Dominique Tronc[c1] 

 

LA VIE MYSTIQUE CHEZ LES FRANCISCAINS DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

TOME I

Introductions

Florilège issu de traditions franciscaines

(observants, Tiers Ordres, récollets)


 

PLAN DE LA SÉRIE[c2] 

 

LA VIE MYSTIQUE CHEZ LES FRANCISCAINS DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

I

Introductions et florilège issu de traditions franciscaines (observants, Tiers Ordres, récollets)

II

Florilège de figures mystiques de la réforme capucine

III

Figures mystiques féminines, minimes

Un regard sur les héritiers

Le cadre historique


 

Remerciements

Ce florilège présente les principaux auteurs mystiques franciscains du XVIIe siècle. Je suis très reconnaissant au P. André Derville, s.j., qui m’a introduit, lorsque la bibliothèque de Chantilly était active sous sa direction, à des spirituels franciscains, dont Archange Enguerrand, « le bon franciscain » qui éveilla la jeune Madame Guyon.

Sa structure historique a bénéficié des conseils de Pierre Moracchini : le responsable de la bibliothèque franciscaine de Paris a mis à disposition ses ressources et l’historien propose ici une première synthèse sur l’apostolat des capucins au cœur du royaume de France. Jean-Marie Gourvil souligne l’originalité franciscaine, qui permit la fécondité de ses tiers ordres dans l’activité au service des pauvres.

Des amis ont traduit les extraits d’œuvres incontournables de franciscains non francophones : trois chapitres du Royaume de Dieu dans l’âme du « Jean de la Croix flamand » Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc, par Paul Vanderstuyft ; un aperçu de La Dottrina mirabile d’un mystique napolitain, par Antonella et Alessandro Boellea. Nous remercions Sœur Marie, carmélite, pour ses corrections et suggestions.

Mon épouse Murielle a contribué à l’équilibre du corpus mystique présenté en participant au choix des textes et à leur présentation : l’œuvre est commune.

Avertissement

Nous avons tenté une recension la plus complète possible d’auteurs franciscains modernes mystiques. Cela a conduit à présenter plusieurs dizaines de figures par tome. Chaque figure retenue ne peut alors couvrir qu’un faible nombre de pages, ce qui oblige à livrer pour florilège des extraits les plus courts possibles.

Pour alléger visuellement leur lecture au profit du sens profond, des crochets encadrant les points de suspension qui signalent une omission sont parfois absents. Ceci a généralement lieu en tête et en fin de citation ou autour d’un ou quelques termes qui la précèdent en la situant. Toute omission au sein d’un paragraphe ou d’une longue phrase est par contre dûment signalée entre crochets.

On donne aussi entre crochets les paginations d’origine, ce qui assure un retour possible aux sources, étape le plus souvent nécessaire à l’occasion d’une reprise de citation pour un autre travail.

L’omission d’un saut de paragraphe propre à la source est signalée par « / » lorsqu’ils sont regroupés ici en un bloc unique.

L’orthographe et la ponctuation sont rendues conformes à l’usage actuel, mais la règle première de respect des sources est observée : aucun mot n’est remplacé par un synonyme (ce qui n’exclut pas d’en proposer en note explicative).

Les précisions précédentes rendent compte de libertés prises pour condenser en mille pages lisibles une première exploration de multiples trésors de même valeur mystique rédigés récemment en comparaison de la longue histoire franciscaine.


INTRODUCTION

Présentation générale

Toute « médecine de l’âme » s’appuie sur un exposé didactique. Il ne faut pas l’interpréter comme un chemin spirituel imposé. Il doit être associé au témoignage d’une expérience profonde chez l’écrivain mystique authentique. Ce dernier ne se soucie pas de bâtir une œuvre. Son écriture est suscitée par la demande : besoins de ceux qui l’entourent, requête du confesseur, correspondants en recherche de direction spirituelle.

Souvent cela conduit à rédiger un manuel qui fait fi de toute élégance littéraire. Ceci expliquerait l’oubli très étonnant depuis trois siècles de certains des textes que l’on va découvrir ; car leur qualité didactique, leur précision psychologique, leur souci de complétude, leur richesse et leur subtilité sont uniques.

Nos choix sont spécifiques du vécu mystique, ce qui réduit fort heureusement le champ exploré. Il s’agit de fournir une nourriture de l’âme. Notre sélection laisse de côté des aspects ascétiques et religieux et ne tente pas de rendre compte de toutes les influences exercées à l’époque au sein de la société dévote. Certains lecteurs seront surpris par l’absence de noms appartenant à la constellation franciscaine, qui ne sont pas inconnus par ailleurs[1]. Cependant, l’élagage accompli, il reste plus de trente figures à faire revivre !

Les pages choisies au sein de cette vaste littérature dormante de direction mystique rédigée au Grand Siècle sont distribuées selon leur appartenance aux « religions » franciscaines, puis aux capucins. Nous y rattachons quelques figures qui n’appartiennent pas directement à une branche franciscaine, mais qui témoignent de leur influence : une religieuse bénédictine disciple très fidèle à l’enseignement de Benoît de Canfield, deux minimes. Les branches franciscaines traditionnelles sont présentées selon une succession chronologique au sein de chaque « religion ». Les capucins, très présents car issus d’une réforme mystique encore récente, sont répartis en trois groupes successifs : fondateurs, extension européenne, défenseurs de la mystique.

Nous avons tenu à présenter les très rares aspects biographiques personnels qui nous sont parvenus sans insister sur des fonctions[2] ni sur l’importance attribuée à l’époque[3]. Cette approche « personnaliste » est complétée par quelques études historiques : « L’Humus » est un rapide survol des siècles qui forme le lien avec les origines franciscaines en privilégiant quelques figures mystiques. L’étude de Pierre Moracchini, « Un Grand Siècle à Paris (1574-1689) », propose pour la première fois une synthèse, certes limitée au cœur du Royaume mais qui permet ainsi d’inclure des informations précises touchant à la vie des communautés. Il nous faire ainsi vivre aux côtés de nos auteurs. L’approche de Jean-Marie Gourvil s’attache à des « avantages » franciscains.

Ce florilège reste lacunaire puisque, à raison d’une vingtaine de pages pour une quarantaine d’entrées ou auteurs, elle ne peut rendre la richesse et l’architecture d’ouvrages de tailles souvent considérables, dépassant parfois mille pages. Car nombreux sont les capucins qui rédigent leur « manuel » : parfois c’est le seul ouvrage issu de leur main et ils le veulent alors complet, en tirant le meilleur parti de leur expérience !

Pour nous, le choix ciblé de leurs « bonnes feuilles » s’impose, car un résumé qui ne pourrait reprendre qu’une ossature commune à beaucoup ne présente pas d’intérêt. Les spirituels ne sont généralement pas des maîtres logiciens ; ils évitent même toute originalité au niveau des idées ou dans l’ordre des matières. Leur dessein et leur valeur sont autres : celui d’être des témoins et des guides avertis par leur expérience propre assistée de celle acquise dans une fonction de directeur.

Le parfum qui témoigne de la réalité de l’expérience est donc rendu ici par des « extraits sensible au cœur ». Nous pouvons établir quelque parallèle avec le domaine poétique où l’approche anthologique est généralement acceptée ; car les mots (essentiellement le vocabulaire de l’amour, assez pauvre dans notre langue) sont communs à tous ; et l’essentiel, qui distingue les mystiques de la masse des « spirituels », tout comme les bons poètes se distinguent des versificateurs, passe entre les mots.

La succession des œuvres, les « perles du collier », est proche de la séquence établie en comparant les dates de décès de leurs auteurs. Toutefois quelques-uns d’entre eux ont préparé tôt un texte qui, ayant circulé, s’est avéré source de problèmes — et ils s’en sont tenus là. Tel est le cas de Benoît de Canfield : sa Règle ne parut qu’en 1608, peu avant son décès, mais fut rédigée avant 1593. La majorité des auteurs a répondu tardivement, souvent à la demande de certains fidèles qui les entouraient, pour composer des textes publiés parfois après leur mort, mais qui circulaient auparavant par des copies manuscrites.

La juxtaposition des figures ne permet pas de poser les bases d’une « école mystique » qui serait commune à tous, sinon par l’adoption de certaines formes où jouent les influences des théologies de « grands anciens », tel Bonaventure. De telles tentatives où l’on rassemble des individus dans des écoles restent intellectuelles et extérieures (car basées sur les textes écrits, voire des règles), donc secondaires au vu de l’orientation « intérieure » qui nous intéresse.

Nous constatons une richesse concentrée au sein de quelques réseaux et discernons parfois des filiations. La vie mystique est en effet grandement facilitée par les influences qui relient une génération « d’anciens » à la génération montante : elles s’exercent de personne à personne au sein des réseaux, dans ou hors des structures, tandis que les influences indirectes par les écrits demeurent des incitations utiles, mais secondaires (à l’exception de correspondances qui doublent un lien personnel). Retrouver la trace de filiations est une autre façon d’amorcer de futures synthèses associant les figures individuelles.

Mais les nœuds propres à de tels réseaux sont reliés difficilement entre eux pour plusieurs raisons, même lorsque l’on a relevé de très nombreuses figures (environ quarante entrées auxquelles s’ajoutent de multiples figures intermédiaires citées). La durée est longue si l’on inclut tous ceux qui ont connu le XVIIe siècle : quatre générations se succèdent[4]. L’espace est vaste, car il comprend les régions limitrophes francophones du Royaume. Enfin, le grand nombre des franciscains du XVIIe siècle rend la reconnaissance entre mystiques aléatoire. Nos auteurs restent donc, du moins à nos yeux, souvent isolés les uns des autres, sauf quelques « paires » d’amis qui amorcent des filiations dont les autres chaînons sont perdus.

L’espace que nous accorderons à chaque nœud ou figure est tantôt court, tantôt long. Cette inégalité dans les volumes des textes retenus ne reflète pas toujours l’importance que nous attribuons à tel ou tel. Nous avons accordé plus d’espace à des auteurs dont les écrits demeurent rares ou manuscrits. Les figures principales bénéficient d’une section séparée, quelle que soit la dimension allouée au sein de la section qui leur est allouée (titres de second niveau).

Si l’Anglais d’origine Benoît de Canfield est reconnu assez largement, ou si le Rhéno-Flamand Constantin de Barbanson a toujours bénéficié de la grande estime de trop rares lecteurs, les mystiques que nous présentons à leurs côtés ne déméritent pas. Des Français plus cachés, car tardifs dans l’histoire de leur « religion », présentent l’avantage d’une écriture plus littéraire et claire que celles de Benoît ou de Constantin[5].

Ce panorama ne peut être une « histoire de… », dans la mesure où des figures marquantes sont ici absentes quand elles n’ont pas ou peu laissé de traces rédigées (tel est le cas d’Ange de Joyeuse, contemporain de Benoît de Canfield). Surtout, notre orientation, qui se veut mystique laisse de côté ceux qui se limitent volontairement (ou non, puisqu’un mystique ne cherche pas à réaliser une « œuvre » littéraire) aux premiers pas du pèlerinage en faisant la part belle à la méditation et à la préparation ascétique (les capucins de l’époque sont champions dans ce domaine, même s’ils ne s’y attardent pas !) Enfin nul doute que de nombreux trésors ne restent à découvrir, peut-être en imprimé, certainement en manuscrit, et particulièrement dans le monde féminin.

