part un présent à quelqu'un, ce ne serait pas à moi à qui il en aurait obligation ni à qui il ferait ses remerciements, ce serait à elle qui le lui a envoyé ; de même tout ce que les hommes et les autres choses me font de bien, ne vient pas d'eux, c'est mon Amour qui me le fait par eux. De manière qu'il ne se passait moment dans le jour que je ne trouvasse de nouveaux motifs d'aimer et de m’unir davantage à celui qui était intimement présent à mon âme, et qui me donnait toutes ces vues et connaissances sans que je les procurasse, et [elles] m'étaient communiquées avec tant d'abondance que si on avait pu les écrire, j'en aurais fourni de quoi faire plusieurs livres. Et toutes ces choses ici ne me détournaient point de mon ordinaire présence de Dieu : au contraire, elles m'y liaient tous les jours de plus en plus, ce qui m'obligeait parfois de faire ces plaintes à mon Amour, qui ne se contentait pas d'avoir allumé un grand brasier au milieu de ma poitrine, qui me dévorait, mais encore il y ajoutait tous les jours du bois et de la matière pour me brûler davantage. » Voilà les propres termes desquels elle se servait quand elle parlait du temps que Dieu l'instruisait ainsi par le moyen des créatures, qui fut à peu près d'environ un an ou deux, après quoi Dieu la conduisit à d'autres choses.
Les Justes sont comme la lumière du jour qui va toujours croissant jusqu'à ce qu'elle soit parvenue en son plein midi ; de même cette sainte fille que nous pouvons hardiment appeler Juste, allait croissant et s'avançant de jour en autre en la voie de la perfection, par les douces et amoureuses conduites que son divin Amour lui fournissait ; lequel après lui avoir donné les actions de sa vie pour exemple, et qu'elle eût taché de les imiter de tout son pouvoir, et l'avoir enseignée par le moyen des créatures comme il a été dit, il la fit changer d'état, lui proposant les perfections de sa divinité, afin qu'elle les imitât dans la manière la plus sublime et relevée que la personne de sa sorte eût su faire. Et l'endroit où il les lui découvrit le plus clairement, ce fut au très saint Sacrement de l'autel, où, comme nous disions au dernier chapitre, son coeur se trouva si collé et attaché que jour et nuit il n'en bougeait, et avait une telle foi et croyance dans cet adorable Mystère qu'elle disait que, quand tous les anges, les hommes et démons lui eussent dit que Dieu n'y était pas, ils n'eussent pas ébranlé d'un seul point la certitude qu'elle avait du contraire ; car Dieu lui découvrit là si clairement toutes ses divines perfections qu'elle ne les croyait pas, mais les voyait et touchait au doigt, s'il faut ainsi dire.
Ce fut donc ici le miroir sans tache que Dieu lui présenta pour y considérer les grandeurs et les excellences de ses divins attributs, et en les considérant et admirant, former ses actions à ce modèle qui lui était montré : là, elle y découvrait une infinie bonté et charité envers les hommes, une patience et une douceur admirable à les supporter dans leurs défauts, faisant incessamment du bien à ceux qui continuellement l'offensent, une humilité admirable, une obéissance prodigieuse, une libéralité démesurée, et ainsi du reste de toutes ses autres perfections divines, qu'elle tâchait de représenter au vif dans sa personne et dans toutes ses actions, autant que la faiblesse de la nature prévenue de la grâce le peut permettre, en quoi elle était admirablement aidée par une grâce très spéciale que Dieu lui fit en ces mêmes temps, à savoir qu'en tout ce qu'elle faisait ou opérait, il lui semblait voir son divin Amour qui le faisait avec elle, de sorte que quelque action basse qu'elle eût su le faire, jamais la compagnie de son Dieu ne la quittait. Ce n'était pas qu'elle vît rien des yeux du corps ; cela se faisait par une impression forte et pénétrante que Dieu opérait dans son esprit, par laquelle lui était montré que véritablement Dieu concourait de telle manière en tout ce qu'elle faisait, qu'il lui semblait que lui et elle étaient comme deux personnes si étroitement jointes et unies ensemble que ce que l'une fait, l'autre le fait avec elle : quand l'une se repose, l'autre se repose, quand une agit, l'autre le fait aussi, et ainsi du reste. Cette sorte de présence de Dieu si intime lui dura longtemps, et parfois elle se faisait sentir avec tant de certitude que l'excès d'amour qui en provenait, la faisait languir et défaillir.
Il me souvient qu'une fois entre les autres étant encore dans notre maison, et étant occupée à boulanger, ce Dieu d'amour se manifesta si clairement à elle dans la manière susdite qu'elle pensa tomber en défaillance, tant elle se sentit vivement pénétrée d'amour ; et ne sachant plus quelle contenance tenir, elle fut contrainte de sortir les mains toutes pâteuses, et s'aller cacher en quelque coin, pour se plaindre et soupirer à son aise, qui était le remède ordinaire avec lequel elle modérait l'ardeur de ses flammes, après quoi elle revint achever son travail. Je dis ce seul exemple entre mille que je pourrais produire sur un pareil sujet, parce que la matière est si abondante que je ne fais qu'effleurer chaque chose pour passer à d'autres encore plus hautes et relevées qui suivent immédiatement celle-ci, à savoir que peu après perdant la vue d'elle-même et de toutes ses opérations, elle ne s'envisageait plus comme agissante en aucune chose, mais seulement pâtissant et souffrant l'opération que Dieu faisait en elle et par elle ; de sorte qu'il lui semblait bien avoir un corps, mais ce n'était que pour être mue et gouvernée par l'Esprit de Dieu.
Ce fut dans cet état qu'elle entra, lorsque Dieu lui eut fait ce commandement si absolu de lui céder la place, et même dès auparavant elle y avait de grandes dispositions, dont l'une des principales était qu'elle ne voyait plus rien en elle qui lui appartînt, ni de quoi elle pût faire présent à Notre Seigneur selon sa coutume ; car elle voyait que tout ce qui était en elle lui était déjà très parfaitement acquis.
Quand elle considérait son corps ou son esprit, elle ne disait plus mon corps, mes mains, mes bras, non plus que mon coeur, mon esprit, ni telles autres parties d'elle-même. Ce mot de « mon » était entièrement banni d'elle, et disait que tout était à Dieu, et que ses membres, son coeur et tout le reste étaient à Jésus-Christ.
Certes ce n'était pas sans raison qu'elle parlait de la sorte ; car à vrai dire, Dieu était en elle comme un roi dans son trône royal qui commande et défend ce qui lui plaît, et est obéi sans qu'aucun ose contredire. Et à propos de cette comparaison, il me souvient de lui avoir ouï dire que du commencement que Dieu se fût rendu si absolument maître d'elle-même, qu'elle s'en vit chassée aussi bien qu'autrefois elle avait chassé les autres choses.
Elle fut un assez long espace de temps qu'il lui était avis que son esprit se voyant ainsi chassé, et qu'il ne lui était plus permis de voir ni connaître ce que Dieu opérait dans l'intime de son âme, ni y mêler son opération comme de coutume, il lui semblait, dis-je, qu'il se tenait tout recueilli et ramassé à la porte de ce centre où Dieu avait libre entrée, et là, comme un laquais ou un valet, il attendait les ordres et les commandements de son maître afin de les exécuter au plus tôt ; et ne se trouvait pas seule dans cette posture : ainsi il lui semblait parfois que une infinité d'anges lui tenait compagnie, demeurant tout autour de ce trône et de cette demeure de Dieu, de peur que rien n'y entrât, ou même n'en approchât qui fût indigne de la majesté de celui qui y résidait. Et les effets de cette divine garde lui furent si visibles qu'elle n'en pouvait douter ; car ce fut en ce même temps que non seulement elle ne consentait pas à aucune imperfection, mais même n'en avait pas les premiers mouvements tant que cette grâce extraordinaire lui dura, lesquels jusqu'alors elle ne laissait pas de ressentir de fois à autre, quoique rarement.
Dieu qui s'était renfermé dans l'intime de son âme comme dans un cabinet secret et retiré, y opérait à sa mode la façon des choses merveilleuses, et achevait de donner les derniers linéaments à ce portrait si bien ébauché, de quoi il voulut donner quelque connaissance à cette fille d'amour par une faveur aussi digne de remarque que pleine d'instruction pour les âmes qui aspirent à une haute sainteté.
Un matin, lorsqu'elle était dans cette voie, il lui sembla à son réveil voir la personne sacrée du Fils de Dieu, non pas corporellement, mais intellectuellement à sa façon ordinaire, qui, se tenant debout devant elle, semblait vouloir comme avec un pinceau peindre quelque chose au profond de son âme. Elle, voyant cela et ne sachant ce qu'il signifiait, fut comme surprise d'étonnement ; mais au même temps il lui fut mis dans la mémoire ce que plusieurs fois son père directeur lui avait dit, à savoir que l'âme se doit tenir devant Dieu comme une toile ferme et immobile, afin de recevoir les traits de son divin pinceau ; et dans ce moment elle se trouva être dans cette situation, lui étant avis que son âme était droite, ferme et attachée sans se remuer de part ni d'autre, ni se mouvoir en aucune façon, envisageant fixement la présence de Notre Seigneur, qui par l'espace de trois jours se fit continuellement voir de la sorte, et son âme demeura toujours dans la même posture ; après quoi elle retourna à son premier état, mais avec cette assurance certaine que Dieu avait opéré de grandes choses en elle, sans pourtant savoir rien de distinct.
Lorsqu'elle ressentait un amour si suave et une paix si profonde qu'elle ne savait où elle en était, c'était dans ces temps qu'elle se plaignait si amoureusement à Dieu, lui disant qu'elle l'avait toujours supplié de la faire vivre et mourir dans la peine et souffrance, et que toutefois il la voulait faire mourir par l'excès de la paix qu'elle ressentait dans son âme. Tandis que ce divin peintre opérait de la sorte en son âme, tout ce qu'il faisait était si secret et caché à son esprit qu'il n'en apercevait rien du tout, et n'osait pas même s'en enquérir, se contentant de laisser faire ce qu'il lui plairait sans s'en mettre en peine. Et se servait à ce propos d'une bonne comparaison pour exprimer naïvement ceci, disant : « Mon esprit est semblable à un serviteur, qui, sachant que son maître est retiré dans son cabinet pour y traiter d"affaires sérieuses et d'importance, n'ose entrer dedans pour s'informer de ce qu'il fait, ni remuer ou faire du bruit, crainte de l'interrompre, afin de demeurer en paix et en silence, attendant que son maître l'appelle : voilà comme j'ai été quelque temps, mais il ne fut pas long ; car après que mon divin Amour eut accompli son oeuvre, il me la découvrit peu à peu, me faisant parfois voir si clairement la perfection de sa divinité peinte dans mon âme qu'il me semblait qu'elle fût comme un miroir qui me les représentait ; et de là en avant, je ne les pouvais voir ni trouver si bien en aucune chose comme dans le centre de mon âme, qui me paraissait être comme sa vraie image, autant qu'une chétive créature comme moi le peut être. »
D'abord que Dieu lui eût fait cette grâce que de lui découvrir ainsi sa divine présence en la manière susdite, ce ne fut que de fois à autre, et par intervalle ; et ceci l'affaiblit de telle sorte et minait si fort sa santé que jamais cela ne lui arrivait qu'elle ne fût malade. Je l'ai vue souvent me dire qu'elle se portait bien, et à peu de temps de là me dire qu'elle n'en pouvait plus, étant contrainte de s'appuyer la tête contre la grille ou autre part ; et lui demandant la cause d'un si subit changement, elle me répondait d’ordinaire que c'était une si grande présence de Dieu qui se faisait voir si clairement au fond de son âme qu'elle n'était pas capable de soutenir une si forte lumière ; et son corps ressentait de grands maux et des brisements universels par tous les membres.