Un choix « mystique »

Qu’entendons-nous par mystique ? Terme ambigu, dont l’usage fut souvent détestable, tandis que spirituel recouvre un champ trop vaste.

Pour en cerner des contenus, nous renvoyons à une liste de figures connues : avant l’an 1600, proposons, toutes appartenances confondues, les noms choisis de Guillaume de Saint-Thierry, de François d’Assise et d’Angèle de Foligno, de Ruusbroec, de Tauler, de l’auteur du Nuage d’inconnaissance, de Catherine de Gênes, de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix… Cette liste privilégie la vie intérieure sobre où les phénomènes ne font qu’accompagner l’entrée dans la vie mystique, telle par exemple l’événement mis en avant par le « frère copiste » proche d’Angèle de Foligno[6].

Dans le florilège que nous proposons, un large champ religieux est écarté pour que puissent émerger des auteurs dont l’expérience peut répondre aux besoins d’un chemin intérieur déjà engagé. Les très nombreux textes ascétiques introductifs, ou bien chargés par des descriptions de phénomènes, seront ignorés, même s’ils peuvent avoir été rédigés par d’authentiques mystiques. Car ceux-ci répondent à la demande mais ne la précèdent pas.

D’où vient l’unité vécue sous-jacente à la diversité des conditions franciscaines ? Un franciscain récent explique[7] qu’en vue d’apporter une réponse au défi du temps jadis, celui de la réforme protestante, « par une qualité plus élevée de la vie chrétienne catholique », tous voulaient « faire un message de leur vie spirituelle ». Mais au-delà de cette émulation, placée ici à un niveau honorable, quelques thèmes sont-ils récurrents chez nos auteurs ?

Dans une perspective chrétienne, comme « l’homme est trop faible et trop insuffisant pour aller tout droit à la volonté essentielle de Dieu, il a besoin de passer par la médiation du Verbe incarné […] réalisation de cette volonté aimante de Dieu sur sa créature ». Pour un capucin comme Benoît de Canfield, importe d’abord « l’aspect mystique de la volonté de Dieu dans cette identification de la volonté de Dieu à Dieu lui-même ».

Le charisme particulier qui rassemble ceux inspirés par l’exemple de François d’Assise, et qui est attesté dans des biographies de franciscains de cœur comme de bure, est celui de la « vertu de pauvreté ». En témoigne Angèle de Foligno qui, après l’événement « excessif » de sa rencontre avec l’Amour auquel nous venons de faire référence, donne tous ses biens. La pauvreté matérielle demande une pauvreté du cœur qui suppose la désappropriation du moi, mais qui n’est rendue possible que par le don de la grâce divine. Elle répondait chez François d’Assise à la « disposition qui le maintenait dans la présence de Dieu et dans le sentiment de sa dépendance, avant d’être une série d’actes et d’élévations »[8].

Dame Pauvreté est servie dans la joie par une confiance qui répond à l’appel divin.

Résumé de l’ouvrage

Tome I. Introduction & figures mystiques des traditions franciscaines

L’INTRODUCTION se termine par une présentation synchronique en un tableau couvrant plus de vingt figures datées, chacune accompagnée d’un titre d’œuvre également daté. Elles couvrent quatre générations.

L’HUMUS est un survol rapide reliant le siècle de saint François, qui a été traditionnellement fort bien étudié, au XVIIe siècle, lui, resté ignoré ! Il relève quelques figures mystiques fondatrices, pierres posées sur un long chemin de près de quatre siècles. Des liens directs entre les figures, privilégiant les plus récentes du XVIIe siècle, sont repris dans une table des familles, agrémentée d’un arbre et suivie d’une esquisse de réseaux.

La majeure partie du tome I est structurée autour des appartenances religieuses le plus vénérables (premier niveau de titres) en privilégiant leurs figures mystiques qui se succèdent au fil du temps (second niveau de titres).

Les OBSERVANTS étaient nombreux, mais ne nous ont apparemment guère laissé de traces mystiques. L’importante cohorte des « cordeliers » est ici évoquée brièvement par deux figures : Pierre Petit est un ancêtre retenu parce qu’il exprime une dévotion populaire inchangée depuis le Moyen Âge et largement vécue jusqu’à la fin du Grand Siècle ; Pierre David regrette l’indifférence de ses condisciples quant à leur intérieur.

LES TERTIAIRES RÉGULIERS (Tiers Ordre régulier ou TOR) et les tertiaires laïcs (TO) sont introduits par leur règle commentée… et des billets de Noël : un aspect sévère est ainsi tempéré par l’humour.

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646) est le plus grand de ceux que l’on nommait familièrement tiercelins. Son œuvre est brève, rassemblée après sa mort par des disciples de l’école normande de l’Ermitage fondée par Jean de Bernières, et éditée par ce dernier. Nous donnons ici un choix de ce rigoureux directeur, après avoir reconstitué partiellement le corpus de ses écrits.

Ses dirigés comptèrent dans leurs rangs deux figures fortement marquées par des franciscains : le mystique Jean de Bernières (1602-1659), laïc du Tiers Ordre et Catherine (ou Mectilde) de Bar (1614-1698), annonciade avant de devenir fondatrice bénédictine ; ils sont étroitement en relation. Celui qu’ils appelaient « notre bon Père Chrysostome » contribua à faire naître un vaste réseau spirituel illustré en Nouvelle-France par l’ursuline Marie de l’Incarnation. Plus tard dans le siècle, Jean inspira par l’intermédiaire de Monsieur Bertot les belles figures de Madame Guyon et de Fénelon.

Parmi les nombreux disciples, le « pauvre villageois » et tertiaire Jean Aumont (1608-1689) est l’auteur de L’Ouverture intérieure du royaume de l’Agneau occis dans nos cœurs (1660), ouvrage parfois obscur, mais profond et savoureux. Cette vaste famille d’inspiration franciscaine, s’étendant du Canada à la Pologne, dont nous ne venons de citer que les principaux noms ayant laissé des écrits mystiques, est regroupée ici sous le titre « L’École du cœur ».

Jean-Marie de Vernon, historien du TOR et ami d’Épictète, nous présente un recueil aménagé à partir de lettres, élévations, défis, billets et documents spirituels issus de la sœur carmélite (première) Marguerite du Saint-Sacrement (1590-1660) ainsi qu’une attachante Mère Françoise de Saint-Bernard, clarisse.

Enfin Paulin d’Aumale fut définiteur du TOR. Il nous est parvenu sous forme manuscrite quelques traités de sa composition, dont la Défense de l’oraison de pure foi, devenue très nécessaire lorsque les auteurs dominants la fin du siècle font la critique de toute « mystiquerie ».

La branche des RÉCOLLETS est bien présente, car elle est née de communautés où les récollections « en désert » prenaient une large place. Des couvents avaient été désignés à cet effet en Espagne en vue « d’intérioriser » les nombreux franciscains de la commune observance.

Séverin Rubéric, est un frère mineur « passeur » en France de cette réforme. Il est demeuré discret car quelque peu isolé en Guyenne. Il rédigea des Exercices [] sur la voie d’amour (1623), un bref, mais beau texte. Le Chrétien uni à Jésus-Christ au fond du cœur (1667), du récollet Victorin Aubertin (1604-1669), décrit avec précision le vécu mystique de l’oraison. Éloy Hardouin de Saint-Jacques (1612 ?-1661), auteur d’une Conduite d’une âme dans l’oraison depuis les premiers jusques aux plus sublimes degrez (1662), se distingue par son exposition très structurée, à laquelle on reprocherait peut-être trop de précision si nous en donnions l’intégralité. Elle vise à l’union mystique.

Des extraits d’une correspondance de direction présentent une figure qui, de par son appartenance aux récollets est ici séparée de son inspirateur Jean Aumont, tertiaire régulier : il s’agit d’Archange Enguerrand (1631-1699). De retour de l’Alverne, le lieu où se retira François stigmatisé, le « bon franciscain » éveilla la jeune Madame Guyon à la vie intérieure. Ses lettres de direction adressées à une religieuse aux prises avec un tempérament scrupuleux et plongée dans la nuit spirituelle sont restées jusqu’à maintenant manuscrites : elles méritent un meilleur sort.

Maximien de Bernezay, l’auteur resté caché de Traités de la vie intérieure (1685) ferme chronologiquement nos textes écrits par des récollets. Il n’est cependant pas le dernier en qualité intérieure !

Tome II. Figures mystiques de la réforme capucine

Les FRÈRES MINEURS CAPUCINS formaient la cohorte première en nombre devant celles de tous les autres ordres religieux. Cette réforme capucine est représentée ici par plusieurs maîtres des novices.

La lacune relative à ce courant a été reconnue et soulignée par Henri Bremond qui déclare dans son Histoire littéraire du sentiment religieux : « Leur juste place n’a pas encore été faite aux capucins dans l’histoire de la renaissance que nous racontons », alors qu’« ils ne le cèdent à personne, et néanmoins très peu les connaissent »[9]. Bremond n’a pu combler cette lacune, tant était large le domaine qu’il explorait, et son exposé peut sembler parfois arbitraire quant à l’importance qu’il attribue à telle ou telle figure[10]. Mais rares sont ceux qui depuis font revivre par leurs travaux des auteurs ne figurant pas dans son exploration qui reste inégalée.

Le trésor s’ouvre sur des extraits de la Règle de Benoît de Canfield, lue tout au long du siècle dans sa version corrigée de 1609. Des extraits de Constantin de Barbanson et d’autres capucins jusqu’à ceux de l’auteur du vaste traité intitulé Le Jour mystique, trésor capucin publié en 1671, exposent les couleurs de la lumière intérieure. Mais à la fin du siècle la source capucine est tarie[11]. Son courant a circulé en France un siècle durant (~1580 à ~1680), aux côtés de celui de la quiétude, de ceux des deux Carmels, dont on connaît surtout celui issu de la réforme espagnole illustrée par Thérèse d’Avila et Jean de la Croix, et de quelques filets d’eau mystique coulant chez les bénédictins, les jésuites, les sulpiciens. Plus précisément on distingue trois « périodes » :

La liste des FONDATEURS commence par Benoît de Canfield, dont la Règle (1608) est largement citée, avec un choix effectué surtout sur sa troisième partie, sommet de l’œuvre : nous reproduisons assez largement des textes extraits de l’édition corrigée qui fit autorité durant le siècle[12]. Nous lui associons une bénédictine, la réformatrice de Montmartre Marie de Beauvilliers, car elle exprime simplement son enseignement.

Archange de Pembroke a dirigé la Mère Angélique Arnauld. Le « Père Joseph » mérite mieux que d’être seulement reconnu comme « l’éminence grise » de Richelieu.