Néanmoins, comme elle allait tous les jours se perfectionnant davantage, et que l'esprit devenait plus fort par tant de faveurs, son corps aussi en recevait moins d'incommodité ; de sorte qu'elle ne tarda guère que cette présence de Dieu si sublime et relevée ne fût habituelle, de manière qu'elle ne se détournait presque jamais. En quelque lieu qu'elle fût, aussi bien en plein marché, au milieu des rues, travaillant ou conversant avec les personnes qui étaient nécessaires, ou en quelque part qu'elle allât, jamais elle ne départait de ce divin Objet ; ou si parfois elle s'en détournait tant soit peu, au même instant elle était rappelée à son premier état. Sur quoi je veux rapporter une réponse qu'elle fit un jour à un de ses directeurs, qui s'étonnant comme cela se pouvait faire, qu'elle contemplât toujours ainsi la présence de son Dieu parmi tant de diverses occupations, il lui demanda comment cela se pouvait faire pour satisfaire à cela. Il lui fut mis au même instant dans l'esprit cette similitude, et ces paroles : «Mon père, lui dit-elle, si présent que je suis à parler avec vous, il venait quelqu'un pour me dire quelque chose, je ne vous tournerai pas le dos, et ne vous quitterais pas là pour aller à cette personne ; tout ce que je ferais, ce serait de tourner un peu la tête pour l'entendre, et au même temps je la détournerais pour continuer le discours que vous ou moi aurions commencé, et ne serait point de besoin de réflexion ou de raisonnement pour me faire détourner : ce me serait assez de savoir que vous êtes là pour que je le fisse naturellement et sans y penser. Ainsi l'habitude que j'ai contractée à envisager continuellement mon Dieu, est si grande qu'elle m'est passée comme en nature, et j'y suis même sans y penser. » Voilà la réponse qu'elle fit à ce bon père, de quoi il demeurera très satisfait et édifié.
Or avant que Dieu lui eût fait cette grâce que de l'envisager toujours en cette manière, et lorsqu'il tenait son âme dans le vide, et qu'il ne se manifestait que de fois à autre, comme nous disions présentement, il lui fit une faveur fort signalée que j'ai omise à dessein de rapporter dans la première partie, la réservant exprès pour ce chapitre, d'autant qu'elle y est toute convenable, et comprend en peu de mots les grands avantages que toute âme peut recueillir marchant par cet exercice de la présence de Dieu. Il lui arriva donc qu'en l'an 1651, entre les fêtes de Pentecôte et du Sacre, son coeur se trouvant dans un grand vide et dénuement de toutes choses, elle entra en quelque appréhension de son état, doutant si en faisant effort pour agir de ses puissances, elle ne ferait point mieux. C'était le diable qui tâchait de lui suggérer ces pensées, afin de troubler au moins ce grand calme et cette tranquillité dont son âme jouissait, puisqu'il ne lui pouvait pas faire autre chose ; mais que par après elle reconnut au moyen de ce songe que nous avons rapporté au XVIe chapitre de la première partie. Le jour et toute l'octave du Saint Sacrement, dans laquelle Dieu avait coutume de lui communiquer toujours quelque faveur extraordinaire, s'écoulèrent en la manière susdite ; et ce qui l'étonna davantage, ce fut qu'en ce même temps elle fut abordée d'une personne religieuse, avec qui elle n'avait jamais eu d'entretien que celui-ci, qui fut tout fondé sur les abus où les âmes peuvent tomber, par des façons nouvelles et particulières de se conduire vers Dieu, dont quelques personnes traitent maintenant, et que cela ne sert que pour tromper les âmes : qu'il faut agir et opérer, et non point demeurer oisif et inutile. Elle écouta paisiblement tout ce que cette personne lui dit, sans faire paraître son sentiment de part ni d'autre, et s'étant retirée, tout ce qu'elle avait ouï joint aux pensées précédentes, se présentèrent fortement à son esprit et semblait la vouloir jeter en quelque défiance de son état, et surtout elle avait craint de ne pas aimer, de ne pas suivre et de ne pas servir son Dieu dans la façon et manière qu'il désirait d'elle.
Le reste du jour et la nuit se passa dans ces agitations ; mais Dieu qui ne les avait permises que pour donner plus d'éclat à la grâce qu'il voulait lui conférer, la tira bientôt de doute. Car le lendemain qui était le jeudi de l'octave du Sacre, entendant la messe dans l'église des pères Carmes déchaussés de cette ville, et s'étant approchée de la sainte Table pour communier, Notre Seigneur lui dit intérieurement ces quatre paroles : « Ma fille, tant que tu me regarderas, tu m'aimeras ; tant que tu me regarderas, tu me serviras ; tant que tu me regarderas, tu me suivras ; et quand tu ne me regarderas point, tu ne me suivras point ». Et dans ce moment une lumière divine lui pénétra l'âme, par laquelle elle reconnut que véritablement c'était dans ce seul regard et envisagement de son Dieu que consistait toute sa perfection et sainteté. Ce qui lui fit avec grand amour et sentiment proférer ces paroles : « Oui sans doute, ô mon Seigneur, il est vrai que quiconque vous regardera ne pourra jamais s'empêcher de vous aimer, de vous servir et de vous suivre ; car il serait plus facile d'empêcher le feu de brûler, qu'une âme qui vous a présent de ne vous pas aimer ni commettre la moindre chose qui vous déplaise. » Cette lumière, ayant ainsi éclairé son esprit, chassa et dissipa toutes les craintes et appréhensions et lui donna tant de connaissance des avantages et grands biens qui sont enfermés dans ce divin exercice de la présence de Dieu, que c'était une chose merveilleuse de l'entendre ou discourir, et fut plus d'un mois après qu'elle ne pouvait parler d'autre chose, mais avec des termes qui surpassent beaucoup tout ce que j'en pourrais décrire.
Ce fut depuis avoir entendu ces paroles de la bouche de Notre Seigneur, si pleines d'instructions et rapportantes aux pensées qui agitaient son esprit, qu'elle commença de jouir si assidûment la présence de Dieu, d'une façon si sublime et relevée que, comme elle confessait elle-même, elle était quasi approchant de celle des Bienheureux, tant pour sa continuité que pour la paix et les délices ineffables dont son âme était remplie. Elle se voyait tous les jours de plus en plus perdue et abîmée dans Dieu, comme nous disions ci-dessus ; et non seulement elle s'y voyait perdue, mais encore toutes les choses créées, - qu'elle ne pouvait plus voir comme auparavant elle faisait, - dans cette essence infinie qui leur a donné l'être : ainsi elle ne voyait plus que Dieu seul sans autre chose. Ce furent ici les fruits qu'elle retira des paroles que Notre Seigneur lui eût dit ; car encore bien que, comme nous avons fait voir dans tout ce discours, elle eût toujours joui de la présence de Dieu depuis qu'une fois il eut fait sa demeure dans son coeur, c'était néanmoins avec grande différence, comme il s'est pu remarquer. Et est à noter que lorsqu'après que Notre Seigneur lui eût enseigné, par les paroles que nous avons alléguées, que dans cette seule et unique vue de sa divine présence était enclose et renfermée toute sa perfection, il ajouta cette parole : quand elle ne le regarderait pas, elle ne le suivrait pas. Par où elle apprit que de vrai, dans ce peu de temps qu'elle s'était amusée à réfléchir et considérer si elle était dans l'état qui agréait à Dieu, elle avait manqué de le suivre et aimer de toute la force et l'étendue de son âme, puisqu'elle en avait employé une partie dans cet envisagement, et que tant qu'elle se considérait elle-même, elle avait perdu de vue son Bien-Aimé.
Aussi avait-elle coutume de dire depuis que si une âme pouvait une fois s'habituer à rejeter toutes les vues qu'elle peut avoir de soi et des autres choses, pour ne voir que Dieu seul, qu'en très peu de temps elle arriverait à une haute perfection, d'autant, disait-elle, qu'il n'y a rien qui nous encourage et fortifie tant que cette divine présence ; c'est elle qui nous rend fidèles, qui nous fait marcher par la voie des solides vertus et des divins conseils, c'est elle qui nous enflamme et brûle d'amour, et qui fait fondre et liquéfier nos coeurs aux rayons de ce soleil d'amour et de bonté ; c'est elle enfin qui nous cause tant de biens, qui nous délivre de tout mal, et qui fait que dès cette misérable vie nous commençons d'expérimenter la félicité et le bonheur de l'autre.
Quoique tout ce qui a été dit par ci-devant soit suffisant pour faire juger en quelle disposition d'esprit elle faisait toutes ses actions, je ferai néanmoins en ce chapitre comme un recueil des principales, et du cours de la journée, depuis le matin jusqu'au soir ; le tout selon que je l'ai appris de sa propre bouche en divers entretiens que je lui ai faits à ce dessein, nommément un, dont voici les véritables termes.
L'ayant donc un jour priée de me dire les moyens et pratiques dont elle s'était servie pour arriver au point où elle était, les motifs qui la mouvaient en toutes ses actions, l'objet principal qui l'occupait durant le cours de la journée, la situation de son esprit parmi ses occupations, les mouvements que Dieu lui communiquait pour s'en acquitter, les dispositions avec laquelle elle recevait les sacrements, et ainsi du reste de ses actions, depuis que Dieu l'avait appelée à son service, jusques au temps qu'il prit cette si entière possession d'elle-même, comme il s'est vu en la première partie, chapitre quinze.
A toutes ces demandes, elle me fit la même réponse que j'attendais d'elle, à savoir que pour dire ce qui en était, il fallait s'en enquérir de l'amour ; car, par la grande miséricorde de Dieu, elle n'avait jamais su autre métier que celui d'aimer ; que toutes ses pratiques, tous ses motifs, toute ses fins et prétentions consistaient toutes à aimer et brûler tous les jours de plus en plus, et qu'en aimant, elle avait appris et s'était acquittée de tous ses devoirs, car il semblait, disait-elle, « que j'étais l'enfant de l'Amour, et que lui était mon père et mon guide, qui me conduisait, comme par la main, à tout ce qu'il fallait faire ; et moi je n'avais d'autre besoin que de l'envisager et de faire ce qu'il me commandait, sans jamais m'en départir. Il m'apprit à le regarder si continuellement que depuis le matin jusques au soir, je n'avais d'autre objet en ma pensée ; et si parfois j'en étais tant soit peu divertie, tout incontinent je me remettais en sa divine présence, et là je travaillais pour plaire à lui seul : je m'entretenais avec lui durant mon travail, je l'aimais et me réjouissais en lui, je traitais avec lui comme avec mon ami intime. Et s'il se présentait des occupations qui requissent toute l'attention de mon esprit, j'avais toujours pourtant mon coeur tourné vers lui, et sitôt qu'elles étaient finies, je courrais derechef à lui, tout ainsi que fait une personne qui, aimant passionnément une autre, quelques affaires qu'il ait, ne la quitte qu'à demi ; j'en étais tout de même avec mon Dieu, duquel il m'était comme impossible de me séparer, et je ne pouvais vivre qu'en sa présence ; car je savais bien, et lui-même me l'apprenait, que tant que je le regarderais, je ne pourrais l'offenser ni m'empêcher de l'aimer.