L’Exercice des trois clous (1635) de Martial d’Étampes mérite de même mieux que ce que son titre pourrait suggérer à tort d’ascèse excessive : l’étrange référence aux clous s’explique simplement par le titre canonique de « filles de la Passion » qui fut donné aux capucines d’Amiens, dont Martial était le confesseur. Quelques citations extraites de lettres et le Traité du silence soulignent la ferme douceur du directeur[13]. La Vraie Perfection (1635 à 1660) de Jean-François de Reims prend naturellement le relais. Cet auteur organisé et abondant, disciple de Martial, améliore sur vingt ans un ouvrage dont le volume est quadruplé… tout en conservant le même titre[14] !

Enfin cinq figures de capucins spirituels plutôt que mystiques complètent et prolongent cette « première vague » capucine.

UNE EXTENSION EUROPEENNE groupe trois figures étrangères de larges influences qui, par hasard ou sous l’effet d’une latence dans la diffusion capucine en Europe, s’avèrent être presque contemporaines. Elles se retrouvent ainsi naturellement regroupées après les fondateurs ou « défricheurs », mais avant les avocats « défenseurs » de la mystique :

Gregorio da Napoli (1577-1641), quasi-inconnu dont un manuscrit fut redécouvert récemment, établit dignement une suite aux grands fondateurs capucins italiens et nous permet ainsi d’honorer leur pays d’origine. De brefs extraits traduits de son texte rendent compte d’un lyrisme transalpin.

Constantin de Barbanson (1582-1631) est présenté largement compte tenu de son extrême importance et de la rareté des sources. Des extraits remarquables (jamais édités) du manuscrit intitulé Secrets sentiers de l’esprit divin précèdent deux chapitres des Secrets sentiers de l’Amour divin (1623). Nous avons dû sacrifier ici l’Anatomie de l’âme (1635), imposante merveille jamais rééditée depuis les années où l’anatomiste Harvey découvrait la circulation du sang… Constantin est un auteur difficile, à talent métaphysique, muni d’une vaste culture, ayant accès aux auteurs d’outre-Rhin. Il présente des observations que l’on ne trouve nulle part ailleurs. L’influence de Constantin fut notable sur le spirituel anglais bénédictin Augustin Baker[15], comme sur des religieuses capucines de Douai.

Le Royaume de Dieu dans l’âme de Jean-Evangéliste de Bois-le-Duc (1588-1635), écrit et publié en flamand en 1637, lui mérita l’insigne surnom de « Jean de la Croix flamand ». Nous en présentons trois chapitres traduits ici pour la première fois.

Suivent des DÉFENSEURS DU VÉCU MYSTIQUE, capucins qui assurèrent la tâche périlleuse d’être avocats de la vie mystique dans un second demi-siècle devenu critique vis-à-vis de tout « irrationnel ».

Simon de Bourg-en-Bresse, auteur de Saintes eslevations de l’âme à Dieu par tous les degrez d’oraison (1657), est un optimiste qui nous éveille à la possibilité d’atteindre « tout le blanc[16] et le but ». Peu augustinien, point théoricien, c’est un bon médecin spirituel.

Pierre de Poitiers est l’auteur du Jour mystique (1671), remarquable et très ample traité qui s’avère par ailleurs être l’une des références fréquemment citées dans les Justifications de Madame Guyon. Nous en avons sélectionné des fragments présentant la voie mystique. Cette somme claire, complète, profonde, apportant toute la lumière nécessaire pour la défense des mystiques[17], achèverait-elle la série des grands ouvrages didactiques de théologie mystique ?

Paul de Lagny, missionnaire capucin au Levant, termina sa vie à Paris au service des pauvres. Il est remarquable par son dernier ouvrage, Le Chemin abbrégé [sic] de la perfection chrétienne (1673).

Alexandrin de La Ciotat est un frère mineur capucin qui remplit la charge de gardien dans plusieurs couvents de Marseille ou de sa région. Son ouvrage unique, Le Parfait Dénuement de l’âme contemplative… (1680) fut apprécié par son ami le Père Piny, méditerranéen comme lui.

Franciscaines, minimes, regard sur les héritiers. Cadre historique.

La moitié du genre humain a été occultée jusqu’ici (à l’exception de la bénédictine disciple de Benoît de Canfield) : nous réparons cette injustice en présentant quelques figures FRANCISCAINES qui appartenaient aux communautés des clarisses, des capucines, des récollettes, des annonciades. Malheureusement, l’usage d’éditer leurs écrits apparaissait contraire à l’esprit de pauvreté[18], tandis que l’exploration de fonds manuscrits reste à faire.

L’ordre des MINIMES est présent. Nous ne voulions pas oublier ces « cousins » de la famille franciscaine auxquels, trop peu nombreux, on ne pourrait consacrer un volume séparé. Mersenne fut l’intellectuel illustre. Mais l’ordre inclut des spirituels comme le « frère poète » Nicolas Barré, dont les manuscrits ont été redécouverts récemment, ou comme Boniface Maes, un flamand qui exerça une large influence par sa brève Théologie mystique (1668) ; elle est présentée en termes certes traditionnels, mais simples, clairs et attirants.

UN REGARD SUR LES HÉRITIERS prolonge jusqu’en 1789 une tradition stabilisée, en incluant deux spirituels qui sinon demeureraient peut-être oubliés, et en soulignant l’existence de successeurs d’une École du cœur déjà abordée. Car le crépuscule des mystiques[19] est à interpréter comme sortie d’une langue et d’un corps de croyances plutôt que du vécu d’une réalité divine.

LE CADRE HISTORIQUE nous permet d’entrevoir le cadre et les conditions dans lesquelles vécurent nos mystiques : trois études complètent le florilège.

Jean-Marie Gourvil propose un aperçu de sociologue. Dans UN GRAND SIÈCLE FRANCISCAIN À PARIS (1574-1689), Pierre Moracchini défriche la complexité d’un ensemble de communautés bien vivantes dans la capitale du premier état centralisé d’Europe, sans négliger des détails révélateurs d’influences modelant les individus. Son exploration se conclut par un tableau très neuf classant les communautés franciscaines établies à Paris au milieu du siècle. Une exploration du NÉCROLOGE franciscain couvrant la région d’Île-de-France livre des extraits biographiques.

L’annexe TURBA MAGNA suggère l’immensité au sein de laquelle se détache la toute petite minorité des figures retenues. Elle fournit des listes d’auteurs franciscains consultés pour retenir dans ce florilège de rares témoignages mystiques.

 

Au-delà du XIIIe siècle fondateur, sur lequel l’effort des historiens à la recherche de la spiritualité franciscaine s’est porté très largement, près de quarante visages livrent ici leurs témoignages mystiques. Ce « manuel » en trois tomes suggère l’intérêt de certaines œuvres comparables aux plus grandes. Elles mériteront d’être éditées intégralement[20].

L’ouverture au tome I sous le titre Humus souligne les influences du Flamand van Herp ou Harphius, des espagnols Laredo et Pierre d’Alcantara, tandis que le tome III évoque des fondateurs du Grand Siècle franciscain : il s’agit de Pierre Deschamps, de Matthias Bellintani de Salo et du réformateur du TOR Vincent Mussart.

Le premier florilège présente les observants Pierre Petit et Pierre David ; les tertiaires Jean-Chrysostome de Saint-Lô, Catherine de Bar et Jean de Bernières, Jean Aumont, Jean-Marie de Vernon et Paulin d’Aumale ; les récollets Séverin Rubéric, Victorin Aubertin, Éloy Hardouin de Saint-Jacques, Archange Enguerrand, Maximien de Bernezay.

Le florilège du tome II présente les capucins Benoît de Canfield (et la bénédictine Marie de Beauvilliers), ainsi que d’autres figuressouvent mal reconnues : le « Père Joseph » en tant que spirituel, Martial d’Étampes et Jean-François de Reims, Gregorio da Napoli, Constantin de Barbanson, Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc, Simon de Bourg-en-Bresse, Pierre de Poitiers, Paul de Lagny, Alexandrin de la Ciotat…

Le florilège s’achève au tome III par des franciscaines, les minimes Nicolas Barré et Boniface Maes, des figures « isolées » au siècle suivant. Deux listes soulignent la présence « en toile de fond » d’une turba magna. Elles précèdent index et table générale.

La PRÉSENTATION SYNCHRONIQUE SELON LES ŒUVRES du tableau infra permet de situer les figures selon quatre générations ou quarts de siècle. Plus de vingt auteurs se répartissent chronologiquement, en suivant les dates de parution d’œuvres jugées essentielles. Ils figurent de gauche à droite en quatre groupes ou colonnes[21]. On remarque une forte concentration autour de 1635 : cinq œuvres sont publiées entre 1630 et 1637, dont trois pour la seule année 1635 ! Par contre aucune nouvelle œuvre n’est publiée entre 1637 et 1651, probablement par suite de conditions historiques défavorables : années de guerre ouverte entre 1635 et 1642 et minorité royale de 1642 à 1648.

Il semble que les années postérieures à 1673 soient de nouveau arides. Les effets d’un anti-mysticisme croissant et d’un contrôle du monde religieux particulièrement visible contre les protestants (premiers édits en 1679), contre Port-Royal (dispersion des Solitaires la même année 1679), bientôt contre les « quiétistes » (1687 puis 1699), ont sûrement beaucoup contribué à ce crépuscule. Il n’est qu’apparent : les mystiques existent mais se cachent ! Il faudrait compléter notre quête puisant dans les imprimés par l’exploration de fonds manuscrits en voie de disparition.


PRÉSENTATION SYNCHRONIQUE SELON LES ŒUVRES DES

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PREMIER QUART DE SIÈCLE

Benoît de Canfield (1562-1610)

Règle (1608-1609)

 

 

DE 1623 A 1637 (SECOND QUART DU XVIIe SIÈCLE)

[Marie de Beauvilliers (1574-1657)

Exercice divin (1631)]

Gregorio da Napoli

La Doctrine admirable (c. 1622)

Constantin de Barbanson (1582-1631)

Secrets Sentiers (1623), Anatomie de l’âme (1635)

Martial d’Étampes (1575-1635)

Traité très facile (1630), L’Exercice des trois clous (1635)

Jean-François de Reims (-1660)

La Vraie Perfection (1635)

Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc (1588-1635)

Het Ryck Godts…/The Kingdome of God in the soule (1637-1639)

Séverin Rubéric ( † après 1625)

La Voie d’amour (1623)


 

PRINCIPAUX MYSTIQUES TOUTES BRANCHES CONFONDUES[c3] 

DE 1651 A 1673 (TROISIÈME QUART DE SIÈCLE)

Jean-Chrysostome de Saint-Lô (1594-1646)

Une anthologie spirituelle (1651), La Vertu d’abjection (1655)

[Jean de Bernières (1602-1659), laïc du Tiers Ordre

Le Chrétien intérieur (1660), Œuvres spirituelles (1671)]

Simon de Bourg-en-Bresse († 1694)

Saintes Eslevations de l’âme à Dieu par tous les degrez d’Oraison (1657)

Le « pauvre villageois » Jean Aumont († 1689)

L’Agneau occis dans nos cœurs… (1660)

Le « bon franciscain » récollet Archange Enguerrand (1631-1699)

Œuvres et lettres (manuscrits)

Eloy Hardouin de Saint-Jacques (1612 ?-1661)

Conduite d’une âme dans l’oraison (1661)

[Le « frère minime et poète » Nicolas Barré (1621-1686)

Poèmes (manuscrits)]

Victorin Aubertin (1604-1669)

            Le Chrétien uni à Jésus-Christ au fond du cœur (1667)

            [Boniface Maes (1627-1706)

Théologie mystique (1668)]

Pierre de Poitiers († 1683)

Le Jour mystique (1671)

Paul de Lagny († 1694)

Le Chemin abrégé de la perfection (1673)

 

DERNIER QUART DE SIÈCLE

Alexandrin de La Ciotat

Le parfait dénuement… (1680)

Maximien de Bernezay

Traités de la vie intérieure (1685)

Jean-Marie de Vernon († apr. 1686)

Conduite chrétienne et religieuse… (1687)

Paulin d’Aumale

Discours du Dieu seul (c. 1690 ?)