« Et plus je l'envisageais, plus je connaissais ses divines perfections et mon néant et ma misère, de sorte que je m'oubliais et me délaissais moi-même, comme une chose indigne de m'occuper, pour m'élever au-dessus de moi et de toutes les choses créées, afin de m’unir et m'attacher incessamment à lui. Tout mon but était de lui plaire en ce que je faisais, et prendre garde de ne l'offenser : je ne pensais rien autre chose en toutes mes actions ; ce que je ne faisais pas pour l'utilité qui m'en pouvait arriver, ni pour éviter le mal qui s'en fût ensuivi si j'avais fait le contraire ; non, toutes ces vues et tous mes intérêts étaient si fort éloignés de mon esprit que je n'y pensais aucunement. Le seul Amour emportait tout pour lui : pourvu qu'il fût content, j'étais satisfaite ; hors de là, tout m'était insensible.
« Quant à mes pratiques journalières, elles étaient les mêmes que je viens de dire. Dès mon premier réveil, je me jetais entre les bras de mon divin Amour, comme un enfant fait entre ceux de son père : je me levais pour le servir et travailler pour lui plaire. Si j'avais du temps de le prier, je me tenais à genoux en sa divine présence, et lui parlais comme si je l'eusse vu de mes propres yeux ; là je m'offrais toute à lui, je le priais qu'en moi fussent accomplies toutes ses saintes volontés, et qu'il ne permît pas que je l'offensasse en la moindre chose. De plus, je lui offrais toutes les messes qui devant ce jour se diraient par tout le christianisme, et le priais d'en appliquer les mérites pour le soulagement des âmes de purgatoire. Enfin je m'occupais en lui et en ses divines louanges autant de fois que mes occupations me le permettaient ; mais le plus souvent je n'avais pas le loisir de dire un Pater ou un Ave de toute la journée, mais je ne me mettais aucunement en peine : il m'était aussi à coeur de travailler pour lui que d'être à le prier, parce qu'il m'avait appris que tout ce qui est fait pour son amour est une vraie oraison.
« Je m'habillais en sa compagnie, et il me montrait que son amour me fournissait de quoi me vêtir. Quand j'allais à mon travail, hélas, il ne me laissait pas, ni moi je ne le quittais point : il travaillait avec moi, et moi avec lui, et me trouvais aussi unie et attachée à lui que lorsque j'étais à la prière. Ô que mes fatigues et toutes mes peines étaient douces et faciles à supporter en une si bonne compagnie ! Aussi j'en tirais tant de force et de courage que rien ne m'était difficile, et j'eusse voulu moi seule faire toute la besogne de la maison. Je n'avais que le corps au travail, le coeur et tout moi-même brûlait d'amour dans la douce familiarité que j'avais avec lui.
« Si je prenais ma réfection, c'était en sa divine présence, aussi bien que tout le reste ; et il me semblait que chaque morceau était trempé en son précieux sang, et que lui-même me les donnait afin de me nourrir, pour me brûler encore davantage de son amour. Je laisse à penser quels effets cela opérait dans ma pauvre âme : ô sans doute, ils sont inconcevables, et il n'y a que lui seul qui les puisse dire ; car pour moi, quand j'y emploierais toute ma vie, je n'en viendrais pas à bout.
« Si dans le cours de la journée, parmi les tracas et les continuelles occupations, le corps ressentait de la peine et eût voulu se plaindre, murmurer, prendre ses aises ou son repos, se laisser emporter à la colère ou à quelque autre mouvement de passion déréglée, tout à l'heure l'amour m'éclairait et me montrait que je devais faire mourir ces rébellions de la nature, et ne les fomenter22 ni de paroles ni d'action : il se mettait comme un portier en ma bouche et une garde à mon coeur, afin qu'aucun ne contribuât à nourrir ces mouvements déréglés ; et ainsi ils étaient contraints de mourir dès leur naissance.
« Que si parfois je n'étais pas assez sur mes gardes, et que je m'étais laissée emporter par surprise à quelque défaut, hélas, je n'en pouvais durer jusqu'à tant que je n'eusse obtenu mon pardon, et que la paix ne fût faite entre lui et moi : je pleurais à ses sacrés pieds, je lui disais ma faute comme s'il ne l'eût pas vue; je lui confessais ma faiblesse, et ne pouvais bouger de là jusqu'à tant qu'il ne m'eût pardonnée et que l'amitié ne fût devenue plus forte que jamais, ce qui arrivait par sa grande bonté et miséricorde, toutes les fois que je tombais en faute, qui ne servait qu'à me brûler encore plus de son divin Amour.
« Quand les hommes me persécutaient par leurs médisances et mauvais traitements, et les diables par leurs tentations et vains artifices, toute à la même heure je me tournais vers l'Amour, qui me tendait ses sacrés bras, et me montrait son coeur et ses plaies ouvertes pour me loger dedans et m'y tenir en assurance ; aussi je m'y fourrais comme dans ma vraie forteresse, et là j'étais plus forte que tout l'enfer ensemble ; et quand toutes les créatures se fussent élevées contre moi, je n'en aurais eu non plus de crainte que d'une mouche, parce que j'étais en la protection et sauvegarde de l'Amour.
« Si parfois lui-même me délaissait et faisait semblant de se retirer, je lui disais : « Ô n'importe, mon Amour, vous avez beau vous cacher, je ne vous servirai pas moins, car je sais que vous êtes mon Dieu. » Et alors je tâchais de me tenir plus sur mes gardes que jamais, et d'être plus fidèle, de crainte de déplaire à l'Amour car c'était là mon unique appréhension. En ces temps-là, je reconnaissais davantage ma misère et ma pauvreté, et me confiais de plus en plus à Notre Seigneur, étant contente d'être en cet état tout le reste de ma vie, si ainsi lui plaisait ; mais hélas, il ne m'y laissait guère, et si j'osais avancer cette parole, je dirais qu'il ne se pouvait empêcher de me caresser, non plus que je ne pouvais vivre sans lui ; car pour un moment d'absence, il me comblait à son retour de tant de grâces et de faveurs si tendres et divines que je ne les pouvais supporter ; et j'étais souvent contrainte de crier que je n'en pouvais plus et qu'il se modérât, ou que je mourrais sous le faix de ses grâces ; et pour m'aider à les soutenir, il me fallait souvent tout quitter pour me cacher en quelque lieu retiré, afin de décharger mon coeur par mes larmes et par les louanges que je devais à Sa divine Majesté : autrement il eût fallu mourir d'amour et d'excès de douceur. J'avais beau lui crier que ce n'était pas ses caresses et ses grâces que je demandais, mais lui seul sans autre chose, il fallait les souffrir et les supporter, puisque telle était sa sainte volonté.
« Pour ce qui est de la messe, quand je pouvais y assister, c'était tout mon contentement ; mais comme la plupart du temps j'étais dans les champs, je n'y allais pas souvent et demeurais aussi contente quand je n'y pouvais aller, que lorsqu'on m'y envoyait : l'Amour m'avait appris d'y assister d'esprit quand je n'y pouvais être de corps ; et ainsi il me semblait que tous les matins mon esprit était présent et participait à tous les saints sacrifices qui se disaient ce jour-là ; et quand j'y étais actuellement, je n'avais point d'autre pratique pour l'entendre, que d'aimer celui que je voyais aussi clairement des yeux de la foi que si je l'eusse découvert de ceux du corps ; là il communiquait à mon esprit mille lumières et mille connaissances pour enflammer encore plus l'ardeur que j'avais pour lui, et me faisait exercer toutes les inventions les plus tendres et délicates de l'amour, afin de lui témoigner celui que je lui portais ; il m'unissait et me joignait si étroitement à lui qu'il me semblait être une même chose avec lui ; il tenait mon esprit si occupé en ses divines perfections que quand tout eût été renversé de fond en comble, je ne sais si j'en aurais été détournée ni distraite un moment.
« Il m'enseignait à lui offrir ce saint sacrifice pour diverses fins ; mais spécialement à ce qu'il fût utile à tous ceux qui lors y assistaient, pour lesquelles je priais de grande affection que tous le connussent et l'aimassent ; je priais aussi fort pour les pauvres âmes du purgatoire, pour celles qui sont dans l'état misérable du péché mortel, et pour celles qui étaient sur le point de sortir de ce monde et d'être jugées, pour toutes lesquelles j'avais grande compassion, et voilà en quoi je m'occupais durant la sainte messe. Que s'il était permis de communier, ô Dieu, c'était des désirs, des affections et des ardeurs inconcevables : je n'étais plus moi-même, il semblait que je n'étais que feu et amour ; il me serait impossible de dire maintenant ce qui se passait entre Dieu et moi. Jamais amoureux passionnés n'ont expérimenté de tels effets que ce qui s'opérait lors dans mon âme ; suffit de dire que tout ce qui s'en pourrait penser et dire, n'arrivera jamais à la moindre partie de ce qui en est ; c'était des excès qui surpassent tout entendement créé, l'Amour seul les comprend. Tout le jour que j'avais communié, il me semblait être dans un vrai paradis, ou plutôt que tout le paradis était descendu dans mon âme ; et plus Dieu se donnait à moi, et plus je me livrais à lui, de sorte que c'était comme un flux et reflux continuel de lui à moi et de moi en lui.
« Quant à la confession, hélas, quand je m'y présentais, je fondais toute en larmes d'amour et de contrition avec des ressentiments si tendres et des regrets si sensibles d'avoir offensé mon Dieu, que je ne savais que devenir ; et quoique, par sa grande miséricorde, le plus souvent j'avais peine à trouver de quoi accuser, n'importe, c'était assez de savoir que j'aurais pu l'offenser s'il ne m'avait empêché de le faire ; pour me faire fendre le coeur de regret et de douleur, les fautes qui eussent semblé les plus petites, je les voyais toujours très grandes, étant faites contre une majesté infinie dont la bonté était extrême en mon endroit.
« Quand j'étais au pied du confesseur, il me semblait être à ceux de Dieu mon Père, et là comme un pauvre enfant qui a failli, je m'accusais devant mon Père, et lui criais pardon et miséricorde ; mais avec un coeur si tendre et filial que jamais enfant aimant uniquement son père n'en a eu de plus grand, et ainsi je sortais du confessionnal moralement certaine de mon pardon, ce qui ne servait qu'à me brûler davantage de son amour ; si je remarquais quelque défaut ou mauvaise habitude, ô Dieu, il fallait la rompre tout à l'heure, et prenais à tâche de m'en changer, en sorte qu'à ma première confession, je n'eusse plus de quoi m'accuser en ces matières-là, ce qui arrivait toujours par la grande bonté et miséricorde de l'Amour qui m'assistait et me faisait la grâce de ne tomber jamais en ce que j'avais résolu de me changer.
« La fête et dimanche, après que j'avais ouï une messe, je retournais à mon ménage, et n'en bougeais tout du long du jour, demeurant à la maison afin d'envoyer les autres serviteurs à Vêpres et aux prédications.
« Quand j'assistais au sermon, j'écoutais le prédicateur avec pareil respect et attention que j'eusse fait Dieu même si je l'eusse entendu parler, et demandais à Dieu de tout mon coeur que tous ceux qui y étaient présents, eussent tiré fruit de sa sainte parole, et qu'aucun ne l'a reçût en vain ; je me sentais aussi fortement pressée de prier pour les prédicateurs, à ce que Dieu leur fît la grâce de toucher les coeurs et les attirer tous à son divin amour et service.