 

Figures mystiques du XIVe au XVIe siècle

Les franciscains sont répartis en multiples branches, dont nous allons retrouver certaines fortes actives au XVIIe siècle : il s’agit des tertiaires réguliers, des récollets, des capucins. Une telle diversification en plusieurs « religions » ne s’est pas faite sans peine, mais elle démontre la vitalité du grand mouvement issu de François d’Assise.

L’évocation de quelques figures attachantes des XVe et XVIe siècles — nous omettons les grandes figures fondatrices antérieures du XIIIe siècle, si intensément étudiées qu’elles font méconnaître les suivantes — illustre le thème dominant qui caractérise la spiritualité franciscaine : une pauvreté ascétique, mais vécue dans la joie. Des individualités diverses et fortes sont les ouvriers d’une renaissance franciscaine multiforme qui succède à la période troublée et en déclin du XIVe siècle[22].

Nous avons retenu les figures suivantes : Harphius (1400-1477), dont l’influence considérable transmettra au XVIIe siècle la mystique flamande de Ruusbroec (1293-1381) ; une figure italienne, le fondateur des minimes François de Paule (1416-1507), parce que nous inclurons des minimes ; des figures espagnoles, dont le frère laïc médecin Bernardino de Laredo (1482–c.1540), et le rénovateur des conventuels déchaussés Pierre d’Alcantara (1499-1562), apprécié de Thérèse d’Avila.

Le réseau des influences qui sous-tend l’« invasion mystique » de la France se constitue avant même la fin de l’affrontement au sein du Royaume entre catholiques et réformés. Les pénétrations viennent d’Italie en ce qui concerne l’implantation des capucins et des tertiaires réguliers ; d’Espagne, semble-t-il, par les récollets qui s’implantent dans le Sud-Ouest, par la réforme carmélitaine liée aux « déserts » franciscains et précisément à Pierre d’Alcantara ; enfin des plaines nordiques rhéno-flamandes, par l’intermédiaire de nombreux livres traduits par des chartreux ou par des laïcs.

Une table des familles franciscaines et de leurs influences donnée à la fin de cet aperçu rappelle quelques grands noms précédant l’an 1600, puis situe par générations de trente ans les auteurs que nous présenterons (ils sont alors soulignés), accompagnés de quelques-unes des figures qui ont bénéficié de leur influence. Les franciscains ont donné naissance à de nombreuses branches, dont les trois vivantes du point de vue mystique au XVIIe siècle sont les capucins, les tertiaires (réguliers et séculiers), les récollets. Les minimes sont des cousins de la famille franciscaine. La table est suivie d’un arbre des réformes de l’Ordre des frères mineurs qui appartient à l’imagerie pittoresque des représentations traditionnelles. Le faîte d’un robuste chêne enraciné sur six vertus est constitué par la branche capucine, dont les membres seront les franciscains les plus actifs en France au XVIIe siècle.

Premier essor

Après la mort de François d’Assise en 1226 apparaissent deux tendances, celle des « Spirituels », qui veulent maintenir l’idéal de perfection du fondateur, et celle de la « Communauté », tendance majoritaire qui n’observe plus littéralement sa Règle et son Testament, favorise la fondation de grands couvents et assouplit la pratique de la pauvreté. Bien des problèmes pratiques s’opposaient en effet à la stricte pauvreté matérielle, sans compter la sirène attirante offerte par l’étude intellectuelle. Le règne « efficace » de frère Élie, de 1232 à 1239, n’arrangea rien. Celui, sensé, de saint Bonaventure, de 1257 à 1274, ne put récupérer une situation tendue[23].

En 1282 on relève plus de quarante mille religieux répartis en près de mille six cents maisons, ce qui n’est plus compatible avec l’idéal des débuts et conduit à une organisation rigide. L’affrontement entre « idéalistes » et « réalistes » est tranché en faveur de la « Communauté » par Jean XXII, le pape sous lequel eut lieu le procès d’Eckhart ; la situation pouvait être réglée pacifiquement par une division de l’Ordre, ce qui se produira plus tard.

Quatre figures illustrent l’apogée franciscaine. Deux théologiens : Bonaventure (1221-1274), auteur d’un corpus abondant auquel appartient l’Incendium amoris exposant la triple voie[24] et Raymond Lulle (1232-1316), voyageur à la vie mouvementée, auteur lyrique aussi bien que théorique quelque peu négligé aujourd’hui[25]. Deux mystiques : Jacopone da Todi (c. 1236-1306), procureur légal et notarial, pénitent après la mort brutale de sa jeune femme, franciscain proche des spirituels, excommunié, emprisonné, retiré près d’un couvent de clarisses, est l’auteur le plus admiré de Laudes, forme poétique ouverte par le Cantique des créatures de François[26] ; Angèle de Foligno (1248-1309) dictera le récit de sa vie à frère Arnaud, franciscain, selon des « pas » ou étapes intérieures ; deux périodes sont séparées par une expérience très forte d’amour divin survenue lors d’un voyage à Assise en 1291 et suivie de son entrée dans le Tiers ordre[27].

Puis la société européenne est troublée par l’arrivée de la peste au milieu du XIVe siècle et par le schisme avignonnais : l’ordre franciscain connaît la stagnation.

Familles franciscaines

Aux conventuels, terme qui désigne ceux qui adaptent l’idéal de pauvreté aux contingences permettant l’organisation de la croissante foule franciscaine des débuts, vont être opposé les observants, qui « s’unissent pour restaurer l’ordre dans son observance primitive et sa splendeur », avec des méthodes diverses « donnant la préférence aux couvents pauvres et écartés ». Cette dichotomie rend compte trop brutalement d’une grande complexité, car des réformes se font au sein des conventuels, tandis que certains de leurs couvents deviennent observants[28]. Il faut y ajouter la circulation des personnes.

En France, un mouvement de réforme naît au sein des conventuels et se développe sous l’impulsion de sainte Colette († 1448). En Espagne, l’un des foyers animés par Juan de Guadalupe († 1506) sera à l’origine des franciscains « déchaux », aux tendances érémitiques et pénitentielles.

En 1517, veille de l’expansion luthérienne, on compte pour l’Europe environ vingt-cinq milles conventuels et trente-deux mille observants, formant deux immenses familles autonomes. Le corps des observants se divise à son tour, signe d’une nouvelle poussée vitale.

Au terme d’un tel processus, la complexité issue d’une longue histoire interdit d’y trouver quelque classement ou « botanique » qui s’imposerait. Les dates de décisions juridiques traduisent en effet mal la réalité des réformes. Une filiation linéaire n’est évidemment pas possible. Le schéma retenu dépend de l’appartenance de son auteur (par exemple, suivant l’image traditionnelle donnée à la fin de ce chapitre d’un arbre branchu et feuillu, le faîte capucin ne s’impose pas. Enfin les représentations graphiques changent selon le degré de résolution recherchée[29].

Situons malgré tout, pour situer quelques-unes des appellations à l’intention d’un lecteur non franciscain, en une approche selon six familles[30] : trois premières familles dérivent des observants et se développent fortement en Espagne où, à des influences de spirituels d’Italie ou du Languedoc, en particulier d’Ubertin de Casale, succèdent celles de franciscains du Nord, en particulier celle de Herp (Harphius), le « passeur » de Ruusbroec [31] :

1. les déchaux s’organisent autour de diverses figures dont l’espagnol Pierre d’Alcantara (†1562) ;

2. les réformés sont liés aux « déserts » ou maisons de solitude ;

3. les récollets prospèrent bientôt en Italie et France puis en Flandres et Allemagne.

À ces familles dérivées des observants s’ajoutent trois autres branches :

4. les conventuels perdent progressivement de leur importance : restés nombreux en Allemagne et en Europe centrale, ils furent très réduits par la réforme luthérienne ;

5. la famille des capucins, née en Italie autour de 1520, donc postérieurement à la grande division entre observants et conventuels, comprendra plus de trois mille frères répartis en trois cents couvents avant même de franchir les Alpes en 1574 pour s’illustrer en France. Il s’est produit un croisement d’influences avec le mystique Philippe Néri et son Oratoire romain. En Rhénanie et en Flandre, l’essor capucin culminera dans la grande figure de Constantin de Barbanson. En France, il s’étendra sur plusieurs générations, dont se détachent les figures mystiques de Benoît de Canfield, Martial d’Étampes, Pierre de Poitiers… Cette réforme peuple notre second tome.

Enfin, des mouvements aux règles plus souples se maintiennent depuis l’origine :

6. les tertiaires ont mené tout d’abord comme laïcs une vie à part des autres branches. Certains sont à l’origine de nouvelles pousses qui ne sont plus alors directement rattachées à l’ordre franciscain, mais font partie de sa nébuleuse. D’autres rentrèrent au sein d’un monde ecclésiastique soucieux de veiller au bon ordre catholique : il s’agit des tertiaires réguliers[32]. En Italie, les tertiaires constituent une branche très vivante, car ils sont libres d’adapter leurs modes de vie à de nouvelles conditions sociales du fait de leur règle souple : celle-ci est adoptée par les esprits indépendants comme Catherine de Gênes (1447-1510).

Les liens qui existent entre franciscains de ces diverses espèces constituent une limitation à toute tentative de rendre compte de leur vie interne par quelque structure simple ; ainsi en Espagne, Osuna, Laredo, etc., accueille à la fois les influences de spirituels méditerranéens, en particulier d’Ubertin de Casale, et celle de franciscains du Nord de l’Europe, dont van Herp (Harphius)[33].

Évoquons quelques individualités mystiques influentes italiennes puis espagnoles, parentes de l’arrivée de missionnaires en France. Elles illustrent l’esprit qui anime les franciscains :

Les Flandres : Harphius.

Henri van Herp ou Harphius (1400-1477), le « héraut de Ruusbroec », entre chez les frères de la vie commune à Delft en 1445. On lui offre une maison à Gouda dont il devient le premier recteur : il organise avec succès des conférences spirituelles et fait bâtir cinq ou six cellules pour les frères et les hôtes. En 1450, frappé par le renouveau franciscain lors d’un voyage à Rome, il se fait frère mineur franciscain et est actif à Malines près de Bruxelles, et à Anvers : la province s’accroît ainsi de trois ou quatre nouveaux couvents. Il meurt gardien du couvent de Malines. « Sa doctrine spirituelle serait en retrait par rapport à celle de Ruusbroec si l’on suit l’édition postérieure à la censure romaine : il semblerait abandonner l’opinion de Ruusbroec selon laquelle, lorsque dans la vie suressentielle l’union sans différence” est atteinte, l’âme demeure habituellement dans la Divinité, et en sort pour agir d’une manière parallèle à celle des Personnes divines[34]. »

Son œuvre maîtresse, Le Miroir [Spieghel] de la perfection, fut traduite en latin par un chartreux de Cologne en 1536 ; la Theologia mystica est un recueil d’œuvres rassemblées par ses disciples, dont la troisième partie, « l’Éden », semble être une belle préparation au Spieghel. Sa savoureuse traduction française du début du XVIIe siècle mériterait d’être de nouveau rendue disponible[35]. Il traite magnifiquement de l’amour de conformation :

[656] La flamme de la charité ne veut laisser aucun entre-deux entre soi et l’aimé. […] [683] Le conformé, donc, imitant jalousement son conformant, s’approfondit en Dieu par chacun moment, et étant fait un avec Dieu, habite toujours en unité. […] Il semble néanmoins à quelques-uns […] qu’ils n’aiment point Dieu et ne se reposent en lui ; mais l’amour est cause de cette apparence ; car quand ils désirent aimer plus intensivement qu’il ne leur est permis par leurs propres forces, et qu’ils viennent à défaillir à leur amour, ils se plaignent de ne point aimer.

Secondement, par l’envoi des rayons de ce don [d’amour], notre esprit est illuminé intellectuellement et nous enseigne à considérer notre noblesse. […] [685] Dieu opère en nous premièrement devant tous autres dons, et toutefois est le dernier de tous, connu et senti de nous en sa propre nature. Car après être devenus simples d’esprit, chômant d’action, dénués de toutes images, immobiles, libres, morts à nous-mêmes, vivants à Dieu, nous avons ainsi cherché Dieu […] nous sentons la descente des grâces […] en ce renouvellement d’attouchement, l’esprit humain tombe en famine.

L’affection amoureuse est plus importante que l’entendement. L’accès à la vie mystique est préparé par l’oraison aspirative, prière courte et intense, menée en quatre pas : s’offrir à Dieu totalement, requérir la volonté divine de se manifester afin que l’âme se connaisse, se conformer lorsque le feu de l’amour s’allume dans le cœur et consume les défectuosités, s’unir à la volonté divine en y déversant la sienne[36].

Harphius évoque avec lyrisme l’union mystique :

[715] L’esprit et l’âme ne sont qu’une même substance. […] L’esprit humain est quelquefois tant soustrait du corps et de l’âme […] qu’il oublie tout ce qui est extérieur et pareillement ignore ce qui se fait […] par mémoire ou entendement. […] [720] Ami, montez plus haut. Le monter est le progrès en l’amour divin, qui est un abîme sans borne.

Son influence fut très large. Elle s’exerce (en parallèle avec celle de Ruusbroec) par l’intermédiaire de La Perle évangélique. En Espagne, il influence Osuna, franciscain comme lui, lu par Thérèse. Au XVIIe siècle, il est reconnu par Constantin de Barbanson et par Benoît de Canfield, par des chartreux et des capucins, par le carme Jean de Saint-Samson ; plus tard le pasteur Poiret appréciera Herp et le fera connaître par une Bibliotheca mysticorum (1708) qui aura une grande influence sur des Écossais et des piétistes allemands[37].

L’Italie : François de Paule.

François de Paule (1416-1507), Calabrais qui a passé un an chez les franciscains à l’âge de douze ans puis s’est rendu à Assise, adopte la vie érémitique dès l’âge de quatorze ans. Il vit dans la montagne, puis des compagnons le rejoignent, qu’il appelle « les ermites de saint François d’Assise », mais sans qu’on puisse voir en ce fondateur indépendant de dix-neuf ans un réformateur franciscain. Il restera simple frère laïc, même lorsque, devenu célèbre, il sera tenu de venir jusqu’à la Cour de France en 1483. Les minimes ont pour origine les ermites groupés autour de lui dès 1450. Ils sont progressivement « normalisés » par trois règles successives[38].

L’Espagne : Bernardino de Laredo et Pierre d’Alcantara

La vue selon laquelle les franciscains sont les premiers acteurs d’une renaissance mystique au sein de l’Espagne devenue exclusivement catholique est recevable (mais les sources sont des plus diverses dans ce creuset arabo-judéo-chrétien). Francisco de Osuna (c. 1492-1540) est un auteur prolixe dans sa rédaction de la Ley de amor santo (ou Cuarto abecedario)[39]. Sa renommée bénéficie de la conjonction de trois causes : une production quantitativement importante pendant la période charnière entourant la date de la condamnation des Alumbrados, la lecture du Tercer abecedario par la jeune Teresa, une ferme structure théologique[40]. Pour Miguel de Medina (1489-1578), Dios no tiene necesidad de nadie, « Dieu n’a besoin de recourir à quiconque » : tout est dit[41] ! Alonso de Madrid (c. 1535) est un auteur attachant dans son Arte para servir a Dios[42] qui souligne l’amour de Dieu, « un feu voulu par Dieu, qui toujours brûle sur son autel qui est notre âme[43] », et l’amour du prochain, comparable à l’adoption d’un « enfant aimé de son père[44] ».

Bernardino de Laredo (1482-c.1540) célèbre le chant de l’amour pur, particulièrement dans la troisième partie de la Subida del Monte Sion, selon sa version revue de 1538[45]. Mais, outre la difficulté posée par une langue encore primitive, sa rédaction présente peu de formules remarquables se prêtant à de belles citations. Par contre sa lecture induit lentement un état de paix : la lecture du chapitre xviie de la troisième partie de la Subida del Monte Sion tira Teresa de sa perplexité quant à l’absence de toute pensée dans l’oraison de quiétude. En effet, pour Bernardino, « Dieu lui-même impose le repos à nos facultés. Bien plus, l’auteur soutient la possibilité de l’amour sans nulle connaissance ni nul antécédent[46] ».

De petite noblesse, Laredo fut d’abord page, puis fit des études variées, enfin entra à vingt-huit ans chez les franciscains. Il publia deux ouvrages de médecine. Il restera frère laïc, attaché à un couvent situé à une trentaine de kilomètres de Séville, infirmier pour la province. Sa réputation médicale lui valut d’être appelé plusieurs fois à la cour du Portugal[47].

Laredo aurait connu Osuna et son Tercer abecedario. Il s’adresse simplement et directement à son lecteur, comme un Pierre d’Alcantara. Son biographe suppose qu’une « école », associant Osuna, Laredo, Alcantara, Ortiz, rapproche franciscains, carmélites par l’influence déterminante d’Alcantara sur Thérèse, enfin milieu des Alumbrados par Ortiz[48].

La contemplation est amour qui se perd dans l’infini divin :

La facilité de la contemplation demeure en : aimer sans condition et fondre notre amour dans Celui qui est infini ; je veux dire que l’amant se perd ainsi lui-même, qu’il ne reste rien de lui par l’infinité de l’amour en qui il fait infusion. Ainsi dit Herp [Harphius] : « que l’esprit dans cet espace cesse de vivre à lui-même, parce que tout vit à Dieu ». […] Et ainsi nous pouvons dire que l’amour de notre Dieu entre dans nos âmes comme le soleil dans le cristal, qu’il éclaire et pénètre et se montre en lui ; et il nous transforme en son amour, comme le fer en feu[49].

Elle est sans intermédiaire et subite, selon la belle comparaison de la lumière qui pénètre instantanément toute ouverture :

Je dis que c’est une imperfection de s’exercer longtemps à penser à des qualités particulières aux créatures, voulant chercher en elles des raisons d’aimer Qui déborde d’amour infiniment aimable. Mais surmontant le créé et sortant de lui, l’âme va à Dieu par une élévation d’esprit subite et momentanée ; elle ne demeure en chemin pas plus longtemps que la paupière de l’œil ne prend de temps à bouger ou à cligner — à la façon d’un rayon du soleil, lequel à l’instant qu’il naît à l’Orient arrive en Occident. Ainsi doit faire l’âme qui en un instant élève l’esprit par la voie de l’aspiration, laquelle est plus légère et momentanée que le rayon même du soleil[50].

La pratique de la contemplation est encore rare dans l’Espagne de son temps, même dans les déserts franciscains :

Je regrette que dans les écoles du Christ on n’étudie avec une très grande vigilance comment et de quelles manières nous connaissons notre Dieu et Seigneur par une notion amoureuse et particulière. Laquelle connaissance ne s’acquiert jamais sans que le Seigneur lui-même ne l’enseigne par la théologie mystique, laquelle s’apprend dans la contemplation. Par elle nous pouvons demeurer et persévérer, attachés dans les plus pures, les plus intérieures et les plus délicates parties de notre intérieur ; parce que le cœur prend toujours de là les sentiments qui continuellement l’éveillent à marcher vivement dans l’amour, dans lequel, qui plus longtemps se nourrit, plus longtemps persévérera à aimer et à donner du temps à la prière[51].

La conformité nue est le seul moyen :

On doit comprendre que lorsque le contemplatif cherche la perfection, il ne pose guère l’œil sur son gain, ou sur sa dévotion, ou sur son utilité, parce que toute son étude est de demeurer en conformité nue simple et entière avec la volonté de Dieu[52].

Pierre d’Alcantara (1499-1562) entre chez les conventuels franciscains à seize ans. Il aurait déjà eu le temps d’étudier à Salamanque les arts libéraux, la philosophie et le droit canon ! Il remplit diverses fonctions chez les franciscains devenus observants déchaussés, et fonde des couvents, voyage à Nice comme au Portugal. On le considère comme le rénovateur de ces franciscains déchaussés. Sous sa réforme ils atteignirent le nombre de sept mille et se répandirent hors d’Espagne. L’exemple fut suivi chez les carmes et d’autres ordres. Son rôle est déterminant sur la réforme du Carmel par Thérèse. « Cherchant à atteindre les gens pauvres en moyens et en temps », il écrit dans un style sobre et concis.

L’âme se nettoie de ses péchés avec l'oraison, la charité se fortifie. [...] L'esprit se réjouit, l'intérieur se fonde, le cœur se purifie, la vérité se découvre. [...] La tristesse est bannie, les sens se renouvellent […] [par les] vives étincelles des désirs du ciel qui rejaillissent sans cesse du brasier de l'amour divin[53].

L'oraison est parfaite quand celui qui prie ne se souvient pas qu'il est en oraison[54].