« Si dans ces jours l'on eût voulu me faire prendre quelque vain divertissement, je m'en excusais, aimant bien mieux, fuyant tous les autres, jouir de ceux que l'Amour me donnait, qui étaient si grands que souvent je ne pouvais durer ; en sorte qu'il me fallait parfois courir de chambre en chambre et de lieu en autre, et fait mille autres actions pour modérer un peu les caresses que l'Amour me faisait, qui étaient d'autant plus fortes et délicieuses que plus j'étais seule et séquestrée23 de toute conversation ; et quand on s'étonnait de me voir toujours seule à la maison, je disais en moi-même : « Ô si vous saviez la bonne compagnie que j'ai ! Sans doute vous ne me croiriez pas seule. Je ne le suis jamais moins que lorsque je le parais davantage. »
« Ainsi se passaient mes jours, tant ceux des fêtes, où souvent je n'avais pas moins de travail qu'aux autres ; mais rien ne m'importait, tout était indifférent, aussi bien la besogne que le repos, les choses faciles que les pénibles, tout était une même chose, parce que je n'envisageais point ce que je faisais ; et son amour m'occupait si fort qu'il ne me donnait aucun loisir de me considérer, ni rien de ce qui était hors de lui. Que si j'avais failli ou fait quelque chose mal à propos, dès ce moment-là il m'en donnait une si grande douleur et contrition que tout à l'heure il m'en faisait espérer le pardon ; et ainsi je n'y pensais plus si ce n'était pour m'en confesser, si la chose était matière de confession, continuant toujours mon chemin, sans me détourner de côté ni d'autre, ni penser au passé ni à l'avenir, mais seulement à aimer du toute l'étendue de mes forces.
« Quand le soir était venu, qu'un chacun prenait son repos, hélas, le mien n'était point ailleurs qu'entre les bras de l'Amour divin : je m'endormais sur sa sacrée poitrine, comme un enfant fait sur le sein de sa mère ; je m'endormais, dis-je, mais c'était en l'aimant et le louant jusqu'à ce que le sommeil me vînt saisir, et le plus souvent cette force d'amour me réveillait si fort tous les sens que je passais la plupart des nuits sans dormir, et les employais toutes à aimer une bonté si aimable, qui ne me délaissait ni ne m'abandonnait jamais, et qui veillait et était toujours attentive à moi, sa chétive créature. Quand, la nuit, les diables me venaient attaquer pour me surprendre, ce qui arrivait assez souvent durant quelque temps, l'amour me défendait et combattait pour moi, et me faisait cette grâce qu'encore que je fusse endormie (car ils ne s'attaquaient guère à moi, étant éveillée), je leur résistais aussi courageusement que si je l'eusse point été dans le sommeil. »
« Voilà quelle a été la vie d'une pauvre paysanne et d'une chétive chambrière, depuis que l'Amour divin s'est bien voulu charger du soin de sa conduite. Voilà comme il m'a tirée de la misère de mes péchés et ignorances, pour me faire être ce que, par sa grande miséricorde, je suis. Voilà la vie que j'ai menée par l'espace de vingt ans, sans jamais sentir la moindre diminution de l'amour qu'il versa dans mon coeur dès le moment de mon entière conversion ; au contraire tous les jours il s'augmentait de plus en plus, quoiqu'il me semblait que chaque jour je n'en pouvais supporter davantage que ce que je ressentais actuellement. C'est dans son amour infini que je me trouve rassasiée et satisfaite ; et jusqu'à tant que j'en sois venue là, mon âme avait toujours faim, quoiqu'il me semblât n'en pouvoir avoir davantage que ce que j'avais à chaque moment ; or je n'en suis venue là que lorsque, par sa grande bonté, il lui plut m'introduire en sa maison » (elle entendait parler de cette grâce qui est rapportée au chapitre 15 de la première partie).
« Je l'avais, disait-elle, logé l'espace de vingt ans dans la mienne, menant la vie que je viens de dire ; mais après ce temps-là, il m'a fait entrer en la sienne, qui n'est autre que lui-même. Ce qui se passe depuis en moi, est si relevé au-dessus de ce qui était auparavant, qu'il est impossible de le donner à comprendre : la créature semble y être entièrement perdue, l'esprit est si élevé au-dessus de la terre qu’il ne lui semble pas y être, la paix est si profonde et la joie si accomplie qu'il est avis à l'âme qu'elle est déjà entrée dans la paix et dans la joie de Dieu et comme transformée en Dieu.
« Auparavant cette si grande grâce, disait-elle encore, quoique, par la grande miséricorde de Dieu, je ne le perdisse jamais de vue et que mon coeur fût toujours uni à lui par amour, c'était toujours comme deux choses à la vérité bien jointes ensemble, mais qui néanmoins se pouvaient encore séparer. Mais maintenant Dieu a caché la créature, et lui seul paraît : là, il m'a enrichie de ses divines perfections, et m’a fait entrer en ses biens ; il est ma vie et mon tout. Aussi, ne vous étonnez pas de me voir être ce que je suis, et si je ne fais plus que languir et mourir de son amour : il faudrait être pire que les démons pour faire le contraire après tant de grâces et miséricordes que j'ai reçues de Sa divine Majesté, et si j'y manquais, l'enfer ne serait point assez cruel pour me punir ; mais non, il ne permettra pas que jamais ce malheur m'arrive. »
Voilà les termes et les paroles avec quoi cette grande servante de Dieu satisfit aux demandes que je lui avais faites, par où il est aisé de juger de la hauteur et excellence de la perfection où l'Amour divin l'avait conduite ; puisque depuis le premier moment qu'il l’eut choisie pour en faire son ouvrage et sa bien-aimée, il ne la délaissa ni abandonna jamais, mais la conduisit lui-même, la faisant agir en la plus noble et excellente manière dont la créature est capable, qui était, comme il s'est vu, par le motif du pur Amour, qui dans son unité renferme et contient toutes les perfections des autres vertus et pratiques, qui n'ont de mérites que ce qu'elles en empruntent de ce divin Amour.
Jeanne de la Nativité24 est la rédactrice de la seule source existante : « Le Triomphe de l'Amour divin dans la vie d'une grande servante de Dieu nommée Armelle Nicolas […] par une religieuse du monastère de Sainte-Ursule de Vennes. » Nous avons disposé de la deuxième édition à Vannes publiée « chez Jean Galle près le séminaire » en 1676. Ce vaste ensemble couvre huit cents pages. Il est composé d’une « Vie » suivie de « Vertus » selon le plan habituel à l’époque des biographies religieuses à fin de canonisation éventuelle. Ses « dits » nous sont parvenus avec une exactitude rare pour l'époque car sœur Jeanne les a soigneusement délimités par des guillemets.
L’ouvrage fut redécouvert par Pierre Poiret (1646-1719), pasteur piétiste d’origine française qui vécut près d’Amsterdam et fut un grand éditeur de témoignages mystiques25. L’influence d’Armelle s’exerça par cet intermédiaire en Hollande et en Allemagne sur des piétistes et des réformateurs protestants : un disciple de Poiret résume les dits en vers (!) et publie la traduction allemande de J. Chr. Jacobi. Les éditions de Poiret et de ses amis étant distribuées au-delà de la Manche par l’intermédiaire du Dr James Keyth de Londres, la simple fille fit partie de la bibliothèque des disciples écossais de Mme Guyon, Lords Deskford et Forbes. Elle fut lue en Amérique car John Wesley, fondateur du Méthodisme, inséra en 1778 des extraits de The life of Armelle Nicolas dans sa revue l’Arminian magazine.
Les spirituels du siècle des Lumières la mettaient sur le même plan que l’ermite Grégoire Lopez (1542-1596)26 ou que le frère carme convers Laurent de la Résurrection (1614-1691), ce dernier aujourd’hui très largement reconnu pour sa concision, sa simplicité et sa netteté.
« Passe infiniment au-delà de toi » 57
« Tant que tu Me regarderas » 89
Ce qui est fait pour son Amour est une vraie oraison 105
DEUX CHAPITRES DU TRIOMPHE 125
On peut lire sur sa tombe cette épitaphe, composée par un Père jésuite :
Ci-gît le corps
d’ARMELLE NICOLAS
de naissance champêtre et servante de condition,
appelée communément
La bonne Armelle,
et dans la communication ineffable
qu’elle avait avec Dieu,
La fille de l’Amour.
Elle mourut en terre, pour vivre dans le Ciel,
le 24 d’Octobre 1671,
âgée de soixante-cinq ans.
Priez Dieu pour son Âme,
et marchez sur ses pas
en aimant Dieu comme elle.
1 Le Triomphe de l'Amour divin dans la vie d'une grande servante de Dieu nommée Armelle Nicolas, 1676, deuxième partie, chapitre 3 : Tr. II, 3 ; voir en fin du présent volume la « Note sur le présent ouvrage ».
2 Tr. I, 5.
3 Tr. I, 9.
4 Nous pouvons apprécier les écrits de ce groupe mystique grâce à Pierre Champion, La Vie et la doctrine spirituelle du Père Louis Lallemant, Paris, 1694 ; Louis Lallemant, Doctrine spirituelle…, Desclée de Brouwer, coll. « Christus », 1959.
5 Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, tome V, chap. I-III.
6 Tr. II, 12. Grâce que Mme Guyon et bien d’autres auraient appréciée.
7 Tr. I, 10.
8 Tr. II, 12.
9 Tr. I, 15.
10 Tr. I, 16.
11 Tr. I, 18.
12 Tr. I, 17 & 18.
13 Tr. I, 19.
14 Tr. I, 17.
15 Tr. I, 20.
16 Tr. I, 21.
17 Tr. I, 25.
18 Tr. I, 27.
19 Quelques éléments sur ces influences figurent dans la « Note sur le présent ouvrage » terminant ce volume.
20 « Il me souvient qu'elle me raconta qu'un jour une personne de ses familiers lui lut dans la vie de sainte Catherine de Gênes, les chapitres qui traitent de son grand amour ; et qu'entendant cette lecture, il lui semblait que ce même amour avait parfaitement accompli en elle, ce qu'autrefois il avait exercé dans le coeur de cette grande sainte ; d'où elle entra dans un si grand sentiment de reconnaissance et d'amour… » (Tr. II, 3).
21 contre-tirer : copier trait pour trait en calque.
22 fomenter : entretenir
23 séquestrée : isolée
24 Sœur Jeanne dirigea des retraites fondées au couvent en 1672 et fut deux fois supérieure des ursulines de Vannes (1666-1672, 1684-1690).
25 Poiret réédita les deux volumes de l’édition parisienne de 1683, regroupés en seul volume, sous le titre savoureux suivant : L’Ecole du pur Amour de Dieu ouverte aux savans et aux ignorans dans la vie merveilleuse d’une pauvre fille idiote, païsanne de naissance et servante de condition, Armelle Nicolas vulgairement dite la bonne Armelle décédée depuis peu en Bretagne, par une fille religieuse de sa connaissance, A Cologne, chez Jean de la Pierre [Amsterdam], 1704.
26 Espagnol passant de la Cour à la condition d’ermite au Mexique du XVIe siècle, dont les dits, rapportés par son ami Llosa, traduits en France par Arnauld d’Andilly, sont de grande profondeur, au-delà de leur charme exotique.