Missionnaires en France

L’influence des très nombreux franciscains présents en France dès la fin du XVIe siècle est peu reconnue en dehors de celle du capucin Benoît de Canfield. Le texte — même abstrait et abrupt — de sa Règle de perfection sera largement apprécié car le feu de l’expérience l’éclaire. L’apport en France de certains de ses confrères flamands est incontournable, mais reste peu exploré et sous-estimé[55].

Les capucins seront les plus influents des franciscains. Ils se conforment assez nettement au programme de vie que François recommandait et pratiquait : place importante donnée à la vie de prière sous la forme d’une double méditation quotidienne, emprunt aux pratiques des ermites, pauvreté et pénitence, charité, prédication. Leur oraison est affective selon l’esprit d’Harphius. Ils pratiquent l’ascèse, tandis que certains ouvrent les âmes à la vie mystique, car « la pratique de la pureté d’intention dans l’exercice de l’amour divin doit y conduire. »

La Pratica dell’orazione mentale de l’italien Matthias Bellintani de Salo († 1611) est traduite dix-huit fois. Mais cet organisateur actif est peu mystique, du moins dans cette œuvre qui répond aux besoins de débutants. Il en sera de même pour Laurent de Paris († 1631). Archange de Pembroke († 1632) est actif auprès de la jeune réformatrice de Port-Royal, mais n’a rien laissé d’écrit sinon quelques lettres. François Nugent (1569-1635) est connu de Constantin de Barbanson et de Martial d’Étampes, dont le disciple est Jean-François de Reims († 1660). Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc (1588-1635) est important en Flandre et en Grande-Bretagne. Joseph de Paris († 1638) est connu pour son activité politique. Louis-François d’Argentan († 1680) est éditeur et imitateur de Bernières.

Le courant se poursuit dans la seconde moitié du Grand Siècle par de très grandes figures, auteurs de synthèses qui ont été négligées à cause de leur caractère tardif[56] : Éloy Hardouin de S.aint-Jacques († 1661), Pierre de Poitiers († 1683), Paul de Lagny († 1694)… Hors des capucins, le Tiers Ordre régulier est représenté en premier lieu par Chrysostome de Saint-Lô († 1646), qui est l’important directeur de Bernières, de Catherine de Bar et de bien d’autres ; les récollets sont rapidement très présents.

Sur l’histoire générale des franciscains et sur celle de la réforme capucine on dispose de bonnes études, même si la quantité est modeste en comparaison de celles consacrées aux jésuites ou à Port-Royal. Sur l’immense littérature d’un XVIIe siècle qui imprimera plus de soixante mille ouvrages religieux, nous tentons de rétablir une juste évaluation d’auteurs mystiques tardifs comparables aux plus grands. Leurs figures sont méconnues et leurs écrits n’ont généralement pas été réédités.

Familles, réformes, réseaux et branches franciscaines

Avant d’aborder successivement chaque figure mystique, voici quelques repères adoptant des représentations figurées complémentaires : une table des familles franciscaines et de leurs influences, un arbre « généalogique » des réformes de l’Ordre des frères mineurs, une esquisse de réseaux franciscains, un tableau traduisant l’évolution des branches masculines sur la durée, un tableau résumant l’évolution des branches franciscaines.


TABLE DES FAMILLES FRAN[c4] CISCAINES

 

François (1182-1226) & Claire (1194-1252)

Bonaventure (1221-1274)

Jacopone da Todi (circa 1236-1306)

>Angèle de Foligno (1248-1309) & >Dante (†1321)

Colette (1381-1447)

>Catherine de Gênes (1447-1510) & >Angèle Mérici (1474-1540)

Hugues de Balma (circa 1400) & Harphius (van Herp) (1400-1477)

Bernardino de Laredo (1482-c.1540) & Pierre d’Alcantara (†1562)

 

CAPUCINS (C) (XVIIe s.)

 

 

 

Hors du royaume de France

En France

 

 

1600 à 1630

Jean de Landen (C) (Bruxelles)

Bellintani de Salo (C) (†1610)

 

*Benoît de Canfield (C) (1562-1610) (Douai, Paris)

>Madame Acarie (Marie de l’Incarnation, carmélite, 1566-1618)

>*Marie de Beauvilliers (1575-1657)

 

 

1630 à 1660

François Nugent (C) (1569-1635) (Douai)

*Constantin de Barbanson (c) (1582-1631) (Douai, Rhénanie)

>David-A. Baker (1575-1641)

>Cal Bona

*Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc (C) (†1635) (Flandre)

*Archange de Pembroke (C) (†1612)

*Joseph de Paris (C) (†1638)

*Martial d’Étampes (C) (1575-1635)

*Jean-François de Reims (C) (†1660)

 

 

1660 à 1690

 

*Éloy Hardouin de Saint-Jacques (C) (1612 ?-1661)

*Pierre de Poitiers (C) (†1683)

*Simon de Bourg-en-Bresse (c) (†1694)

 

 

1690 à 1720

 

*Paul de Lagny (C) (†1694)

*Alexandrin de La Ciotat (C) (†1706)

 

 

 


 

ET DE LEURS INFLUENCES

Le cadre supérieur, page gauche, situe dans le temps quelques grands noms franciscains ou sous influence (>) qui précédèrent l’an 1600. Les autres cadres situent les auteurs mystiques qui ont connu le XVIIe siècle en quatre générations de trente ans, ainsi que des figures sous influence : à gauche figurent les tertiaires réguliers, les récollets et les minimes, à droite figurent les capucins (majoritaires, en deux colonnes : hors du Royaume, en France). Les figures qui bénéficient d’un chapitre sont signalée par « * » :

 

TERTIAIRES RÉGULIERS (T) (XVIIe s.)

 

RÉCOLLETS (R) (XVIIe s.)

[et minimes (M)]

Vincent Mussart (T) (1570-1637)

*Séverin Rubéric(R) (†apr.1625) (Guyenne)

*Jean-Chrysostome de Saint-Lô (T) (1594-1646) (Rouen, Paris)

>*Jean de Bernières (1602-1659)

*Victorin Aubertin (R) (1604-1669)

>Marie Guyart (Marie de l’Incarnation « du Canada ») (1599-1672

>Jacques Bertot (1620-1681)

*Nicolas Barré (M) (1621-1686) (Paris)

*Boniface Maes (M) (1627-1706)

*Jean Aumont (†1689) (Montmorency)

>*Catherine de Bar (la Mère du Saint Sacrement) (1614-1698)

*Jean-Marie de Vernon (T)

*Paulin d’Aumale (T)

>Jeanne-Marie Guyon (1648-1717) & François de Fénelon (1651-1715)

 

*Archange Enguerrand (R) (1631-1699)

*Maximien de Bernezay (R)


UN ARBRE DES RÉFORMES[c5]  DE L’ORDRE DES FRÈRES MINEURS

Parmi les nombreux arbres illustrant l’évolution des franciscains à travers les siècles, ce robuste chêne aux glands abondants, solidement enraciné dans la pauvreté, l’humilité, la charité… favorise la réforme des capuccini, ici datée de 1525 : ils en sont le faîte. Les recollecti apparaissent deux fois : à mi-hauteur comme branche à gauche du tronc en 1487 comme première réforme probablement espagnole, puis en 1592, près du sommet de l’arbre sur la droite comme un rameau de la branche des observantes, au-dessus des alcantarini espagnols de 1553. On sait que les récollets s’installent (peut-être) d’abord dans le Sud-Ouest du royaume de France (nous retrouverons leur premier ministre Séverin Rubéric en Guyenne). Les tiers ordres ne sont pas représentés sur cet arbre.


UNE ESQUISSE DE RÉSEAUX FRANCISCAINS

Les appartenances (capucins : C, tertiaires réguliers : T, récollets : R ; minimes : M) sont indiquées sous les prénoms — précédés d’un astérisque * lorsqu’une section de niveau 2 leur est consacrée. Suivent les dates de naissance et de décès, puis s’il y a lieu la date soulignée de la première édition d’une œuvre influente. Quelques figures remarquables non franciscaiens mais « sous influence » sont indiquées. Les traits verticaux ou horizontaux marquent les influences ou relations attestées de personne à personne. Les multiples relations indirectes par l’intermédiaire des écrits sont omises. Les pointillés séparent des figures superposées, mais qui n’ont pas eu de relation de personne à personne.

 

Hors tableau infra :

*Séverin Rubéric (R) († apr.1625),

*Jean-Évangéliste de Bois-le-Duc (C) (1588-1635),

*« Père Joseph » du Tremblay (C) (1577-1638),

*Éloy Hardouin de Saint-Jacques (C) (1612-1661),

*Paul de Lagny (C) († 1694), *Alexandrin de La Ciotat (C) (†1706),

*Maximien de Bernezay (R), *Jean-Marie de Vernon (T), *Paulin d’Aumale (T)


 

 

François d’Assise (1182-1226)[c6] 

   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

                                                                   Rhéno-Flamands >1300

   . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

                                             Hugues de Balma (actif autour de 1400)       

                                                                Harphius (1400-1477)

                                       . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  

François Nugent  _ _        *Benoît de Canfield _ _ *Archange de Pembroke   

(c) (1569-1635)                 (c) (1562-1610) (1608)   (c) (†1632)

   |                                |           |

   |                                |                 Marie de l’Incarnation [Madame Acarie]

                                        (1566-1618)

*Martial d’Étampes              *Marie de Beauvilliers 

(c) (1575-1635) (1630)           (1575-1657) (1631)

                                                                       . . . . . . . . . . . . . . . . .

   |                                                                       *Constantin de Barbanson  _ _ David-A. Baker

|                                                             (c) (1582-1631) (1623)   (1575-1641)

*Jean-François de Reims                             . . . . . . . . . . . . . . . .     

 (c) (†1660) (1635)                           *Jean-Chrysostome de Saint-Lô

 . . . . . . . . . . . . . . .                 (T) (1594-1646) (1651)

                                                             |                        

Marie de l’Inc. [du Canada] _ _ Jean de Bernières

   (1599-1672)             (1602-1659)  |*Jean Aumont _ _ *Victorin Aubertin

*Mectilde (1614-1698)      |                    (T)(†1689)(1660) (R)(1604-1699) (1667)  . . . . . . . . . . . .                    Jacques Bertot          |                          

*Pierre de Poitiers       (1620-1681)                 *Archange Enguerrand

(c) (†1683) (1671)  \              |       /      (R) (1631-1699)   

                                   Madame Guyon

                                    (1648-1717)

                                           Fénelon

                                          (1651-1715)


BRANCHES MASCULINES DE L’ORDRE FRANC[c7] ISCAIN : L’histoire complexe des courants et de leurs interactions est sujette à diverses représentations incertaines. Pour livrer une perspective globale, nous adaptons un tableau de Frédéric Meyer[57] :

 

CONVENTUELS Dès 1250

>> Fusion en France avec la régulière observance en 1771.

 

OBSERVANCE, RÉGULIERE OBSERVANCE OU CORDELIERS

Jean de la Vallée et diverses congrégations

Jean de Puebla

Jean de Guadalupe

STRICTE OBSERVANCE

Francisco de Osuna

Pierre d’Alcantara

DÉCHAUX PUIS ALCANTARINS 1562

Espagne, Portugal, Amérique latine

RIFORMATI 1532

Italie

RÉCOLLETS 1570

France, Canada, Flandre, Allemagne

 

>> Fusion des conventuels, de l’observance sous toutes ses formes en 1897

Sous le nom de « Frères mineurs (OFM) ».

 

TIERS ORDRE RÉGULIER

Congrégation de Picpus en France en 1580

Vincent Mussart

>> XIXe siècle : « T.O.R . »

 

CAPUCINS

1525

Indépendants en 1619

>> XIXe siècle : « OFM cap. »


FIGURES MYSTIQUES DES TRADITIONS FRANCISCAINES AU XVIIe SIÈCLE

Les traditions suscitent des vocations, qu’une communauté accueille et oriente. Les vocations furent fort nombreuses : environ deux cents milliers d’hommes et de femmes furent attirés par la vie franciscaine sur un peu plus d’un siècle (plus de cent mille franciscains vivaient en 1680).

L’expérience mystique ne se termina pas à la disparition de François d’Assise : au sein du profond courant de vie intérieure qu’il initia, de grandes figures mystiques trouvèrent leur épanouissement et incarnèrent l’expérience la plus haute. Telles des pierres précieuses, nous les avons ordonnées suivant l’ordre chronologique au sein des branches franciscaines traditionnelles (tome I), puis « en trois vagues » au sein d’une réforme capucine particulièrement féconde (tome II). Elles s’achèvent sur des figures féminines, des minimes, enfin l’évocation d’une foule innombrable (tome III, qui comporte surtout des études de nature sociologique et historique). La majorité des chapitres porte un nom propre (s’y ajoutent quelques chapitres collectifs regroupant plusieurs figures). Après une brève biographie, nous suggérons quelques thèmes spécifiques à chaque individualité, ce qui, nous l’espérons, aidera le lecteur à apprécier les extraits des œuvres.

Le nombre des mystiques s’avère très variable selon les branches, soit parce que leurs membres étaient plus orientés vers l’activité que vers la contemplation — c’est le cas de la RÉGULIÈRE OBSERVANCE ou « cordeliers », au point que certains membres ou même des communautés entières en recherche spirituelle migrèrent vers la branche capucine — soit parce que leur communauté est très minoritaire en comparaison des multitudes de capucins et de cordeliers — c’est le cas des RÉCOLLETS français et des tertiaires (TIERS ORDRES réguliers ou laïc). Mais dans ces dernier cas, on est quand même très surpris par leur apparition fréquente au sein de familles réduites.

Au sein de chaque Ordre masculin, les figures sont présentées chronologiquement. Nous avons tenu à souligner l’importance des membres du TIERS ORDRE laïc. De même nous soulignerons au tome II la direction offerte à l’image de celle de Benoît de Canfield par la bénédictine réformatrice de l’abbaye de Montmartre. Il s’est en effet produit au cours du siècle des couplages féconds :

1. D’une part entre capucins et bénédictins, et par deux fois : outre la relation, à peine évoquée, de confesseur à dirigée qui unit Benoît de Canfield à Marie de Beauvilliers, on relève l’influence profonde de Constantin de Barbanson sur le mystique dom Augustin Baker. Le mode traditionnel de la vie bénédictine, qui fait un large appel à la célébration liturgique, peut donc ne pas s’opposer à la vie d’oraison. Un troisième cas proche — il s’agit cette fois d’une réforme cistercienne — associe Archange de Pembroke à Angélique Arnauld, la célèbre réformatrice de Port-Royal-des-Champs.

2. D’autre part, entre membres du TOR et ceux de l’École de l’Amour pur, depuis le cercle mystique normand animé par « le bon Père Chrysostome » jusqu’à Madame Guyon. Celle-ci rencontre ce cercle par « le bon franciscain » Archange Enguerrand, est formée par Monsieur Bertot, lui-même redevable à Bernières ; elle fréquentera Paulin d’Aumale et Catherine de Bar, devenue la « Mère du Saint Sacrement ».

Enfin il nous faut reconnaître un déficit en figures féminines. Elles sont largement sous-représentées dans notre exploration, la première visant à quelque exhaustivité mystique franciscaine pour le XVIIe siècle. Les sources imprimées livrant pour ces femmes leurs écrits ou rapportant leurs « dits » sont quasiment absentes, du moins pour la France. Il reste à explorer les principaux fonds manuscrits et le temps presse[58] !

 



[1]Notre appréciation est réservée sur Laurent de Paris (malgré M. Dubois-Quinard, Laurent de Paris, une doctrine du pur amour…, 1959) ou sur Louis-François d’Argentan (malgré son travail d’éditeur et d’imitateur de Bernières), figures auxquelles nous réservons quand même deux entrées. Mais nous omettons Philippe d’Angoumois, Sébastien de Senlis, Yves de Paris et bien d’autres. On les retrouvera dans les listes figurant en annexe à la fin du tome troisième. Certains auteurs aux éditions devenues rares n’ont pu être consultés.

[2]Les fonctions de gardiens, définiteurs, etc., sont les données assez abondantes, sûres et datées, que l’on trouve dans les nécrologes et les chroniques des Ordres.

[3]Notre choix des figures par découverte directe des œuvres n’a pas tenu compte de telles caractéristiques « sociales ». S’ensuit l’omission de figures connues, car humainement visible. L’élagage a laissé la place nécessaire pour mettre en valeur des figures demeurées discrètes, s’agissant souvent des maîtres de novices « oubliés » (l’observation est postérieure à leur choix !)

[4]Benoît de Canfield, capucin, est né en 1562 : c’est l’ancien, l’initiateur célèbre par sa Règle (1608). À l’autre bout de la chaîne, Alexandrin de La Ciotat, capucin, auteur du Parfait dénuement (1680), meurt en 1706, et Maximien de Bernezay, récollet, auteur d’un beau Traité de la vie intérieure (1686), pourrait lui avoir survécu.

[5]Nous rétablissons aussi un équilibre souvent rompu entre les premiers arrivés, très favorisés dans les histoires de la spiritualité, et leurs successeurs souvent oubliés (car moins novateurs… ou jamais abordés en profondeur par suite du décès presque inopiné de leurs historiens potentiels ; cas de Bremond et de Cognet).

[6]Angèle de Foligno, Le Livre de l’expérience des vrais fidèles, Droz, 1927, p. 53, « Dans la basilique d’Assise ». Notre anthologie privilégie ce qui est proche par l’esprit des textes d’origine italienne assemblés en « parte terza » des Mistici francescani, secolo XIII, XIV, XV (trois ouvrages fondamentaux publiés aux Editrici Francescane).

[7]Interview de Fr. Willibrord figurant au début de « L’école Saint-Honoré » du Fr. Godefroy de Paris, Cahiers de spiritualité capucine, no 2, 1995, p. 10.

[8]Dernières citations extraites du Dictionnaire de spiritualité, tome 5, dont en colonne 1294 [DS 5.1294].

[9]Bremond, Histoire du sentiment religieux…, t. II, « L’invasion mystique », 142.

[10]Ce défricheur de l’expression mystique de langue française, qui oriente encore de nos jours toute approche de synthèse du XVIIe siècle religieux, consacre environ soixante pages à l’humaniste Yves de Paris (sur lequel nous passerons rapidement), mais seulement quarante pages au groupe constitué d’Ange de Joyeuse, Benoît de Canfield et Joseph de Paris, tandis que Constantin de Barbanson, Jean-Chrysostome de Saint-Lô, Pierre de Poitiers (trois figures majeures) ne bénéficient d’aucun traitement propre… Paul de Lagny est approché en moins de vingt pages. Par contre une centaine de pages porte sur les influences des capucins, lorsque les récits peuvent en être savoureux : tel celui de la difficile réforme du couvent de Montmartre par Marie de Beauvilliers, les évocations des figures du « simple » Jean Aumont ou de membres bretons de l’école cordiale. Comparées aux quatre mille pages couvertes par le Sentiment religieux, ces courtes excursions franciscaines soulignent le caractère hasardeux de la distribution proposée par le créateur de « l’école française de spiritualité » (ce dont il était conscient). Il est vrai que Sainte-Beuve concentrait toute l’histoire religieuse autour du seul Port-Royal ! Concluons (même si le grand Bremond mérite une longue note) : la plus grande méfiance est ici, comme en bien d’autres domaines, justifiée vis-à-vis de tout canon ordonnant l’approche des siècles passés. Faut-il, en sceptiques, penser que « cette notion des œuvres du passé est tout à fait illusoire […], mince sélection spécieuse, basée sur des vogues qui ont prévalu dans l’esprit des clercs » ? (citation empruntée à P. Ryckmans, placée en tête de son Su Renshan rebelle, peintre et fou, Paris-Hong Kong, 1970).

[11]Tarie ? Ou cachée par suite de l’anti-mysticisme régnant ! La figure spirituelle d’Ambroise de Lombez († 1778) offre une exception au Siècle des Lumières. Nous lui consacrerons exceptionnellement une notice pour ne pas laisser dans l’oubli ce capucin « tardif » précédant de peu la fin de l’Ancien Régime (tome III, « Un regard sur les héritiers »).

[12]Les quinze chapitres essentiels de la troisième et dernière partie sont disponibles suivant leur première version non corrigée et demeurée largement ignorée au XVIIe siècle (version dite « pirate ») : Benoît de Canfield, La Règle de perfection, quinze chapitres…, Arfuyen, 2009. L’ouvrage entier, beaucoup plus large, bénéficie de l’édition critique magistrale, malheureusement devenue introuvable et de lecture difficile, réalisée par Jean Orcibal.

[13]Un précédent volume de la collection « Sources mystiques » livre l’essentiel de l’œuvre mystique : Martial d'Étampes maître en oraison, Textes présentés par Joséphine Fransen et Dominique Tronc, éd. du Carmel, 2008.

[14]Ce point illustre la nécessité de décrire très précisément les très diverses éditions mises en circulation sous un même titre au XVIIe siècle (un autre exemple bien connu est offert par les libres compilations du Chrétien intérieur exploitant la correspondance de Jean de Bernières). S’ajoutent les libertés prises lors d’assemblages reliés par lots successifs dont les contenus peuvent différer.

[15]Second cas de symbiose entre les ordres capucins et bénédictins, après l’influence de Canfield sur Marie de Beauvilliers. Nous laissons de côté Baker à l’œuvre multiforme, latine et anglaise, alors que nous avons repris une partie de l’ouvrage de Marie de Beauvilliers associée à Benoît de Canfield.

[16]D’une cible.

[17]Seul le bénédictin de Saint-Maur Dom Claude Martin, fils de Marie de l’Incarnation du Canada, semble apporter à la même époque des éléments de valeur comparable (Questions ascétiques ainsi qu’une ébauche de défense des mystiques (ébauche en 1696 d’un Traité de la contemplation), au-delà du service insigne d’avoir sauvé les écrits de sa mère. Voir Dom Claude Martin, Les Voies de la prière contemplative, textes réunis et présentés par dom Thierry Barbeau, Solesmes, 2005.

[18]On sait qu’il n’en fut pas de même chez les carmélites, où les « dits » ou de « bonnes pages » de Madame Acarie, de la Mère Madeleine de Saint-Joseph, ainsi que de certaines religieuses, même mortes fort jeunes, furent partiellement édités dès le XVIIe siècle.

[19]Début, devenu célèbre, du titre de l’ouvrage centré sur la figure de Madame Guyon : L. Cognet, Crépuscule des mystiques, Bossuet-Fénelon, Desclée, 1958. Il suggère une interprétation réductrice de la vie mystique perçue comme dépendante d’une hiérarchie dionysienne devenue caduque.

[20]Prochainement dans cette même collection : des œuvres de Pierre de Poitiers, de Constantin de Barbanson, de Séverin Rubéric.

[21]La mise entre crochets signale un auteur et son œuvre hors famille franciscaine, mais sous influence (Marie de Beauvilliers est bénédictine, Jean de Bernières est laïc, ce dernier toutefois agrégé au Tiers Ordre franciscain, Nicolas Barré et Boniface Maes sont minimes, ordre distinct que l’on inclut parfois à tort dans la famille franciscaine). Les milieux féminins sont sous-représentés.

[22]Le terme de déclin voire de décadence est utile et résume une première appréciation globalement juste. On a cependant pu donner pour titre à l’étude de la littérature spirituelle de Gerson à Lefèvre d’Étaples (deuxième moitié du XIVe s. et début du XVe s.) : Le Siècle d’or de la mystique française : un autre regard (Y. Masur-Matursevich, Archè, 2004).

[23]P. GRATIEN, Histoire de la fondation et de l’évolution de l’Ordre des Frères mineurs au XIIIe siècle, 1928. L. IRIARTE, Histoire du franciscanisme, traduction, Cerf, 2004 et G.G. MERLO, Au nom de saint François, histoire des frères mineurs et du franciscanisme jusqu’au début du XVIIe siècle, traduction, Cerf, 2006.

[24]Dict. de spir. [DS] 1.1768/1843 (E. Longpré) ; Saint Bonaventure, présenté par V.-M. BRETON, Aubier, 1943 ; Dizionario Bonaventuriano…, a cura di Ernesto Caroli, Editrici Francescane, 2008. Immense bibliographie.

[25]DS 13.171/187 ; Ramon Llull, Obres essencials, Ed. Selecta, Barcelona, 2 vol., 1957 (outre l’attachant Libre d’Evast e d’Aloma e de Blanquerna, on peut se perdre au sein des immenses Arbre de ciencia et Libre de contemplacio).

[26]Jacopone de Todi, Chants de pauvreté, trad. S. et I. Mangano, Arfuyen, Paris, 1994 (v. avant-propos, p. 7-13 et l’éd. bilingue de huit laudes) ; J. PACHEU, Jacopone de Todi…, Tralin, 1914 (éd. bilingue de très nombreuses laudes, translitérée, facilitant le retour au texte par ailleurs modernisé) ; Iacopone da Todi, Laude, reprint a cura di Franco Mancini, Laterza, 1977 ; DS 8.20-26.

[27]Le Livre de l’expérience des vrais fidèles, texte latin publié d’après le manuscrit d’Assise par M.-J. FERRE, traduit avec la collaboration de L. BAUDRY, Droz, 1927. – Nombreuses éditions de l’« œuvre » latine dès 1502, puis traduites en français, mais ces mosaïques textuelles ne respectent pas l’ordre des « pas », défigurant l’autobiographie mystique. L’adaptation par Hello de 1868, souvent reproduite, affadit les termes en dépit de son style emphatique.

[28]De même, au Carmel, la réforme « externalisée » des déchaussés n’exclut pas celle des grands carmes, demeurée interne à l’Ordre, dans la réforme dite de Touraine.

[29]Instabilité très généralement observée en sciences exactes – ce qui conduit à rejeter la validité de graphes et des modèles qu’ils illustrent, censés rendre compte d’une réalité complexe, lorsque des filtrages à résolutions variables modifient leurs structures. En outre, on constate l’incapacité à réduire selon les deux dimensions du plan une représentation de multiples liens qui se croisent.

[30]DS 5.1304/14 (art. « Frères mineurs. II. Fondations et réformes franciscaines »).

[31]DS 5.1359/67.

[32]DS 5.1381/7 ; Analecta TOR 152 (1992) ; Histoire générale et particulière du Tiers Ordre de saint François d’Assize, par le R.P. Jean Marie de VERNON, 1667.

[33]DS 5.1359/67.

[34]DS 7.358 (v. DS, 7.346/66, art. « Herp »). Sur les termes « essentiel », etc., v. DS 4.1346/66 (Deblaere).

[35]Harphius, Théologie mystique…, traduction (sur l’édition postérieure à la censure romaine) par J.-B. de MACHAULT, Paris, 1616, « Livre troisième intitulé […] paradis des Contemplatifs », 622-847, à laquelle nous empruntons les citations (pagination indiquée entre crochets).

[36]C. JANSSEN, « L’Oraison aspirative chez Herp », Carmelus, 1956, vol. III, 47.

[37]DS 7.361/4. – Deuxième section de la « Lettre sur les principes et les caractères des principaux auteurs mystiques », P. POIRET, Ecrits sur la Théologie mystique, Grenoble, Millon, 2005, 139-141.

[38]DS 5.1040/51 (François de Paule), DS 10.1239/55 (Minimes). Alessandro GALUZZI, Origini dell’ordine dei Minimi, Rome, 1967 (« Corona Laterensis », 11) ; Benoist Pierre et André Vauchez, Saint François de Paule et les Minimes, en France de la fin du XVe au XVIIIe siècle, Coll. « Perspectives historiques », Presses Universitaires François-Rabelais, 2010.

[39]DS 11. 1037/51, art. « Osuna » par Melchiades ANDRES. Éditions accessibles : Francisco de Osuna, Tercer abecedario espiritual, B.A.C., 1972 (v. « Introduccion general » du même Melchiades ANDRES, 1-117, suivie du Tercer abecedario, 118 à 644) ; Misticos Franciscanos Espanoles [M.F.E], B.A.C., vol. I, 1948, Cuarte abecedario ou Ley de amor santo, 217 à 684.

[40]Crisogono de Jesús, grand historien du Carmel, le préfère à Bernardino de Laredo, probablement pour cette fermeté structurelle : v. M.F.E., II, 1933, p. 24, note. On peut se demander si cela n’est pas dû au titre de l’œuvre de Laredo, Subida del monte Sion, qui souffre d’une comparaison involontaire avec le chef-d’œuvre postérieur de Jean de la Croix, de même nom. Les objectifs des deux textes sont en fait distincts, ce qui préserve à nos yeux tout l’intérêt de la première Subida.

[41]DS 10.904/5 ; Œuvre dans : Misticos franciscanos espanoles, vol. I, B.A.C, 1948 ; v. page 818 sur la « Infancia espiritual », ainsi que sa critique des ascètes, 772-775 : Y al fin triunfa de ellos un vanos deseo de mandar a los otros, « en eux triomphe à la fin un vain désir de commander les autres » : un Nicolas Doria opprimera Jean de la Croix.

[42]DS 1.389/91 ; Misticos…, vol. I, « Arte para servir a Dios ».

[43]Ibid., p. 158.

[44]Ibid., p. 175.

[45]DS 9.277/81 ; Misticos…, vol. II, Subida del monte Sion, p. 25-442.

[46]Fidèle DE ROS, Le Frère Bernardin de Laredo, Paris, 1948, p. 135.

[47]DS 9. 277.

[48]DS 9. 280 & Fidèle DE ROS, Le Père François d’Osuna, Beauchesne, 1936.

[49]Misticos…, vol. II, Subida del monte Sion, p. 370.

[50]Ibid., p. 373/4. Nos traductions.

[51]Ibid., p. 387.

[52]Ibid., p. 388/9.

[53]ALCANTARA, Tratado de la oracion y meditacion, P. Ubald d'Alençon, Paris, 1923, p. 7.

[54]Ibid., p. 56.

[55]Les recherches intellectuelles ont toujours été moins pratiquées chez les franciscains que chez les jésuites ou chez les oratoriens. – Après avoir dominé aux siècles précédents, les « moines » sont quelque peu méprisés au Grand Siècle, par suite de l’inculture de certains « cordeliers » et de figures qui sont à l’origine de troubles. De terribles exemples de fanatismes sont relevés par D. Crouzet pour le XVIe siècle dans Les Guerriers de Dieu, 1990.

[56]On n’insistera jamais assez sur le déséquilibre d’appréciation qui existe entre les premiers et ceux qui les suivent. Les derniers sont handicapés parce qu’on leur prête facilement un manque de créativité, et parce qu’ils héritent d’une certaine complexification délicate à démêler. Il y a aussi des raisons concrètes, comme la disparition des chercheurs avant le terme de leurs quêtes : Bremond, puis Cognet disparurent trop tôt, alors même qu’ils se proposaient de rendre justice aux mystiques quiétistes de la fin du Grand Siècle.

[57]Frédéric Meyer, Pauvreté et assistance spirituelle, Les Franciscains récollets de la province de Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles, C.E.R.C.O.R., Univ. de Saint-Étienne.

[58]Les sondages que nous avons réalisés dans le fonds du premier carmel de Paris avant sa fermeture (récemment à Clamart, bientôt de nouveau disponible à Nogent) montrent qu’il contient des trésors inexploités, les manuscrits étant généralement beaucoup plus révélateurs d’une vie mystique toute quotidienne que les éditions qui en furent extraites par quelque confesseur ou en vue d’une canonisation éventuelle. Il en est de même pour le fonds du (second) carmel de Pontoise et donc probablement pour une majorité de carmels encore actifs. Notons toutefois que l’écriture n’était pas recommandée chez des franciscaines au recrutement plus humble…


 [c1]page de titre du tome 1

 [c2]envers de la page de titre

 [c3]à présenter sur pages impaire et paire dans le volume

 [c4]à répartir sur page paire et impaire. Je mets partout le prénom développé, mais si cela posait des pb de place dans ID les abréger tous de façon homogène

Attention reprendre au moment de la mise en page le PDF pour répartition plus ou moins haut dans les cases selon les dates

 

= oui ! et placer le tableau du haut « François etc. »séparé et au dessus des autres soit au  niveau de la légende.

Il sera préférable de placer les capucins à droite des tertiaires-récollets car cela est conforme à la chronologie comme à la séquence tome I puis II.

Jai donc repris la légende, remplacé ?- en

 

 [c5]

 

= On supprime tous ces marqueurs { }

 

Les enlever ne gêne pas : on établira en effet lindex du tome III manuellement en limitant les entrées !

 

Je nai pas pour linstant joint les photos à lenvoi du nouveau fichier général des tomes. La plupart figurent tome III.

 [c6]toute cette page est à reprendre PDF en main

 [c7]mettre en page avec le PDF sous les yeux poru alignements